Le Parnasse libertin/114

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 111-113).

L’Ave Maria, CONTE.


Dans un Couvent deux Nonettes gentilles,
Mais dont l’eſprit ſimple, doux, innocent,
Ne connoiſſoit que le Tour & les Grilles,
Tenoient un jour propos intéreſſant

De confidence & d’amitié fort tendre.
Notez qu’aucun ne pouvoit les entendre,
L’huis étoit clos. Fillettes de jaſer,
De s’appeller & ma chere & ma bonne,
De ſe donner ſaintement un baiſer,
D’y revenir ſans qu’aucune ſoupçonne
Que le Malin les induit à ce jeu.
Jeſus ma ſœur, dit la jeune Sophie,
Qu’on voit en vous les merveilles de Dieu !
Quelle beauté ! vous êtes accomplie,
Que ce bouton de roſe là me plaît !
J’y vois la main de la Toute-Puiſſance.
Et vous, mon cœur, reprit la ſœur Conſtance,
Peut-on vous voir, & ne pas l’adorer !
Tout eſt parfait, tout en vous m’édifie.
Lors le pieux examen ſur Sophie
Va ſon chemin. On admire ceci
Et puis cela ; tant que par avanture
En certain lieu que la folle nature
Fit à plaiſir, l’examen vint auſſi.
Pieux élans obligeamment myſtiques
Naiſſent alors à cet objet frappant.
Ma chere ſœur, l’agréable portique !
Le beau deſſein ! qu’il eſt ſimple & piquant !
Chez vous, ma ſœur, lui répliqua Sophie,
Mêmes appas, mon ame en eſt ravie,
Rien de ſi beau ne s’offrit à mes yeux.

Vous allez rire, il me prend une envie,
C’eſt de ſçavoir un peu qui de nous deux
À plus petit ce chef-d’œuvre des cieux.
C’eſt vous, ma ſœur ; non ma ſœur, je vous jure.
C’eſt vous ! eh, bien prenons-en la meſure,
Notre Roſaire eſt tout propre à cela.
On y procède. Eh, bon Dieu, dit Sophie,
Qui l’auroit cru ? vous l’avez, chere amie,
Plus grand que moi d’un Ave Maria.

Par Mr. R… de B.