Le Pirate (Montémont)/Chapitre I

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 16p. 13-21).

CHAPITRE PREMIER.

les îles shetland.


La tempête a cessé son rugissement d’hiver ; les flots de la mer se heurtent sourdement. Mais quelle voix s’écrie sur la côte déserte de Thulé : Ai-je brûlé ma harpe pour toi ?
Macniel.


L’île étroite, longue et irrégulière, nommée vulgairement le continent des Shetland, parce qu’elle est de beaucoup la plus vaste des îles de cet archipel, se termine au sud-est par un roc escarpé d’une hauteur immense, comme le savent trop bien les marins qui ont navigué dans les mers orageuses du Thulé des anciens. Ce rocher, appelé Sumburgh-Head, présente sa tête nue et ses flancs dépouillés aux assauts d’un courant terrible. C’est comme une marée incessante de lames furieuses, qui prenant son point de départ entre les Orcades et les Shetland, se précipite avec une force à peine inférieure à celle du Frith[1] de Pentland. On l’appelle, d’après le nom du cap lui-même, le Roost de Sumburgh ; roost étant le terme dont on se sert dans ces îles pour désigner les courants de cette espèce.

Du côté de la terre, le promontoire, revêtu d’une herbe courte et serrée, descend rapidement jusqu’à un petit isthme sur les flancs duquel la mer a creusé deux golfes qui, gagnant chaque jour du terrain, semblent devoir bientôt se rejoindre et isoler complètement le Sumburgh-Head.

On considérait jadis cet événement comme éloigné et invraisemblable ; car un ancien chef norwégien, ou suivant d’autres traditions, et comme le nom de Jarlshof[2] semblerait l’impliquer, un ancien comte des Orcades, avait choisi cette langue de terre pour y établir son habitation. Elle est totalement abandonnée depuis long-temps, et l’on a peine à en distinguer les vestiges ; car les sables mouvants, portés par les vents glacés de ces régions orageuses, ont entouré et presque enseveli les ruines des bâtiments : mais, à la fin du dix-septième siècle, une partie du château du comte était encore entière et habitable. C’était une construction grossière de pierres brutes, où rien ne pouvait plaire à l’œil, ni exciter l’imagination : un vaste édifice à l’ancienne mode, couvert par un toit escarpé, formé de pierres grisâtres, donnerait peut-être une assez juste idée de ce manoir à un lecteur moderne. Les fenêtres étaient peu nombreuses, fort basses, et distribuées à travers toute la façade, au mépris de toute régularité. Contre le bâtiment principal, s’appuyaient jadis des constructions moins élevées, contenant des offices et les appartements nécessaires au logement de la suite et des domestiques du seigneur. Mais ces dépendances n’étaient plus que des ruines ; les poutres avaient été arrachées pour faire du feu ou à d’autres intentions ; les murs avaient croulé en beaucoup d’endroits : pour compléter la dévastation, le sable s’agglomérait parmi les débris, et ce qui jadis était des chambres en était maintenant rempli à la hauteur de deux ou trois pieds.

Au milieu de cette désolation, les habitants de Jarlshof étaient parvenus, à force de travail et de soins, à tenir en état de culture quelques perches de terre ; on les avait encloses comme un jardin ; et protégées par le château lui-même, elles produisaient tous les végétaux que le climat pouvait nourrir, ou plutôt tout ce que le vent de la mer laissait pousser : car, dans ces îles, on ressent moins la rigueur du froid qu’en Écosse ; mais, sans un abri quelconque, il est à peine possible d’obtenir les légumes les plus ordinaires : quant à des arbrisseaux ou à des arbres, il n’en est nullement question, tant est grande la violence des ouragans.

À une courte distance du château, et près du bord de la mer, à l’endroit où le golfe présente un port parfait, refuge de trois ou quatre bateaux de pêcheurs, on voyait un petit nombre de misérables chaumières habitées par les vassaux de la juridiction de Jarlshof ; ceux-ci occupaient toutes les possessions du seigneur, aux conditions ordinaires à cette époque, c’est-à-dire à des conditions assez dures. Le seigneur lui même résidait dans un autre domaine dont la situation était mieux choisie, et visitait rarement ses possessions de Sumburgh-Head. C’était un honnête et simple gentil, homme shetlandais, un peu colérique, résultat nécessaire d’une vie passée parmi ses inférieurs, et un peu trop ami de la table, conséquence peut-être de ce qu’il avait trop de temps à perdre ; mais franc, généreux et bon pour ses gens, hospitalier et doux pour les étrangers. Il descendait d’une noble et ancienne famille norwégienne, circonstance qui le rendait particulièrement cher aux classes inférieures composées de Norwégiens ; car la plupart des lairds et des propriétaires étaient écossais, ce qui, à cette époque reculée, les faisait considérer comme des intrus. Magnus Troil, qui avait pour aïeul le comte même qu’on supposait avoir fondé Jarlshof, était surtout de cette opinion.

Les personnes qui demeuraient alors à Jarlshof avaient éprouvé, en plusieurs occasions, la bonté et la bienveillance du propriétaire de ce domaine. Lorsque M. Mertoun (tel était le nom de celui qui habitait alors l’antique maison) aborda aux îles Shetland, il reçut de M. Troil cette chaude et cordiale hospitalité qui distingue les habitants de ces îles. Personne ne lui demanda d’où il venait, où il allait, quel était son but en visitant un coin si reculé du royaume, ou quel devait être à peu près le terme de son séjour. À son débarquement, il fut accablé aussitôt d’une foule d’invitations ; dans chaque maison qu’il visitait, il trouvait une demeure où il restait suivant son bon plaisir, où il vivait comme un membre de la famille, sans attirer l’attention des autres, sans leur donner la sienne, jusqu’à ce qu’il jugeât convenable d’aller prendre domicile ailleurs. Cette apparente indifférence pour le rang, le caractère et les qualités de leur hôte, ne venait point de l’apathie de ces bonnes gens ; les insulaires avaient leur bonne part de la curiosité ordinaire ; mais leur délicatesse aurait cru enfreindre les lois de l’hospitalité en faisant des questions auxquelles leur hôte aurait eu peine ou déplaisir à répondre. Au lieu de chercher, comme c’est l’usage en d’autres pays, à tirer de M. Mertoun des communications qui pouvaient lui coûter, les discrets Shetlandais se contentaient de saisir au vol le peu de documents qui lui échappaient dans la conversation.

Mais on aurait plutôt tiré de l’eau d’un roc de l’Arabie déserte, qu’arraché à M. Basile Mertoun une confidence, même accidentelle ; et, certes, la politesse des nobles familles de Thulé ne fut jamais mise à une plus rude épreuve.

Ce que l’on connaissait de lui était facile à résumer. M. Mertoun était arrivé à Lerwick, ville qui prenait déjà quelque importance, mais qui n’était pas encore reconnue pour capitale de l’île, sur un vaisseau hollandais, accompagné seulement de son fils, beau garçon d’environ quatorze ans ; lui-même pouvait avoir passé la quarantaine. Le capitaine hollandais l’introduisit chez quelques uns de ses bons amis avec lesquels il échangeait ordinairement du genièvre et du pain d’épice contre de petits taureaux shetlandais, des oies enfumées et des bas de laine d’agneau. Or, quoique Meinheer pût seulement dire que « Meinheer Mertoun avait bayé son bassage comme chentilhomme, et avait tonné de blus un tollar à son équipage, » cette introduction suffit pour entourer l’étranger d’un cercle respectable de connaissances, qui s’élargit graduellement à mesure qu’on reconnut qu’il possédait un immense savoir.

Cette découverte fut faite comme par force ; car Mertoun se souciait aussi peu de parler sur des sujets généraux que sur ses propres affaires ; mais il se laissait parfois aller à des discussions qui montraient, pour ainsi dire en dépit de lui-même, le savant et l’homme du monde. D’autres fois, en retour de l’hospitalité qu’il recevait, il s’efforçait, contre sa nature, de prendre part à la conversation de la société qui l’entourait, surtout quand cette conversation était grave, mélancolique, ou satirique, ce qui convenait encore mieux à la tournure de son esprit. En pareille occasion, les Shetlandais s’accordaient tous à penser qu’il devait avoir reçu une excellente éducation, négligée seulement en un point remarquable ; savoir, que M. Mertoun distinguait à peine la poupe de la proue d’un vaisseau ; et pour conduire une barque, une vache ne pouvait être plus ignorante. Il paraissait étonnant qu’une ignorance si grossière d’un des arts les plus utiles, dans les îles Shetland du moins, pût se rencontrer au milieu de connaissances si vastes sous d’autres rapports ; mais il en était ainsi.

À moins qu’on ne le fît sortir de son caractère par les moyens que nous avons mentionnés, Basile Mertoun était taciturne et sombre. Une gaîté vive le mettait aussitôt en fuite ; et même la joie modérée d’un cercle d’amis avait l’invariable effet de le jeter dans un abattement plus profond que celui qu’il laissait ordinairement paraître.

Les femmes désirent toujours très vivement pénétrer les mystères et alléger les chagrins, surtout quand ces circonstances sont réunies dans un homme bien fait et jeune encore. Il est donc possible que, parmi les jeunes filles aux cheveux blonds et aux yeux bleus dont s’enorgueillissait Thulé, cet étranger mystérieux et pensif eût trouvé quelque consolatrice, s’il se fût montré le moins du monde disposé à recevoir des consolations ; mais loin de là, il semblait même éviter la présence du sexe auquel nous demandons soulagement et pitié dans nos détresses de corps ou d’esprit.

À ces singularités, M. Mertoun en ajoutait une autre qui était particulièrement désagréable à son hôte et principal ami, Magnus Troil. Ce magnat shetlandais, qui, comme nous l’avons déjà dit descendait, du côté de son père, d’une ancienne famille norwégienne par le mariage d’un de ses aïeux avec une noble danoise, croyait dévotement qu’un verre de genièvre ou d’eau-de-vie[3] était un spécifique contre toutes les peines de ce monde. C’étaient des remèdes auxquels M. Mertoun ne recourait jamais ; il buvait de l’eau et de l’eau pure, et ni conseils ni prières ne pouvaient le décider à goûter un breuvage que n’avait point fourni la source prochaine. Or, Magnus Troil ne pouvait tolérer cela ; c’était un outrage aux anciennes lois du Nord sur la convivialité, lois que pour sa part il avait si rigidement observées, que, quoiqu’il eût coutume de jurer que jamais de sa vie il n’avait été se coucher ivre, du moins dans le sens qu’il donnait à ce mot, il eût été impossible de prouver qu’il fût jamais allé s’étendre entre deux draps dans un état de sobriété réelle et complète. On peut demander comment cet étranger compensait en société le déplaisir qu’il causait par son austère habitude de tempérance. Il avait en premier lieu les manières et le maintien d’un homme de quelque importance ; et, si l’on conjecturait qu’il n’était point riche, sa dépense montrait évidemment qu’il n’était pas sans ressources. Il avait, en outre, une conversation agréable, lorsque, comme nous l’avons déjà indiqué, il voulait bien déployer ses avantages ; et sa misanthropie ou aversion pour les affaires et les liaisons de la vie habituelle s’exprimait souvent d’une manière vive et figurée qui passait pour de l’esprit, faute de mieux. Enfin, le secret de M. Mertoun semblait impénétrable, et sa présence avait tout l’intérêt d’une énigme qu’on lit et relit sans cesse parce qu’on n’en peut deviner le sens.

Malgré ces recommandations, M. Mertoun différait de son hôte en des points si importants, qu’après l’avoir long-temps logé dans son château, Magnus Troil fut agréablement surpris quand un soir, après être restés assis deux heures vis-à-vis l’un de l’autre dans un silence absolu, buvant de l’eau-de-vie et de l’eau… c’est-à-dire Magnus buvant l’alcool, et Mertoun l’élément… Mertoun demanda au Shetlandais la permission d’occuper, comme son locataire, le château abandonné de Jarlshof, à l’extrémité du territoire appelé Dunrossness, et situé précisément au dessous de Sumburgh-Head. « Je pourrai donc me débarrasser honnêtement de lui, pensa Magnus, et son visage de rabat-joie n’arrêtera plus la bouteille dans sa ronde. Son départ va me ruiner en citrons, pourtant ; car son seul regard eût suffi pour aciduler tout un océan de punch. »

Toutefois le bon Shetlandais représenta avec générosité et désintéressement à M. Mertoun la solitude et les inconvénients dont il allait s’entourer. « C’était à peine, lui dit-il, s’il se trouvait dans la vieille maison les meubles les plus nécessaires… Il n’y avait point de société à plusieurs milles de là… Quant aux provisions de bouche, elles consisteraient principalement en poissons[4] salés, et sa compagnie se composerait de mouettes et de courlis. — Mon bon ami, répliqua Mertoun, la circonstance la plus capable de me faire préférer cette demeure à toute autre, c’est que ni le luxe humain ni la société humaine ne pourront pénétrer dans ma retraite ; un abri contre l’orage pour ma tête et celle de mon fils, c’est tout ce que je demande. Dites-moi donc votre prix, monsieur Troil, et que je sois votre locataire à Jarlshof. — Mon prix ? répliqua le Shetlandais ; ma foi, le loyer n’est pas fort d’une vieille maison où personne n’a habité depuis le temps de ma mère ; Dieu veuille qu’elle repose en paix ! Et quant à un abri, les vieilles murailles sont assez épaisses, et résisteront encore à plus d’un coup. Mais, par la miséricorde divine, monsieur Mertoun, songez à ce que vous voulez faire ; qu’un de nous autres allât vivre à Jarlshof, ce serait déjà une idée assez singulière ; et vous qui êtes d’un autre pays, Anglais, Écossais, ou Irlandais, c’est ce que personne ne peut dire… — Et c’est chose qui importe fort peu, » interrompit Mertoun, assez brusquement.

« Sans doute, et je ne m’en soucie pas plus que d’une écaille de hareng, repartit le laird ; seulement je préfère que vous ne soyez pas Écossais ; car j’espère que vous ne l’êtes pas. Les Écossais sont venus ici comme des bandes d’oies sauvages… Chaque couple a amené une nichée qui porte son nom et construit son nid ; maintenant, que sais-je ? les voilà campés ici… Engagez-les à retourner dans leurs montagnes nues ou dans leurs basses terres, à présent qu’ils ont goûté notre bœuf shetlandais, qu’ils ont apprécié le poisson de nos voes[5]. Non, monsieur (ici Magnus s’anima beaucoup, humant de temps en temps quelques gouttes d’eau-de-vie, ce qui enflammait davantage son ressentiment contre les intrus, et le rendait plus capable d’endurer les réflexions mortifiantes que ces souvenirs lui suggéraient), non, monsieur ; les anciens jours et les mœurs primitives de ces îles ne sont plus, car nos anciens propriétaires, nos Patersons, nos Feas, nos Schlagbrenners, nos Thorbiorns, ont fait place aux Giffords, aux Scotts, aux Mouats, gens dont le nom seul prouve qu’ils sont, eux ou leurs ancêtres, étrangers à la terre que nous, Troils, nous avons habitée long-temps avant les jours de Turf Einar[6] qui, le premier, apprit aux Shetlandais à se chauffer avec de la tourbe, et dont le souvenir a été transmis à la postérité reconnaissante par un nom qui rappelle cette découverte. »

C’était un sujet sur lequel le potentat de Jarlshof était ordinairement très diffus, et Mertoun le lui vit entamer avec plaisir, parce qu’il savait qu’il ne serait point obligé de fournir à la conversation, et qu’il pourrait s’abandonner à son humeur sombre, tandis que le Shetlandais-Norwégien déclamerait contre les changements des temps et des habitants. Mais au moment où Magnus arrivait à la triste conclusion, combien il était probable que dans un siècle à peine un merk… à peine même une ure de terre[7] appartiendrait aux habitans norses, les véritables udallers[8] du Shetland, il se rappela la demande de son hôte, et s’arrêta subitement. « Je ne dis point tout cela, » dit-il en s’interrompant, « comme si je ne voulais pas vous laisser établir sur mon domaine, monsieur Mertoun… Mais à Jarlshof…. c’est un bien mauvais endroit… Quel que soit votre pays, je parie que vous direz, comme d’autres voyageurs, que vous venez d’un climat plus favorable que le nôtre, car vous le dites tous, et pourtant vous songez à un lieu de retraite dont les naturels mêmes n’osent approcher. Ne boirez-vous pas un coup ?… (Ceci devait être considéré comme une interjection.) Allons, à votre santé. — Mon bon monsieur, répondit Mertoun, le climat m’est indifférent ; pourvu que je trouve assez d’air pur pour remplir mes poumons, peu m’importe de le respirer en Arabie ou chez les Lapons. — De l’air, vous en aurez suffisamment, répliqua Magnus ; ce n’est pas ce qui manque… Il est un peu humide, prétendent les étrangers ; mais nous connaissons un remède à ce mal… À votre santé, monsieur Mertonn… Il faut apprendre à boire un coup et à fumer une pipe ; et alors, comme vous dites, vous trouverez l’air du Shetland semblable à celui d’Arabie. Mais avez-vous vu Jarlshof ? »

L’étranger répondit qu’il ne l’avait pas visité.

« Alors, continua Magnus, vous n’avez aucune idée de votre entreprise. Si vous vous représentez une rade aussi commode que celle-ci, avec la maison située au bord d’un lac d’eau salée qui amène les harengs à votre porte, vous êtes dans l’erreur, mon bon ami. À Jarlshof vous ne verrez que les vagues furieuses battant contre les flancs nus d’un rocher, et le roost de Sumburgh qui file quinze nœuds par heure. — Je ne verrai rien au moins du courant des passions humaines. — Vous n’entendrez que le fracas des flots, le roulis des vagues, et le cri des mouettes depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil. — Eh bien ! soit, mon ami, pourvu que je n’entende plus le chuchotement des langues de femmes. — Ah ! dit le Shetlandais, c’est que vous venez d’entendre mes petites Minna et Brenda chanter dans le jardin avec votre Mordaunt. Je vous assure que j’aime mieux entendre leurs petites voix que l’alouette que j’ai une fois entendue à Caithness, ou le rossignol dont j’ai lu tant de merveilles… Que feront les pauvres enfants quand elles n’auront plus leur compagnon de jeu Mordaunt ? — Elles s’arrangeront fort bien elles-mêmes, répondit Mertoun ; jeunes ou vieilles, les femmes trouvent toujours des compagnons de jeux ou des dupes. Mais la question est, monsieur Troil, de savoir si vous voulez me prendre comme locataire, dans cette maison de Jarlshof. — Avec plaisir, puisque votre volonté est d’aller vivre dans un lieu si triste. — Et le prix du loyer ? — Le prix ? Hum ! — ma foi, il vous faut le bout de plaintie cruive[9] ou de terre, qu’on appelait autrefois un jardin, et un droit dans le scathold, et un merk de terre de six pennys pour que les habitants puissent pêcher pour vous… Huit lispunds[10] de beurre et huit schellings sterling par an, n’est-ce pas trop ? »

M. Mertoun agréa des conditions si peu onéreuses, et depuis lors résida principalement dans la maison solitaire que nous avons décrite au commencement de ce chapitre, se résignant non seulement sans plainte, mais encore, à ce qu’il semblait, avec un sombre plaisir, à toutes les privations qu’un lieu si sauvage et si abandonné imposait à l’homme qui l’habitait.



  1. Bras de mer ou embouchure d’un fleuve.
  2. Baie du Comte.
  3. A cap of geneva or Nantz, c’est-à-dire verre de genièvre ou de Nantes, par allusion au port de Nantes, où l’on embarque généralement les eaux-de-vie de France pour l’Angleterre. a. m.
  4. Sillocks, dit le texte ; petits poissons fort abondants aux îles Shetland. a. m.
  5. Lacs d’eau salée. a. m.
  6. Einar de la Tourbe, nom propre. a. m.
  7. Merk et ure, mesures de terre usitées dans les îles Shetland.a. m.
  8. Les udallers sont les propriétaires allodiaux de Shetland, qui tiennent leurs possessions de l’ancienne loi norwégienne, et non d’après les droits féodaux introduits chez eux par les Écossais. w. s.
  9. Morceau de terre où l’on cultive des légumes. La coutume libérale de ce pays donne, à tous ceux qui peuvent profiler de cet avantage, un petit terrain à choisir parmi les marécages. On l’environne d’une muraille, et on le cultive en jardin potager, jusqu’à ce que le sol soit épuisé ; alors on le laisse là et on forme un enclos autour d’un autre. Cette liberté est si loin d’empiéter sur les droits du propriétaire et du tenancier, que le dernier mépris qu’un Shetlandais témoigne pour un avare est de dire : qu’il ne voudrait pas tenir de lui un plaintie cruive.w. s.
  10. Un lispund pèse environ trente livres anglaises, et représente, selon le docteur Edromston, une valeur de dix schellings sterling. w. s.