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Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/50.me Lettre

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50.me) (Edmond, à Manon.

[Comment peut-on marquer les mêmes ſentimens à tant d’Objers differens ! Oh ! que la Ville eſt un dangereus ſejour pour Quiconque a le cœur fait comme Edmond !]

même jour.


Prens-courage, ma chère vie ! l’accident qui viént de t’arriver n’aura pas de ſuites fâcheuses ; le Medecin me l’aſſure : ſ’il y-avait-eu le moindre danger, il ne quittée, quoiqu’il t’ait-laiſſée entre de bonnes mains ; car tu connais, comme toute la Ville, le merite de m.r Berryat. Conſerve-toi ſoigneusement pour ton Mari, ét n’aye pas la moindre inquietude à l’égard de tout le reſte. La nuit de l’éternel ſilence le couvre… C’eſt à-present que je vais me-livrer à toute la douceur d’être à toi ; rién ne m’en-diſtraira ; ét je fonde ſur un ſincère retour de ta part, tout l’eſpoir de mon bonheur à-venir.

Je reçois en-même-temps une Lettre du p. D’Arras, que j’ai-brúlée après l’avoir-lue, Il m’apprend, que l’Enfant a-été-enlevé, ét batisé dans un Village à plus de huit-lieues d’ici (c’eſt Pourrain), ſous le nom de ſon Père : et qu’on a-deguisé celui de la Mère encette ſorte, Enitſelap ; qu’on aſſure qu’il vivra, malgré la manière forcée dont il a-vu le jour ; que l’envie ſeule d’avoir un Fils, avait-determiné l’Homme que tu ſais à te ſeduire : deseſperé de ne point avoir d’Enfans de ſa Famme, il n’avait-cherché qu’a ſe-procurer avec Une-autre la ſatiſfaction d’être père : que tout lui ayant juſqu’á-present-reüssi, rién ne l’inquiéterait plus, ſi je lui remoignais être-content de mon ſort. Il forme des projets pour l’établiſſement de cet Enfant, auquel il trouvera le moyen d’aſſurer ſa fortune : mais tu conçois combién tout-cela ſent encore la chimère. Il m’importe ; je t’en-entretiéns pour t’en-amuser, ét flater ton cœur : car je n’ai pas l’injuſtice de trouver-mauvais que tu ayes des entrailles de Mère ; je te mepriserais, ſi tu n’aimais pas toute ta vie ce que tu as-porté dans ton ſein.

Ce qu’ajoute enſuite le p. D’Arras, me ſurprend-moins que tu ne l’imaginerais ; je ſais combién ſa façon-de-penſer eſt libre ; mais tout ce qu’il peut dire ou faire, ét tout ce qui me l’aurait-fait-haïr lorſque j’étais ſans experience, à-present je le tolère[1]. Ne ſavons-nous pas comment on penſe dans les Cloitres ? Ma Chère, il faut prendre les Hommes comme ils ſont, ét ſ’en-faire des Amis. Quant à toi, je te declare, que je m’en-reposerai toujours ſur ta vertu : ſi tu me trompais, ét que je le decouvrîſſe, le mepris ſerait ma vengeance : ſi aucontraire tu m’es-fidelle, je regarderai ce qui n’eſt que ton devoir, comme une grâce, ét j’en-aurai la même reconnaiſſance. Ton bonheur ét le mién dependent de notre attachement mutuel ; ét quand une Famme eſt aimable comme tu l’es, qu’elle joint l’efprit à la beauté, c’eſt ſa faute ſi elle ne trouve pas dans un Mari honnête-homme, l’Amant, l’Épous ét l’Ami.

Je ne me fatigue pas à t’écrire, mais tu te fatiguerais à me lire. Adieu, chère Poupone : j’embraſſe ta Mère ét ta Sœur : Dis-leur que je les trouve bién-genereuses, ét que ſi le malheur fût-arrivé, il y-aurait-eu des refus de ma part auſſi-ſincêres que leurs offres. Mille choses obligeantes à la chère Mère-Prieure ; c’eſt une Parente que J’honorerai toute ma vie.

Ton Ami, ton Amant ét ton Mari, &c.

  1. C’eſt ce qui arrive toujours, quand on ſ’eſt-mis dans le cas de menager un Scelerat par d’infames confidences.