Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/12.me Lettre
6 ſeptemb.
Mondieu ! que ta Lettre m’a-fait de plaisir !
Je l’ai-montrée en-partie à Tiénnettes ét elle
a-pleuré à-chaudes-larmes avant de voir ſon
article ; ét quand elle l’a-eu-vu, elle a-pleuré
plus-fort : elle m’a-dit qu’elle eſperait un-jour
regâgner l’eſtime d’un auſſi-honnête-Garſon
que toi. C’eſt bién-doux, mon
Pierre ! ét ce que tu as-marqué d’elle eſt-bién-dur !…
Mais c’eſt par un bon motif, ét
Tiénnette elle-même t’approuve, d’après
cette idée-là. Parlons d’autres choses.
À-tout-moment je me pers dans les mœurs de la Ville : (mœurs, ça veut dire usages, conduite, façons-d’agir) : Qui l’aurait-penſé ?… Ô mon Frère ! ce n’eſt qu’à toi que J’ose decouvrir ce myſtère-là… Je ne ſais par où commencer… Hièr, m.r Parangon ét m.lle Manon… Oh ! ceſt bién-mal ! Je n’aurais-pas-cru que m.lle Manon… Enfin donc, hiér, j’alais chercher quelque-chose dont j’avais-besoin au-deſſus de la chambre de m.me Parangon : cette chambre n’eſt-jamais-ouverte ; cependant je crus y-entendre la voix de m.lle Manon ; la curiosité, un panchant que j’ai à me trouver où elle eſt, me firent-approcher, ét prêter l’oreille. Je fus bién-ſot, quand j’entendis auſſi m.r Parangon ! J’alais me-retirer ; mais une chose ſingulière me retint ; c’était comme ſ’il l’avait-embraſſée… Je ne pus resiſter à la tentation de regarder par le trou-de-la-ſerrure ; ma tête imprudemment appuyée, pouſſa la porte, ét j’apercus mon Maître qui tenait dans ſes bras… une Jeune-fille, dont je ne voyais pas le visage, mais qui ne pouvait être que la Cousine de ſa Femme, puiſque je venais d’entendre ſa voix. Tout ce qu’il y-a, c’eſt qu’elle avait une robe que je ne vis pas à m.lle Manon dans la journée. Elle paraiſſait d’abord le rebuter ; j’entendais qu’elle lui disait, mais fort-bas, ét d’une voix que je ne diſtinguais pas bién, Que m.me Parangon était ſur-le-point d’arriver, ét qu’il falait commencer à ſe-contraindre. (Commencer -! ai-je-dit en-moi-même !) m.r Parangon ne ſ’eſt-pas-rendu à cela, aucontraire : ét comme ils ont-changé de place, je n’ai-pas-osé-reſter, àcause d’un petit bruit, qu’a-fait la porte, en-la-pouſſant, ét elle ſ’eſt-trouvée refermée, quand je me-ſuis-rapproché : ainſi je n’ai-pu-rién-voir davantage : mais je n’ai-pas-entendu que Celle qui était dans la chambre ſe-defendît.
Je me ſuis-vîtement-retiré, quand ils ont-r’ouvert. J’étais tout je-ne-ſais-comment. Je ſuis-deſcendu dans la falle : j’ai-voulu me-mettre à deſſiner ; je ne fesais rién-qui-vaille : j’ai-été me-diſſiper dans le jardin ; tout m’y-deplaisait : Enfin je ſuis-paſſé dans la cuisine ; j’y-ai-trouvé Tiénnette qui rentrait, ét qui m’a-paru-fort-échauffée. J’étais ſi-decontenancé, qu’elle ſ’en-eſt-aperçue ; elle m’a-demandé ce que j’avais ? J’ai-repondu unpeu mauſſadement, — Rién. — Vous avez aumoins de l’humeur ? — Ah. ! Tiénnette ! — Un ſoupir ! — Moi, ſoupirer ! — En-rougiriez-vous ? — Oui, j’en-rougirais, ſi… — Mais vous êtes-bién-ému, monſieur… quelques rebuffades, peutêtre ?… Edmond ! qu’eſt-ce que cela, auprès de ce que je ſouffre | — Mais je n’ai rién ! — Tenez, ce que vous fait m.lle Manon vous tiént au cœur ; mais il y-a Quelqu’un qui le fait, ét qui fera-ceſſer-toutcela. — Peu m’importe, ſi cé que j’ai-vu-… Tiénnette ne m’a-pas-compris : m. Manon l’a-juſtement-appelée, ét je ſuis-ſorti. Cette Fille eſt la prudence même ; elle en-ſait beaucoup aſſurement ; ét neanmoins elle ne dit rién ; elle n’aime ni à-medire, ni à-penetrer les ſecrets des Autres… Voila m.lle Manon qui me fait-appeler auſſi : J’en-reſte-là pour aujourd’hui ; demain je reprendrai.
Dimanche-matin,
7 ſeptemb.
Je continue de me-confeſſer à toi, mon Pierre. M.lle Manon eſt bién-fourbe ! (ſupposé que ce ſait-elle qui fût avec m.r Parangon, comme je te le contais hier) : Crairais-tu qu’elle m’a-fait cent-fois plûs d’amitiés que jamais ? Comme elle eſt-hardie ! Il eſt vrai qu’elle n’a-garde de ſe-douter que j’aie des ſoupçons, ét que j’aie-rién-vu ni entendu ! mais elle ſait, elle, ce qu’elle a-fait ; ét je crais, moi, qu’une Fille comme elle (ſi elle eſt-coupable ; car on peut ſe-tromper), devrait craindre qu’on ne lût dans ſes ïeus ce qu’elle a dans l’âme, ét de voir dans ceux des Autres les reproches qu’elle merite : aumoins voila ce que j’apprehenderais à ſa place ! Mais baſt ! c’eſt le plus-loin de ſa penſée ! Ce ne ſont que cajoleries ét prevenances… Hum ! la Scelerate ! (ſi c’était elle) : il faut avoir de l’honneur pour y-resiſter ! encore à tout-moment ne ſait-on oû l’on en-eſt ! Je me ſais bon-gré de t’écrire tout ; cela me retiéndrait dans la ſuite, ſi jamais j’étais-tenté d’être-aſſés-lâche pour aimer une Fille qui n’eſt pas ſage (ſi c’était elle, tu entens bién) ? Elle viént de me dire tout-à-l’heure que m.r Parangon la mène tantôt à un apport[1], dans un hameau à une lieue de la Ville, nommé Saintloup-en-vaux, où tout le monde ſe-rend aujourd’hui pour ſe-divertir ; elle a-ajouté, que je pourrais m’y-trouver, les chercher ét les aborder, comme ſi je les rencontrais par-hasard. Mais. je me propose bién de n’en-rién-faire. J’irai pourtant à l’apport, Tiénnette m’a-prié de l’y-mener, afin que m.r Loiseau puiſſe ſ’y-trouver, ſans quelle manque à la reserve qu’elle l’eſt-preſcrite. Nous alons partir ; j’acheverai ma Lettre ce ſoir.
10 heures
du ſoir.Oh ! que voici bién des choses à t’apprendre,
mon Pierre ! Nous venons de l’apport : je n’ai-jamais-vu de ſi-jolie fête. Represente-toi
une Ville entière, Grands ét Petits ſe-divertiſſant
à la campagne. Comme je te
l’ai-dit, Vaux eſt à une-lieue de la Ville,
ſur le bord de la rivière, qui coule au nord,
aubout d’une belle prairie ; on n’y-peut-deſcendre
qu’à-pied, à-cause d’une colline, dont
la pente eſt fort-roide : au midi, ſerpente un
ruiſſeau, qui ſort des côteaus voisins : ſes
bords ſont-garnis de ſaules ét de peupliers,
qui forment le plus-agreable ombrage qu’on
puiſſe voir. C’eſt-là qu’on trouvait, d’un
côté, des danſes règlées, ou champêtres ;
de l’autre, des tables où régnait la joie, ét
où l’on jouait à toutes ſortes de jeux. Ce
ſpectacle, nouveau pour moi, m’a-comme
enivré : je ſuis-reſté quelque-temps immobile,
comme ſi mon âme n’eût-plus-été que
dans mes ïeus. Pour me tirer de mon extase,
m.r Loiseau m’a-fait-remarquer m.lle Manon
qui danſait. Je me-ſuis-caché dans la Foule,
pour la voir ſans être-vu. Ô Pierre ! il ne
faudrait pas qu’une Trompeuse, une… (ſupposé
que ce que j’ai-vu ſait-vrai, ét que ce fût-elle
qui était dans la chambre) il ne faudrait
pas qu’une Fille de ce calibre-là pût avoir
autant de grâces, ét qu’elle pût tout ſeduire !…
Et voila comme il eſt tant d’Hommes à quî la
tête tourne !… Je crais que quand elle a-eu-fini,
J’aurais-êté la joindre, comme elle
me l’avait-dit, ſi je n’avais-entendu derrière
moi le ſon du hautbois : je me-ſuis-retourné, ét
j’ai vu un groupe de jeunes Vignerones de la Ville, qui alaient-danſer-en-rond. Tiénnette
ét m.r Loiseau y-ont-couru, ét m’ont entraîné.
Ces Filles ne voulaient pas ſouffrir
que des Garſons qui les ſuivaient danſaſſent
avec elles ; Une ſurtout, mise avec
plûs de goût que les Autres, ſ’y-opposait abſolument,
en-disant qu’ils etaient ivres. Elle
m’a-intereſſé ; je me ſuis-approché pour la
voir de plus-près. Non, il n’eſt pas poſſible
de ſe-rién figurer de plus-joli : l’Albane
n’aurait-pas-imaginé des ïeus plus-doux ; le
divin Rafael n’aurait-pas-atteint ſon air angeliq
ét vierge ; Paul-Veronèse n’eût-jamais-égalé,
par ſon pinceau, les œillets ét les roses
de ſes belles joues ; ét ſi pourtant ce ſont les
plus-grands Peintres. J’ai-entendu qu’on la
nommait Edmée : Ceſt une Brune piquante,
(comme on dit ici) d’environ ſeize-ans,
timide comme le ſont les Filles de chés nous ;
vive, enjouée avec ſes Compagnes comme
on l’eſt à la Ville. On voit à ſa gaîté, que
ſon cœur eſt encore inſenſible ; à la douceur
de ſes regards, à ſon embarras quand un Jeune
homme lui parle, à l’aimable rougeur dont
ſes joues ſe-colorent, qu’elle ne le-ſera pas
longtemps. Je lui ſavais un gré infini d’avoir-arraché
ſa main de celle d’un Ruſtaud
qui ſ’en-était-groſſièrement-ſaisi, Ces Paysans
des Villes ont dans leurs manières, un
certain composé de la ruſticité des Champs
ét des façons libres de la Ville, qui les rend
tout-à-fait rebutans ; chés nous, dumoins, la modeſtie ét la retenue derobent une parsie
de la groſſièreté ; la hardieſſe de ces
Gens-ci la montre toute-entière, ét ils en-font-gloire.
Tiénnette ſ’eſt-mélée avec ces
Jeunesfilles ; ſon habit, preſque pareil au
leur, l’en-a-fait-agreer ; enſuite elle a-ſu les
tourner avec tant d’adreſſe, qu’elle a-obtenu
que m.r Loiseau ét moi ſerions de leur rond.
Je n’ai-pas-manqué de me mettre à-côté de
l’aimable Brunette ; j’ai-lu dans ſes ïeus qu’elle
alait changer de place, ét je me-ſuis-efforce
de la retenir, en-employant les termes les
plus-honnêtes. Sans-doute je n’aurais-pas-reüſſi ;
mais une Sœur d’Edmée qui m’entendait,
a-pris la parole, pour lui dire : « — Eh
mondieu-ſeigneur, Edmée, ce Monſieu’ ne
te va pas manger ! ét quand tu ne ferais
pas tant la mijaurée, ça n’en-ſerait pas pus-mal. »
La charmante Edmée a-baiſſé la
vue, ét m’a-laiſſé-prendre ſa main ſans resiſtance.
Biéntôt la danſe ſ’eſt-animée aupoint
que cet enjoûment qui m’a-paru faire le fond
du caractère d’Edmée, ſ’eſt-échappé comme
en-depit d’elle. Nous avans-enſuite-danſé
des ſauteuses : J’ai-pris Edmée, ét j’avais le
plaisir… oh ! quel plaisir… de l’enlever dans
mes bras de-cinq-en-cinq-minutes, Tiénnette,
pour reconnaître la complaisance que
les Jeunesfilles avaient-eue de nous recevoir
parmi elles, les a-priées de ſe-rafraîchir
avec nous. Toutes ont-accepté de fort-bonne
gráce ; mais nous avons-eu bién de la peine à-gâgner Edmée ; elle ne ſe rendait
pas même à ce que lui disait ſa Sœur, groſſe
rejouie fort-appetiſſante, ét qui ne ſe-fesait
pas autrement preſſer. De ma vie je n’ai-fait
un plus-agreable repas. Je me ſuis-aperçu
que trop de façonage deplaisait à la gentille
Edmée ; j’ai-menagé ſa petite humeur, ou,
comme on dirait ici, ſa chatouilleuse delicateſſe,
en-partageant mes attentions à toutes
ſes Compagnes : mais ſans affectation, j’étudiais
dans ſes ïeus, pour deviner ce qui lui
fesait-plaisir, ét je la ſervais avec une eſpèce
de nonchalance ét de diſtraction ; ce qui a-fait
un bon-effet ; car elle ſ’eſt-unpeu-apprivoisée,
quand elle a-cru que je n’avais pas de
preference pour elle. Après le goûter, Tiénnette
ét m.r Loiseau les ont-regalées d’une
bourguignote, danſe vive ét legère, qu’on
ne connait guère à Au★★, ni chés nous,
mais qui eſt-familière dans le Morvant. Mafoi,
les contredanſes de la Ville, les menuets,
les paſſepiéds, les matelotes, les allemandes
ne ſont rién auprès de cela, quand
on danſe comme Tiénnette ét Loiseau. Mais
nous-nous en-ſommes-repentis ! la Foule
nous a-entourés ; m.r Parangon ét m.lle Manon
font-venus comme les autres : cette Dernière
m’a-fait-ſigne, en-m’apercevant ; ſi-bién
que je n’ai-pu me-diſpenſer de m’approcher
d’elle, ét j’ai-obſervé que la jeune Edmée
me-ſuivait des ïeus : c’eſt ce qui a-fait
que je me ſuis-tenu ſur mes gardes, ét dans une grande reserve, en-parlant à m.lle Manon.
Heureusement pour moi, m.r Parangon
n’a-pas-vu notre entretién d’un bon-œil ; il
eſt-venu l’interrompre, ét m.lle Manon n’a-pu
cacher ſon depit : ſa mauvaise-humeur
eſt-retombée ſur Tiénnette (dont tout le
monde louait les grâces ét la modeſtie, quoiqu’elle
fût-mis en-Morvandaise, dont l’habit
eſt-unpeu-écourté : mais c’eſt qu’elle était
ſi-jolie !…) elle lui a-demandé, qui lui avaitpermis
de venir à l’apport ? M.r Parangon a-repondu
pour elle, que c’était lui, M.lle Manon
ſ’eſt-mordu les lèvres, ét nous a-tourné
le dos. J’en-ai-été-charmé, ainſi que Tiénnette
ét m.r Loiseau ; ét nous-nous sommes-depêchés
de rejoindre Edmée ét ſes Compagnes.
Tous ces Ruſtauds que nous avions-d’abord-vus
auprès d’elles, y-étaient-revenus,
J’ai-demandé à la Sœur d’Edmée, ſi c’était
ces Garſons qui les avaient-amenées à l’apport ?
« — Nous n’avons-pas-besoin qu’on
nous amène (m’a-t-elle-repondu) ; nous
venons bién toutes-ſeules : nous les connaiſſons,
parce qu’ils ſont de la petite rue Saint-germain ;
mais nous n’avons-jamais-fait de
partie avec des Hommes da » ! Cela m’a-fait
plaisir. J’ai-proposé à Tiénnette de nous
éloigner de la Foule, ét de nous amuser à
de petits jeux. Nous-nous ſommes-eſquivés
de ces Importuns, qui vénaient de boire copieusement ;
ét dans un endrait écarté, le
plus-joli-du-monde, nous avons-joué à monsſieur-le-Curé. Tu ſais ce que c’eſt : Oh !
mon Pierre, quel plaisir j’ai-eu ! Je m’étais-bién-donné-de-garde
de me laiſſer nommer
Curé ; c’eſt m.r Loiseau qu’on a-pris à mon
refus ; ét il a-falu que la jolie petite bouche
d’Edmée me tutoyât. Toutes les fois que
j’avais à repondre, c’était elle que j’appelais :
Partagée entre la crainte de mettre un gaje,
ét la timide pudeur qui l’empêchait de me
dire un mot trop-familier, elle hesitait, rougiſſait ;
mais avec tant de grâces !… Mon
pauvre Pierre ! je n’y-pouvais tenir ! Mais
je n’y-étais pas encore ! On a-rendu les gajes ;
ét moi, qui en-avais-mis tant ét tant y
il m’a-falu faire mille-choses qu’on m’a-commandées.
Je n’en-ſouhaitais qu’une : Enfin
mes desirs ont-été-ſatiſſaits. C’était à la
Sœur d’Edmée à m’ordonner : — De trois
choses en-ferez-vous une ? Une, volez en-l’air :
deux, prenez la lune avec les dents : trois…
ma-foi, je ne fais que trouver… embraſſez
Edmée. Il m’a-pris comme un éblouiſſement
à ce mot ; en-te l’écrivant, mon cœur bat encore ;
tous mes membres tremblotaient de plaisir en-me-levant ;
en-preſſantla tâille d’Edmée,
en-colant ma bouche ſur ſes joues plus-douces,
plus-vermeilles que la feuille de rose,
mon cœur ſe-fondait. Ah ! quelle agreable
haleine ! c’eſt comme le ſouffle des premiers
ſolaires du printemps. Elle n’a-plus-osé
lever les ïeus ſur moi tout le reſte du temps
qu’a-duré le jeu. Oh ! que cette petite honte me la fesait trouver jolie ! ça me penetrait,
ça me flattait, ça me peinait auſſi unpeu ;
mais tout-ça enſemble me-fesait un plaisir
comme je n’en-ai-jamais-eu. Mondieu ! le
joli jeu ! le joli jeu pour l’amour !
Cependant il ſe-fesait tard, ét le ſoleil qui commençait à tomber, en-nous annonçant la fin d’une journée ſi-belle, marquait l’heure de retourner à la Ville, Nous ſommes-partis ; mais comme nous étions quasi au ſommet de la colline, ne voila-t-il pas que les Ruſtauds nous ſont-venus-acoſter, pour nous inſulter ! J’étais entre Edmée ét ſa Sœur, à qui je venais d’aider à monter : Un-d’eux ſ’eſt-approché de moi par-derrière, ét m’a-donné ſur la nuque un coup de revers-de-main. Je ne ſuis pas querelleur ; mais qui me-cherche, me trouve. J’ai-doucement-quitte le bras d’Edmée, ét J’ai-cherché des ïeus le Brutal qui m’avait-frappé : je l’ai-ſaifi ferme ; je ne voulais pas lui faire beaucoup de mal ; après l’avoir-ſecoué un-moment, je l’ai-envoyé tomber à quelques-pas ſur le gazon qui borde le chemin : il ſ’eſt-relevé ſi-pesamment, ét ſi-peu d’à-plomb, qu’il eſt-retombé, ét qu’il a-roulé du haut de la colline en-bas, aux huées de deux mille Perfones. Ses Compagnons l’ont-voulu revenger : ceſt dans ce moment que j’ai-vu l’aimable Edmée ſ’intereſſer à moi ; elle a-employé pour les retenir les plus-douces paroles, ét quasi les larmes. Je ſouriais de ſes craintes, mais elles me-fesaient tant de plaisir, que j’aurais-voulu-avoir après moi tous les Garſons de la Ville. Comme ces Gens étaient-pris-de-vin, m.r Loiseau ét moi nous n’avons-pas-eu de peine à leur faire-fuivre le chemin de leur Camarade. Nous en-avons-été-debarraſſés par-là, ét nous avons-achevé tranquilement notre chemin. Mais admire mon étourderie ! en-arrivant à la Ville, la Foule nous a-ſeparés (ét peutêtre eſt-ce un tour de la Sœur d’Edmée, car elle avait-dit un mot à Celle-ci qui approchait de cela) ; ét moi, je n’avais-pas-eu la precaution de leur demander la rue où elles demeuraient ; de-ſorte-que je ne ſais plus où retrouver ma charmante Brunette ! mais la Ville n’eſt pas immenſe. Tiénnette m’a-beaucoup-badiné ſur ma maladreſſe, ét m.r Loiseau m’a-felicité ſur mon goût (mais il croyait que j’avais-demandé la demeure) : il trouve à la Jeunefille autant de merite que de beauté. Sa Maitreſſe a-rencheri ſur ces éloges : ét puis tous-deux ſe regardaient… Enverité, ces Jeunes-gens-là ſ’aiment bién !… Je le ſavais deja, mais je ne ſens toutafait comme ils doivent-étre-heureus, que depuis que j’aivu Edmée.
- ↑ On nomme ainſi de petites Foires qui ſe tiénnent le beaudimanche des fêtes des Paroiſſes-de-village ; on va ſ’y-regaler, danſer, &c.