Le Petit Passionné/03

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 8-12).

iii

Virtuosités


Il est, dans la vie des jeunes gens, et notoirement dans la destinée de ceux qui choisirent, pour y faire leur carrière, le délicat métier de voleur, des circonstances extravagantes.

Lorsque la jeune femme recueillie sur un banc, en proie à un mal inconnu, une fois revenue à la vie, eut avoué son nom et qu’elle professait le vol, James-Athanase Sirup commença d’avoir peur. Il se rendait compte de l’insuffisance, en la matière, de ses grades et exploits. Était-on


Elle se mit à rire (page 11).
poursuivable pour se prétendre voleur, comme lorsqu’on prend, sans diplômes, le titre de médecin ? Sirup espéra que non. Il se tint toutefois prudemment à distance de sa nouvelle conquéte. Elle riait de toutes ses dents, ma foi bien alignées, blanches et offertes dans la plus tentante des bouches.

Tous deux se dévisagérent un instant, enfin Sirup, un peu rassuré, et, pour tout avouer, fasciné par ce qui se manifestait en sa nouvelle amie de spécifiquement et délicieusement féminin, se rapprocha du lit sur lequel, étendue, Mary Racka semblait prier un dieu galant.

— Oui, dit-elle alors, approche-toi, et conte-moi… ce que tu voudras.

Sirup n’avait rien à conter, mais il connaissait les gestes qui accompagnent à l’accoutumée les plus belles histoires. Sa nouvelle amie les comprit, les aima, les goûta, les redemanda…

Il y eut donc dans les relations de ces deux charmants personnages, ce qu’on pourrait appeler un intervalle, au sens philosophique dont on emploie ce mot dans la théorie du professeur Einstein. C’est-à-dire que l’espace qui les séparait tendit soudain vers zéro, tandis que la durée prenait une forme insaisissable, les deux partenaires s’étant placés, si l’on peut dire, hors du temps…

Mais tout finit ici-bas, même l’amour (car à quoi bon continuer à le cacher sous des algèbres, ils faisaient la bête à deux dos) et Sirup, un peu plus intime et familier toutefois, se retrouva devant les yeux curieux de sa nouvelle compagne.

— Dis-moi, mon petit, comment te nommes-tu ?

— Sirup, dit-il laconiquement.

— Alors, tu es un voleur ? Mais pourquoi me l’as-tu dit. À supposer que je fusse honnête, tu aurais pu avoir des embêtements ?

Sirup, rassuré, haussa les épaules.

— J’ai bien deviné tout de suite ce que tu étais, affirma-t-il avec orgueil.

Elle le regarda sérieusement.

— Alors, tu es terriblement fort. As-tu beaucoup d’argent ?

— Non, pas beaucoup, reprit-il, en baissant le ton. J’ai perdu hier aux courses.

Elle se mit a rire, et sa poitrine nue sautait, par saccade, de la plus exquise façon. Sirup sentit, à cette vue, une ardeur puissante renaître en lui. Mais à son geste, Mary Racka répondit sans façon :

— Parlons de choses graves. Moi aussi, je suis pauvre. On ne le dirait pas, à voir ici, mais un coquin de banquier m’a fait jouer sur le change, et il a englouti tout ce que je possédais. Heureusement que je t’ai rencontré. Ce soir, nous allons pouvoir faire une belle affaire. Seule, je ne songeais pas réussir, mais avec toi ?

— Qu’est-ce que je ferai ? demanda le jeune homme, avec un rien d’émotion.

— Oh ! rien du tout ! Tu serreras le kiki à une vieille, pendant que je viderai ses tiroirs. Je sais où est l’argent.

— Heu ! interjecta Sirup, qu’une soudaine constriction serrait lui-même à la gorge.

— Oui ! Oui ! C’est à trois cents mètres. À deux heures du matin, ce sera terminé et on s’aimera après… je ne te dis que ça…

Sirup avait faim. Voulant changer de conversation, il demanda :

— En attendant, je prendrais bien un sandwich.

Ce sandwich, dans sa pensée, représentait un appel de petit format, en vue de pantagruélisations plus vastes. La femme le comprit.

— Il est près de midi. Allons déjeuner au restaurant.

Rien ne saurait rendre la terreur dans laquelle le doux Sirup, voleur honoris causa, vécut tout cet après-midi là. Sa nouvelle amie, qui répondait pourtant au nom chaste de Mary, n’en subtilisa pas moins, devant lui, à une dizaine de personnes, des bijoux divers, des montres et des portefeuilles. Son habileté était miraculeuse. Souriante, élégante, sachant se faire frôler de trop près par les hommes qu’attirait sa face à la fois vicieuse et naïve, elle usait de sa grâce intime pour mettre à contribution les poches de ceux qui croyaient la séduire. Ses artifices possédaient une sorte de vertu diabolique. En un tournemain, le contenu des bougettes, des sacs à main ouverts comme magnétiquement, et de tous recoins accessibles des vêtures passait dans ses mains et s’allait amasser sous sa jupe, en une poche secrète qu’elle atteignait sans avoir l’air de bouger les doigts. C’était une voleuse admirable, diplômée, prix Nobel, et membre certainement de l’Institut des voleurs, que Mary Racka.

Mais Sirup, qui aurait dû pourtant se sentir bondé d’enthousiasme, à l’idée de posséder un professeur d’une telle maîtrise, passait par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, surtout lorsqu’il voyait disparaître autour de lui toutes les épingles de cravate des hommes. Et cette timidité semblait même à sa compagne le comble d’un art raffiné…

Le soir vint. Après avoir dîné en ville, le couple rentra chez Mary Racka, qui déposa sur une coupe d’onyx les bijoux dérobés — une vingtaine — et fit l’inventaire de cinq portefeuilles. L’un d’eux était garni de six billets de mille francs.

Sirup, qui s’habituait, dit avec un air finaud :

— Ça suffira pour aujourd’hui ?

— Jamais de la vie, rétorqua la jeune femme. À onze heures et demie nous allons chez la vieille, ça ne te plaît pas ? Tu sais, reprit-elle avec insolence, si tu as la frousse ?…

— Moi, cria Sirup, moi la frousse ? Ah ! on voit bien que tu ne connais pas les hommes. J’en ai vu d’autres !…

Ce disant, il tentait de découvrir les charmes de son aimée, pour leur offrir ce que les écrivains nomment, dans leurs dédicaces : l’hommage le plus dévoué ». Il pensait : Je vais peut-être arriver à la faire somnoler, en y mettant du mien…

Et il tenta, pour éviter d’étrangler la vieille, de se faire un virtuose d’amour. Il avait beaucoup à apprendre, mais il fallut reconnaître, et Mary n’y manqua point, sa splendide bonne volonté…