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Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/Avis trouvé à la tête du Recueil des Lettres

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Avis trouvé à la tête du Recueil

des Lettres

Mes Enfans, Neveus ét Nièces :

Je réünis dans cette nouvelle Impreſſions les deux Recueils-de-Lettres que j’avais-publiées d’abord ſéparément, attendu-que ma Famme, votre digne ét bonne Mère (dont Dieu aye l’âme dans son ſein paternel) avait-juſqu’à-la-mort-gardé intact le dépôt des Lettres de la Belleſœur Urſule, ét que ce n’a-été que prête à rendre l’âme, qu’elle me l’a remis. Mes chèrs Enfans, en-vous-retraçant l’hiſtoire de deux Infortunés, qui m’ont-coûté bien des larmes ! mon dessein eſt de vous mettre-au-fait des dangers que la jeuneſſe-de-campagne court dans les grand’s Villes. Ô mes Enfans ! reſtons dans nos hameaus, occupés des indiſpenſables ét innocens travaus d’agriculture, ſans jamais chercher à ſortir de l’ignorance des plaisirs des grand’s Cités : le vice en-donne le goût ; le crime fournit les reſſources ; ét la misère, l’infamie, le ſupplice des Scélerats en-ſont les fruits… Profitez de la lecture de ces Lettres, où vous alez ſuivre la marche de la corruption qui ſ’empare de deux Cœurs naïfs ét droits : Et d’abord vous y-remarquerez, que ce qui a-principalement-acheminé vers la perdition les deux Plûs-méritans de notre Famille, a-été l’envie de connaître les plaisirs dangereus des Villes, qu’ils croyaient plus-délectables centfois qu’ils ne le-ſont ; enſuite l’intérêt, ſi-âpre d’ordinaire chés les Gens-de-campagne, qu’encore qu’ils ayent de l’honneur, ils font-ſouvent-paſſer l’intérêt avant tout : Vous y-verrez comment le jeune Paysan proſpère d’abord un-peu ; comment enſuite il perd petit-à-petit ſes bons ſentimens, deviént libertin, criminel, ét delà tombe dans l’infamie, y-entraîne ſa malheureuse Sœur, la perd toutafait, puis ſe-releve à demi, pour retomber plus-bas. Et quant à Urſule, elle vous devoilera les ſecrets de ſa propre conduite, comme Famme : ſes Lettres vous montreront dans ſa petite vanité, dans la ſurprise des ſentimens de madame Parangon, lorſque cette Dame ſe-les-cachait à elle-même, le principe de ſa corruption prochaine. L’ambition, La coquetterie, le goût d’une liberté indéfinie étouffent inſenſiblement ſa délicateſſe ; tandis que le Corrupteur de ſon Frère, qui a ſes vues, achève de la pervertir, dans l’eſpoir qu’elle ſervira-au-ſuccès de ſes deſſeins ſur Edmond, dont le caractère ardent lui promettait toute l’audace dont il avait-besoin. C’eſt ainſi qu’il les perdit tous-deux !… Un Père ét une Mère reſpectables en-ſont-morts-de-douleur !… Mes Enfans, je ſouhaite que ce Recueil ſoit un préservatif pour les Fils ét les Filles qui ſortiront de moi, dans tous les temps futurs, tant que le glorieus Royaume de France ſubſiſtera !

Je, ſouſſigné, ai-remis ces Lettres à m.r N.-E. R.-d.-l.-B… pour qu’il les faſſe-imprimer.

ſigné Pi. R★★.
L’Epigrafe du Frontiſpice exprime en-abrege le Point-de-vue des VIII Parties, placé en-tete des anciennes editions.