Le Petit Savoyard/Paris

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 7-12).


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897

PARIS

« J’ai faim. Vous qui passez, daignez me secourir.
Voyez : la neige tombe, et la terre est glacée.
J’ai froid ; le vent s’élève et l’heure est avancée
Et je n’ai rien pour me couvrir.


« Tandis qu’en vos palais tout flatte votre envie,
À genoux sur le seuil, j’y pleure bien souvent.
Donnez : peu me suffit ; je ne suis qu’un enfant ;
Un petit sou me rend la vie.

« On m’a dit qu’à Paris je trouverais du pain :
Plusieurs ont raconté, dans nos forêts lointaines,
Qu’ici le riche aidait le pauvre dans ses peines ;
Eh bien ! moi, je suis pauvre, et je vous tends la main.

« Faites-moi gagner mon salaire :
Où me faut-il courir ? dites, j’y volerai.
Ma voix tremble de froid : eh bien ! je chanterai.
Si mes chansons peuvent vous plaire.


Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897

 « Il ne m’écoute pas ! il fuit,
Il court dans une fête (et j’en entends le bruit),
Finir son heureuse journée.
Et moi, je vais chercher, pour y passer la nuit,
Cette guérite abandonnée.

« Au foyer paternel quand pourrai-je m’asseoir !
Rendez-moi ma pauvre chaumière.
Le laitage durci qu’on partageait le soir.


Et quand la nuit tombait, l’heure de la prière,
Qui ne s’achevait pas sans laisser quelque espoir.
Ma mère, tu m’as dit, quand j’ai fui la demeure :
« Pars, grandis et prospère, et reviens près de moi. »
Hélas ! et tout petit, faudra-t-il que je meure
Sans avoir rien gagné pour toi !



« Non, l’on ne meurt point à mon âge.
Quelque chose me dit de reprendre courage…
Eh ! que sert d’espérer… que puis-je attendre, enfin.
J’avais une marmotte : elle est morte de faim. »

Et faible, sur la terre il reposait sa tête :
Et la neige, en tombant, le couvrait à demi,
Lorsqu’une douce voix, à travers la tempête.
Vint réveiller l’enfant par le froid endormi :


 « Qu’il vienne à nous celui qui pleure,
Disait la voix mêlée au murmure des vents :
 L’heure du péril est notre heure :
 Les orphelins sont nos enfants. »

Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897


Et deux femmes en deuil recueillaient sa misère.
Lui, docile et confus, se levait à leur voix.
Il s’étonnait d’abord ; mais il vit dans leurs doigts
Briller la croix d’argent au bout d’un long rosaire :
Et l’enfant les suivit en se signant deux fois.



Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897
Illustration pour "Le Petit Savoyard", 1897