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Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/11.me Lettre

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11.me) (Pierre, à Edmond.

[Je conſeille dans celle-ci comme un Homme ſans-experience.]

1750.
19 auguſte,
jour de notre
fête paroiſſiale.


Mon chèr Frère : Voici une journée où nous aurions-bién-desiré de t’avoir ! À-dîner, mon Père nous a-tous-fait-ranger autour de lui, ét nous a-donné ſa benediction, ét double à moi, pour que je te la rende, comme par la presente je te la rens de tout mon cœur, mon chèr Edmond. Ét puis notre bonne Mère nous a-fait nos parts de gâteau ; ét comme elle tenait la tiénne pour la donner aux Pauvres, elle ſ’eſt-mise à-pleurer. Et notre Père lui a-dit : — Femme que vous Êtes, votre Fils eſt-il donc au milieu des Loups ét parmi des Aſſacins, que vous le pleurez ? alons, du courage ! il faut ſe priver de ſes Enfans pour leur bién ; ét je compte auſſi de mettre Urſule à la Ville-. Ét notre bonne Mère ſ’eſt en-alée dans la chambre-du-four, où elle a-cogné ſes larmes ét eſſuyé les ïeus ; mais toute la journée ils ont-été rouges. I] faut que je te dise que ta Lettre m’a-tiré d’une grand’peine ! je craignais, malgré tout ce que tu m’as-dit, que cette Tiénnette ne te donnât dans l’œil, ét que tu n’alâs t’en-enmouracher. Qu’elle ſoit tout ce qu’elle voudra, elle ſert à la Ville, ét elle a-donné du chagrin à ſes Pére ét Mêre, qui ne ſavent ce qu’elle eſt-devenue ; ça n’eſt pas bién. Mais m.lle Manon, c’eſt different ! ét ſon amitié, ſi elle en-prend pour toi, pourrait te mener-loin ! que fait-on ?… J’ai-montré ta Lettre à notre Mère cet après-midi, ét ca l’a-unpeu-remise ; ét elle a-dit, qu’elle aimerait bién une aimable Bru comme ça ; car elle a-vu m.lle Manon à V★★★, quand tu y-fus avec nos Père ét Mère. Mais il faut être bién-honnête, ét ne point trop t’émanciper ; tu vois bién que m.r Parangon n’aimerait pas ça. Plus longtemps ne te ſaurais écrire, mon Edmond, malgré le contentement que j’y-rencontre ; car j’ai de l’orge à entâſſer, ét de la ſemence à preparer pour nos ſeigles, que nous emblaverons ces jours-ici. Adieu, mon Ami ; fais-moi toujours part de tes petites affaires ; ça me garantit de l’ennui de ton abſence. Toute la Famille t’embraſſe de tout ſon cœur ; mais Urſule ét moi, ainſi que Fanchon-Berthier, unpeu plûs-affectionnement encore ; car ça fait trois cœurs en-un pour toi.