Le Parnasse contemporain/1866/Le Réveil
La seule chose que j’envie,
C’est de sentir autour de moi
Frémir l’insulte de la vie
Pour en tirer un peu d’émoi.
Salut donc, printemps dont le livre
M’offre un martyrologe sûr,
Salut, cher bourreau qui me livre
Au vaste dédain de l’azur.
Partout, en poses langoureuses,
M’environne l’injure en fleur,
Les petites feuilles heureuses
Tirent la langue à ma douleur.
Le brin d’herbe qui me renie
Pour me siffler trouve une voix.
Ce sont des touffes d’ironie,
Et non des roses que je vois.
Le jour me frappe de sa lance,
Et je sens jusqu’au fond des os
Les coups d’épingle que me lance
Le chant pépiant des oiseaux.
Tant mieux, printemps ! qu’une morsure
M’atteigne à chacun de mes pas !
C’est un réveil qu’une blessure.
Est-ce qu’on ne préfère pas
Ce qui secoue à ce qui tue,
Et le coup de couteau qui sort
D’une sensation pointue,
A l’ennui plat comme la mort ?