Le Petit Savoyard/Le Retour

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 13-20).

Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897


LE RETOUR


Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles,
Par un soleil d’été, que les Alpes sont belles !
Tout, dans leurs frais vallons, sert à nous enchanter :
La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles.
Heureux qui sur ces bords peut longtemps s’arrêter !
Heureux qui les revoit s’il a pu les quitter !


Quel est ce voyageur que l’été leur renvoie,
Seul, loin de la vallée, un bâton à la main ?
C’est un enfant… Il marche, il suit le long chemin
 Qui va de France à la Savoie.

Bientôt de la colline il prend l’étroit sentier :
Il a mis ce matin la bure du dimanche,
 Et dans son sac de toile blanche
Est un pain de froment qu’il garde tout entier

Pourquoi tant se hâter à sa course dernière ?
C’est que le pauvre enfant veut gravir le coteau,
Et ne point s’arrêter qu’il n’ait vu son hameau
 Et n’ait reconnu sa chaumière.


Les voilà ! tels encor qu’il les a vus toujours,
Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage !
Il ne se souvient plus qu’il a marché dix jours :
 Il est si près de son village !

Tout joyeux il arrive et regarde… mais quoi !
Personne ne l’attend ! sa chaumière est fermée !
Pourtant du toit aigu sort un peu de fumée ;
Et l’enfant plein de trouble : « Ouvrez, dit-il, c’est moi. »


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897


La porte cède ; il entre ; et sa mère attendrie,
Sa mère, qu’un long mal près du foyer retient,
Se relève à moitié, tend les bras et s’écrie :
 « N’est-ce pas mon fils qui revient ? »


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897



Son fils est dans ses bras, qui pleure et qui l’appelle ;
« Je suis infirme, hélas ! Dieu m’afflige, dit-elle ;
Et depuis quelques jours je te l’ai fait savoir ;
Car je ne voulais pas mourir sans te revoir. »


Mais lui : « De votre enfant vous étiez éloignée :
Le voilà qui revient : ayez des jours contents :
Vivez ! je suis grandi : vous serez bien soignée :
 Nous sommes riches pour longtemps. »

Et les mains de l’enfant, des siennes détachées.
Jetaient sur ses genoux tout ce qu’il possédait,
Les trois pièces d’argent dans sa veste cachées.
Et le pain de froment que pour elle il gardait.

Sa mère l’embrassait et respirait à peine :
Et son œil se fixait, de larmes obscurci.
 Sur un grand crucifix de chêne,
Suspendu devant elle et par le temps noirci.


« C’est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères
Et des petits enfants, qui du mien a pris soin :
Lui qui me consolait quand mes plaintes amères
 Appelaient mon fils de si loin.


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897



« C’est le Christ du foyer que les mères implorent.
Qui sauve nos enfants du froid et de la faim.
Nous gardons nos agneaux, et les loups les dévorent ;
Nos fils s’en vont tout seuls… et reviennent enfin.


« Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle ?
Ta pauvre mère infirme a besoin de secours ;
Elle mourrait sans toi. » L’enfant à ce discours,
Grave, et joignant ses mains, tombe à genoux près d’elle.
Disant : « Que le bon Dieu vous fasse de longs jours ! »


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897