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Le Parnasse contemporain/1876/À Alfred de Musset

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 328-333).




SAINT-CYR DE RAYSSAC [1]

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A ALFRED DE MUSSET [2]


Poëte, dors en paix : l’épreuve est terminée ;
Les lauriers sur ta tombe ont fleuri jusqu’au bout,
Mais près d’eux a poussé l’Envie, et chaque année
Voit naître maintenant quelque sourde menée
Pour ébranler le socle où ta gloire est debout.

Ceux-ci, — les plus adroits, pour nuire à cette gloire,
Quand l’écho t’applaudit font semblant d’être sourds ;
Ceux-là, recommençant une éternelle histoire,
Vont remuer la lie au fond de ta mémoire,
Et profaner ton nom, ta muse et tes amours.


Des coins les plus divers cette attaque est partie ;
Mais que l’on soit sournois, que l’on soit furieux,
Qu’on sorte d’une école ou d’une sacristie,
C’est partout et toujours la même antipathie
Que la divine grâce inspire aux envieux.

C’est la même éloquence avec les mêmes poses,
C’est pour d’autres motifs la même austérité,
C’est toujours le tuteur de quelques grandes choses
Qui ramasse un pavé pour écraser des roses,
Et qui répond croyance à qui parle beauté.

Et, qu’on le sache bien, pas un n’a pour excuse
Une œuvre, belle ou non, mais qui sorte de lui ;
Chacun a sa doctrine et pas un n’a de muse,
Hélas ! et c’est ainsi que leur carrière s’use
A marcher sur les fleurs dans les jardins d’autrui.

O bijou merveilleux, fuseau de Barberine,
Des bouviers sous leurs pas te trouvent un matin,
Et sans rien entrevoir de ta noble origine,
Ils veulent enrouler sur ta tige divine
Les épaisses toisons qui leur donnent du pain !

Mais toi, galant joyau, toi que la châtelaine
Emportait dans sa tour pour filer de l’or fin,
Tu n’as pas pu servir pour le chanvre ou la laine,
Et les rustres alors, aveuglés par la haine,
T’ont jeté sans vergogne aux cailloux du chemin.


— Oui, quand par son éclat quelqu’un vous importune,
Il est un moyen sûr et qui n’est jamais vieux ;
Avec quelque grand dogme on fait cause commune,
Et l’on sert à loisir sa piteuse rancune
En ayant l’air partout de défendre les dieux.

Ils foulent par exemple une tombe fleurie,
Mais c’est au nom du ciel, au nom du genre humain,
Que sais-je encore ? au nom de la mère patrie,
« Que le poëte ingrat n’a pas assez chérie,
Lorsque pâle et sanglante elle tendait la main. »

Or, vous qui l’avez lu, vous savez s’il l’adore
Cette terre de France, et s’il s’en fait honneur.
Rien que de la nommer sa strophe se colore,
Et son vers frémissant comme l’airain sonore
Tremble tout aussitôt des élans de son cœur.

Ils ont donc oublié cette chanson guerrière
Qui jadis du vieux Rhin dispersa les échos,
Alors que, révolté par une insulte amère,
Le généreux enfant se lève pour sa mère,
Et du fleuve insolent va fustiger les flots.

En quelques mots sanglants sa colère s’épanche,
Mais il reste Français dans son ressentiment ;
Rire d’un méchant vin lui semble une revanche,
Il provoque, il triomphe, — et de son arme blanche,
Après un coup terrible il porte un coup charmant.


Lui n’aimer pas la France ! Osez-vous bien le dire,
Alors qu’il est le seul peut-être et le dernier,
Qui de son air natal se nourrisse et s’inspire,
Et qui retrouve encore un peu de ce sourire,
Hélas ! que deux cents ans n’ont pu faire oublier.

Et tandis que, fuyant les rives maternelles,
D’autres cherchaient au loin quelque sentier nouveau,
Lui, trouvait dans les fleurs ces sources naturelles,
Où de nos grands aïeux les Muses immortelles
Puisaient en se jouant tous les secrets du Beau.

Oh ! comme ils sont troublés par sa grâce ingénue !
Quelle triste amertume impossible à cacher !
Comme ils souffrent au fond ces traîneurs de massue
De voir si lestement s’élancer vers la nue
Toutes ces flèches d’or d’un immortel archer.

Ils ne pardonnent pas sa libre raillerie,
Surtout sa clairvoyance et sa douce fierté,
Sa main qui sans pitié touche à la draperie,
Et cet instinct natal de la vieille patrie,
Son invincible horreur pour la solennité.

C’est léger, disent-ils, la main sur son volume ;
Oh ! léger ! quelle gloire ! — Amis, soyons légers,
Légers comme le feu, les ailes et la plume,
Comme tout ce qui monte et tout ce qui parfume,
Comme l’âme des fleurs dans les bois d’orangers.


O mon poëte aimé, voilà ce qui les blesse,
C’est ce charme attirant que le ciel t’a donné,
C’est ton doux abandon qu’ils traitent de faiblesse,
C’est enfin le talent, la race et la jeunesse
Unissant leurs attraits sur ton front couronné.

Lorsque je lis tes vers, sympathique génie,
Ces vers sortis si purs du fond de ta douleur,
Ces vers où la beauté, la force et l’harmonie
Naissent heure par heure, aux dépens de ta vie,
Et coulent jour par jour des sources de ton cœur :

Aussitôt, malgré moi, je songe avec tristesse
Au fils de Diomède, à cet enfant divin,
Qui jouait au soleil dans les champs de la Grèce,
Et qu’Apollon, trompé, dans un moment d’ivresse
Frappa sans le vouloir de son disque d’airain.

Renversé, le mourant tomba sur la verdure
Il garda son sourire en perdant sa couleur,
Un voile doux et triste envahit sa figure,
Et sur le sol foulé qu’imbibait sa blessure
Chaque goutte de sang faisait naître une fleur.

Ainsi tu m’apparais dans l’ombre funéraire
Avec ta tête blonde et ton geste éploré.
Qu’importe sur ton marbre une tache vulgaire !
C’est dit, — te voilà grand, quoi que l’on puisse faire,
Et ce tertre où tu dors est à jamais sacré.


Si jadis dans le cours de tes heures troublées,
La femme fut amère à ton cœur sans détour,
Bien d’autres à présent, furtives et voilées,
Viennent chercher ton nom dans les vertes allées,
Et rêver sur ta tombe aux choses de l’amour.

Et pendant ce temps-là frissonnant autour d’elles,
Libre et purifié sous un ciel radieux,
Tu prends part dans la brise aux noces éternelles,
Et passant comme l’air dans les feuilles nouvelles,
Tu mêles ta grande âme avec l’âme des dieux.

— Aussi lorsqu’en tremblant j’interroge ta cendre,
Ce n’est pas, crois-le bien, pour te justifier.
Si j’ai redit ton nom, c’est que j’aime à l’entendre,
C’est que ton souvenir laisse le cœur plus tendre,
Poëte, — et qu’il est doux de te glorifier.



  1. Saint-Cyr de Rayssac, né à Castres (Tarn) le 3 octobre 1837, est mort le 10 mai 1874. Les poëtes vivants nous approuveront d’avoir fait une place parmi eux à un confrère qui, dans sa vie trop courte, ne publia rien de son œuvre. Et c’est avec un amer intérêt que le public connaîtra en même temps le talent et la mort de Saint-cyr de Rayssac.
    Alphonse Lemerre.
  2. Il y a eu en 1868 une violente critique d’Alfred de Musset.