Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/6.me Lettre
jour de la
Saint-Pelerin.
Celle-ci, mon Edmond, eſt pour repondre
à la tiénne, qui me donne bién-à-penſer !
C’eſt ce qui fait que je n’ai-pas-osé la montrer
à notre Père, ni même à notre Mère.
Car tu ſais comme ils ſont-delicats ſur l’honneur ;
ét ta frequentation avec Tiénnette ne
leur ferait-pas-plaisir. Et tu ſens bién que
ſ’ils ſe-ſont-opposés a l’inclination que tu
commencais à te ſentir pour Laurote, ét ça,
parcequ’elle eſt de village, ét qu’il te faut un établiſſement de Ville, ils ſ’éloigneraient
encore bién-plûs de tes fentimens, ſi tu
t’alais-enmouracher d’une Servante. Et
tant-ſ’en-faut que je meprise Perſone, tu le
fais bién ; mais quand une Fille a-ſervi dans
les Villes, vois-tu, mon Edmond, ça lui
donne un mauvais-chapeau ; mon Père ét ma
Mère nous l’ont-dit cent-ét-cent-fois : ét par-ainſi,
comme tu me l’as-marqué toi-même,
mon Ami, dans une des tiénnes, un bon Garſon-de-charrue,
une Moiſſonneuse dans nos
quartiérs, une Fille qu’on prend-pour aider
dans le menage, n’ont rién à ſe-reprocher, car
ils ét elles ſont comme les Enfans-de-la-maison :
ils ét elles ne font pas plûs que les Maîtres,
comme tu me l’écris, ét tout le monde
met la main à la pâte : mais, vertudié ? une
Servante à la Ville, un Laquais-à-livrée,
Tous-ceux-là qui font des ouvrages-de-rebut,
ét comme tu dis, des choses-baſſes, ou qui
en-ſouffrent, ça repugne, Edmond, ça
repugne ! parceque des Gens-de-cœur ne
ſe ravalent jamais juſqu’à-ça. Je plains
cette pauvre Fille-là, ſi tant eſt qu’elle
ſoit de quelque-chose, ét il faut lui faire politeſſe,
mais point d’accointance trop-forte,
La m.lle Manon eſt une drôle de fille ?…
Mais, que te font toutes ſes fierpetteries ?
Quand m.me Parangon ſera de-retour,
tu n’auras plus que faire à cette Pimpette-là,
qui ſe-croit ſortie de la côte de
Saintlouis, ét qui pourtant a la même ſouche que nous, par les Quatrevaux de Saintcyr,
qui viénnent de ceux de Nitri, ét qui de-tout-temps
ſont-alliés à notre Famille : nous
ne ſommes qu’à-la-quatre, ét on nous meconnaît
deja ! Mais qu’eſt-ce que ça nous
fait ?… Quant à ce qui eſt d’Urſule, elle ſe-plaint
que tu l’as-oubliée : ſache qu’elle eſt
la ſeule de chés nous qui ait-vu ta Lettre,
avec Fanchon, à quî j’en-ai-caché la fin.
Nous t’embraſſons tous-trois.