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Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/46.me Lettre

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46.me) (Le Même, au Même.

[Celle-ci eſt une de celles que j’aurais-retranchées, ſ’il ne falait pas ſuivre les gradations du vice. Il y-raconte comment il a-ſeduit notre Cousine.]

1751, 23 janvier.


Tout eſt-dit, ou preſque-dit, avec la petite Cousine, mon chèr Mentor ! C’eſt un plaisir que ces Filles de Village ! elles ſont d’une naïveté charmante : ét-puis vous en-avez la fleur. Voila le monde, comme tu disais un-jour ; qui perd un, retrouve deux. Bién-fou qui ſ’affligerait ! Celui qui prendra la Jeune-perſone, ne ſera-t-il pas dans le même cas où m’a-mis le Grand-dormeur ? À bon Chat bon Rat ; Sauve qui peut ; J’en-prendrai où J’en-trouverai. Je pourrais entaſſer ici autant de proverbes que Sancho-Pança, ou m.me Canon, ét tous plûs-conſolans les uns que les autres. Un bon Ami eſt un tresor, ét tu me le prouves : nous ferons penitence de nos fredaines quand nous ſerons vieus, n’eſt-ce pas, chèr Père ?

Ma petite Parente a-cedé avec une grâce inexprimable, comme tu vas voir. Hièr-ſoir, lorſque tout le monde a-été-retiré, ét que mon cher Frère, tout-occupé à faire perdre à ſa chaſte ét jolie Moitié le nom de Fille, ſ’enivrait, ou devait-ſ’enivrer de plaisirs permis, j’en-cherchais, moi, de defendus, en-conduisant la petite Laure dans ſa chambrette. Je me-ſuis-retiré pour la laiſſer mettre-au-lit, après l’avoir-priée de ne pas éteindre la chandelle, parceque je n’en-avais pas d’autre. Elle ſ’eſt-bién-depêchée, pour ne me pas faire-trop-attendre ; ét lorſqu’entre deux draps, elle eut-arrangé ſes appas, elle me-dit : — Mon Cousin, je ſuis-couchée ; venez querir vote lumière -!. Je ſuis-rentré ſur-le-champ ; j’ai-laiſſé tomber le chandelier, j’ai-mis le pied ſur la mèche comme par megarde, ét j’ai-paru-trèsfâché de cet incident : enſuite, je me-ſuis-approché du lit de l’aimable Fille, pour lui ſouhaiter le bon-ſoir, ét l’embraſſer. Un baiser,… deux baisers : la petite Cousine fe-defendait, mais ſi-maladraitement ! pour derober ſon ſein, elle livrait tout le reſte… Imagine-toi ce que je deviéndrais, ſi l’on ſe doutait ſeulement ici d’une pareille équipée !… Aujourd hui, la petite Perſone me parait diſtraite, rêveuse : la leçon qu’elle a-reçue hier l’occupe ſans-doute ; elle merite d’être-repaſſée, êt j’eſpère la renouveler ce ſoir. Mais la voici : je te quitte un-moment : l’Amitié n’eſt pas ſi-preſſée que l’Amour…

ll faut te conter la ſuite de mon avanture. Laure eſt-venue timidement auprès de moi : elle n’osait lever les ïeus. — Qu’avez-vous, Laurette ? vous me-paraiſſez-triſte ? — Oh-non ! mais c’eſt que je fuis-honteuse, — Bon ! honteuse ! une jolie Fille doit-elle jamais l’être ?… Venez, venez, ma petite Cousine ? — Oh ! nenni ! — Comment, nenni ! êtes-vous-deja-changée pour moi ? — Non, mon Cousin ; mais il faudra donc m’épouser ? — Qu’à cela ne tiénne ! — Votre bonne-verité ? — Pourquoi non ? n’êtes-vous pas aimable ? ne ſommes-nous pas égaus ? — Si vous me le promettez… — Je vous le jure. (Je ne ſuis pas mal ſcelerat, comme tu vois : hem ! qu’en-dis-tu ? J'ai cependant des remords ; cette vie-là ne conduit pas dans la voie étraite) ! — Je puis donc vous craire ? — Ba ! ma chère Laure ! me regarderiez-vous donc comme un fourbe ! — Je ne dis pas ça. — Ai-je-donné lieu à ces injuſtes ſoupçons ! — Nenni, nenni, mon Cousin ; ét je me-ſouviéns que nous-nous-aimions-bién dans notre jeuneſſe. — Vous ne me jugez donc pas capable de vous mentir ? — Eh ! mondieunon ! — Il faut me montrer que vous me-crayez vrai ? — Je vons le montrerai quand il vous plaira-. Je l’ai-prise-au-mot ; elle l’eſt-defendue : j’ai-fait-ſemblant de me rebuter ; des larmes perfides ſont-tombées de mes ïeus ; j’ai-dit qu’elle ne m’aimait pas, L’aimable Enfant ſe-tuait de me raſſurer : enfin elle eſt-devenue douce comme une petite Brebiette[1] ; ét ce n’eſt que de ce moment que je puis me-flater de l’avoir-ſeduite. Je ne ſuis-pas-diſposé à la quitter comme cela ; ce petit Tresor m’attache ; enverité le goût qu’elle m’inſpire eſt ſi-vif, que ſ’il continue… Je verrai la tournure que tout-cela va prendre. Si j’alais m’en-entêter ? Elle ſ’en-retourne dans trois jours ; j’aurais le temps de me repentir de ma ſcelerateſſe ! car la noce paſſée, où la joindre ?… Le ſecret, mon Ami ! c’eſt une confeſſion que je fais à ta Reverence, entens-tu bién ?

  1. Il n’eſt peutêtre pasmal que les Jeunesfilles lisent de ces traits, devenus ſi-frequens, [L’Éditeur.