Le Peuple vosgien/n°1 du 15 décembre 1849/La situation

La bibliothèque libre.

LA SITUATION.

Tous les quinze jours, nous donnerons à nos lecteurs un résumé des faits les plus importants du mouvement politique qui s’opère incessamment dans les idées, dans les actes, dans les institutions, dans le gouvernement, dans les mœurs de la nation. Cette revue, prise de haut, aura pour avantage de présenter, au point de vue démocratique, des faits qui, réunis et groupés suivant les rapports naturels et logiques qu’ils ont entre eux, ne laissent pas dans l’esprit ce vague et cette fatigue qui résultent du manque de suite, de l’incohérence et de l’isolement où on les trouve dans les feuilles quotidiennes.

Dans toutes nos appréciations, nous donnerons à l’expression de notre pensée ce vrai caractère de modération dont nos adversaires n’ont que le masque. Toutefois nos jugements n’auront point cette gravité immuable de la déesse Thémis. Jésus, notre maître et notre modèle, n’avait point toujours cette divine douceur dont il est le type vénéré ; nous nous rappellerons que, dans sa bonté inaltérable, il pardonnait aux faibles qu’avait atteint la corruption du monde, il gardait son indignation pour les corrupteurs, et qu’un jour il prit en main le fouet pour chasser du temple les marchands qui en souillaient la sainteté. Quelque soit le sentiment qui nous anime, nous tâcherons cependant de ne point sortir des bornes des convenances ; nous nous défierons de nos passions que nous ne voulons point faire intervenir. La justice sera notre seule guide, mais qu’on se rappelle qu’il est souvent des hommes et des faits pour qui elle doit se montrer durement impitoyable.

Un fait seul nous suffira pour résumer l’histoire politique de ces derniers temps. C’est le changement si brusque du ministère, cette quasi-révolution gouvernementale qui vient de jeter un instant le trouble dans toutes les idées, dans tous les partis. Voyons.

M. Louis Bonaparte fut porté au fauteuil de la présidence, par la coalition de toutes les fractions monarchiques qui firent retentir un grand nom aux oreilles du peuple si sensible aux souvenirs de gloire. Elles voulaient se servir d’un homme, dont on connaissait les prétentions à la succession impériale, pour battre en brêche toutes les institutions républicaines et trop populaires. Et M. Louis Bonaparte se prête à ce rôle subalterne pour arriver au pouvoir. Il flatte, il caresse les hommes importants ; puis, maître de ses vœux, il feint de se mettre à la remorque de la majorité, il simule avec elle une espèce de mariage, dans l’espérance d’arriver à la domination conjugale. Mais la femme ne le cède pas en ruse au mari. La majorité engage tout doucement le président dans une voie funeste, de manière à lui faire donner un démenti à tous ses antécédants. Il a promis l’amnistie ; elle la refuse. Il veut la fusion des partis ; ses premiers ministres sont tous monarchistes et la persécution s’organise contre les républicains. Il a combattu autrefois le pape pour les libertés Italiennes ; elle l’engage dans une guerre contre la République romaine, pour rétablir le pape dans ses droits temporels, c’est-à-dire absolutistes. Il a juré la Constitution ; le président et l’assemblée ne pourraient la violer impunément.

Mais les aveugles sont toujours aveugles. Le parti qui mène la majorité, entraîné par la logique de sa situation, met ses cartes sur table ; elles sont blanches. Falloux tue l’université et met l’instruction primaire à la merci du clergé. Montalembert donne franchement pour solution à la question révolutionnaire l’absolutisme religieux, sans lequel suivant lui, il n’est véritablement point de société humaine possible. Berryer, à son tour, n’admet pour fondations de gouvernement de la nation que le principe du droit divin. Le clergé, le pape, Henri V, voilà les bases du gouvernement qu’on nous prépare. La majorité reste compacte en présence de toutes ces révolutions. M. Thiers, les doctrinaires, les orléanistes, qui, par compensation, obtiennent 300 000 fr. de rente annuelle à Mme la duchesse d’Orléans, n’ont rien à opposer à cet envahissement patent de la légitimité. La conspiration est flagrante, mais les conjurés oublient deux choses, c’est que nous avons une Constitution, et, malgré cette Constitution, un président qui ne veut point se faire l’humble exécuteur des volontés de l’assemblée nationale.

Louis Bonaparte a vu les partis à l’œuvre ; son ministère l’a trompé en faisant chorus avec les ennemis de la République et les siens. Son nom va devenir la risée publique, si par un coup, inouï jusqu’alors dans les fastes ministériels, il ne donne une autre tournure à la situation. C’est alors que paraît ce message singulier qu’on a qualifié de coup de tête, et par une émotion soudaine tout semble ébranlé. La conspiration légitimiste qui a son foyer à la droite de l’assemblée est attêrée un instant, mais ne cède pas encore la victoire. Les monarchiens de l’autre couleur, toute la réaction en un mot jette les hauts cris, et cette majorité, qui s’appelle pompeusement le grand parti de l’ordre, va se dissoudre.

Une nouvelle politique, contraire à celle qu’a suivie l’assemblée législative et qui en sera la condamnation, va être inaugurée, pense-t-on de toutes parts ; l’expédition romaine rentrera dans la voie qui lui a été primitivement assignée, et en France, la République sera affermie. Mais les nouveaux ministres, dans le peu de mots qu’ils ont dit jusqu’à présent, nous ont montré la même complaisance pour cette majorité qui boude ; ce sont les mêmes sentiments, par conséquent la même platitude. Le président de la République a voulu se dégager du filet où l’avait enveloppé la réaction ; il l’a rompu et il a bien fait, car il était sur l’abime. Mais à ce coup éclatant, il fallait joindre des actes et il a eu tort de s’arrêter. La conspiration est revenue de sa stupeur ; elle compte sur la faiblesse et l’inaptitude de Louis Bonaparte, elle sent, malgré tout que, par ses votes, elle est maitresse de la situation. Pour agir de son côté, elle attend l’enjeu de M. Bonaparte.

Il y a donc une lutte déclarée entre le président de la République et la majorité de l’assemblée. Le premier a inauguré une politique personnelle difficile à soutenir dans des temps de République et quand on n’a pas les qualités du despote. Il est à découvert ; c’est lui qui s’est chargé de conduire la révolution. Il y a sans doute un danger dans cette situation, car de nouveaux troubles peuvent surgir d’un instant à l’autre et partant des hauteurs du pouvoir s’étendre sur tout le pays. Tous les partis sont en défiance, et c’en est fait désormais des coalitions. La France républicaine attend à son tour et se rit de voir ses ennemis se déchirer sourdement, après s’être donné un saint baiser. Pour nous, en voyant les partis s’user dans les personnalités, nous nous rassurons pour l’avenir. Henri v a joué son dernier jeu en France ; il n’y a plus d’hommes de taille à faire des empereurs, et qu’on nous dise où est le parti des d’Orléans, s’il y en a jamais eu un. Reste donc la République que les conspirateurs conspuent et oublient, mais que le peuple aime et surveille, parce qu’elle est son salut suprême.

Tandis que les anciens partis se font une guerre ridicule qui nous met à nu toute leur impuissance, la France attend, disions-nous tout-à-l’heure, ajoutons qu’elle n’attend que d’elle seule, son émancipation, sa liberté et la satisfaction de ses besoins légîtimes. Trompée par les intrigants et les renégats, à elle seule appartient l’initiative des mesures qui la conduiront à un état social qui ne soit plus l’oppression des forts sur les faibles, la domination du capital sur le travail, l’étrange prédominence du gouvernement personnel sur le gouvernement de tous. Le nouveau mouvement des idées, fort comme la vérité, entraînant comme la persuasion, a pénétré dans les coins les plus reculés de la France, dans les places lui mieux fortifiées du royalisme. Partout, la France s’émeut de l’inanité de nos gouvernants en face de la nécessité si pressante de réformes dans notre économie sociale, dans l’assiette de l’impôt, dans des institutions de crédit, dans l’instruction de la jeunesse ; elle cherche de ses propres facultés la solution de ce grand problême révolutionnaire, et c’est pour cela que le sentiment républicain s’incarne si profondément dans les cœurs et dans tous les faits, et que les progrès du socialisme causent tant de frayeur aux ennemis du peuple.

Oui, la France étudie maintenant dans le calme les lois de son avenir, et malgré la divergence des différentes écoles socialistes, elle a saisi au fond de leurs doctrines diverses une idée commune, inattaquable, qui devient le principe de la foi nouvelle. Les socialistes en effet, plaçant la vie de la nation dans le travail de tous, organisé fraternellement, et non dans la constitution des pouvoirs politiques, dans la solidarité et dans l’association des forces de chacun, et non dans l’isolement et la concurrence, ont puissament démontré que notre Constitution sociale manque de bases légitimes et équitables, qu’elle doit subir de profondes modifications, qu’il y a urgence, que s’opposer à ce nouveau torrent d’idées et de besoins, c’est l’exposer aux désastres des révolutions violentes, tandis que la révolution pacifique par le suffrage universel bien entendu, bien organisé, avec la liberté de conscience, est d’une possibilité qui n’étonne nullement les esprits sérieux.

Et qu’on ne vienne point dire que nous exagérons ces progrès. Des faits récents affirment ce que nous avançons. Partout où le peuple a fait entendre sa voix par l’élection, dans le jury, dans les administrations municipales, la République a eu la victoire. Voyez Bordeaux, cette ancienne capitale du Fédéralisme ; dans trois élections successives, elle a donné la majorité à des républicains, voire même à un socialiste. Rouen, la ville de la bourgeoisie, comme on l’a appelée, a aussi donné la majorité à un socialiste, ancien commissaire du gouvernement provisoire. Le jury appelé à prononcer sur les soi-disants attentats des feuilles démocratiques, à la République, à la famille, etc., etc., s’est montré si sobre de condamnations que le pouvoir à son tour s’est dû montrer sobre d’accusations, dans la crainte des échecs. Le jury de Metz, dans un procès, où la Constitution était en cause, a absous les citoyens de Strasbourg, compris dans l’introuvable complot du 13 juin. Partout enfin, les conseillers municipaux, les officiers de la garde nationale sont choisis parmi les républicains. Comment ne point se réjouir de pareils succès ? Comment n’y point voir l’avénement prochaine de la démocratie ?

Tel est en ce moment, pour nous résumer et pour reprendre avec suite nos prochaines revues, tel est la situation de la République française à l’intérieur. Au haut de l’échelle, des intrigants, des factions usées qui luttent pour le pouvoir, au profit de leurs intérêts personnels. Au bas, le peuple qu’on oublie, mais qui a l’instinct de la science sociale, qui médire sa force et prépare son avénement. Il n’a plus foi aux hommes ; par eux son attente a été trop souvent trompée ; il veut des actes, des principes qui restent, et il a enfin senti qu’il est ici-bas la seule puissance et la loi suprême.

Telle est la force de la vérité, que ceux qui en sont les plus grands ennemis, et qui cherchent à l’étouffer par leurs mensonges et leurs calomnies, finissent tot ou tard par lui rendre hommage, souvent sans le vouloir, sans même s’en apercevoir. La Gazette de France, journal légitimiste, contient ce qui suit dans son numéro du 24 octobre dernier :

« Il y a à l’assemblée une opposition de 200 membres composée de toutes les nuances de républicains de la Montagne, du socialisme et de l’ancienne extréme gauche. Cette fraction considérable de la représentation, quoique décimée par la journée du 13 juin, est parfaitement compacte, unie, disciplinée ; elle a un but et un programme.

» La gauche a constamment l’offensive ; la majorité se tient sur la défensive, qui est la plus mauvaise des positions.

» La gauche dirige l’assemblée ; ses propositions et ses interpellations remplissent les ordres du jour. La majorité est constamment effacée dans les débats de la politique.

» La gauche a l’initiative de toutes les mesures capables de flatter tous les vœux et les penchants de la multitude. Suppression ou modification des abus, progrès ou amélioration, adoucissement des charges publiques, vues d’économie ou d’humanité pour soulager les souffrances du peuple, les appels à la clémence tout cela vient de la Montagne. La Montagne est le mot sacré de la nouvelle République, où sont les plébéiens et leurs tribuns…

» Que fait cependant la majorité ? Elle n’a aucun plan formé en dehors de sa résistance matérielle à l’esprit de désordre.

» Rien pour ramener les esprits aux idées d’ordre moral, aux vrais principes de l’état social.

» Rien pour calmer les agitations, les ressentiments, les discordes qui couvent et fermentent jusque dans les profondeurs de notre société.

» Rien pour améliorer la condition du peuple, apaiser ses souffrances, faire droit à ses justes griefs et redresser les torts du dernier régime envers lui.

» Nous ne voyons ni plan financier pour les impôts, ni plan économique pour les travaux et les secours, ni plan de réforme de la centralisation, ni refonte d’une législation qui a été longtemps injuste et cruelle pour le peuple.

» Sous tous ces rapports importants, la majorité se montre ce que nous la voyons ailleurs. En politique, elle est sur la défensive ; en organisation et en amélioration, elle reste dans une perpétuelle négative. »

Un pareil aveu de la part de nos adversaires politiques est précieux, en ce qu’il prouve jusqu’à l’évidence, aux moins clairvoyants, que tout ce qu’on leur a débité contre les vrais républicains, n’était que mensonges infâmes. Quoi ! ces hommes que l’on représentait comme les plus grands ennemis de la société, comme voulant tout détruire, tout ruiner ; ces hommes, disons-nous, sont bien ceux-là qui demandent la suppression ou la modification des abus, qui veulent le progrès et l’amélioration, l’adoucissement des charges publiques ! à eux, les vues d’économie ou d’humanité pour soulager les souffrances du peuple, les appels à la clémence, etc. !! Oh ! convenez-en donc, chère Gazette, vous et les vôtres, vous les avez indignement calomniés !!!

Oui, prétendus honnêtes et modérés, c’est un de vous qui le dit, vous n’avez aucun plan d’amélioration sociale ; votre dernier mot, c’est la force brutale ; le canon, la prison, la déportation, les tribunaux exceptionnels, etc.

Songez-y bien, le temps n’est peut-être pas éloigné où vous aurez à compter avec votre souverain ; le peuple pourrait se souvenir !…

Il ne faut point s’étonner de la difficulté que les journaux républicains éprouvent à se fonder dans les départements. Il paraît qu’à Paris il s’est formé une vaste conspiration financière, dirigée par un banquier, propriétaire d’un journal de la réaction, dans le but de mettre entrave à toutes les publications républicaines et socialistes. On voudrait y arriver par deux moyens, d’abord en achetant les brevets d’imprimeurs qui seraient tentés de prêter leurs presses aux démocrates, ensuite en établissant partout des feuilles réactionnaires dont le bon marché empêcherait toute concurrence avec les organes de la démocratie. Ce plan a très-bien pu passer par la tête des aveugles et des enragés modérés ; mais nous pouvons hardiment prédire, malgré le peu de fortune que les démocrates ont à y opposer, que ce plan superbe n’aboutira pas. La pensée révolutionnaire est la pensée de l’époque ; on la comprimera un instant, mais on ne l’étouffera point. Qui pourrait saisir ou arrêter l’étincelle électrique ?

La gendarmerie, dit l’Union républicaine de Sainte, devient une sainte congrégation chargée du rôle d’espionnage. D’après M. d’Hautpoul, élève de la restauration, dont il suit les saintes traditions ; l’esprit public doit être l’objet des remarques de la gendarmerie, elle doit observer les actes et les tendances des agents du gouvernement. Il faut que la police soit dans les mains de M. d’Hautpoul plus forte que celle de Carlier, imitant en cela Moncey, premier inspecteur-général de la gendarmerie qui avait eu en ses mains une police plus forte que Fouché d’heureuse mémoire.

Ainsi voilà qui est bien entendu, la délation est organisée jusque dans les plus petits bourgs, où le brigadier de gendarmerie est transformée en espion et en dénonciateur.

Nous laissons à la conscience publique le soin de frapper de son jugement la pièce que l’on va lire :

Ministère de la guerre. — cabinet du ministre. — très confidentielle.
Paris, 12 novembre 1849.

Colonel, au moment où le président de la République, sentant la nécessité de prendre une part plus directe aux affaires du pays, vient de former un nouveau cabinet, et de me confier le portefeuille de la guerre, je viens faire appel au dévouement de la gendarmerie, et réclamer d’elle un concours tout nouveau qui devra puissamment venir en aide au gouvernement, dans la marche énergique qu’il se propose de suivre pour arriver au rétablissement complet de la tranquillité publique.

J’ai été longtemps à même d’apprécier les services que la gendarmerie rend chaque jour à la société pour ne pas comprendre tout ce que, dans les circonstances actuelles, on peut attendre de son zèle et de son patriotisme.

La Révolution, en faisant surgir une foule de nouveaux fonctionnaires, a excité des passions de tous genres et fait naître de coupables ambitions qui menacent par leurs doctrines subversives l’ordre et la société. Pour arrêter ces dangers, le gouvernement a besoin d’être immédiatement informé de tout ce qui se passe dans le pays. Ce qu’il lui importe de connaître, ce ne sont pas seulement les événements, les faits matériels, mais encore et surtout la situation morale dans son ensemble ; les observations ne doivent pas être subordonnées aux événements, mais elles doivent les précéder.

Il n’est pas nécessaire que l’esprit public soit agité pour devenir l’objet des remarques de la gendarmerie, on doit l’observer dans son état habituel et calculer l’influence qui pourrait être exercée dans chaque localité, si les ennemis de l’ordre tentaient de l’y troubler. Il est utile surtout d’observer les actes et les tendances des agents du gouvernement. Je désire, en conséquence, qu’il me soit adressé directement, par tous les officiers de gendarmerie et même par tous les commandants des brigades, une suite de rapports non périodiques, contenant toutes les remarques qu’ils croiraient devoir me soumettre et tous les faits qu’ils jugeraient nécessaire de me signaler, d’après les indications qui précèdent, pour me mettre en mesure de combattre le socialisme, d’arrêter le progrès qu’il tente de faire dans les campagnes et d’assurer la sécurité publique, plutôt un prévenant les désordres à naître qu’en réprimant ceux qui surgissent.

Il n’est pas possible, je le sais, d’exiger des sous-officiers, commandants des brigades, des rapports complets et répondant aussi bien à mes vues que ceux des officiers, mais j’exige néanmoins d’eux ces rapports directs, parce que je veux ne rien ignorer ; il conviendra toutefois que leurs investigations soient conduites avec réserve et prudence, vous devez, à cet égard, les diriger, les éclairer et ne leur donner de ces instructions que celles qui sont en rapport avec leur intelligence et le degré de confiance que vous pouvez avoir dans la discrétion de chacun d’eux.

Vous le comprenez, colonel, ces rapports qui auront pour objet de me faire connaître, sans délai, tout ce qui se passe, en dehors des événements ordinaires, doivent être essentiellement confidentiels ; ils ne seront donc communiqués à personne et seront donc par conséquent indépendants de ceux qui doivent être adressés aux fonctionnaires des ordres judiciaires, civils ou militaires, dans les cas prévus par les articles 45 et 82 de l’ordonnance du 29 octobre 1820, lesquels continuent d’être établis et envoyés comme par le passé. Ces nouveaux rapports dispenseront néanmoins de ceux qui, jusqu’à présent, m’étaient adressés (bureau de la correspondance générale) sur les événements politiques et la situation de l’esprit public ; ils me seront envoyés sous la double enveloppe, l’une (celle qui clora la dépêche) sera de couleur bleue et portera cette suscription ; pour le ministre seul, l’autre (l’enveloppe extérieure) portera l’adresse ordinaire. Cette correspondance sera inscrite sur un registre particulier que chaque d’officier ou sous-officier conservera par devers lui, même dans le changement de résidence.

Tel est, colonel, la mission délicate que je confie à la gendarmerie. C’est à moi seul qu’arriveront ces renseignements ; c’est dans mon cabinet particulier que seront traitées les affaires qui en seront la suite, et c’est aussi moi seul qui aurai à en conférer avec le président de la République.

Reportez-vous par la pensée à l’époque où M. le maréchal Moncey, premier inspecteur général de la gendarmerie, avait dans ses mains une police plus forte que celle de M. Fouché : activité, vigilance, dévouement, voilà ce que j’exige de la gendarmerie ; je serai heureux d’attirer sur elle les justes récompenses que le président de la République est disposé à lui donner ; comme aussi je sévirai avec une prompte justice contre ceux qui, ne comprenant pas leur mandat, ne sauraient pas remplir convenablement l’importante mission que je leur confie. Souvenez-vous que la gendarmerie est la sentinelle avancée de l’ordre public.

Vous comprendrez l’importance de cette lettre toute confidentielle ; je vous prie de m’en accuser réception et de me rendre compte des dispositions que vous aurez prescrites pour assurer l’exécution immédiate de mes ordres. Vous me rendrez compte, aussi nominativement et sous votre responsabilité personnelle, des officiers et sous-officiers de votre légion, auxquels vous aurez jugé convenable de communiquer, en tout ou en partie, les présentes instructions.

Le représentant Beaune a interpellé le ministre dans la séance du 11 novembre dernier, au sujet de cet acte inique. M. d’Hautpoul, applaudi à chacune de ses paroles par la droite, a eu le triste courage de défendre sa circulaire, tout en déplorant l’inconcevable indiscrétion qui a pu la faire livrer à la publicité. Il a sollicité un vote de la majorité en sa faveur… et il l’a obtenu !