Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/32.me Lettre
25 octobre.
Voila notre Famille de-retour, mon Edmond :
mais nous ſommes d’un troublement
ét d’un embarras que nous ne ſavons quasi cacher :
car tout le monde ſ’en-va nous demandant,
Si tu es-marié ; ét à nos Sœurs ét à
Fanchon, Si elles ont-bién-danſé à la noce !
Et on repond comme on peut. Il vaut-pourtant-mieus
encore que ça ſoit comme ça,
qu’à dire que tu ſoyes-attrapé ſi-vilainement.
Et ne m’en-crais plus quand je te dirai quelque-chose :
il falait louer ce que j’ai-blámé,
ét blâmer ce que j’ai-loué. Nos Père ét
Mére ſont dans le chagrin ; ét ſi tu le veus,
je vois le moment où ils ſeraient tout-prêts à
changer d’idée, ét à te reprendre chés nous :
je n’attens que ta Reponſe pour leur en-parler.
Pour-à-l’égard d’Urſule, ils ne veulent plus
qu’elle retourne à la Ville ; ét il faut que
m.me Parangon l’aye-deja-bién-gâgnée, car
elle ne paraît pas contente, ét je ne ſaurais
craire que la Ville lui aye-plu en-deux-jours :
aureſte, il ne faudrait jurer de rién ;
ſuivant le peu que j’en-ai-vu, les Villes ſont
le pays des Fammes, ét c’eſt, comme disait
unjour msire Antoine-Foudriat notre Curé,
l’élement qu’il leur faut ; quand une-fois elles
en-ont-tâté, ét qu’on les en-retire, c’eſt
comme le poiſſon qu’on jeterait hors du vivier.
Pour revenir à toi, mon Edmond, comporte-- toi prudemment, à-celle-fin de ne te pas faire
d’ennemis : prens les conſeils du bon p. D’Arras.
Urſule eſt diſcrette ; elle ne m’a-rién-dit
à moi-même, parcequ’elle ne ſe doute pas
que je ſuis au-fait ; ét quant à nos autres
Frères-ét-Sœurs, ils ignorent tout. Je t’embraſſe
d’un cœur veritablement fraternel, ét
desire que tu ſais biéntôt avec nous ; ſi-pourtant
c’eſt ton vouloir.