Le Piéton de Paris/Palaces et Hôtels

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 192-245).

PALACES ET HÔTELS

Il y a, au Walldorf Astoria de New-York, une téléphoniste qui est préposée spécialement, exclusivement, aux Habitudes. Elle est, en quelque sorte, la mémoire des clients. Elle rappelle à celui-ci qu’il est l’heure de prendre son bain, mais elle pourrait aussi bien lui signaler, sur sa demande, s’il est sensible, que le journal du jour ne comporte aucun crime et qu’il peut l’ouvrir sans crainte. Rien ne montre mieux que la vie d’hôtel est la seule qui se prête véritablement aux fantaisies de l’homme. Paresseux, noctambule, excentrique, celui qui choisit de vivre à l’hôtel est d’abord un client, surtout en Amérique, et la loi, l’impératif est de se mettre à sa disposition sans manifester jamais d’étonnement, demanderait-il quelques grammes de radium ou un éléphant…

Paris, riche de mille cinq cents hôtels environ, d’après l’annuaire des téléphones, ne pouvait rester indifférent à ce code admirable qui permet au citoyen le plus obscur de vivre en prince pendant quelques heures, et nous avons depuis la guerre une dizaine de grands établissements qui ont réponse à tout. C’est peu, dans une ville de mille cinq cents hôtels, mais nous avons le charme… Sur le plan de l’hôtellerie, comme sur tant d’autres, le retard de « l’industrialisation » est compensé chez nous par le pittoresque. Hôtel Terminus-Austerlitz-et-du-Pied-de-Mouton, Hôtel des Mathurins et de New-York, Hôtel du Grand Saint Fiacre, Hôtel de la Bertha, Hôtel de l’Univers et du Portugal, Hôtel de la République, du Garage et des Étrangers… Je connais maints voyageurs qui habiteraient de pareilles maisons pour le seul plaisir de l’adresse.

Dans tous ces établissements, qu’ils soient palace ou maison meublée, machine à habiter ou simple garni, le rôle de l’hôtelier est de participer le plus étroitement possible à la vie de ses clients, que certains patrons nomment leur famille. La vie d’hôtel est l’image même de la société, et l’on comprend qu’un livre comme celui de Vicki Baum, Grand Hôtel, ait fait le tour de la littérature, du cinéma, de l’Univers… L’hôtel est un pays en petit. On y vient au monde, on y souffre, on y travaille et parfois l’on y meurt. Certains êtres choisissent les hôtels comme lieu de suicide, car la mort y est pratique. D’autres n’ont encore rien trouvé de mieux pour jouir pleinement de l’adultère. Quelques-uns considèrent l’hôtel comme un refuge.

« L’hôtel » est un séjour charmant
Pour un cœur fatigué des luttes de la vie…

Ceux qui entendent vivre gratis

Si le rat d’hôtel a disparu, comme la cravate à système et le tricycle à pétrole, l’escroc n’a pas renoncé à abuser de la confiance et de la largeur d’esprit du personnel hôtelier. Faire un agréable séjour quelque part et filer sans régler sa note est une habitude dont certains hommes se débarrasseront difficilement. Celui-ci essayera de remettre à la caisse des chèques sans provision, et parfois des billets faux. Celui-là commandera un déjeuner somptueux de plusieurs couverts au restaurant et en profitera pour emprunter cent francs au maître d’hôtel, après quoi il ira manger, debout, un croissant au bar voisin.

Il y a une anthologie à composer avec les stratagèmes employés par quelques voyageurs pour vivre gratis dans les conditions les meilleures du monde. La certitude que les directeurs sont en rapport avec la police ne les arrête jamais. Au besoin, quand la surveillance est étroite, ils la tournent à leur avantage et n’hésitent pas à se faire passer pour ambassadeurs ou rois. Un comparse, qui téléphone fréquemment de l’extérieur, contribue à la réalité de ces personnages et fait croire aux missions…

Une des questions qui sont particulièrement importantes dans le tourbillon de la vie d’hôtel est celle des chiens, source d’ennuis et de tracas, voire de complications diplomatiques pour le personnel. Une armée de grooms doit être mobilisée plusieurs fois par jour pour la promenade hygiénique des clients à quatre pattes. Il faut de plus éviter les rencontres entre pékinois d’opinions politiques différentes, rencontres qui dégénèrent rapidement en bagarres. Enfin, il faut fermer les yeux sur de petits accidents d’ordre naturel, si naturels que certaines clientes ne comprennent pas que l’on s’en étonne et menacent de quitter l’hôtel à la moindre observation. Dans les grands hôtels que ne hantent que des animaux de luxe, perroquets de musées, roquets d’expositions, le régime des chiens est aussi soigné que celui des maîtres. Il ne se passe pas de jour qu’on n’aperçoive sur quelque commande « une aile de poulet pour chien », ou « une côte de mouton pour chien ».

Certaines dames, dont on ne sait si elles sont plus originales que réservées, préfèrent ne pas mentionner que l’aile de poulet est pour le toutou, et passent volontiers, malgré le souci qu’elles prennent de leur ligne, pour de grosses mangeuses. On imagine sans peine les drames que provoque dans un hôtel la mort de quelque chien auquel on s’était habitué comme à un client. Il faut : non seulement consoler la maîtresse éplorée, mais s’occuper des obsèques, et se mettre en quatre pour découvrir, dans un cimetière pour chiens, une concession digne du défunt.

Celui que les hôteliers redoutent :
le journaliste

Une autre plaie de l’hôtel est le journaliste, autant le dire tout de suite et sans précautions. L’observation est d’ailleurs tout à l’honneur de la profession. Le journaliste est un monsieur qui a reçu l’ordre d’approcher coûte que coûte les grands personnages, de leur arracher une déclaration, de les surprendre dans l’intimité. Or, le grand personnage est généralement un voyageur excédé, qui n’a rien à dire et qui ne sait plus ce que c’est que la vie privée. Tant mieux, répond le journaliste, c’est justement ceci qui est intéressant. L’hôtelier proteste, le journaliste insiste, et, quand on lui fait la vie dure, il n’hésite pas à emprunter les vêtements d’un sommelier ou d’un veilleur de nuit pour se faufiler dans la chambre où se cache le sujet de son article.

L’hôtel est le séjour préféré d’une nuée d’originaux qui, dès l’instant qu’ils règlent leurs notes, étalent leurs manies et sonnent à tout propos. J’ai connu un fantaisiste qui, sur ses vieux jours, s’était constitué dans son appartement une collection d’objets volés dans les établissements où il avait séjourné : cendriers, essuie-mains, verres à dents, fourchettes, poivriers, cintres, provenant de Milan, de Dresde, d’Édimbourg, de Rio, encriers, presse-citrons et papier à lettres. Tel autre, qui ne se lavait les dents et les mains qu’à l’eau de Contrexéville, avait besoin d’un livreur particulier et contrôlait lui-même les bouteilles.

Secret professionnel

Le premier devoir, et le plus strict, de l’hôtelier, est le respect absolu du secret professionnel. Il sait parfaitement que le monsieur chauve du 307 et la dame blonde du 234 sont du dernier bien, que l’une de ces deux chambres est toujours vide la nuit, mais il l’ignore parfaitement, le 307 et le 234 se saluant à peine dans le couloir et affectant souvent d’avoir l’un pour l’autre un profond mépris. On m’a cité le cas d’un riche provincial que ses affaires obligent à faire à Paris trois séjours annuels d’une assez longue durée, en compagnie de sa femme. Or cette femme, qui est toujours légitime, n’est jamais la même. Mais tout le monde à l’hôtel doit l’ignorer, et veiller à ne pas remettre à l’épouse de Juillet la combinaison rose oubliée par l’épouse de Décembre.

Plus redoutable que le journaliste, et cette fois plaie au féminin, me faisait remarquer un gérant subtil, est la madone des palaces. Après s’être fait annoncer par des lettres qui ne laissent aucun doute sur sa distinction mystérieuse, après avoir câblé et recâblé qu’elle avait fait un peu de cinéma, par condescendance, entre deux divorces princiers, elle se présente à l’hôtel, encombrée de bagages et de châsses mastodontes, comme une ambassade du seizième siècle, mais le portemonnaie vide. Physionomistes aussi rapides que les inspecteurs de Monte-Carlo, les directeurs des grands hôtels reconnaissent aussitôt l’aventurière. Mais ils sont bien obligés de lui faire crédit jusqu’au jour où elle rencontre enfin dans le hall le généreux donateur qui en est à sa première aventure… Si celui-ci ne se présente pas, le directeur n’a plus qu’à faire sous les yeux de la vamp un inventaire discret et respectueux de ses bijoux et de ses fourrures. Il déclare qu’il regrette sincèrement que la crise puisse avoir d’aussi pénibles et inélégantes conséquences, et il n’ajoute rien de plus, car il n’est pas juge…

Est-ce la prospérité qui revient ?

Le mot crise est entré dans le vocabulaire des hôtels depuis quelques années. On a bien essayé de ne pas le prononcer au début, mais il a fallu s’y faire à la longue. Il faut dire pourtant que les hôtels parisiens ont stoïquement supporté l’absence de leurs clients, et que, lorsqu’ils ont été obligés de fermer, de céder ou de sous-louer, ils l’ont fait avec dignité, comme les généraux se rendent. Jusqu’à la dernière minute, sans jamais avouer qu’ils souffraient plus que d’autres du malaise économique, ils ont cherché des vétérinaires pour serins quand il le fallait et convoqué des tireuses de cartes pour des clientes indécises.

Aujourd’hui, tous les hôtels parisiens sont dans une situation difficile : la crise hôtelière ne sera résolue que le jour où la circulation de l’argent pourra être rétablie. On se plaint du Tourisme, mais ce n’est pas le tourisme qui est en cause. Les étrangers ne demandent qu’à venir chez nous. Le malheur est qu’ils ne peuvent exporter leurs capitaux, et, quand ils le peuvent, ils redoutent l’effondrement des Changes. Ces fluctuations et ces interdictions ne permettent pas aux hôteliers de faire imprimer des prix. Ils ne peuvent compter que sur des clients hardis et très riches. Espèce de plus en plus rare. La salade des devises a d’ailleurs créé parfois des phénomènes assez curieux. Ainsi, ce sont les Français qui ont fait vivre ces dernières années les stations d’hiver autrichiennes. Et l’on dit que nous ne voyageons pas !

Habitudes, nostalgie de Paris, résultats d’une excellente propagande ou attraction de la saison, une sérieuse reprise a pourtant été constatée dans l’industrie hôtelière parisienne, et c’est le moment qu’il convient de choisir pour visiter quelques grands établissements qui font plus pour notre renom que discours et manifestations.


AUX TUILERIES

Quelqu’un disait jadis, peut-être Saint-Saëns, qu’il y avait trois sortes de musique : la bonne musique, la mauvaise musique, et la musique d’Ambroise Thomas. Excellente formule, qui peut servir à caractériser la clientèle d’une des maisons les plus illustres de France : le Meurice. Et l’on peut ainsi poser en principe qu’il y a trois sortes de clientèles : la bonne, la mauvaise et celle du Meurice.

Le vrai client du Meurice a été dessiné plus de cent fois par Sem. C’est un monsieur qui porte des faux cols trop hauts, évasés en cornet, pareils à l’enveloppe d’un bouquet de fleurs, et qui montent jusqu’aux yeux. Avant la guerre, l’épouse de ce personnage solennel et délicieux, immensément riche, lui remettait méticuleusement chaque matin son argent de poche : cinq francs en monnaie, ce qui en fait cinquante environ à l’heure qu’il est. Mais si l’on y cherche une vraie cliente, je pense à la femme du grand peintre Sert, qui y habita très longtemps.

En 1806, le Meurice était situé au 223 de la rue Saint-Honoré. Il avait été construit sur l’emplacement de la salle du Manège, où, du 7 novembre 1789 au 9 mai 1793, se tinrent les séances de l’Assemblée Constituante, de l’Assemblée Législative et de la Convention Nationale. Il est donc contemporain de la République. En 1816, la poste aux chevaux de Calais, dirigée par M. Meurice, s’installa dans les restes du couvent des Feuillants et s’y maintint jusqu’en 1830. En 1917, les terrains, qui appartenaient aux Feuillants et sur lesquels s’élèvent aujourd’hui les bâtiments du Meurice, furent mis en vente comme faisant partie du domaine de la Couronne. Le comte Greffulhe acheta deux parcelles de ces biens nationaux pour 41 700 francs. Les immeubles de la rue de Rivoli, dont le percement avait été décidé en 1802, furent bâtis conformément aux plans imposés aux propriétaires, et à la condition que les boutiques des arcades ne pourraient être louées à des artisans, ni à des bouchers, charcutiers, boulangers ou pâtissiers, et à toute autre profession faisant usage du four et du marteau. La tranquillité raffinée dont jouissent les clients du Meurice commençait. Et ces prescriptions se sont continuées jusqu’à nos jours. Le Meurice est situé dans un quartier d’hygiène serrée. Dans un autre hôtel, à quelques pas de là, on désinfecte les chambres après le départ de chaque client.

Anglais, dandies et nobles étrangers

Lorsque Paris se fut apaisé après vingt années de remous et troubles, les Anglais se précipitèrent chez nous pour voir ce que la Capitale de la France était devenue. Les plus riches descendirent au Meurice, dont la réputation, à l’époque de la Restauration, était excellente. L’hôtel venait d’ouvrir quatre nouveaux appartements en face du jardin des Tuileries, dans l’un desquels, stipule un prospectus du temps, « on pouvait, si cela était nécessaire, installer jusqu’à trente lits ».

Des appartements plus petits, à un seul lit, dont le prix était de trois francs la nuit, avaient été également mis à la disposition de la clientèle. La maison se flattait qu’aucun hôtel en Europe ne fût mieux réglé ni mieux organisé pour offrir le plus grand confort aux Anglais, dont elle avait le souci constant de respecter les habitudes et les traditions. Pour disposer le voyageur, on lui apprenait outre cela que le linge était blanchi au savon à trois milles de Paris, et non battu ou brossé, comme cela se faisait généralement en France au début du dix-neuvième siècle.

Le prix consenti aux pensionnaires comprenait tout, à commencer par le vin, excepté pourtant le bois, que les clients avaient la liberté d’acheter. Enfin, de même que l’on retient aujourd’hui rue de Rivoli des couchettes de wagon-lit, ou des places à l’Opéra de Berlin, on pouvait, du temps de Louis XVIII, retenir des voitures pour Calais, Boulogne et n’importe quel endroit du Continent.

Lorsque la rue de Rivoli fut achevée en 1835, l’hôtel s’installa en façade dans des bâtiments neufs. Pendant la Monarchie de Juillet et le Second Empire, les clients « sans pension », les pensionnaires ou les visiteurs du Meurice, Anglais, dandies, nobles étrangers, gens de Cour, Parisiens brillants, firent au Meurice la réputation d’être la maison la mieux fréquentée de Paris, réputation qui ricocha jusqu’au triomphe, puis jusqu’au stade de ce qu’on appelle « l’exclusif » en argot hôtelier.

Acheté en 1905 par une nouvelle société, remanié de fond en comble, un nouveau Meurice naquit en 1907 sous la bénédiction des fées qui président aux événements parisiens. Rois et reines du monde entier n’attendaient que ce signal pour inscrire la rue de Rivoli au nombre de leurs résidences : l’Angleterre, la Belgique, le Danemark, la Serbie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la Yougoslavie, la Hollande et le Siam furent tour à tour représentés dans les appartements du Meurice par leurs monarques, héritiers et princesses. Défilé éblouissant, à propos duquel on m’a rapporté le mot touchant d’une petite fille de Paris qui passait des heures à faire le guet au coin des rues de Castiglione et de Rivoli aussitôt qu’elle avait appris par le journal ou la rumeur qu’un roi ou qu’une reine se trouvait au Meurice. Comme on lui demandait un jour la raison de cette obstination, la petite répondit :

« Je viens voir si ces Messieurs-Dames ressemblent bien aux portraits de ma collection de timbres… »

Le rendez-vous des poètes et des originaux

On sait qu’avant la guerre des pelotons de curieux et d’admirateurs se livraient à toute une stratégie devant le Meurice pour apercevoir Edmond Rostand, client fidèle, et qui composa Chantecler à l’hôtel. Un murmure d’admiration s’élevait sur son passage. Le poète avait du reste tout ce qu’il faut pour séduire les foules : une moustache d’officier de hussards, un visage d’un galbe fin, un monocle brisant, et un « paille » dont, quelques années plus tard, Maurice Chevalier devait éprouver les vertus au music-hall. Rostand n’a pas été remplacé dans le hall du Meurice. Aussi bien, la littérature a dû céder le pas à la haute couture, à la boxe, à la politique. C’est Mme Chanel, que j’ai aperçue récemment rue de Rivoli, Coco Chanel, qui est une reine aussi, et qui reçoit assurément plus de visites qu’un auteur dramatique. Pour la moustache, c’est celle du maréchal Pétain qui assure le service de la célébrité. Quant au « paille », j’ai bien cru remarquer que le maharadjah de Kapurthala en portait un, mais, comme dit l’autre : « Allez vous y retrouver ! Il y a au moins deux Kapurthala par hôtel en ce moment ! »

Plus que ses égaux en luxe, et sans doute par les vapeurs de snobisme qu’il dégage, le Meurice a la spécialité d’attirer les grands originaux, du moins ceux qui ont assez d’argent vrai pour avoir des idées fausses, depuis l’Anglais qui ne voyage qu’avec une boussole de façon à pouvoir toujours dormir la tête orientée vers le Nord, jusqu’à cet Américain qui, lorsqu’il vient à Paris, tient absolument à voir la Tour Eiffel de sa fenêtre. Un jour, dans l’impossibilité de le satisfaire, un maître d’hôtel suggéra à ce maniaque de se faire construire une Tour Eiffel portative et extensible, qu’il pourrait à volonté transporter de Continent à Continent et installer dans les chambres, les bars ou les jardins. L’Américain écouta la chose le plus sérieusement du monde. Et il est fort possible que nous lisions un jour dans les journaux l’information suivante : « Un original déclare à la douane maritime une Tour Eiffel en réduction. »

— Si encore, me confiait un barman, nous n’avions affaire qu’aux maniaques doux, qu’aux fantaisistes solitaires qui se contentent de fétiches ou de jouets ! Mais il y a les clients à scandale, et même pis. Je ne puis vous citer le nom de l’établissement où cela s’est passé, mais essayez de vous représenter les conséquences de la chose : Un jour, un dîneur mécontent, croyant à un attentat, a abattu en pleine salle un malheureux maître d’hôtel. Il était mort, monsieur, mort, mort, mort ! Homicide par imprudence, si l’on veut, d’accord, mais tout de même, mettez-vous à la place du client !

Admirables nuances du métier ! C’est le client que l’on plaignait et non le défunt, ni la famille d’iceluy. Un client qui devait être fort embarrassé, et qui sans doute changerait d’hôtel. Voici comment les choses s’étaient passées : On servait des œufs de pluvier farcis à un client bien pris dans un smoking parfait, mais voici qu’un œuf de pluvier tombe maladroitement entre ce smoking parfait et la pure chemise du monsieur. Le maître d’hôtel perd son sang-froid, bleuit, pâlit et, croyant bien faire, cherche vivement à retirer l’œuf de ses doigts tremblants, ce qui crépit le plastron du client d’une longue peinture de Braque. Devenu fou furieux, le dineur, parant l’attaque, se lève, tire son browning et abat le maître d’hôtel !

— Hein ! dit le barman. C’est du roman policier, ça ! Mais, pour ma part, j’aime mieux ceux qui prennent la chose gaiement. J’ai connu un maître d’hôtel qui malaxait sans cesse et trop fort un râtelier hautement décalé. Un soir, il le laisse tomber dans une soupière :

» — Non, merci, murmure le client qu’il était chargé de servir, j’en ai déjà un ! »

Ce que l’on pourrait appeler le paroxysme du Meurice se produit une fois l’an, au cours de la grande semaine parisienne, un peu avant l’heure du dîner, paroxysme dont le fumet se répand dans le quartier et qui ne trompe pas. Il y a là un mariage de bas de soie, de perles, de lèvres fardées, des froissements de chèques, des conversations, des chuchotements qui font ressortir le plus pur de l’actualité, des allées et venues, des coups de téléphone, un parfum, un esprit qui disent assez que l’endroit est un lieu géométrique, une capitale minuscule, un nœud vital. Sous le porche, flegmatique, important, rêve le chasseur, un des personnages les mieux renseignés de Paris, les plus influents aussi, et qui faillit être réprimandé un jour pour ne pas avoir deviné que quelqu’un aurait la curiosité de fouiller les bagages de Lloyd George, lors de la Conférence de la Paix.


RUE CAMBON, PLACE VENDÔME

On ne sait guère que le fondateur de l’hôtel Ritz fut un homme comme vous ou moi, et qui s’appelait réellement et tout simplement M. Ritz, comme Flaubert s’appelait Flaubert et M. Thiers M. Thiers. On croit volontiers, loin de Paris, là où le Ritz recrute justement le plus étincelant de sa clientèle, que Ritz serait plutôt un mot comme Obélisque, Tour Eiffel, Vatican ou Westminster, voire Jérusalem ou Himalaya. Ce point de vue se défend. Je disais un soir à Marcel Proust, qui venait précisément de commander pour nous, à minuit, un melon frais au Ritz, que je rêvais de composer un catéchisme à l’usage des belles voyageuses ornées de valises plus belles encore. Catéchisme dont l’idée m’avait été fournie par une conversation que j’avais eue dans un salon avec les plus beaux yeux du Chili :

— À quoi rêvent les jeunes filles fortunées ?

— À la vie d’hôtel.

— Quels sont leurs hôtels préférés ?

— Elles préfèrent toutes le même : le Ritz.

— Qu’est-ce que le Ritz ?

— C’est Paris.

— Et qu’est-ce que Paris ?

— Le Ritz.

« On ne saurait mieux dire », murmurait Proust, qui eut toujours pour cet établissement une tendresse mêlée de curiosité. Il aimait, lui si expansif, qu’on y observât très sérieusement la première et la plus noble règle des hôtels : la discrétion. Discrétion absolue, obturée au ciment armé, et du type « rien à faire ». Il avait été profondément intéressé aussi, un soir, par le métier d’hôtelier, qu’il trouvait un des plus humains de tous et le mieux fait pour recueillir, palpitant, sincère et précis, le secret des êtres. On ne dit la vérité, paraît-il, qu’au médecin et à l’avocat. La Sagesse des Nations aurait pu ajouter : et à l’hôtelier.

Tout comme les premiers directeurs du Grand Hôtel, M. Ritz, lorsqu’il lança son établissement, révolutionna l’industrie hôtelière européenne. C’était en effet la première fois, depuis qu’il y a des hommes et qui ne couchent pas chez eux, que chaque appartement fût pourvu d’une salle de bains. Au premier abord, le Ritz est un palais tranquille dont le cérémonial n’est troublé que par des erreurs de couverts ou des chutes de fourchettes. De grandes dames, dont la fortune assurerait l’aisance de plusieurs générations, y boivent un thé précieux avec une distinction de fantômes. No man’s land presque bouddhique où les maîtres d’hôtel glissent, pareils aux prêtres perfectionnés d’une religion tout à fait supérieure.

Personnalité de premier plan

La clientèle y est inévitablement composée de personnalités de premier plan. Tout récemment, comme je parlais de Proust avec Olivier, le maître des maîtres d’hôtel, un des pivots du mécanisme parisien, on me désigna rapidement, au passage, le comte et la comtesse Haugwitz-Reventlow, c’est-à-dire toute l’Allemagne wilhelminienne et toute l’aristocratie de l’aventure mondaine, car la comtesse Haugwitz-Reventlow n’est autre que Barbara Hutton, l’ex-épouse de M. Mdivani. J’aperçus, guidé par ma vue perçante et par son index précis, le baron et la baronne de Wedels-Jarlsberg, M. Joseph Widener, le prince et la princesse Nicolas de Grèce, le marquis Somni-Piccionardi, le prince héritier de Kapurthala, Georges Mandel, le docteur Nicolas Murray Butler, bref, tout un aréopage dont la disparition entraînerait de l’anémie en Europe.

Dans la coulisse, depuis des années, le même personnel veille au maintien des traditions et défend la forteresse : Jimont, l’as des chefs, en tête. N’oublions pas qu’un grand hôtel doit être une grande cuisine. Une cuisine dont on ne parle pas, cela va sans dire, de même que l’on ne risque le mot « crise » qu’avec mille précautions, pour ne pas effaroucher une clientèle qui n’a jamais entendu parler de cette maladie nouvelle, crise qui d’ailleurs va s’atténuant. Le Ritz est tout fier de pouvoir annoncer une amélioration notable de la situation sur l’année dernière. L’officier d’état-major de cet admirable hôtel qui me donne le détail me fait également remarquer que le Ritz s’efforce d’être un hôtel complet, un hôtel qui se suffit à lui-même, qui a ses propres lingères en lingerie fine, ses blanchisseuses d’élite, et un établissement floral spécialement créé pour garnir ses huit jardins et ses dix-huit serres. Enfin, dernier renseignement pour ceux qui perdent inutilement leur temps dans les carrières poétiques : un chef d’étage quelque peu habile peut arriver à se faire 10 000 francs par mois[1].

La dame vouée au noir

Cette jolie somme me rappelle l’histoire d’une dame qui, si elle n’est pas ritzienne, mérite de le devenir un jour. Le monde parisien l’avait surnommée la Dona Bella. Elle n’était plus très jeune, bien que splendide encore. Son mari était vaguement banquier dans un vague Brésil. Elle ne se montrait qu’en noir, et faisait installer la chambre qu’elle retenait en tentures et tissus noirs. Son lit était paré de soie et de draps noirs. Elle s’évertuait à imposer le noir à son fils, et à une gouvernante qui n’allait pas tarder à l’alléger de tous ses bijoux…

Cette symphonie en noir était heureusement relevée par une générosité qui avait le droit de se faire appeler gaie : la Dona Bella donnait une livre sterling de pourboire pour chaque acte de service, et autant par invité quand elle recevait des amis à déjeuner ou à dîner. Un jour plus noir encore qu’à l’ordinaire, elle demanda à un chasseur de l’accompagner jusqu’à je ne sais plus quelle gare, car elle craignait de voyager seule. Arrivée devant le compartiment, elle remit au jeune homme un chèque de 10 000 francs pour le remercier.

Ce sont ces faits divers de la vie ultra mondaine qui font rêver les midinettes de la place Vendôme, les taxis qui passent et repassent, les bacheliers pressés d’être hommes, « pour voir », et tous ceux qui ne connaissent du Ritz que cet énigmatique parfum, riche d’anecdotes, dont s’emplit le porche.

L’humilité du grand Carnegie

Citons au badaud que troublent les manies de la cliente milliardaire un acte de modestie qui vaut aussi son pesant d’or. Un jour, Carnegie, le vrai, et qui était tout petit, se présente timidement au Ritz. Aussitôt le personnel, au grand complet, de mettre les plus somptueux appartements de la maison à sa disposition, à commencer par le célèbre appartement Empire du premier étage. Or, Carnegie ne se trouvait pas « à l’échelle ». Il se regardait dans les glaces, courait aux fenêtres, s’évaluait devant la colonne Vendôme et ne se montrait pas le moins du monde enthousiasmé. Finalement, sur sa prière, on lui donna la chambre la plus petite du Ritz, qui était sur les jardins, et il se mit à sautiller de bonheur.

Bel exemple de simplicité et même d’humilité, que l’on pourrait faire imprimer sur papier couché, en gros caractères, pour Mme O…, cliente autoritaire, absurde, capricieuse, arrogante, qui faisait aux femmes de chambre des scènes terribles parce que les chaises de son appartement, disait-elle, étaient asymétriques. Les femmes de chambre s’inclinent, se retirent, se concertent avec les garçons d’étage et font changer les meubles, sans le moindre murmure de protestation. Le personnel d’un hôtel digne de ce nom ne perd pas de temps à apprécier les mouvements de colère ou les sautes d’humeur de la clientèle. En revanche, il ne peut retenir son admiration dès qu’il se trouve en présence de voyageurs qui ont plus de sentiments que de bagages…

On m’a cité le cas d’un couple qui n’eût pas manqué d’inspirer à Maupassant une de ces nouvelles courtes et sombres dont il avait le secret. Descendent un jour place Vendôme un Anglais et une Espagnole. Mariés, et tous deux de haute aristocratie. Ils prennent un appartement luxueux de cinq à six mille francs par jour et ne sortent plus de ce décor. C’étaient, comme la Dona Bella, des maniaques de la tenture noire, de l’ombre, des rideaux tirés et des stores baissés. Ils exigèrent de la direction que le service fût absolument muet. Comme ils ne toléraient aucune question de la part du personnel, celui-ci devait avoir l’œil à tout, tout deviner et tout comprendre. On chuchotait un peu dans les couloirs sur ce couple singulier qui semblait mimer une histoire d’Edgar Poe.

On se demandait ce que cachaient ces deux visages pâles, mélancoliques et comprimés, qui parfois s’éclairaient d’un grave sourire. Ils prenaient tous leurs repas à l’hôtel et se montraient chaque soir, lui en habit, elle en toilette de soirée, dans une attitude noblement voûtée, chargée, ténébreuse. N’y tenant plus, un maître d’hôtel, que tant de dignité funèbre empêchait de dormir, s’en fut aux renseignements, et il revint pour apprendre à ses collègues que l’Anglais et l’Espagnole pensaient nuit et jour à un fils très beau tué à la guerre…

Ce Ritz si tranquille, si respectable, si bien conçu pour le sommeil psychologique des grands de la terre, est en vérité tout sonore de romans, tout orné de biographies pathétiques. On croit que certains êtres recherchent le plaisir. En réalité, ils se réfugient dans les hôtels et fuient les hommes parmi les hommes. Ce qui faisait dire à un directeur à qui je demandais quelle était à son avis la première qualité de l’hôtelier : « Le cœur » !…


AVENUE GEORGE V

On compare volontiers les paquebots à des hôtels flottants. On pourrait aussi heureusement comparer les hôtels à des paquebots immobiles, en commençant par le George-V, qui s’est ancré, pareil à un transatlantique soigné et poudré, dans l’avenue la plus aristocratique de Paris, autrefois bout de campagne où s’étalaient des chaumières, aujourd’hui bras de mer d’un luxe calme. Murailles fines, presque fragiles, de pierre et de marbre, plans successifs de jardins fleuris, de terrasses, le George-V n’a rien de la machine à habiter, selon le mot qui fut probablement inventé par de vieilles dames mal adaptées à une époque de machines précises et d’habitations enfin confortables,

Le George-V n’a rien non plus du palace monumental et mélancolique où le luxe et l’ennui se confondent. C’est exactement l’hôtel qui est destiné à une clientèle que rien ne rattache à l’avant-guerre, une clientèle intimement liée au jazz, à la vitesse, aux fluctuations des changes, et pour laquelle la direction avait créé, bien avant le pays légal, comme on dit aujourd’hui, un service d’avions-taxis qui cueillaient le touriste à la descente des paquebots.

Mêlé aux malaises et à l’euphorie de ces dernières années, le George-V a été lancé par la signature du plan Young, qui eut lieu dans le salon bleu, appelé depuis « des experts », en présence de MM. Moréau, Montagu Norman, Pierpont Morgan, Strong, Schacht et Luther. M. Young emporta aux États-Unis la chaise qui avait été la sienne et le tapis vert sur lequel s’étaient appuyés tant de coudes illustres. Sur ce même tapis, devenu relique, un banquet-souvenir fut servi en Amérique, en 1930.

La même année, trois nouvelles signatures contribuaient, à Paris, à rendre célèbre l’encre de l’hôtel George-V : celles du colonel Easter Wood, et de Costes et de Bellonte, à l’occasion de la première traversée française de l’Atlantique, qui fut décidée, ou plutôt pariée, au bar. Puis ce sont les statuts de la Banque des Règlements Internationaux de Bâle qui voyaient le jour dans le salon Young. Enfin, Roosevelt, alors gouverneur de l’État de New-York et candidat du parti démocrate à la présidence, vint rendre visite à sa mère souffrante qui séjournait au George-V à cette époque.

Le visage d’une époque

Ainsi, l’hôtel est entré dans l’Histoire compliquée de 1920 à 1935, et il sera certainement cité dans les ouvrages destinés à l’Enseignement Secondaire des collégiens du xxie siècle, comme un monument. Cette immortalité ne sera pourtant pas uniquement faite de souvenirs officiels ou monétaires propres à faire bâiller les enfants de nos enfants.

Car les professeurs de petite Histoire ajouteront au texte abstrait des manuels que, vers la même époque, chefs d’État, argentiers et ministres chargés de régler le sort de l’Europe rencontraient dans les ascenseurs ou le restaurant du George-V d’autres célébrités qui entretenaient dans ce lieu une atmosphère de sommets : Chevalier, Tilden, Yvonne Printemps, Brigitte Helm, Jeanette Macdonald, le célèbre escroc Factor, ou Rossoff, roi du métro new-yorkais, prince du métro moscovite. Et George-V, ainsi nommé parce que les rois ont une grande attraction sur les voyageurs, passera pour avoir été un hôtel infiniment important et pittoresque, qui avait encore la coquetterie de s’accorder avec les travers et les manies du couple ou de l’isolé des années 25 à 35.

Voyant un jour entrer un des clients de l’établissement complètement ivre à la tête de l’orchestre de l’Abbaye au grand complet, le veilleur de nuit sourit gracieusement à cette tribu et laissa passer saxophones et violons sans leur opposer la moindre résistance. Le client invita les musiciens à le suivre dans sa chambre, s’étendit sur son lit, et se fit donner une aubade américano-slave pour lui seul. Il alla même jusqu’à réclamer ce qu’on appelle des claquettes, en style dancing, car il ne pouvait plus s’arracher à l’enchantement montmartrois. Vers 11 heures du matin, sous le regard respectueux d’un des personnels les plus aimables de Paris, l’orchestre quitta doucement l’original qui s’était endormi. Il lui arrivait de boire trois semaines d’affilée, et de réclamer du whisky a l’hôpital où il fallut bien le recommander un jour.

Avion ou paquebot ?

Si l’original fait la joie des chefs de réception, gouvernantes, nurses, sommeliers et grooms, il les affole aussi parfois, mais uniquement parce qu’il oublie de « prévenir », comme cet explorateur qui pria le bureau de l’hôtel de bien vouloir lui garder deux lions en cage. On dut les mettre en pension au zoo. Comme ses confrères dans l’art de loger et de recevoir, le Georges-V accueille volontiers les mariages, championnats ou manifestations élégantes de la société parisienne. C’est dans ses salons, qui se prêtent aux exigences les plus inattendues, qu’eut lieu l’inoubliable lunch de mariage de Paul-Louis Weiller, ainsi que le fameux match de bridge au cours duquel mille curieux se sont presque battus pour approcher de tout près un roi de pique ou un sept de carreau particulièrement chargés d’avenir ce jour-là…

Ce n’est pas impunément que j’ai comparé le George-V à un paquebot. Il supporte admirablement la visite, tout comme l’Île-de-France ou le Normandie. Mieux : il l’appelle, et il tient ses promesses. Entrer dans les profondeurs du George-V, c’est descendre dans les anciennes carrières du village de Chaillot d’où fut extraite la pierre qui servit à édifier l’Arc de Triomphe. Dans cette cave modèle, d’un silence de désert, s’empilent aujourd’hui des bouteilles aussi précieuses, pour quelques fous, que des vies d’hommes. Aussi la Ville de Paris l’a-t-elle classée au premier rang des abris pour Parisiens de luxe, en cas d’attaque aérienne. À vingt mètres sous terre, gardé a vue par des batteries de Haut-Brion ou de Chambertin, on imagine plus facilement encore un avion qu’un hôtel, me fait remarquer l’administrateur qui m’accompagne. Je me sens, en effet, sur le chemin du ventre de la terre, et je fais effort pour penser à un tapis, à un Manhattan cocktail, à un gigot, à une langouste, à un taxi…

Nous remontons d’un pas géognostique vers les cuisines. Au passage, nous apercevons l’artillerie de forge de la chaufferie, où l’illusion d’être en mer, de chercher à échapper à un typhon, est complète. Enfin, au sortir des grottes, des familles de casseroles nous sourient. J’ai envie de crier : « Terre ! » Dans une cabine, j’aperçois un ami : c’est Pierre Benoit. Ainsi, il était aussi du voyage ? Mais non. C’est la photographie de Pierre Benoit, en bonne place dans le poste de commandement du chef Montfaucon, que l’auteur du Déjeuner de Sousceyrac ne manque jamais de venir féliciter chaque fois qu’il prend un repas avenue George-V.

C’est Jules Romains, je crois, qui prétend que le bonheur ne s’éprouve violemment que dans une cuisine. Qu’il vienne serrer la main de l’illustre Montfaucon, dans sa cabane décorée de vingt et un diplômes et de onze médailles d’or, de cartes gastronomiques et de notes de service péremptoires : 104 lunchs assis, 350 sandwiches, etc. Il respirera de la félicité à pleins poumons.

Une innovation : le repas-disque !

— Il ne suffit pas de bien manger, me dit-on dans cet endroit où déjà je rêve de ballets de gâte-sauces, il faudrait pouvoir retenir ce que l’on dit à table. Que de promesses oubliées, que de renseignements perdus, que de mots d’esprit envolés ! On dîne et l’on se quitte après avoir échangé parfois les propos les plus denses. Pour remédier à cette frivolité, le George-V lancera en 1938 le repas-disque ! À la demande des clients, toutes les conversations seront enregistrées entre les hors-d’œuvre et le café. Une « mémoire » fonctionnera sous la table sans déranger personne, et lorsqu’on retirera « son vestiaire », on pourra emporter avec soi le procès-verbal du déjeuner ou du dîner auquel on assistait, et se constituer ainsi chez soi des bibliothèques de conversation qui seront utiles pour rappeler aux personnes importantes qu’elles ont promis de s’occuper de vous, aux femmes qu’elles vous aiment, et aux amis qu’ils mentent.

Une des joies du George-V, ce sont ces appartements, meublés ou vides, ornés de terrasses, clairs, parfumés de cinéma correct et dans lesquels se donne la forte satisfaction de « s’américaniser » un peu. Ces appartements, dont les fenêtres donnent sur ce qui fut soit le bal Mabille, soit le château des Fleurs, soit les jardins d’Idalie, sont malheureusement occupés, à de très rares exceptions près, par de richissimes Français — parfaitement — qui veulent bien payer un loyer annuel de 40 à 70 000 francs pour échapper au fisc, à condition de pouvoir se faire un peu de cuisine et d’avaler un yoghourt en cachette.

Moscou-Paris

Le George-V leur a installé des cuisines électriques et des frigidaires ravissants qui semblent provenir de quelque joaillerie. Pour gagner cette colonie charmante, nous repassons par la lingerie, claire et appliquée, où l’odeur de la première communion se mêle à celle du drame d’amour. Nous longerons la réserve des bagages oubliés, et parfois laissés pour compte par les clients qui sont partis sans payer. Et l’on ne peut se faire justice soi-même, car les trésors de cette réserve, véritable dock, ne peuvent être fracturés avant trente ans… Dans la chaufferie qui bat lentement comme un cœur, je tâte le pouls de l’hôtel, et j’aperçois en passant, un peu plus loin, la mise en bouteille du vin des courriers, que l’on soigne comme des princes, ou des policiers secrets, car les courriers ne sont autres que les domestiques personnels de la clientèle, c’est-à-dire qu’ils sont plus puissants que les puissants qu’ils servent, ces derniers seraient-ils les vrais Kapurthala…

Sur le seuil des appartements, nous sommes accueillis par la voix douce et prête à tout de la gouvernante. Un pur silence entoure la vie privée des grands oisifs de ce monde. Les ascenseurs s’élèvent sans tousser, sans se plaindre de varices. Des boîtes aux lettres sillonnent le trajet vertical. Des toilettes ravissantes et silencieuses courent entre les étages, très vite, comme en rêve. On n’a plus besoin de sortir. Toute la vie est là, sans la moindre bavure. On comprend cet Anglais qui, au retour d’un voyage en U.R.S.S., et comme on lui demandait ses impressions, se borna à coller, côte à côte, deux échantillons d’un papier très spécial provenant respectivement d’un Hôtel Rouge et du George-V, et sur lequel il écrivit ces deux seuls mots : Moscou, Paris…


AUX ALENTOURS DE LA CONCORDE

De tous les hôtels, le Crillon est celui qui ressemble le moins à un hôtel. Je l’ai entendu traiter de ministère, de banque ou de musée. Et de fait, le plus en vue, le plus historique des hôtels est aussi le moins connu de l’œil du Français, et même du touriste moyen, qui cependant n’ignorent plus que la place Louis XV, au féminin Concorde, n’a pas d’égale dans le monde entier. C’est sans doute pour cette raison que le Crillon est devenu l’hôtel de l’incognito. On y est magnifiquement obscur. On m’a répété qu’un roi, s’y sentant enfin et parfaitement libre, disait à un de ses familiers, en contemplant le plus bourgeoisement du monde l’obélisque de Louqsor :

— Le jour où les faiseurs de potins apprendraient que je descends au Crillon, je n’aurais plus qu’à aller loger dans l’une des Pyramides !

Ce projet évoque le stratagème si minutieusement exposé par Poe dans La Lettre Volée

Construit en 1758 par les soins de l’architecte Gabriel, sur l’ordre du roi Louis XV, qui tenait à compléter par un chef-d’œuvre la décoration de la place, l’hôtel de Crillon demeura cent cinquante ans résidence privée. En 1908, la famille de Polignac l’acheta pour le transformer en hôtel.

Ouvert au printemps de 1909, il offrit aux Parisiens une réalisation exceptionnellement brillante et qui méritait un coup de chapeau. Aussitôt, la critique officielle fut d’accord avec le monde pour apprécier les perfectionnements qui étaient apportés à l’ancienne demeure et la magnificence des salons créés sous Louis XV et conservés intacts. C’est sur ce plan que le Crillon peut être confondu avec un musée. Comment ne pas envier toutes ces cheminées de style, et ces admirables vestiges de l’époque que sont les plafonds sculptés des trois grands salons du premier étage : Salon des Aigles, salon des Batailles, salon Louis XIV ?

Solidement lié à l’Histoire par toutes ses pierres et par tous ses parquets, le Crillon avait toutes les chances, sinon le devoir, d’accompagner la marche des événements historiques. Un heureux mélange de moderne et d’ancien allait en faire, dès son ouverture, la demeure d’élection des Cours Royales de l’Europe, qui ont droit aux hôtels comme le commun des Hommes, de la Diplomatie et de l’Aristocratie. On y rencontrait S. M.  le Sultan du Maroc, S. A. R.  la Princesse de Bade, le prince A. d’Oldenburg, la Princesse de Battenberg, S. M.  George V et S. A. R.  le Prince de Galles, qui occupèrent à tour de rôle les appartements du premier étage.

De brillants états de service

Pendant la guerre, le Crillon porta successivement le nom de Grand Quartier Général de l’État-Major anglais, puis de Quartier Général des officiers généraux du corps expéditionnaire américain au moment de l’entrée en campagne des États-Unis. Le président Wilson y habita tout le temps que durèrent les séances mémorables qui aboutirent au Traité de Versailles et à la Société des Nations. Tels sont les états de service d’une maison qui, grâce au voisinage de l’Ambassade des États-Unis, n’a jamais cessé d’être le quartier général des diplomates du Nouveau Monde.

J’ai eu affaire un jour, dans un bar de la rue Boissy-d’Anglas, à un journaliste allemand qui, je crois, rêvait de se livrer à l’espionnage pour satisfaire à ses goûts d’aventure. Sans rien avouer de précis, il ne cachait pas qu’il cherchait à entrer dans le secret des choses parisiennes, et avait un mot à lui pour exprimer son désir. « Vivre les événements qui ne sont pas relatés dans les journaux. » Chaque soir, il faisait longuement à pied le tour de cet énorme pâté de maisons que bordent la place de la Concorde, la rue Royale, la rue du Faubourg Saint-Honoré et la rue Boissy-d’Anglas. Ayant émis, pour ma part, quelques doutes sur l’efficacité de ce sport, il me répondit que c’était à son avis dans ce quartier de Paris que gisaient les plus belles énigmes…

Et, pour appuyer ce point de vue, il déclarait que la présence, en un même point d’une capitale, de l’Automobile-Club, de l’Ambassade des États-Unis, de la Chambre des Députés, de bars célèbres, de la National Surety Corporation, des « Ambassadeurs », du ministère de la Marine, de l’ancien mur du rempart des Tuileries, de couturiers, modistes, selliers, de Maxim’s, du vin de Porto et d’une nuée de coiffeurs élégants, ne pouvait être due à l’effet du hasard… C’était trop saisissant. Il y avait là, il l’affirmait, un centre d’attraction d’une singulière éloquence.

Son rêve était de s’installer au Crillon, de prendre d’assez mystérieux repas dans la Salle de Marbre, et d’entrer peu à peu dans l’intimité de la clientèle de cet établissement, qu’il considérait comme un des rouages du mécanisme de l’Europe civilisée. Plusieurs soirs de suite, je le surpris méditant devant les soubassements percés d’arcades de l’hôtel, examinant de son œil inquiet et jaunâtre l’entablement des colonnades que surmontent des terrasses à l’italienne. Mais il ne se résignait pas à entrer : M. Godon, le très sympathique directeur du Crillon, qui l’eût d’ailleurs reçu en gentilhomme, ne l’a pas encore aperçu…

Une tête à faire des trous dans les portes

Surpris par la timidité dans l’action de celui qui se montrait si lyrique dans ses propos, je l’entraînai un soir dans un tabac voisin, et je constatai, au moment de l’interroger, qu’il avait une tête à faire des trous dans les portes, une prunelle habituée à se coller aux serrures, et un pantalon luisant et fripé qui prouvait assez que l’homme passait une partie de sa vie à genoux… Il ne tarda pas à avouer qu’il avait derrière lui une longue carrière de « voyeur », et exhiba bientôt un petit attirail d’instruments où dominaît la vrille…

Nous bûmes chacun deux doigts d’Anjou, assez gênés l’un et l’autre, mon interlocuteur s’étant aperçu qu’il n’appartenait pas à mon genre de relations. Il me tendit pourtant une main molle où se devinaient des préoccupations monétaires assurément très graves, autant qu’un tourment d’aventurier raté. Puis, je le vis s’éloigner dans la rue Boissy-d’Anglas d’un pas de noctambule aigri. À quelque temps de là, je devais apprendre qu’il s’était tué en Pologne dans un petit bouiboui tenu par un marchand de soupe.

Il y a en effet, dans tous les grands hôtels, des clients, et non des moindres, qui font des trous dans les portes. L’expérience prouve que cette clientèle est composée en grande partie de maniaques, quelquefois de faux médecins, experts dans l’art de tirebouchonner les lambris, cloisons, etc., et qui jugent, au spectacle, s’ils ont des chances de se faire inviter. À quoi ils parviennent souvent. Il s’agit, pour le directeur de l’hôtel, de gêner les « voyageurs », sans toutefois les prendre sur le fait. Tâche délicate, et qui doit amplement renseigner l’hôtelier sur la mauvaise qualité de l’article appelé l’Homme… Il s’en console pourtant en songeant que le charme et le danger de son métier consistent justement à recevoir des rois authentiques et des régicides éventuels, des civilisés et des barbares…

Mais la crise et le gel des monnaies, qui interdit à toutes sortes d’Allemands, d’Argentins, de Siciliens et de Brésiliens de se déplacer facilement, ont en quelque sorte « sélectionné » les hôtels. S’il y a moins d’étalage et moins de luxe un peu partout, il y a aussi moins d’aventuriers et moins de voyageurs douteux. « Nous sommes entre nous », me disait un garçon d’étage fort stylé, bachelier à l’en croire. Un garçon qui s’était rendu indispensable parce qu’il était au courant du maniement complet de la carte de visite en France, et, sur ce point comme sur d’autres, il était très supérieur aux jeunes gens que l’École Hôtelière jette sur le marché par promotions, comme Polytechnique ou Normale.

Pour devenir roi des palaces

Mais il en est de l’hôtel comme de la politique et de l’art : Ce ne sont pas les mieux diplômés qui arrivent aux sommets. C’est une chose, que d’apprendre tous les services d’une maison : éplucher les pommes de terre, répondre en anglais, découper un canard, réparer un appareil pneumatique de transmission, faire le rapport journalier, retenir un client, etc. C’en est une autre de plaire, d’établir le crédit d’une maison. Plus d’un élève de l’école hôtelière a fini secrétaire de quelque bookmaker sur un champ de courses de provinces. Plus d’un marchand de bouillon s’est révélé à temps commerçant, industriel et diplomate, pour devenir roi des palaces.

Sur ce point, le Crillon est favorisé : il a à sa tête, en la personne de M. Godon, un des plus jeunes directeurs de France, un chef digne de son cadre, quelque chose comme un maître du protocole privé, qui fait autant, sinon plus, pour le renom de notre pays et l’agrément des hôtes précieux, utiles, décoratifs ou simplement dépensiers que nous recevons, autant et plus que le protocole officiel. On sait comment, il y a quelques années, la France s’enthousiasma pour l’Italie. Tout ce qui était italien provoqua du jour au lendemain l’admiration : spaghettis, tranches et romances napolitaines, peintures et cartes postales, fascisme, solfatares, saucisson de Milan, etc… Or, le Français eut beau se mettre l’esprit à la torture, il n’arriva pas à amuser, à charmer l’Italien…

Assommés de discours, de réceptions, de représentations, savez-vous à qui les Italiens demandèrent conseil pour passer agréablement leur séjour chez nous ? Aux hôteliers. Et ils s’en trouvèrent bien. Quel est donc cet humoriste qui disait : « La France est un grand hôtel… » ?

Oui, mais nous n’avons pas toujours de Directeurs…


AUX CHAMPS-ÉLYSÉES

Deux hôtels tiennent la tête du peloton qui monte à l’assaut de l’Arc de Triomphe : l’Astoria et le Majestic. Astoria est et restera célèbre pour avoir hébergé, tout de suite après la guerre, cette fameuse Commission des Réparations qui devait finalement être endormie treize ans après l’armistice par le président Hoover. Astoria est spécialisé dans le maharadjah : ceux d’Indore, de Kashmir, et celui de Patiala, un des hommes les plus riches du monde, y sont en ce moment. Quand un maharadjah descend dans un hôtel, il y occupe généralement tout un étage, de façon à pouvoir y donner des fêtes sans être gêné. L’établissement qui traite un tel client peut compter sur une recette de 50 à 60 000 francs par jour, ce qui permet au sommelier de faire des bénéfices considérables durant ce merveilleux séjour, et de rêver aux éléphants blancs par-dessus le marché.

Le maharadjah n’est pourtant pas seul à réquisitionner tout le personnel d’une maison. Pour sa part, l’ex-roi d’Espagne ne se privait pas de faire le grand seigneur partout où il passait la nuit, et il constatait que l’on se baissait jusqu’à terre en sa présence. Seul, un directeur d’hôtel républicain lui dit un jour, après sa destitution :

— Au revoir, Monsieur le Roi |

— Eh bien ! au revoir, Monsieur, répondit Alphonse XIII, avec beaucoup de complaisance.

Cette bonne grâce, on l’aurait vainement attendue d’un autre client qui devait, paraît-il, venir s’installer à l’Astoria en vainqueur, en août 1914, et qui n’était autre que le Kaiser. Or, le Kaiser ne vint pas, et ne viendra plus, selon toute vraisemblance.

Fermé au début de la guerre, Astoria ne tarda pas à ouvrir toutes grandes ses portes aux blessés. À cette époque, l’hôtel était encore surmonté de tourelles, aussi célèbres à Paris que le zouave du pont de l’Alma ou la Bourse aux timbres des Champs-Élysées. Ces tourelles furent malheureusement rasées peu après la signature du traité de paix. Pareil à un oiseau blessé, Astoria ferma ses portes pour la deuxième fois et ne les rouvrit qu’en 1927, aux milliardaires américains, à la vieille noblesse du boulevard Saint-Germain, aux commerçants d’Égypte et aux princes hindous. La fumée des cigarettes orientales et le scintillement des pierreries feraient reconnaître l’Astoria au profane qui ne saurait rien de la maison que par ouï-dire.

La jolie Chinoise et l’ancien ministre

Maison respectable, qui bénéficie encore du haut patronage de l’Arc de Triomphe. Les hurluberlus ne s’y risquent pas. Quelque chose leur dit, au dernier moment, d’aller se livrer ailleurs à leurs fantaisies. Ce n’est certes pas à l’Astoria que serait descendue cette jolie Chinoise qui est actuellement à Paris et ne peut se retenir ni de gifler au moins trois fois par semaine quelque garçon d’étage, ni de jeter brusquement et sans raison apparente son mobilier par la fenêtre. Qui sait si, dans le quartier de l’Étoile, de pareilles excentricités ne donneraient pas lieu à de très désagréables incidents diplomatiques ? Un meuble de fabrication germanique lancé par des mains orientales sur la tête d’un ancien combattant qui viendrait de ranimer la flamme… On ne sait pas où cela finit.

L’hôtel est déjà suffisamment chargé de drames d’amour, de fiançailles rompues et de Congrès inutiles pour s’occuper de conflits. Tout l’art des directeurs est d’évoluer dans la souplesse, mais d’être fermes aussi quand il le faut. Je n’en veux pour preuve que la mésaventure qui vient d’arriver à un de nos anciens ministres des finances. Comme il y en a eu beaucoup, on ne le reconnaîtra pas. Celui-ci se trouvait donc dans un de nos plus célèbres hôtels et déjeunait avec une dame, ma foi, plus que très désirable, si désirable qu’il ne songea pas plus longtemps à dissimuler ses sentiments et appela le garçon, puis le gérant, puis le directeur, pour leur demander une chambre. Une chambre pour la journée, tout comme rue de Bucarest ! Ne pouvant obtenir satisfaction, il finit par se nommer avec quelque suffisance.

— Dois-je vous dire, Monsieur, lui répondit le directeur, parfait gentleman, que pas un de nous ne s’est trompé un seul instant sur votre personnalité. Mais tout ce que nous pouvons pour elle est de lui faire donner des adresses, que nous ne saurions, d’ailleurs, garantir…

Cette histoire donne beaucoup de prix à ces conseils que donnait un jour un chef de réception à une vieille dame affectée d’un ravissant « gigolo », et qui désirait connaître les « limites » de sa liberté :

— Avant de faire quoi que ce soit, Madame, pensez à vos voisins, aux autres personnes qui vivent dans cet hôtel. Ne vous occupez pas de nous, directeurs, employés, etc., etc. Ni de vou-smême. Pensez aux autres…

À côté des impertinents, des égoïstes ou des tyrans, il y a les gourdes, qui ne savent pas se servir des robinets, qui n’osent ni redemander un peu de poulet, ni écrire sur le papier à lettres de la maison, ni se lever plus tard que midi de peur de déplaire à la femme de chambre. Clientèle généralement aimée du personnel, à tout le moins préférée à l’autre, celle des filous, qui ne pensent qu’à emporter des verres à dents et à quitter l’hôtel sans donner de pourboires…


ENTRE LA MADELEINE ET L’OPÉRA

Je lis sur un petit prospectus orné d’une image, comme on n’en trouve plus que dans les livres jaunis par le temps, ce texte qui me fait rêver : « Grand Hôtel, Paris, 12, boulevard des Capucines. Déjeuners servis à des tables particulières ; vin, café et liqueurs compris, 4 francs. Table d’hôte la mieux servie de Paris, vin compris, 6 francs. 700 chambres, depuis 4 francs par jour ; logement, éclairage, chauffage, nourriture et vin compris. Trois ascenseurs desservent les étages depuis six heures du matin jusqu’à une heure après minuit ». C’était évidemment le bon temps.

L’édification du Grand Hôtel, ancêtre des palaces contemporains, fut pour les Parisiens du xixe siècle un événement comparable à ce que peuvent être pour nous un voyage dans la stratosphère, le lancement du Normandie ou le mystère de la télévision. Le « style publicité » n’ayant pas encore été inventé, les journalistes présentèrent l’établissement en termes très nobles à leurs lecteurs. Les chambres du Grand Hôtel, disait-on, offrent au voyageur un confort qui dépasse l’entendement des hommes. Nous trouvons là des bains, des tuyaux acoustiques, une grande variété de sonnettes, des monte-charge où s’élèvent les plats des cuisines vers les jolies dineuses, un télégraphe « proprement électrique » et, suprême raffinement du génie français, un photographe de nuit (sorte de rat d’hôtel), muni de plaques toujours prêtes et qui apparaît au premier appel.

Le Grand Hôtel fit sensation. Les représentants les plus avertis du dandysme du Second Empire zozotaient dans les salons : « Avez-vous visité la cour du Grand Hôtel de la Paix (ce fut son premier nom), avez-vous eu l’occasion de souper dans la salle à manger en rotonde ? » Ainsi parle-t-on aujourd’hui d’une croisière en zeppelin ou d’un mariage en costume de scaphandrier. Chaque époque a ses ahurissements. De plus, le Grand Hôtel bénéficiait de l’atmosphère du boulevard, laquelle n’a de prix et de parfum que pour ceux qui l’ont connue. Quartier béni des dieux de l’Île-de-France et qui a toujours attiré le meilleur des Parisiens. La solitude n’y existe pas, ni l’ennui. Transformé comme il l’est aujourd’hui, il demeure le Boulevard, et sera sûr de lui jusqu’à la fin du monde.

Dans l’enchantement des boulevards

Le Grand Hôtel n’est plus ce qu’il était autrefois. Digne et somptueux à la façon d’un musée, il n’attire plus que les fils ou les cousins de ceux qui s’y trouvaient jadis aussi bien qu’à la Cour, et de tant d’autres qui, pendant toute l’enfance de la République, y contemplèrent l’académie de l’élégance et de la modernité. Aujourd’hui encore, de très lointains étrangers y affluent, touchés par le bruissement de Paris comme le sont les astronomes par les lumières des étoiles mortes… Je lis souvent que l’on cherche des endroits pour reconstituer certaines fêtes. Pourquoi ne pas essayer le cadre de ce Grand Hôtel, aussi riche d’histoire contemporaine que n’importe quel ministère ?

Un autre hôtel allait bientôt s’élever dans l’ombre de l’ancêtre, et jouir à sa manière de l’enchantement du Boulevard qui évoque la haute noce de la fin du xixe siècle, les dîners du Café Anglais, les diamants de Cora Pearl, Rose Pompon, Blanche d’Antigny, Hortense Schneider et son Khédive, Rochefort, Arthur Meyer, Zambelli, et cet étonnant Nadar, photographe et savant, le Michel Ardan de Jules Verne, qu’il faut tenir pour l’inventeur de la Publicité. Un autre hôtel allait peu à peu absorber l’élite des voyageurs distingués pour lesquels Paris équivaut à quelque diplôme académique : l’hôtel Scribe, aujourd’hui propriété de la Canadian National Railway, n’occupait, avant 1900, que le deuxième étage de l’immeuble dont il s’est peu à peu emparé. À quelque temps de là, il devait avoir, au premier, le voisin le plus important que l’on pût souhaiter. Voisinage nombreux, unique au monde, et dont les arrêts ont force de loi, du moins dans l’univers de ceux qui vivent pour le monde, le sport, le costume et le jeu : le Jockey Club. En août 1926, peu après la défaite du fameux Biribi au Grand Prix de Paris, et trois ans après le départ du Jockey Club, qui laissait dans tout le carrefour un sillage d’élégance, de distinction aimable et de facilités, le Scribe, tout en conservant une façade classée parmi les architectures, naissait enfin, avec ses deux entrées si utiles, au coin de la rue qui porte son nom, ou plutôt d’où il tire le sien, et du Boulevard.

Les acheteurs de modèles

Alors que, dans certains hôtels, les hommes politiques vivent et ne mangent pas, au Scribe les hommes politiques mangent, mais ils n’y vivent pas. Sans doute semble-t-il délicat de faire sur ce plan concurrence à M. Herriot, qui avait choisi de descendre quelques pas plus loin quand il venait à Paris. Entouré de banques, de bureaux, de compagnies de navigation, de magasins parfaitement parisiens, le Scribe est avant tout l’hôtel d’un certain nombre d’hommes d’affaires pour qui l’économie du taxi, le sauvetage d’une épingle, l’arrivée à pied bien visible au rendez-vous décisif, sont des moyens d’arriver vite et haut, à l’américaine, et fournit l’occasion de sourire à ce que les provinciaux appelleront toujours le trottin. Jacques Richepin et Cora Laparcerie, Jean Périer et Yves Mirande ont fait du Scribe leur demeure, mais le fond de la clientèle remuante, qui ne regarde pas à la dépense et qui sait mettre à profit toutes les possibilités de l’hôtel, est constitué par l’acheteur de robes.

Dans la vie contemporaine, où la vedette appartient aux hommes de sport, aux dictateurs, aux danseurs photogéniques, les acheteurs de modèles parisiens, encore qu’ils préfèrent l’incognito, occupent une place à la fois importante et discrète et sont généralement inamovibles. Trois fois par an, à l’époque des achats, ou des saisons, ils arrivent de New-York, de Rio ou de Rome, assistent aux défilés de mannequins, et repartent avec la mode en valises au bout de deux semaines. Certains se font même présenter les collections dans leurs appartements et décident sur place, en mâchonnant un cigare, du genre de toilettes qu’ils imposeront aux élégantes de leur pays.

Le directeur du Scribe, M. Albert, un des plus jeunes maîtres de la corporation et qui est déjà vice-président de l’Association des directeurs d’hôtels français, est un de ces hommes capables de tout faire sur-le-champ eux-mêmes, de la mécanique, de la cuisine, de la réparation d’ascenseurs, de la réception improvisée. Fier de son établissement, il l’est aussi de ses deux collaborateurs principaux, qui sont « du début », pour employer un langage approprié : le barman Pierre, devant qui l’on soupe après avoir signé des contrats, et le chef Gourbaut, qui a reçu poignées de mains, félicitations, compliments des plus grands dégustateurs et des premiers gourmets du Vieux Continent.

Les vacances d’un original

Hôtel à la fois classique, gai et spécialisé dans le client qui fait des affaires vraies, le Scribe n’est pas un hôtel d’aventures. Maison sérieuse, d’un « parisianisme qui ne dépasse pas les limites », disait un ambassadeur, il a été choisi comme pied-à-terre par von Wiegand, le représentant chez nous de la presse Hearst, ce qui n’est pas peu dire, et par lady Drummond-Hay, la première femme qui se soit risquée à faire le tour du monde en avion. C’est ici que se réfugie également le cinéma, quand il est sérieux, et même grave : le souper-film de la Robe Rouge, de Brieux, a eu lieu au Scribe, ainsi que le déjeuner qui fut présidé par sir Robert Cahile, conseiller à l’ambassade d’Angleterre, en l’honneur du Jubilé. Derniers prolongements du côté respectueux et traditionnel de l’esprit du Boulevard, qui estimait les valeurs.

Chaque hôtel parisien a des signes particuliers qui précisent et achèvent son signalement. Dans un autre arrondissement, un hôtel était célèbre par ses suicides : il y en eut trois en quinze jours, un premier dans une baignoire, un autre par le poison, un troisième par le revolver, et si rapprochés, si imprévus que le chef de réception n’osait plus monter dans une chambre où le téléphone ne répondait pas…

Tel autre est sournoisement guetté par le fisc, l’escroc, l’Intelligence Service et le tapeur professionnel, parce que son chasseur se fait cinq cent mille francs de revenus par an. Rien de pareil au Scribe, qui a la coquetterie de ne se distinguer que par son bar, un des plus commodes de Paris, et par ses bains mousseux gazo-iodés, dont les résultats ont été reconnus par l’Université de Berlin supérieurs à ceux des sources minérales naturelles du monde entier, jaillissantes, chaudes ou froides…

Pour toutes ces raisons, un de mes amis, qui est à la fois partisan de la vie d’hôtel, obèse, rhumatisant, homme d’affaires, buveur, bourgeois, Parisien de boulevard, sensible aux souvenirs et affamé de progrès, a choisi une fois pour toutes le Scribe pour y passer ses vacances. Un jour qu’il rêvait tout haut dans la rue après avoir goûté à une collection de cocktails, il parla d’emporter avec lui, en voyage et dans un fourgon, tous les avantages de la maison. Impassible, le veilleur de nuit fit celui qui ne désapprouvait pas, mais qui n’encourageait rien, et remit très solennellement sa clef au fantaisiste. Comme aurait pu dire La Rochefoucauld : « Le véritable employé d’hôtel est celui qui ne se pique de rien. »


BOULEVARD SAINT-GERMAIN

J’habite moi aussi l’hôtel, tout comme un maharadjah, un soyeux lyonnais ou un diplomate, et mon hôtel s’appelle Palace : Il fait le coin du Boulevard Saint-Germain et de la rue du Four, un des endroits de Paris les plus chargés de sens et de culture. J’ai pour voisins immédiats l’Encyclopédie française de Monzie, de Febvre et d’Abraham, et quelques tramways qui font du footing tous les jours en agitant leur sonnette. Devant la porte, la station du métro Mabillon me fait constamment la blague d’être un jardin. Je sors, et, tout de suite, les cafés succèdent aux librairies et les librairies aux cafés. À gauche, Saint-Germain-des-Prés dresse sa tour de froc et d’épée, son armure grise et sentimentale, si parfaitement reposante, dans un ciel clair. Vers la droite, le boulevard file vers les Universités. C’est un des plus beaux décors que j’aie connus dans mes voyages.

Fondé en 1926, le Palace-Hôtel est ouvert à une clientèle qui choisit le quartier Saint-Germain-des-Prés pour des raisons précises, et ne saurait descendre ailleurs : Bourgeois cossus dont la vie est à cheval sur le sixième arrondissement et quelque ville de province ou de l’étranger, intellectuels avides de ce calme très particulier qui naît du voisinage des maisons d’édition, des Facultés et des cafés littéraires, médecins du Berry, de Bourgogne ou de Hollande appelés à Paris par un congrès, ou par un grand malade universitaire qui n’entend pas changer ses habitudes, étudiants de tous les points du globe attachés à leurs cours, officiers en permission, femmes d’une élégance érudite. Des écrivains aussi ont une prédilection quasi instinctive pour ce quartier, où le métier d’écrire bénéficie d’une infinité de commodités invisibles.

J’ai rencontré là Brecht, l’auteur de l’Opéra de Quat’sous, le poète Mélot du Dy, Waldo Frank et bien d’autres. Lors du récent Congrès pour la défense de la Culture, c’est par groupes compacts ou par pays que les conférenciers, rapporteurs et militants, rentraient au Palace après les séances de la Mutualité : Tolstoï, Boris Pasternak, auteur de vers d’amour comme il ne s’en fait plus guère, Luppol, Ivanov, Tikhonov, Mme Karavaev, Gold, Carrangue de Rios, qu’accompagnaient dans la nuit, en refaisant le monde, Gide, Malraux, Aragon, Chamson, Bloch…

Le Français, bon client

Entre un grand établissement de la rue de Rivoli ou des Champs-Élysées et un hôtel comme le mien, il n’y a aucune différence de nature : Le même principe de cérémonial préside aux allées et venues, repas, habitudes des clients. Il se peut même que j’aperçoive mieux chez moi toutes les facettes et les nuances, toutes les combinaisons et les chimies de la vie d’hôtel : C’est comme si je la regardais dans un microscope.

C’est également au Palace que je me suis peu à peu initié au vocabulaire particulier de cette branche de l’Industrie, et que j’ai pu enfin faire une différence entre le client français et le client étranger. Contrairement à ce que l’on pense, le client français est de loin préférable au client étranger, bien qu’il voyage peu et soit moins adapté à la vie d’hôtel que les Anglais, par exemple, pour qui l’hôtel est une deuxième famille. Une des causes de la crise hôtelière provient de l’erreur dans laquelle on maintient toute une classe de voyageurs étrangers, en leur racontant que les prix pratiqués en France sont ridiculement bas. Ils prennent un paquebot ou un rapide, descendent quelque part, examinent l’addition, s’étonnent d’avoir été trompés, et repartent mécontents. Pourquoi notre propagande, si elle existe, est-elle mensongère[2] ?

Le Palace n’a pas toujours été un hôtel. L’immeuble, construit naguère par des Américains, avait été racheté par le cardinal Ferrari, qui devait en faire une pension d’étudiants catholiques. Trois chambres du premier étage avaient déjà été transformées en chapelle. Mais l’institution manqua le départ avant de fonctionner. Aujourd’hui, la maison semble avoir été conçue pour le travail intellectuel. Est-ce la présence proche de la Maison du Livre ? On m’apprendrait un soir que toutes les chambres du Palace viennent d’être retenues par un détachement de bibliophiles que je n’en serais pas autrement étonné. Quand j’aperçois, la nuit, une fenêtre éclairée très haut quelque part, dans un des nombreux hôtels qui assaisonnent le quartier, j’imagine des étudiants paresseux, des bohèmes attardés sur Paris-Sport ou la Revue de Monte-Carlo. Chez moi, la lueur nocturne, chasuble adorante et immobile, me fait songer à un front studieux, au Philosophe en méditation de Rembrandt, à des hommes qui pensent, écrivent ou lisent sérieusement, et non pas pour se débarrasser de quelque concours.

Les discrets privilèges de la vie d’hôtel

L’hôtel où l’on habite et dans lequel on apporte sa vie totale, oubliant instantanément meubles et concierge, devient assez vite le centre non pas seulement de l’arrondissement où il se trouve, mais de toute la ville. Les appartements n’ont pas ce talent : Ils sont toujours, quel que soit leur confort, quelle que soit leur personnalité, d’un quartier déterminé. L’hôtel asservit les alentours et domine : c’est un Kremlin.

Ainsi le mien. J’y apprécie si vivement l’atmosphère d’un poste de commandement que j’irais volontiers jusqu’à prétendre que le téléphone y fonctionne aussi bien que chez les particuliers… Il semble que l’hôtel soit une centrale de vie créée pour vous mettre en contact avec la vie. Qui s’installe à l’hôtel voit immédiatement se retirer, comme une marée, toute la mer de problèmes que pose l’existence bourgeoise dans un appartement.

L’éclairage, la chaleur, le blanchissage, la teinturière, le « pressing », les contributions, les étrennes de la concierge, l’homme du gaz : tous ces fantômes qui errent autour de votre silhouette de locataire disparaissent. L’électricité n’est plus une partie du confort que l’on soit obligé de s’assurer moyennant signatures d’abonnement et paiements de quittances ; l’électricité y est donnée subitement, comme la pluie ou la chute des feuilles. C’est un bienfait des dieux. Cette supériorité que nous avons ainsi sur les autres mortels nous lie, nous autres citoyens de la république des hôtels, par une sorte de franc-maçonnerie.

Mon amie Mme Langlois, la veuve du savant, que je rencontre dans le hall, disposé en patio, du palace, le comte de Kerveguen, qui habitent la maison depuis des années ; tel étudiant cubain ; un oculiste de province venu dans le sixième arrondissement pour augmenter sa connaissance de l’œil ; le portier, le patron, la cousine du 64, le sommelier ; Lahoutie, de la délégation soviétique, sont pour moi plus que des voisins : des collègues. Ne sommes-nous pas tous affiliés à une société secrète qui s’est donné pour mission de résoudre un certain nombre d’énigmes : le petit déjeuner, le trousseau de clefs, le cirage, le quart Vichy, l’heure…

Étendu sur le lit de ma chambre, assuré de la présence confuse d’une foule d’établissements, le magasin de pipes, les chaussures, la Maison de l’Agriculture, les librairies, les avocats, l’Institut historique des Sciences Techniques ; plus loin, les cafés, qui font de la place Saint-Germain-des-Prés une des antichambres du Parlement, de l’Université, de l’Institut, je puis changer tout cela en appuyant sur le bouton de ma sonnette, et devenir, sans transitions compliquées, voyage, traversée. L’hôtel est un instrument de décision.

La flotte des hôtels parisiens et ses capitaines

Le soir, quand je rentre au Palace, porteur de revues, de journaux, de toute une cueillette d’idées dans le Paris littéraire, je trouve M. X…, le directeur, et sa femme, qui pilotent leur maison dans la nuit. Les glissades de l’ascenseur, le rythme des lumières, qui indiquent la respiration de l’immeuble, la pénétration du téléphone, qui amène goutte à goutte des voix lointaines, me font songer aux quinze cents hôtels ancrés dans Paris. Le Palace, ses directeurs et moi, à cette heure de nuit où il faut veiller, prévoir, compter, faisons tous trois partie de cette flotte. Tandis que nous bavardons à l’avant de notre bateau blanc, qui croise dans les eaux du carrefour Buci, des clients rentrent un à un, saluent, prennent leur clef, esquissent la journée du lendemain, ou donnent quelques indications sur l’emploi de leur soirée : Celui-ci vient de perdre au poker tout ce qu’il possédait : on lui avance quelques billets, car tout bon directeur est un peu banquier. Celui-là, qui ne connaissait pas Chopin, car il est frais émoulu du Turkestan, vient d’ouïr « un pianiste hongrois que Le Figaro vante », comme disait Laurent Tailhade. Cet autre trouve un télégramme dans son casier ; quelques mots qui l’obligeront à faire ses valises et à quitter dès la première heure ce port de Saint-Germain-des-Prés où se mélangent les foules intellectuelles et les foules artisanes, ceux qui vont à l’Université et ceux qui vont au marché, les barques isolées, les pêcheurs en eau trouble, les vieux coucous de la flotte hôtelière où l’on sert les clients « avec une seringue », comme on dit dans le métier ; les sardiniers, les goélettes, les sous-marins…

En rentrant dans ma chambre, j’ai l’impression de me glisser dans une cabine. Je cours au hublot. Palace Hôtel file ses vingt nœuds dans la nuit du sixième. Demain matin, nous retrouverons Paris, sa lumière au doux plumage, ses chagrins couvés, ses quinze cents hôtels…


  1. Ce chapitre a été écrit en 1936…
  2. Ce chapitre a été écrit en 1935…