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Le Peuple vosgien/n°1 du 15 décembre 1849/À nos concitoyens

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Épinal, le 15 Décembre 1849.

À NOS CONCITOYENS.

Le premier besoin de nos populations, comme celui de tous les peuples en général, est un besoin d’éducation morale et politique, un besoin d’émancipation intellectuelle.

Ce ne sont pas les bons instincts qui manquent à nos populations, ce sont les lumières qui, éclairant l’homme sur la nature de sa véritable destinée, lui donnent les sentiments de ses droits et de ses devoirs comme homme et comme citoyen.

Voilà les notions premières qui font défaut au sein des masses populaires.

L’ignorance, l’erreur et les préjugés règnent encore sur la terre et couvrent l’humanité d’épaisses ténèbres. C’est à peine si, dans chaque génération qui passe, quelques rares intelligences percent la nuit qui les enveloppe, et s’élèvent jusqu’aux rayons vivifiants de la vérité. L’immense majorité du genre humain naît, vit et meurt dans le chaos.

Ce funeste milieu dans lequel l’homme se développe et demeure submergé, fausse ses tendances natives et pervertit les germes du bien que la nature a déposés dans son cœur. Là est la cause première, le principe générateur de tout le mal que l’on impute à l’homme.

Consultez ces vingt millions de travailleurs qui peuplent les villes et les campagnes de la France, de cette France qui marche à la tête des nations, portant le flambeau du progrès et de la civilisation moderne, demandez-leur quelles sont l’origine et la fin de l’homme, quels sont les droits, ses devoirs dans la famille et dans la société ? Ils ne sauront que répondre, car ils ignorent jusqu’à leur propre nature, et les plus élémentaires notions du droit et du devoir leur sont inconnues.

Après une halte dans la boue monarchique, la société a entrevu l’ère glorieuse où l’appelle sa destinée ; d’un bond vigoureux elle a cru y toucher… mais une dernière chaîne de priviléges et de préjugés a retenu son élan.

Le peuple a brûlé en février le trône du roi parjure, mais une nouvelle royauté a son lit tout fait dans les priviléges financiers, et dans l’ignorance des travailleurs.

Aujourd’hui la mission de la République c’est de réaliser, d’incarner, dans l’ordre économique et social, la liberté, la fraternité, l’égalité ; c’est de constituer, sur des bases définitives, le gouvernement par le peuple et pour le peuple. La mission de la République c’est de n’intervenir chez les peuples, nos voisins, que pour les soutenir dans leur indépendance et les convier au banquet de la liberté. Toute autre guerre est contraire aux droits, à la liberté des peuples ; la conquête n’est qu’une forme de l’oppression.

L’œuvre est grande et belle, mais elle exige le concours sérieux de toutes les intelligences, de toutes les aptitudes. Quand de pareils problèmes sont posés, nous avons mieux à faire que de nous abaisser à des mesquines questions de personnes, ou à de stériles polémiques d’intérêts particuliers.

La presse est un grand levier qui peut rendre de puissants services à la cause de l’humanité. Mais la presse douée de cette force, de ce pouvoir, ce n’est point cette presse mercantile qui fait de la pensée un objet de trafic et de spéculation, qui se voue à l’indigne métier de fausser et d’égarer l’opinion publique au profit de qui la solde ; non, c’est la presse généreuse et grande qui comprend la dignité et l’importance de sa mission, la presse qui marche, libre et ferme, à la conquête de la vérité, de la justice et du bien ; qui les proclame hautement, dans l’intérêt et au profit de tous, la presse enfin dont tous les vœux, tous les efforts, toute l’activité tendent à l’amélioration morale et matérielle du peuple.

Organe de la démocratie vosgienne, notre journal défendra la République, qui est le droit commun ; il défendra la nouvelle Constitution, quelqu’imparfaite qu’elle puisse être, parce qu’elle a consacré définitivement la République, et qu’il faut toujours partir d’un point convenu pour aller plus avant.

Pleins de respect pour les saintes traditions de nos pères, nous acceptons les développements que la jeune Montagne a donné à ces maximes fécondes, dans sa déclaration au peuple en 1848, parce que nous y trouvons résumées les aspirations larges et fécondes de la France nouvelle.

Rallions-nous donc en un concert immense à la République. Le Peuple Vosgien, prêchera d’exemple pour le triomphe de nos principes et la régularisation de nos institutions ; mais si jamais une main sacrilège était portée sur le pacte fondamental qu’à l’instant même elle soit brisée au cri de vive la République !