Le Pays des fourrures/Partie 2/Chapitre 18

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Hetzel (p. 362-372).

CHAPITRE XVIII.

tous au travail.


Un cataclysme épouvantable s’était produit. La banquise s’était jetée sur l’île errante ! Enfoncée à une grande profondeur au-dessous du niveau de la mer, à une profondeur quintuple de la hauteur dont elle émergeait, elle n’avait pu résister à l’action des courants sous-marins. S’ouvrant un chemin à travers les glaces disjointes, elle s’était précipitée en grand sur l’île Victoria, qui, poussée par ce puissant moteur, dérivait rapidement vers le sud.

Au premier moment, avertis par les bruits de l’avalanche qui écrasait le chenil, l’étable et la maison principale de la factorerie, Mac Nap et ses compagnons avaient pu quitter leur logement menacé. Mais déjà l’œuvre de destruction s’était accomplie. De ces demeures, il n’y avait plus trace ! Et maintenant l’île entraînait ses habitants avec elle vers les abîmes de l’Océan ! Mais peut-être, sous les débris de l’avalanche, leur vaillante compagne, Paulina Barnett, Madge, la jeune Esquimaude, l’astronome vivaient-ils encore ? Il fallait arriver à eux, ne dût-on plus trouver que leurs cadavres.

Le lieutenant Hobson, d’abord atterré, reprit son sang-froid, et s’écria :

« Aux pioches et aux pics ! La maison était solide ! Elle a pu résister. À l’ouvrage ! »

Les outils et les pics ne manquaient pas. Mais, en ce moment, on ne pouvait s’approcher de l’enceinte. Les glaçons y roulaient du sommet des icebergs découronnés, dont quelques-uns, parmi les restes de cette banquise, s’élevaient encore à deux cents pieds au-dessus de l’île Victoria. Que l’on s’imagine dès lors la puissance d’écrasement de ces masses ébranlées qui semblaient surgir de toute la partie septentrionale de l’horizon. Le littoral, dans cette portion comprise entre l’ancien cap Bathurst et le cap Esquimau, était non seulement dominé, mais envahi par ces montagnes mouvantes. Irrésistiblement poussées, elles s’avançaient déjà d’un quart de mille au-delà du rivage. À chaque instant, un tressaillement du sol et une détonation éclatante annonçaient qu’une de ces masses s’abattait. Conséquence effroyable, on pouvait craindre que l’île ne fût submergée sous un tel poids. Une dénivellation très sensible indiquait que toute cette partie du rivage s’enfonçait peu à peu, et déjà la mer s’avançait en longues nappes jusqu’aux approches du lagon.

La situation des hiverneurs était terrible, et, pendant tout le reste de la nuit, sans rien pouvoir tenter pour sauver leurs compagnons, repoussés de l’enceinte par les avalanches, incapables de lutter contre cet envahissement, incapables de le détourner, ils durent attendre, en proie au plus sombre désespoir.

Le jour parut enfin. Quel aspect offraient ces environs du cap Bathurst ! Là où s’étendait le regard, l’horizon était maintenant fermé par la barrière de glace. Mais l’envahissement semblait être arrêté, au moins momentanément. Cependant, çà et là, quelques blocs s’écroulaient encore du sommet des icebergs mal équilibrés. Mais leur masse entière, profondément engagée sous les eaux, par sa base, communiquait maintenant à l’île toute la force de dérive qu’elle puisait dans les profondeurs du courant, et l’île s’en allait au sud, c’est-à-dire à l’abîme, avec une vitesse considérable.

Ceux qu’elle entraînait avec elle ne s’en apercevaient seulement pas. Ils avaient des victimes à sauver, et, parmi elles, cette courageuse et bien-aimée femme, pour laquelle ils auraient donné leur vie. C’était maintenant l’heure d’agir. On pouvait aborder l’enceinte. Il ne fallait pas perdre un instant. Depuis six heures déjà, les malheureux étaient enfouis sous les débris de l’avalanche.

On l’a dit, le cap Bathurst n’existait plus. Repoussé par un énorme iceberg, il s’était renversé en grand sur la factorerie, brisant l’embarcation, couvrant ensuite le chenil et l’étable, qu’il avait écrasés avec les animaux qu’ils renfermaient. Puis, la maison principale avait disparu sous la couche de sable et de terre, que des blocs amassés sur une hauteur de cinquante à soixante pieds accablaient de leur poids. La cour du fort était comblée. De la palissade on ne voyait plus un seul poteau. C’était sous cette masse de glaçons, de terre et de sable, et au prix d’un travail effrayant, qu’il fallait chercher les victimes.

Avant de se remettre à l’œuvre, le lieutenant Hobson appela le maître charpentier.

« Mac Nap, lui demanda-t-il, pensez-vous que la maison ait pu supporter le poids de l’avalanche ?

— Je le crois, mon lieutenant, répondit Mac Nap, et je serais presque tenté de l’affirmer. Nous avions consolidé cette maison, vous le savez. Son toit était casematé, et les poutres placées verticalement entre les planchers et les plafonds ont dû résister. Remarquez aussi que la maison a été d’abord recouverte d’une couche de sable et de terre, qui a pu amortir le choc des blocs précipités du haut de la banquise.

— Dieu vous donne raison, Mac Nap ! répondit Jasper Hobson, et qu’il nous épargne une telle douleur ! »

Puis il fit venir Mrs. Joliffe.

« Madame, lui demanda-t-il, est-il resté des vivres dans la maison ?

— Oui, monsieur Jasper, répondit Mrs. Joliffe, l’office et la cuisine contenaient encore une certaine quantité de conserves.

— Et de l’eau ?

— Oui, de l’eau et du brandevin, répondit Mrs. Joliffe.

— Bon, fit le lieutenant Hobson, ils ne périront ni par la faim ni par la soif ! Mais l’air ne leur manquera-t-il pas ? »

À cette question, le maître charpentier ne put répondre. Si la maison avait résisté, comme il le croyait, le manque d’air était alors le plus grand danger qui menaçât les quatre victimes. Mais enfin, ce danger, on pouvait le conjurer en les délivrant rapidement, ou, tout au moins, en établissant aussi vite que possible une communication entre la maison ensevelie et l’air extérieur.

Tous, hommes et femmes s’étaient mis à la besogne, maniant le pic et la pioche. Tous s’étaient portés sur le massif de sable, de terre et de glaces, au risque de provoquer de nouveaux éboulements. Mac Nap avait pris la direction des travaux, et il les dirigea avec méthode.

Il lui parut convenable d’attaquer la masse par son sommet. De là, on put faire rouler du côté du lagon les blocs entassés. Le pic et les leviers aidant, on eut facilement raison des glaçons de médiocre grosseur, mais les énormes morceaux durent être brisés à coups de pioche. Quelques-uns même, dont la masse était très considérable, furent fondus au moyen d’un feu ardent, alimenté à grand renfort de bois résineux. Tout était employé à la fois pour détruire ou repousser la masse des glaçons dans le plus court laps de temps.

Mais l’entassement était énorme, et, bien que ces courageux travailleurs eussent travaillé sans relâche et qu’ils ne se fussent reposés que pour prendre quelque nourriture, c’est à peine, lorsque le soleil disparut au-dessous de l’horizon, si l’entassement des glaçons semblait avoir diminué. Cependant, il commençait à se niveler à son sommet. On résolut donc de continuer ce travail de nivellement pendant toute la nuit ; puis, cela fait, lorsque les éboulements ne seraient plus à craindre, le maître charpentier comptait creuser un puits vertical à travers la masse compacte, ce qui permettrait d’arriver plus directement et plus rapidement au but, et de donner accès à l’air extérieur.

Donc, toute la nuit, le lieutenant Hobson et ses compagnons s’occupèrent de ce déblaiement indispensable. Le feu et le fer ne cessèrent d’attaquer et de réduire cette matière incohérente des glaçons. Les hommes maniaient le pic et la pioche. Les femmes entretenaient les feux. Tous n’avaient qu’une pensée : sauver Mrs. Paulina Barnett, Madge, Kalumah, Thomas Black !

Mais quand le matin reparut, il y avait déjà trente heures que ces infortunés étaient ensevelis, au milieu d’un air nécessairement raréfié sous l’épaisse couche.

Le charpentier, après les travaux accomplis dans la nuit, songea à creuser le puits vertical, qui devait aboutir directement au faîte de la maison. Ce puits, suivant son calcul, ne devait pas mesurer moins de cinquante pieds. Le travail serait facile, sans doute, dans la glace, c’est-à-dire pendant une vingtaine de pieds ; mais ensuite les difficultés seraient grandes pour creuser la couche de terre et de sable, nécessairement très friable, et qu’il serait nécessaire d’étayer sur une épaisseur de trente pieds au moins. De longues pièces de bois furent donc préparées à cet effet, et le forage du puits commença. Trois hommes seulement y pouvaient travailler ensemble. Les soldats eurent donc la possibilité de se relayer souvent, et l’on put espérer que le creusement se ferait vite.

Comme il arrive en ces terribles circonstances, ces pauvres gens passaient par toutes les alternatives de l’espoir et du désespoir. Lorsque quelque difficulté les retardait, lorsque quelque éboulement survenait et détruisait une partie du travail accompli, ils sentaient le découragement les prendre, et il fallait que la voix ferme et confiante du maître charpentier les ranimât. Pendant qu’ils creusaient à tour de rôle, les trois femmes, Mrs. Raë, Joliffe et Mac Nap, groupées au pied d’un monticule, attendaient, parlant à peine, priant quelquefois. Elles n’avaient d’autre occupation que de préparer les aliments que leurs compagnons dévoraient aux instants de repos.

Cependant, le puits se forait sans grandes difficultés, mais la glace était extrêmement dure et le forage ne s’accomplissait pas très rapidement. À la fin de cette journée, Mac Nap avait seulement atteint la couche de terre et de sable, et il ne pouvait pas espérer qu’elle fut entièrement percée avant la fin du jour suivant.

La nuit vint. Le creusement ne devait pas être suspendu. Il fut convenu que l’on travaillerait à la lueur des résines. On creusa à la hâte une sorte de maison de glace dans un des hummocks du littoral pour servir d’abri aux femmes et au petit enfant. Le vent avait passé au sud-ouest, et il tombait une pluie assez froide, à laquelle se mêlaient parfois de grandes rafales. Ni le lieutenant Hobson, ni ses compagnons ne songèrent à suspendre leur travail.

En ce moment commencèrent les grandes difficultés. En effet, on ne pouvait forer dans cette matière mouvante. Il devint donc indispensable d’établir une sorte de cuvelage en bois afin de maintenir ces terres meubles à l’intérieur du puits. Puis, avec un seau suspendu à une corde, les hommes, placés à l’orifice du puits, enlevaient les terres dégagées. Dans ces conditions, on le comprend, le travail ne pouvait être rapide. Les éboulements étaient toujours à craindre, et il fallait prendre des précautions minutieuses, pour que les foreurs ne fussent pas enfouis à leur tour.

Le plus souvent, le maître charpentier se tenait lui-même au fond de l’étroit boyau, dirigeant le creusement et sondant fréquemment avec un long pic. Mais il ne sentait aucune résistance qui prouvât qu’il eût atteint le toit de la maison.

D’ailleurs, le matin venu, dix pieds seulement avaient été creusés dans la masse de terre et de sable, et il s’en fallait de vingt pieds encore qu’on fût arrivé à la hauteur que le faîte occupait avant l’avalanche, en admettant qu’il n’eût pas cédé.

Il y avait cinquante-quatre heures que Mrs. Paulina Barnett, les deux femmes et l’astronome étaient ensevelis !

Plusieurs fois, le lieutenant et Mac Nap se demandèrent si les victimes, ne tentaient pas ou n’avaient pas tenté de leur côté d’ouvrir une communication avec l’extérieur. Avec le caractère intrépide, le sang-froid qu’on lui connaissait, il n’était pas douteux que Mrs. Paulina Barnett, si elle avait ses mouvements libres, n’eût essayé de se frayer un passage au-dehors. Quelques outils étaient restés dans la maison, et l’un des hommes du charpentier, Kellet, se rappelait parfaitement avoir laissé sa pioche dans la cuisine. Les prisonniers n’avaient-ils donc point brisé une des portes, et commencé le percement d’une galerie à travers la couche de terre ? Mais cette galerie, ils ne pouvaient la mener que dans une direction horizontale, et c’était un travail bien autrement long que le forage du puits entrepris par Mac Nap, car l’amoncellement produit par l’avalanche, qui ne mesurait qu’une soixantaine de pieds en hauteur, couvrait un espace de plus de cinq cents pieds de diamètre. Les prisonniers ignoraient nécessairement cette disposition, et, en admettant qu’ils eussent réussi à creuser leur galerie horizontale, ils n’auraient pu crever la dernière croûte de glace avant huit jours au moins. Et d’ici là, sinon les vivres, l’air, du moins, leur aurait absolument manqué.

Cependant, Jasper Hobson surveillait lui-même toutes les parties du massif, écoutant si quelque bruit ne décèlerait pas un travail souterrain. Mais rien ne se fit entendre.

Les travailleurs avaient repris avec plus d’activité leur rude besogne avec la venue du jour. La terre et le sable remontaient incessamment à l’orifice du puits, qui se creusait régulièrement. Le grossier cuvelage maintenait suffisamment la matière friable. Quelques éboulements se produisirent, cependant, qui furent rapidement contenus, et, pendant cette journée, on n’eut aucun nouveau malheur à déplorer. Le soldat Garry fut seulement blessé à la tête par la chute d’un bloc, mais sa blessure n’était pas grave, et il ne voulut même pas abandonner sa besogne.

À quatre heures, le puits avait atteint une profondeur totale de cinquante pieds, soit vingt pieds creusés dans la glace, et trente pieds dans la terre et le sable.

C’était à cette profondeur que Mac Nap avait compté atteindre le faîte de la maison, si le toit avait tenu solidement contre la pression de l’avalanche.

Il était en ce moment au fond du puits. Que l’on juge de son désappointement, de son désespoir, quand le pic, profondément enfoncé, ne rencontra aucune résistance.


Il resta un instant les bras croisés, regardant Sabine, qui se trouvait avec lui.

« Rien ? dit le chasseur.

— Rien, répondit le charpentier. Rien. Continuons. Le toit aura fléchi sans doute, mais il est impossible que le plancher du grenier n’ait pas résisté ! Avant dix pieds, nous devons rencontrer ce plancher lui-même… ou bien… »

Mac Nap n’acheva pas sa pensée, et, Sabine l’aidant, il reprit son travail avec l’ardeur d’un désespéré.

À six heures du soir, une nouvelle profondeur de dix à douze pieds avait été atteinte.

« Les malheureux ! » murmura-t-il.
« À nous ! À nous ! »

Mac Nap sonda de nouveau. Rien encore. Son pic s’enfonçait toujours dans la terre meuble. Le charpentier, abandonnant un instant son outil, se prit la tête à deux mains.

« Les malheureux ! » murmura-t-il.

Puis, s’élevant sur les étrésillons qui maintenaient le cuvelage de bois, il remonta jusqu’à l’orifice du puits.

Là, il trouva le lieutenant Hobson et le sergent plus anxieux que jamais, et, les prenant à l’écart, il leur fit connaître l’horrible désappointement qu’il venait d’éprouver.

« Mais alors, demanda Jasper Hobson, alors la maison a été écrasée par l’avalanche, et ces infortunés…

— Non, répondit le maître charpentier d’un ton d’inébranlable conviction. Non ! la maison n’a pas été écrasée ! Elle a dû résister, renforcée comme elle l’était ! Non ! elle n’a pas été écrasée ! Ce n’est pas possible !

— Mais alors qu’est-il arrivé, Mac Nap ? demanda le lieutenant, dont les yeux laissaient échapper deux grosses larmes.

— Ceci, évidemment, répondit le charpentier Mac Nap. La maison a résisté, elle, mais le sol sur lequel elle reposait a fléchi. Elle s’est enfoncée tout d’une pièce ! Elle a passé au travers de cette croûte de glace qui forme la base de l’île ! Elle n’est pas écrasée, mais engloutie… Et les malheureuses victimes…

— Noyées ! s’écria le sergent Long.

— Oui ! sergent ! noyées avant d’avoir pu faire un mouvement ! noyées comme les passagers d’un navire qui sombre ! »

Pendant quelques instants, ces trois hommes demeurèrent sans parler. L’hypothèse de Mac Nap devait toucher de bien près à la réalité. Rien de plus logique que de supposer un fléchissement en cet endroit, et sous une telle pression, du banc de glace qui formait la base de l’île. La maison, grâce aux étais verticaux qui soutenaient les poutres du plafond en s’appuyant sur celles du plancher, avait dû crever le sol de glace et s’enfoncer dans l’abîme.

« Eh bien, Mac Nap, dit le lieutenant Hobson, si nous ne pouvons les retrouver vivants…

— Oui, répondit le maître charpentier, il faut au moins les retrouver morts ! »

Cela dit, Mac Nap, sans rien faire connaître à ses compagnons de cette terrible hypothèse, reprit au fond du puits son travail interrompu. Le lieutenant Hobson y était descendu avec lui.

Pendant toute la nuit, le forage fut continué, les hommes se relayant d’heure en heure ; mais tout ce temps, pendant que deux soldats creusaient la terre et le sable, Mac Nap et Jasper Hobson se tenaient au-dessus d’eux suspendus à un des étrésillons.

À trois heures du matin, le pic de Kellet, en s’arrêtant subitement sur un corps dur, rendit un son sec. Le maître charpentier le sentit plutôt qu’il ne l’entendit.

« Nous y sommes, s’était écrié le soldat. Sauvés !

— Tais-toi, et continue ! » répondit le lieutenant Hobson d’une voix sourde.

Il y avait en ce moment près de soixante-seize heures que l’avalanche s’était abattue sur la maison.

Kellet et son compagnon, le soldat Pond, avaient repris leur travail. La profondeur du puits devait presque avoir atteint le niveau de la mer, et, par conséquent, Mac Nap ne pouvait conserver aucun espoir.

En moins de vingt minutes, le corps dur, heurté par le pic, était à découvert. C’était un des chevrons du toit. Le charpentier, s’élançant au fond du puits, saisit une pioche et fit voler les lattes du faîtage. En quelques instants, une large ouverture fut pratiquée…

À cette ouverture, apparut une figure à peine reconnaissable dans l’ombre.

C’était la figure de Kalumah !

« À nous ! À nous ! » murmura faiblement la pauvre Esquimaude.

Jasper Hobson se laissa glisser par l’ouverture. Un froid très vif le saisit. L’eau lui montait à la ceinture. Contrairement à ce qu’on croyait, le toit n’avait point été écrasé, mais aussi, comme l’avait supposé Mac Nap, la maison s’était enfoncée à travers le sol, et l’eau était là. Mais cette eau ne remplissait pas le grenier, elle ne s’élevait que d’un pied à peine au-dessus du plancher. Il y avait encore un espoir !…

Le lieutenant, s’avançant dans l’obscurité, rencontra un corps sans mouvement ! Il le traîna jusqu’à l’ouverture, à travers laquelle Pond et Kellet le saisirent et l’enlevèrent. C’était Thomas Black.

Un autre corps fut amené, celui de Madge. Des cordes avaient été jetées de l’orifice du puits. Thomas Black et Madge, enlevés par leurs compagnons, reprenaient peu à peu leurs sens à l’air extérieur.

Restait Mrs. Paulina Barnett à sauver. Jasper Hobson, conduit par Kalumah, avait dû gagner l’extrémité du grenier, et, là, il avait enfin trouvé celle qu’il cherchait, sans mouvement, la tête à peine hors de l’eau. La voyageuse était comme morte. Le lieutenant Hobson la prit dans ses bras, il la porta près de l’ouverture, et, peu d’instants après, elle et lui, Kalumah et Mac Nap apparaissaient à l’orifice du puits.

Tous les compagnons de la courageuse femme étaient là, ne prononçant pas une parole, désespérés.

La jeune Esquimaude, si faible elle-même, s’était jetée sur le corps de son amie.

Mrs. Paulina Barnett respirait encore, et son cœur battait. L’air pur, aspiré par ses poumons desséchés, ramena peu à peu la vie en elle. Elle ouvrit enfin les yeux.

Un cri de joie s’échappa de toutes les poitrines, un cri de reconnaissance qui monta vers le ciel, et qui certainement fut entendu là-haut !

En ce moment, le jour se faisait, le soleil débordait de l’horizon et jetait ses premiers rayons dans l’espace.

Mrs. Paulina Barnett, par un suprême effort, se redressa. Du haut de cette montagne, formée par l’avalanche, et qui dominait toute l’île, elle regarda. Puis, avec un étrange accent :

« La mer ! la mer ! » murmura-t-elle.

Et en effet, sur les deux côtés de l’horizon, à l’est, à l’ouest, la mer, dégagée de glaces, la mer entourait l’île errante !