Le Parfum des prairies (le Jardin parfumé)/21

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CHAPITRE XXI

DANS CE CHAPITRE,
QUI TERMINE LE LIVRE,
NOUS TRAITERONS DE L’EXCELLENCE
DES ŒUFS
ET DE TOUTE BONNE SUBSTANCE
POUR ARRIVER À UNE FORCE SUPERBE
EN MATIÈRE AMOUREUSE


Écoutez, Seigneur Vizir. Que Dieu vous garde et étende sur vous sa sainte bénédiction !

Ô Ministre ! ce chapitre renferme des choses de la plus haute importance et des exemples utiles. Par lui, les vieux et les jeunes apprendront l’art de forcer la nature parfois rebelle au coït.

Maître Mossa prétend que si l’on mange tous les jours, à jeun, des œufs mêlés d’oignons pilés, on contentera les femmes les plus gourmandes.

Il dit encore que si l’on fait frire dans du beurre certains insectes de couleur verte, en y ajoutant un jaune d’œuf avec des aromates pulvérisés, on acquiert une vigueur effrayante.

Le lait de chamelle et le miel sont d’excellentes choses. Aussi un ordinaire d’œufs grillés au poivre, avec du lait de chamelle pour boisson, donnera au zeb une telle force qu’il restera toujours en l’air, ne s’endormant ni jour ni nuit.

Mais il peut arriver qu’une aventure subite vous laisse au pied du mur ; dans ce cas, il faut promptement remédier à sa faiblesse et, en peu de temps, obtenir la rigidité nécessaire à la satisfaction commune.

Pour cela, on prendra autant d’œufs que l’on en pourra manger, on les fera griller dans de la graisse fraîche, on les arrosera ensuite de bon miel et l’on absorbera tout ce que l’estomac pourra supporter.

Celui qui suivra ce conseil passera certainement une nuit orageuse.

Histoire de Zora

On a fait, à propos d’une histoire que nous allons dire plus loin, les vers suivants :

Depuis quand son zeb s’est-il dressé ?
Trois jours après avoir vécu d’oignons.
Et combien de pucelages a-t-il pris ?
Quatre-vingts vierges sans être rassasié.
Mais aussi il buvait et mangeait
Du lait de chamelle et du miel ;
Et, sans se forcer, pendant cinquante jours,
Son sperme a coulé avec aisance.
Il ne voulut prendre aucun repos
Et ajouta dix jours aux cinquante qu’on lui imposait.
Et le lendemain Mimoun s’occupait encore
À manger des œufs pour recommencer.

L’aventure de Bou-el-haïa, de Bou-el-haïlour et de l’esclave Mimoun est connue. C’est une histoire célèbre et curieuse que je rapporterai, s’il plaît à Dieu, pour compléter ce livre.

La voici :

Le Cheir Nacer raconte qu’il y avait autrefois, bien avant nous, dans des temps éloignés, un roi très magnifique parmi les Sultans, qui descendait de hauts et puissants ancêtres.

Il avait sept filles.

Tout ce que l’imagination peut créer de grâce, de beauté, d’intelligence, de perfection, de coquetterie et de séduction était leur partage.

Aucune n’était mariée : aussi la cour saluait-elle chaque jour l’arrivée de nouveaux princes qui venaient demander la main d’une de ces merveilles. Mais le Sultan les congédiait avec courtoisie et gardait pour lui ses filles, dont le plaisir favori était de s’habiller en hommes, de suspendre à leurs côtés de brillants cimeterres et, montées sur des chevaux richement caparaçonnés, de combattre en champ clos les plus redoutables seigneurs de ses états.

Chacune d’elles avait un palais magnifique, une foule de serviteurs et d’esclaves obéissaient à leurs moindres caprices. Les unes s’occupèrent exclusivement de leur toilette, les autres préparaient les sorbets glacés, le café parfumé et les mets exquis.

Elles étaient heureuses ainsi et chaque fois que leur père leur demandait si elles avaient fait choix d’un époux, elles répondaient :

— Jamais nous ne changerons notre existence grande et libre contre l’esclavage doré du harem.

Leur décision s’était répandue dans le public, et les langues enchantées de parler inutilement, comme toujours, disant, les unes : Elles ont raison ; les autres : elles ont tort. Puis elles se turent, s’occupèrent d’autre chose et personne ne songea plus à elles jusqu’au moment où, leur père venant à mourir sans héritier mâle, l’aînée monta sur le trône, à la joie universelle.

Celle-ci s’appelait Fouja, la victoire ; la seconde Sultana, la sultane ; la troisième Bdia, la petite perfection ; la quatrième Ouréda, la rose ; la cinquième Mahamouda, digne de louanges ; la sixième El Kumelah, la plus parfaite ; et la septième Zora, la plus belle ; celle-là, plus jeune que ses sœurs, était douée d’un jugement droit et d’une intelligence supérieure ; elle aimait passionnément la chasse et occupait presque tout son temps à la destruction des animaux malfaisants.

Un jour qu’elle parcourait une forêt voisine de son bordj, elle rencontra un cavalier suivi de dix esclaves, qui la salua gracieusement ; elle lui rendit de même son salut ; mais, surprise à l’improviste, Zora ne songea pas à déguiser sa voix et le jeune chef comprit que ces habits de chasseur cachaient les formes suaves d’une charmante jeune fille.

Mettant leurs chevaux à la même allure, ils firent quelque temps route ensemble et ils se plaisaient à leur conversation vive et enjouée.

Après quelque temps d’une douce causerie, le jeune homme, arrêtant son coursier, ordonna aux gens de sa suite de servir le déjeuner sur la mousse verte qui s’étendait à leurs pieds comme un brillant tapis d’émeraude, et conviant sa compagne, il la pria de vouloir bien partager son repas, ce qu’elle accepta gaiement.

Cependant les yeux de notre héros admiraient les mains délicates et la taille mince et flexible de la jeune fille, puis ils fixaient son œil noir largement fendu ; il tâchait d’étudier chaque mouvement de son sein qui soulevait doucement la broderie d’or de sa veste de velours.

Le cœur du beau cavalier s’échappait à la vue de tant de charmes irrésistibles qui faisaient rêver sa pensée.

— Avez-vous de l’amour pour quelque chose, Mohima ? dit-il enfin.

— Je ne sais, répondit-elle, mais je pense en ce moment que la société d’un homme ne convient pas à une femme, car les désirs se rencontrent quelquefois, et la perfidie du démon rend deux êtres malheureux.

— L’amour des honnêtes gens est sans perfidie et n’est point un mal.

— Lorsqu’un homme et une femme s’aiment, leurs secrets deviennent communs, et la désillusion arrive trop vite, car ils ne savent se cacher leurs vilains défauts.

— L’amour est voilé, il s’endort sur le mal et ne voit que le bien.

— Je voudrais qu’il en fût ainsi et que mon esprit conservât toujours cet espoir.

Et leurs regards se rencontrant, ils restèrent tout émus, car ils sentaient bien qu’ils s’aimaient.

Il dit encore :

— L’amour, les joies de l’âme, le bonheur du cœur, l’ivresse des sens, les caresses voluptueuses, la générosité de l’amante qui sait donner à celui qui souffre ; ne sont-ce point là choses précieuses et richesses ?

— Votre langage est doux et le sourire de votre bouche entraînant, répondit-elle.

— Le vôtre est plein de grâce et me fait perdre la raison ; aussi un sentiment profond vient-il de s’emparer de tout mon être, je sens la vie m’abandonner et, à votre seule présence, je dois peut-être de ne pas mourir.

À ces mots, la princesse se leva toute tremblante :

— Séparons-nous, dit-elle, et s’il plaît à Dieu, nous nous reverrons encore.

Ils se dirent tristement adieu et chacun se dirigea du côté de sa demeure.

Quand le cavalier fut rentré chez lui, il devint impatient ; son habitation lui parut isolée et les bruits de la ville n’arrivaient pas à son oreille car il se croyait au désert.

Le père de notre amoureux, avec lequel il demeurait, était un riche négociant qui s’appelait Riroum ; on l’avait surnommé Bou-el-haïu, le somptueux. Il y avait un jour de marche de son palais à celui de la jeune fille.

Dès que le soir eut répandu son voile sombre sur la cité, le cavalier quitta ses vêtements brillants, se vêtit d’habits de couleur foncée, fixa un sabre à sa ceinture et montant son cheval le plus rapide, il partit secrètement, protégé par les ombres de la nuit et suivi par son serviteur Mimoun.

Il marcha jusqu’au jour et s’arrêta près d’une caverne qui présentait aux voyageurs sa bouche béante. Là, il confia son coursier aux soins de son esclave et parcourut la campagne, cherchant la demeure de sa bien-aimée.

Après quelques heures d’une course pénible, il se trouva en face d’un monument superbe ; c’était là qu’habitait la belle princesse. Il se cacha derrière un rocher et observa toute la journée ce qui se passait dans le château ; mais il ne vit pas forme humaine et revint tout découragé à l’abri où il avait laissé Mimoun. Là, exténué de lassitude, il se coucha par terre et s’endormit bientôt, la tête sur les genoux de son fidèle serviteur.

À peine le sommeil enveloppait-il de ses bras caressants le corps de Bou-el-haïar, qu’il fut réveillé tout à coup par la voix de son esclave, qui criait : Ô mon maître ! regarde là-bas ; et ses yeux à peine ouverts purent remarquer une lueur qui perçait une fente de rocher tout au bout de l’antre. Aussitôt il se lève, court à la lumière et reste tout surpris d’apercevoir par la fissure du roc, qui laissait filtrer l’étoile de feu, sa tendre Zora, entourée d’une centaine de jeunes filles, dans un palais souterrain d’une splendeur inouïe.

Les jeunes filles folâtraient et riaient autour d’une table d’or richement dressée.

— Oh ! que n’ai-je, pensait-il, un bon compagnon qui m’aide à enfoncer le maudit rocher qui me sépare de celle que j’aime !

— Mimoun, cria-t-il, prends mon cheval qui vole et ramène-moi bien vite mon bon frère en Dieu, Bou-el-haïlour.

Bou-el-haïlour, fils du ministre du Sultan, était le meilleur et le plus cher ami de Bou-el-haïar. Ces deux compagnons et Mimoun étaient les trois hommes de leur temps les plus robustes et les plus beaux, pour eux la guerre n’était qu’un jeu et les obstacles n’avaient pas de barrières.

Cependant Mimoun, qui était arrivé à la ville, racontait à Bou-el-haïlour, tout surpris, ce qui venait de se passer. Nous sommes tous à Dieu et nous retournerons fatalement à lui, pensait-il. Ô mon pauvre ami ! que t’est-il advenu pendant notre absence ? Et montant à cheval, suivi de l’esclave de son frère et d’un serviteur à lui, ils voyaient fuir les vallées et les plaines sous les jambes nerveuses de leurs coursiers bondissants.

Peu de temps après les deux amis étaient dans les bras l’un de l’autre et Bou-el-haïa racontait ses aventures amoureuses à Bou-el-haïlour, qui l’aurait cru fou, si un vacarme épouvantable, partant du fond de la grotte, n’était venu garantir la vérité des paroles qu’il venait d’entendre. La nuit était arrivée et, comme la veille, un rayon étincelant sortait du rocher.

— Avance et regarde, tu obligeras ton frère, dit l’amant de Zora à son compagnon.

Celui-ci s’étant approché, fut séduit par la beauté des femmes qu’il avait sous les yeux.

— Mais, dis-moi, frère, demanda Bou-el-haïlour, laquelle parmi ces jeunes filles est la dame de tes pensées, car je les trouve toutes charmantes et j’ai de la peine à distinguer la plus belle.

— Regarde bien, dit Bou-el-haïa, c’est celle dont la taille est svelte, le sourire passionné, le front éclatant, le balancement séduisant ; celle qui, parée de vêtements couverts de perles, est assise là-bas à l’écart sur ce trône ciselé et garni de clous d’argent ; c’est celle dont les petits pieds sont surmontés d’énormes anneaux d’or et dont la main blanche rend la neige jalouse. Mon cœur et mes yeux la voient sans cesse parmi toutes comme le guerrier distingue le drapeau du prophète qui le rallie au combat. Mais écoute, ami préféré, j’ai besoin de tes conseils ; je t’ai prié de venir pour m’aider de sages avis. Je crois que cet endroit qui rassemble chaque nuit une si grande quantité de femmes est un lieu de débauche. Je te dis cela, à toi seul, car je ne voudrais pas souiller celle que j’aime en livrant ainsi ma pensée à un indifférent.

— Qui sait ? reprit Bou-el-haïlour, il est possible que les jeux du soir soient les seuls motifs de réunion de ces divines créatures. Mais, avec l’aide de Dieu, tâchons de pénétrer dans ce séjour enchanté et, si nous y parvenons, Allah t’accordera cette faveur de t’unir à tout jamais à la souveraine de ton âme.

Aussitôt que parut l’aurore les serviteurs se mirent à creuser la pierre, de façon à pouvoir passer le corps, et ayant attaché solidement les chevaux dans la caverne, ils pénétrèrent dans le palais.

Ils avaient tous le sabre à la main, mais ne voyant personne, ils le remirent bien vite au fourreau ; puis ils cachèrent avec des débris de rochers l’ouverture qu’ils avaient faite, et comme ils se trouvaient dans la plus grande obscurité, ils allumèrent un flambeau et se mirent à rôder dans tous les coins du séjour mystérieux.

Ils trouvèrent alors un trésor de choses rares et curieuses, une quantité de coussins brillants, de meubles recherchés, de candélabres élégants, et puis encore des vivres et des vins fins à profusion.

Plus loin, était une chambre longue, couverte de tapis épais et dont les tentures paraissaient plus riches que celles de la pièce précédente. Ils parcoururent émerveillés tous les appartements jusqu’au dernier, dont la porte close devait s’ouvrir chaque soir devant les femmes de Zora.

— Mon frère, dit Bou-el-haïlour, maintenant que notre curiosité est satisfaite, rentrons dans la chambre au tapis et restons-y patiemment jusqu’à ce que la nuit nous ramène celles que nous attendons.

À peine le soleil passait-il derrière la montagne, qu’une négresse parut avec une lumière ; elle alluma les lustres, rangea les coussins, égalisa les tapis et couvrit les tables de plats d’or contenant des mets délicieux dont l’odeur remplit en un instant la salle de parfums appétissants.

Quelques instants après les jeunes filles entraient avec apparat.

Elles s’assirent sur les divans et se mirent à boire et à manger en disant les chansons les plus folles.

Lorsque le vin commença à produire sur elles son effet enivrant, nos quatre compagnons sortirent de leur retraite et fondirent sur les femmes le poignard à la main, en cachant le bas de leur figure avec un pan de leur haïk.

— Quels sont ceux qui nous attaquent ainsi pendant la nuit ? Que voulez-vous ? s’écria Zora, pleine de colère.

— C’est toi que nous désirons, répondit Bou-el-haïa.

— Mais qui donc es-tu ?

— Souviens-toi de celui qui t’a rencontrée dans la forêt.

— Et comment êtes-vous entrés ici ?

— Par la puissance de Dieu.

La belle Zora se mit à réfléchir : elle aurait bien voulu sauver les jeunes filles qui l’entouraient. Aucun homme ne les avait jamais possédées ; et elle semblait déjà pleurer sur sa vertu et sur celle de ses protégées, lorsqu’elle se souvint d’une femme nommée Mina, qu’aucun homme n’avait jamais pu rassasier et qui se trouvait justement au palais ; elle pensa qu’au moyen de cette dame elle pourrait donner le change à ceux qui étaient venus si méchamment envahir sa demeure, et se sauver de leurs violences.

— Qu’exigez-vous de moi ? dit-elle aux deux amis.

— Nous nous soumettons nous-mêmes à vos désirs, belle Zora, répondit Bou-el-haïa, dites-moi à quelles conditions je pourrai vous voir céder à mon amour.

— Et si vous ne remplissez pas complètement celles que je vais ordonner, vous reconnaîtrez-vous loyalement mes prisonniers et jurez-vous d’obéir à mon bon plaisir ?

— Nous le jurons, dirent-ils tous.

Et la princesse scella le pacte en mettant sa main dans celle de celui qui l’aimait.

— Voici donc mes ordres, dit Zora ; toi, Bouel-haïa, tu niqueras cette nuit même ces quatre-vingts pucelles sans jouir.

— J’accepte, dit le cavalier ; et on le fit entrer immédiatement dans une pièce charmante, où on lui envoya, l’une après l’autre, toutes les jeunes filles réunies dans le château.

Il les eut toutes et pas une goutte de liqueur spermatique ne perla sur la tête de son tota. Zora resta toute émerveillée de cette vigueur physique et morale sans exemple, car il fallait une terrible force de volonté pour prendre quatre-vingts pucelages sans jouir.

— Quel est ton nom ? demanda-t-elle le lendemain au serviteur de Bou-el-haïa, sorti vainqueur de l’épreuve.

— Mimoun, répondit l’esclave.

— Eh bien, Mimoun, tu niqueras cette femme cinquante nuits de suite sans faiblesse, et il faut que le bonheur te vienne constamment, sans cela tu compromettras la cause de ton maître.

— Je ferai suivant ton désir, dit Mimoun ravi, qui fut enfermé avec Mina dans une pièce voisine de celle où son maître avait eu un si joli succès. Mina devait prévenir Zora à la moindre hésitation de son amant.

— Er comment t’appelles-tu ? dit encore la maîtresse du bordj au troisième compagnon.

— Bou-el-haïlour.

— Je te commande de rester en face de mes femmes et de mes filles pendant trente-trois jours, le zeb en l’air. Si ton tota manque de raideur un seul moment, c’en est fait de toi et des tiens ; vous êtes tous perdus.

Et se tournant ensuite du côté du quatrième et dernier, dont le nom était Fellah, elle l’avertit qu’il aurait à servir instantanément au premier signe.

Avant le commencement des épreuves, Zora avait demandé à chacun quelle nourriture il désirait, ne voulant pas que l’on puisse lui reprocher la moindre indélicatesse envers ses prisonniers sur parole.

Bou-el-haïa avait réclamé pour boisson du lait de chamelle et du miel, sans aucun mélange d’eau, et, pour ses repas, des pois kremissah, de la viande rôtie et beaucoup d’oignons.

Bou-el-haïlour demanda le plus d’oignons possible, mêlés à de la viande et encore du jus d’oignons pilés, exprimé sur du miel liquide.

Mimoun ne voulut exclusivement que des jaunes d’œufs et du pain.

Cependant Bou-el-haïa, ayant le premier satisfait aux exigences de la princesse, attendait patiemment auprès d’elle l’achèvement des épreuves qu’elle avait exigées pour les siens.

Dans le principe, Zora pensait que ses prisonniers ne pourraient jamais accomplir les travaux impossibles qu’elle leur avait imposés, et elle se réjouissait en songeant qu’ils seraient bientôt tous à sa discrétion. Aussi devenait-elle chaque jour plus gracieuse, se promettant d’être plus tard sévère pour les vaincus.

Mais après les trente-trois jours qui fixaient la fin de la lutte de Bou-el-haïlour, lorsqu’elle vit sortir celui-ci avec les honneurs de la guerre, elle se prit à pleurer, désespérant de vaincre.

Les deux amis, se retrouvant ensemble, buvaient à longs traits à la coupe du bonheur, attendant tranquillement, entourés de charmantes filles, la fin de leur singulière aventure. Et Mimoun, qui ne semblait point se lasser, restait comme dernière planche de salut à la malheureuse Zora, qui faisait prendre à chaque instant des nouvelles détaillées sur son état.

Mais Mina répondait que sa force et son zeb grandissaient chaque jour.

Un soir, la belle, toute chagrine, voulant tromper Bou-el-haïa, lui dit :

— Ton esclave a faibli, je pense que sa maîtresse le tuera.

— Je n’en crois rien, répondit le beau cavalier, mais s’il a commis la moindre infraction aux ordres qu’il a reçus de toi, je lui ordonne, en punition de son incartade, un supplément de dix jours d’épreuves.

Ce ne fut donc qu’au bout de soixante jours que la pauvre Mina se crut délivrée de ce taureau ; elle en était toute satisfaite, car elle se sentait mourir d’épuisement. Mais il n’en était rien, Mimoun voulait encore dix autres jours pour faire grandement les choses.

Alors la trop heureuse femme envoya dire à Zora :

— Ma chère maîtresse, les conditions que tu as imposées à mon amant sont plus que dépassées ; et pourtant il ne se sépare pas de moi, j’en prends Dieu à témoin ; qu’il me conserve la vie pour l’amour de lui ! J’ai les cuisses rompues et il ne m’est pas permis de m’asseoir un instant pour me reposer.

Zora voulut alors faire cesser cet homme cheval, mais tout fut inutile et seulement soixante-dix jours après il revint près de ses amis émerveillés qui le complimentèrent ; et il le méritait certes bien.

Ils se partagèrent alors tout ce qu’il y avait dans le palais, filles, femmes et trésors. C’était leur droit de vainqueurs.

Bou-el-haïa ne garda pour lui que la sublime Zora, qui valait tout le reste ensemble.

Cette histoire donne l’explication des vers qui se trouvent au commencement de ce chapitre.

Voici la recette de la boisson qui excite par excellence au coït ; que celui qui en aura besoin s’en serve.

Ayant pelé des oignons, tu les pileras pour en exprimer le jus, que tu mêleras à deux parties de miel purifié. Tu feras cuire cela sur un feu doux jusqu’à ce que l’eau soit complètement évaporée et que le miel reste seul au fond du vase. Prends une quantité de ce produit, que tu augmenteras de trois parties égales d’eau dans laquelle tu auras fait macérer des pois kremissah pendant un jour et une nuit et tu composeras ainsi une boisson ardente qui te donnera plus de raideur que tu n’en désires peut-être.

Les personnes faibles de tempérament feront bien de s’en abstenir si elles tiennent à ne devenir ni poitrinaires ni aveugles. On se gardera bien aussi d’en faire usage pendant plus de trois jours de suite, ou pendant les grandes chaleurs sous peine de vieillir vite ou de devenir impuissant à tout jamais.

Ici nous finissons ce livre en rendant grâce à Dieu.

Que son aide nous soit propice !