Le Parti socialiste/Post-scriptum

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A. Panis (p. 293-299).


POST-SCRIPTUM


En moins de temps qu’il n’en a fallu pour écrire et imprimer ce livre, l’Empire parlementaire, bâti sur le sable, c’est-à-dire sur la base mouvante de l’inconséquence que nous avons dénoncée, s’est écroulé.

Le plébiscite, résolu et exécuté sans aucune intervention du parlement, est la négation la plus radicale du principe essentiel du parlementarisme.

La prorogation du Corps législatif, pendant que le pouvoir exécutif allait élaborer le plébiscite avec le concours du Sénat, eût été un véritable coup d’État ; la retraite volontaire du Corps législatif a été une abdication. Le résultat est le même.

L’expérience a ainsi tourné à la confusion des parlementaires, qui s’étaient livrés inconsidérément, sans prendre aucune garantie, et la première et indispensable garantie eût dû être la dissolution du Corps législatif, nommé sous le régime autoritaire.

L’expérience a tourné pareillement à la confusion de la gauche, qui s’était empressée d’apporter son adhésion, sur de vagues promesses, et aucun gouvernement, l’Empire moins que tout autre, n’a jamais épargné les promesses. Il fallait une bien grande naïveté pour croire aux paroles d’un ministre qui répudiait la candidature officielle sans, immédiatement, dissoudre le Corps législatif, issu de la candidature officielle, pour procéder à de libre élections.

Ce qui peut consoler les uns et les autres, c’est qu’il ne nous paraît pas davantage que cette expérience puisse tourner à la consolidation de l’Empire, contre lequel elle va réveiller des défiances qui seront désormais incurables, et des hostilités qui seront désormais irréconciliables.

Les partis pardonnent à un gouvernement qui les a subjugués, mais ils ne pardonnent pas à un gouvernement qui les a joués.

Pour ce qui est du plébiscite en lui-même, ceux qui nous ont lu attentivement ont certainement compris que nous n’étions pas partisan du gouvernement direct, qui peut-être une forme de gouvernement supérieure au parlementarisme, mais qui en somme aboutit toujours au même résultat, de consacrer l’asservissement du peuple par son propre consentement.

Dans tous les cas, il y a fort loin, comme on l’a fait observer, du plébiscite, question unique posée capricieusement et arbitrairement, quand il lui plaît et comme il lui plaît, par le représentant du pouvoir exécutif, au gouvernement direct, système dans lequel toutes les lois et toutes les décisions un peu importantes sont soumises au vote populaire.

Mais, à prendre le système plébiscitaire tel qu’on nous le présente, si l’on veut en pratiquer l’expérience dans les conditions de sincérité, c’est-à-dire de logique, qui seules peuvent lui donner quelque valeur et quelque autorité, il est indispensable que, pendant la période plébiscitaire, règne une complète liberté de discussion, à laquelle aucun citoyen ne soit empêché de participer, parmi ceux-là surtout qui à tort ou à raison passent pour avoir quelque influence sur le peuple.

Il faut donc, d’abord et avant tout, ouvrir les prisons politiques, et lever les condamnations ou les poursuites qui retiennent plusieurs citoyens à l’étranger.

Il faut ensuite suspendre complétement pendant cette période l’action des lois répressives des délits de discussion, des délits de parole et des délits de presse, afin que chacun puisse dire ce qu’il pense, sans redouter d’être inquiété.

Il faut enfin, pendant la période plébiscitaire, supprimer le timbre des écrits politiques et le cautionnement des journaux, afin que tout citoyen ait une liberté complète de publier sa pensée, sous telle forme qui lui paraîtra la plus avantageuse ![1]

Si ces conditions essentielles de liberté ne protègent par la sincérité du vote, les adversaires de l’Empire auront toujours le droit de dire, et ils n’y manqueront pas, que le plébiscite n’a été qu’une manoeuvre du pouvoir personnel aux abois, et qu’il n’a aucune valeur, parce que ceux qui étaient appelés à contracter n’ont pu être éclairés sur le contrat ni le discuter librement.

Il est certain que, dans de telles conditions, tous les hommes prévoyants et sages, qui ne veulent pas engager l’avenir, s’abstiendront, de façon à ce que l’on ne puisse pas plus tard leur opposer le pacte intervenu. Car celui qui vote non accepte par le fait le résultat du vote, quel qu’il soit, et il doit se soumettre de bonne grâce si la majorité vote oui, comme ceux qui ont voté oui eussent dû s’incliner si la majorité eût voté non. Tandis que celui qui s’abstient se réserve le droit de protester sans inconséquence, en refusant d’accepter les chances d’un contrat aléatoire.

Au milieu de la confusion des idées et des partis, à laquelle les dernières circonstances ont mis le comble, c’est plus que jamais le cas d’arborer le programme socialiste, qui peut seul procurer, par des réformes politiques et sociales radicales, une satisfaction légitime aux intérêts des travailleurs, si gravement compromis, et résoudre le problème de la liberté, en lui donnant la justice pour base, et le bien-être universel pour couronnement.

Le gouvernement et les partis s’agitent ; mais la politique a fait son temps, et c’est toujours au socialisme qu’il faudra tôt ou tard en arriver, car c’est au peuple que désormais appartient le dernier mot.


Paris, 16 avril 1870.

FIN
  1. Il y a un précédent qui montre qu’il n’y a rien d’exorbitant dans cette réclamation. La loi du 2 avril 1849 dispensait de verser un cautionnement tout nouveau journal publié pendant les quarante cinq jours précédant les élections générales. En outre, tout citoyen pouvait, sans avoir besoin d’aucune autorisation municipale, afficher, crier, distribuer et vendre tous journaux et tous écrits ou imprimés relatifs aux élections, à la seule condition que ces journaux, écrits ou imprimés seraient signés de leurs auteurs et déposés. — Faisons observer en passant que la réduction dé la période plébiscitaire à dix jours, comme l’intention en a été annoncée, rendrait purement illusoire toute la liberté qui pourrait être laissée.