Le Parnasse contemporain/1866/Tableaux hollandais
J’ai traversé deux fois le pays de Rembrandt,
Pays de matelots — qui flotte et qui navigue, —
Où le fier Océan gémit contre la digue,
Où le Rhin dispersé n’est plus même un torrent.
La prairie est touffue et l’horizon est grand ;
Le Créateur ici fut comme ailleurs prodigue…
— Le lointain uniforme à la fois nous fatigue,
Mais toujours ce pays m’attire et me surprend.
Est-ce l’œuvre de Dieu que j’admire au passage ?
Pourquoi me charme-t-il, ce morne paysage
Où mugissent des bœufs agenouillés dans l’eau ?
Oh ! c’est que je revois la nature féconde
Où Rembrandt et Ruysdaël ont créé tout un monde :
A chaque pas ici je rencontre un tableau.
Je retrouve là-bas le taureau qui rumine
Dans le pré de Paul Rotter, à l’ombre du moulin ;
— La blonde paysanne allant cueillir le lin,
Vers le gué de Berghem, les pieds nus, s’achemine.
Dans le bois de Ruysdaël qu’un rayon illumine
La belle chute d’eau ! Le soleil au déclin
Sourit à la taverne où chaque verre est plein,
— Taverne de Brauwer que l’ivresse enlumine.
Je vois à la fenêtre un Gérard Dow nageant
Dans l’air ; — plus loin Jordaens : — les florissantes filles !
Saluons ce Rembrandt si beau dans ses guenilles !
Oui, je te connaissais, Hollande au front d’argent ;
Au Louvre est ta prairie avec ta créature ;
Mais dans ces deux aspects où donc est la nature ?