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Le Petit Passionné/02

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 5-8).

ii

La garde-malade inattendue


James-Athanase Sirup descendait le rapide escalier de service avec prudence. Cette fois, il se trouvait bien expulsé, absolument expulsé et sans un sou de plus que deux heures auparavant lorsqu’il s’était éveillé. Ces deux heures avaient été toutefois remplies par l’affection de la délicieuse Marie Becassez, chez laquelle il s’était présenté pour voler, et qui l’avait accueilli en amant.

Ainsi donc, raisonnait Sirup : j’ai cent fois voulu accoster des jeunes filles et les séduire. Or, je n’ai jamais réussi. Et juste ce matin, ayant décidé d’être voleur, il m’a suffi d’entrer chez une jouvencelle, en énonçant ma nouvelle qualité, pour être reçu comme un Messie. Qu’en faut-il conclure ?

Il en était là de ses réflexions lorsqu’il se trouva dans la rue. Le concierge de la maison l’avait regardé passer avec un regard soupçonneux, mais le locataire expulsé ne portait rien qui témoignait de quelque fraude. Il oubliait même son dictionnaire de 1845, abandonné chez la délicieuse Marie Becassez, peut-être pour prix de l’amour. Laquelle jeune femme s’était d’ailleurs rendormie parmi ses draps bouleversés, après le départ de son voleur et ami.

James-Athanase Sirup regarda le ciel. Mais l’amour a cela de charmant qu’il apaise les divinités de la pluie et des orages. Et depuis que le jeune voleur s’était avisé d’aimer Marie Becassez, la grande coupole céleste se trouvait repeinte à neuf en bel azur.

— N’empêche que désormais je suis un voleur ! pensa Sirup.

Il marcha tranquillement au hasard, prit une rue, puis une autre, puis une avenue, un boulevard, un passage… Au bout d’une heure, il sentit que, sans nulle contestation possible, il ne savait oû il se trouvait et avait faim.

Un voleur peut-il avoir faim ? La question était délicate. Il semblait difficile d’y fournir une réponse à l’impromptu. James-Athanase Sirup pensa s’asseoir sur un banc pour y mieux réfléchir.

Il s’y trouvait depuis cinq minutes, et ses raisonnements n’avaient fourni à la question posée aucune convenable solution, ni plausible, lorsque vint se placer près de lui une jeune femme très pâle qui portait des paquets élégants, des paquets de confiseur.

— Monsieur, dit-elle, excusez-moi, mais je me sens très mal. Une petite crise du cœur. Je vois tout tourner, je ne sais plus où je suis.

Elle fermait les yeux, les joues couleur de cire, tendue pourtant par le désir obstiné de ne pas s’abandonner.

— Madame, dit Sirup, je suis à votre disposition. Je suis voleur.

Elle ne parut pas entendre.

— Tenez-moi par le bras. Je vais tomber. Voulez-vous appeler un taxi, lorsqu’il va en passer ?

Sirup l’étaya vigoureusement puis fit signe à une voiture-auto qu’il s’arréta devant le banc. Il y hissa la jeune femme. Comme il allait fermer la portière, elle murmura :

— Venez m’accompagner, qui me descendrait et m’aiderait à rentrer chez moi ? Songez que je viens de la banque.

James-Athanase Sirup s’assit près d’elle.

— Je vous l’ai dit, madame, je suis voleur !

Elle lui serra la main avec effusion.

— Merci ! Merci !

Alors le jeune homme ne dit plus rien, car vraiment, on a beau s’être décidé après mûre réflexion, et se dire voleur sans remords, on n’en devient pas obligé de perdre pour si peu son savoir-vivre.

Sirup et sa compagne furent bientôt à Neuilly, devant une somptueuse demeure. Là, Sirup descendit la jeune femme et la mena doucement jusqu’à l’ascenseur. Le chauffeur attendit.

Bientôt, Sirup aide la malade à pénétrer, au troisième, dans un appartement délicieux, fleuri, soyeux et parfumé.

— La bonne est sortie, dit la jeune femme, portez-moi jusqu’à mon lit !

Et trois minutes après, elle peut s’allonger enfin, la face toujours cireuse, mais satisfaite d’avoir vaincu, gràce à ce dévoué passant, le sort qui voulait la jeter à terre, évanouie, au beau milieu d’une voie parisienne.

Sirup regarde autour de lui. Jamais voleur n’a été à pareille fête. Il va pouvoir exercer son nouveau métier avec dignité.

Mais que doit voler un homme ayant le sentiment du réel, du pratique et une juste connaissance des obligations de sa profession ?

Des bijoux ? Il y en a. On ne peut pas néanmoins tout prendre, ce serait indélicat. Mais que choisir, lorsqu’on ignore la valeur des gemmes ?

Il est vrai que l’inconnue porte sans doute quelques capitaux dans son sac à main. Sirup l’ouvre. Il y a là tout un matelas de billets de banque. Faut-il s’en aller avec ?

À ce moment la malade ouvre les yeux et le regarde avec un sourire.

— Ça va mieux. Je ne saurai jamais assez vous remercier !

— Vous m’avez bien plutôt rendu votre débiteur, madame, pour la grâce que vous m’avez faite en recourant à moi, dit Sirup, très talon rouge.

Elle sourit.

— Embrassez-moi ! Vous êtes charmant !

— Je suis voleur, madame !

— Depuis quand ?

— Je m’y suis décidé ce matin !

— Et qu’est-ce que vous avez volé jusqu’ici ?

Sirup rougit. De fait, il y a déjà quatre ou cinq heures que sa décision fut prise. Or, par quoi s’est-elle manifestée dans les faits ?

— Je me demandais, madame, ce que j’allais justement vous voler pour commencer !

Elle rit.

— Volez-moi un autre baiser !

Il le fait. Elle frissonne.

— Comme vous êtes délicieux. Sans vous, je ne sais ce qui me serait advenu. Ah ! je ne sais si je vais résister à l’envie de vous aimer.

Le rose est revenu à ses joues, elle a retrouvé sa maîtrise d’elle-même. Et c’est pour l’offrir à James-Athanase Sirup…

Et lui, bouleversé, songe que c’est un Sésame merveilleux, une sorte de maître mot aux effets de prodige que de dire : « Je suis voleur ! »

— Comment te nommes-tu, mon aimé ?

— Sirup ! Et toi, ma chérie ?

— Je suis Mary Racka, mon voleur chéri, et voleuse comme toi…