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Le Petit Passionné/11

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 45-48).

xi

Découverte (fin)


James-Athanase Sirup avait bon cœur et c’aurait pu lui coûter fort cher. Mais il lui répugnait, un peu honteux maintenant, d’avoir attenté, en quelque façon, à la pudeur de Mary Racka, de la sacrifier, seule et masculine, dans les mystérieux dédales nocturnes du vaste hôtel. Ainsi, se voyant obligé de ne l’abandonner point, il décida de s’en aller avec elle. D’ailleurs, la chance à courir là, valait bien de chercher dans un imbroglio indéchiffrable de couloirs et de passages, une issue autre que celle donnant sur la rue des Trois-Landions-Bleus. Et ils partirent ainsi, l’un suivant l’autre.

Tous deux, Sirup en femme, godillant de la croupe comme si c’était son métier, et Mary Racka à deux pas derrière, suivirent donc le tracé que Margot avait si soigneusement établi. Ils débouchèrent enfin dans le vestibule. À la porte, ouverte sur une voie emplie de lumières, un gros homme lit le journal. Dix personnes conversent ici et là sur des chaises ou debout. Ce tohu-bohu convient à une fuite architecturée par un grand artiste. Sirup, sautant sur ses talons Louis XV, et cambré du torse comme une acrobate, avance, l’arrière-train roulant, à petits pas brefs et rythmés.

Tout le monde regarde cette grande bringue qui a l’air d’appeler les gens par derrière, et un murmure — muet, de désapprobation court dans les esprits. Il y a là des gens des trois sexes, dont aucun n’est à vendre, sur toutes ses faces, pour plus d’un tout petit format de billet. Voilà pourquoi la réprobation accueillit Sirup.

Il arriva enfin à la porte. L’ayant regardé avec soin, en homme expert à renifler bien des choses — notoirement la présence de couverts d’argent dans les poches ancillaires — le surveillant ne devine rien de louche chez la donzelle qui se fait remarquer aussi perversement par un roulis de hanches excessif. Sans doute, en sa sagesse, pense-t-il aussi que, craignant les suites de quelque vol furtif, la femme de chambre en question affecterait des allures moins provocantes. Il s’efface.

Sirup passe, recueillant une claque familière sur sa poupe offerte.

Seulement, les choses se corsent pour l’infortunée Mary Racka. Elle perdait en homme toute sa décision de grande voleuse, bondée autrement d’audace et de cran. Et puis, ce bon Sirup, en lui quittant ses knickers tout à l’heure, pour un office dont j’ai parlé en termes décents et montyonesques, avait peut-être abusé des agrafes et des boutonnières. De sorte que, sentant son pantalon prêt de quitter ses hanches, la pauvre Mary Racka n’avait plus dans la vie, sous son déguisement mal fixé, qu’une timidité de jouvencelle élevée dans un couvent des Îles Baléares. Et le portier, consciencieux, mais devinant surtout qu’il pouvait user de son autorité, arrêta Mary et lui dit :

— La porte du service n’est pas pour vous.

Sirup avait fait un pas dans la rue. Il sentit que les choses allaient mal et revint avec courage — ça lui déchirait le cœur, pourtant — puis appela sa maîtresse tout angoissée.

— Paul, presse-toi !

Encouragée, Mary Racka voulut franchir l’huis sauveur. Le gardien l’arrêta à nouveau.

— Enfin, pourquoi voulez-vous passer par ici ? Qui êtes-vous ?

Sirup flaira qu’il fallait profiter de tout l’avantage que venait de lui conférer un passage passionnant et galant. Il se pencha vers le cerbère au mufle tendu, aux petits yeux de verrat, à l’attitude en même temps hautaine et hésitante pourtant (car en ces hôtels de luxe, on ne sait jamais à qui l’on a affaire).

Et il dit à l’oreille du factionnaire, avec un sourire prometteur :

— Chut, voyons, il est avec moi.

Cela ne voulait rien dire, mais tous les mots de passe, depuis qu’il en est, n’ont jamais eu la moindre signification.

L’homme se retira en arrière, Mary Racka franchit le seuil sauveur…

Dehors, c’était la belle nuit de Paris, une nuit tiède et parfumée.

Heureux Athanase, il ne sait plus que sur son dos règne une robe de femme. Mary Racka, de même, ne se soucie plus de son pantalon mal accroché qui court risque, à quelque coin d’avenue, de mettre à l’air ses grâces décentes et leurs recoins. Elle se sait libre. Lui se sait libre. Ils ont traversé tant d’événements redoutés et frôlé tant d’abîmes ! Maintenant, l’heure est venue d’oublier.

Mary, cependant, tire de sa poche un somptueux collier de perles et, passant sous un bec de gaz, le montre à son amant.

— Tiens !

— Tu as pris ça au Chitterling’s ?

Elle fait oui de la téte et lui confie :

— Il est à moi !

— Maintenant…

— Toujours !

Et comme Sirup ne comprend pas, elle expose :

— Il y a quatre ans, j’étais la maîtresse de Jaroussion…

— Le milliardaire ?

— Oui ! Il m’a offert ce collier qui vaut huit millions. On me le vola. Jaroussion, convaincu que je l’avais vendu, me mit à la porte. Je crevai de faim et me mis voleuse pour retrouver surtout mon collier. J’ai couru après lui jusqu’aujourd’hui. Mon voleur l’avait donné à une Turque venue habiter ici. Je l’ai su à midi. À trois heures, déguisée en homme, je cherchais sa chambre. À huit, je l’avais trouvée. Elle y était, je l’ai ficelée avec des serviettes, j’ai repris mon bien et maintenant…

— Allons nous aimer plus pacifiquement, nous sommes riches.

Renée DUNAN.