Le Pont des Soupirs (1868)/Acte IV
ACTE QUATRIÈME.
LE CARNAVAL DE VENISE
Scène PREMIÈRE.
En avant, pierrots et pierrettes !
Battez, tambours, sonnez, trompettes !
Donnez votre joyeux signal.
Vive, vive le carnaval !
Ohé ! les autres, venez donc voir !
Une mascarade !
Pierrot ! Colombine !
Cassandre, Arlequin ! Ils y sont tous !
À nous ! à nous, la mascarade !
Mon Pierrot,
Mon magot,
Avec ou sans ta farine,
Je promets
Que jamais
Tu n’obtiendras Colombine.
C’est Pierrot…
Qui n’aura pas Colombine !
Pauvre sot !
Pauvre sot de Pierrot !
Œil d’azur,
Mais plus dur
Que celui d’une tigresse !
Marcher sur
Ton Arthur…
Ce n’est pas bien, ma princesse.
Tiens, Pierrot…
Dit son fait à sa maîtresse.
Ah ! Pierrot…
Pierrot n’est pas si sot !
Que ce cœur
Trop rêveur
S’éveille, mon Isabelle !
Du montant !
Du mordant !
Et vive la bagatelle !
Polisson !
Ah ! crois-moi, mon Isabelle…
Polisson !
Mon conseil est fort bon.
Ne dis rien,
Tu sais bien
Que je t’aime, ô mon Léandre !
Mais ma voix
Sur les toits
Crierait mal un mot si tendre.
Très-bien dit !
Léandre a de l’esprit.
Arlequin,
Mon voisin,
Veux-tu me prêter ta trique,
Je voudrais
De tout près
T’en apprendre la pratique.
Tiens ! tiens ! tiens !
Dieux ! que tu m’es sympathique !
Tiens ! tiens ! tiens !
Je veux te casser les reins !
À tes vœux,
Ô mon vieux,
Je suis prêt à condescendre…
Ce bâton
Est fort bon ;
Si tu le veux, viens le prendre.
Vas-y donc !
Viens-y donc, mon bon Cassandre !
Vas-y donc !
Le voici… prends-le donc !
Vas-y donc !
En avant, pierrots et pierrettes !
Battez, tambours, sonnez, trompettes !
Donnez votre joyeux signal !
Vive, vive le carnaval !
Scène II.
[4] Amoroso.
Ne trouvez-vous pas, camarades, Catarina.
Je viens vous offrir un refrain, Chœur.
Nous écoutons votre refrain. Catarina.
I
Sur les quais et dans les gondoles, Chœur.
En avant, la danse tourbillonne, Catarina.
II
Une ville entière en délire, En avant ! tout un peuple est en fête, Chœur.
En avant ! la danse tourbillonne, |
Scène III.
À la faveur de cette romance, nous avons pu, sans être reconnus, nous glisser au milieu de la foule.
Et Baptiste ?… où est Baptiste ?…
C’est lui, je crois, que j’aperçois parmi les masques.
Baptiste, Baptiste !…
Ah ! c’est vous, seigneur… et vous, madame.
Oui… Qu’y a-t-il de nouveau ?
Il y a que ce petit commencement de carnaval me rend tout guilleret.
Ce n’est pas de cela qu’il s’agit… Le doge… qu’est devenu Cornarino, depuis qu’on l’a dépendu ?
Le chef des Dix a fait mander les deux doges… et depuis, aucunes nouvelles.
Aucunes nouvelles ?… Pauvre Cornarino.
Ah ! Catarina, que deviendrions-nous, si nous le perdions ?
Ah ! jamais, Amoroso, je ne retrouverais un mari si commode que ça !
Si, par malheur, madame perdait monsieur, madame sait qu’elle peut compter sur moi.
Quels sont ces cris ?
Le conseil !… c’est le conseil !
Le conseil !
C’est le conseil des Dix, madame, le conseil dans son grand costume officiel !
Nous allons savoir quelque chose.
Elle gagne la droite avec Amoroso et Baptiste. — Le chef des Dix et huit conseillers entrent gaiement par la gauche sur la reprise du chœur précédent et viennent se ranger en ligne devant le public.
En avant, la danse tourbillonne,
Et le plaisir donne
Son gai signal !
Etc., etc.
Scène IV.
Les affaires sont les affaires… (Très-gaiement.) et les plaisirs sont les plaisirs.
Couic !…
Audite, cives… La situation est grave… mes paroles le seront aussi… mes enfants… La mesure est comble… Audite, rursum audite.
Par un mal entendu bizarre et peu commun,
Nous vous avons nommé deux doges au lieu d’un ;
Pour mettre un terme à leur discorde,
Le Conseil des Dix leur accorde
Le droit, selon l’antique loi,
De se mesurer en tournoi.
Donc, nous, hauts conseillers, pères de la patrie,
Paf ! nous leur décernons le jugement de Dieu !
Mais le jour d’aujourd’hui se doit à la folie…
Faudrait tâcher de rire un peu.
C’est pourquoi, proscrivant toute lutte banale,
Hache, poignard, lance, espadon,
Nous avons eu, messieurs, l’idée originale
De leur faire… J’allais vous le dire. — Eh bien, non,
Je veux vous laisser la surprise.
Il vous suffira que je dise
Que ce combat, d’un genre inédit dans Venise,
Va donner un attrait nouveau,
À notre gai Carnavallo !
Couic !…
Bravo ! Bravo !
Que va-t-il se passer ?
Vous allez le savoir ! (À la cantonade.) Lâchez les doges !…
Scène V.
Entrent dans un char à gauche Cornarino en costume de doge ; dans un autre char à droite, Malatromba portant le même costume que Cornarino. — Ils font le tour du théâtre en passant sur l’avant-scène et viennent ses placer, Malatromba devant le mât de gauche et Cornarino devant celui de droite.
Cousin traître et parjure, Chœur.
Doge par-ci, doge par-là, Malatromba, du haut de son char.
Crois-tu donner d’avance, Chœur.
Doge par-ci, doge par-là, |
Très-bien, très-bien, de part et d’autre. Courage, enfants… Macte animo, generose puer… Descendez de voiture, messieurs les doges, descendez de voiture. (Cornarino et Malatromba descendent de leurs chars.) Faites rentrer les chars. (On emmène les chars. — À Malatromba et à Cornarino.) Ici tous les deux-là… l’un à droite, — et l’autre à gauche. — Vous êtes doges tous les deux… mais ça ne peut pas durer comme ça… (À la foule.) Regardez bien, Vénitiens, regardez bien… c’est le moment !… (Montrant les deux mâts.) C’est là haut… Au haut de ces deux mâts qu’est la timbale. Cette timbale, c’est le pouvoir. — Celui qui la décrochera le premier sera doge !… À la timbale, messieurs, à la timbale !
Les deux grandes robes des doges tombent. Cornarino et Malatromba paraissent en costumes pailletés d’athlètes. — On leur attache à chacun autour du corps deux petits sacs de cendre.
Bravo ! bravo ! à la timbale à la timbale !
Musique du Défi à l’orchestre. Les deux doges sur le mélodrame prennent du sable par terre, se serrent la main, se saluent à la façon des lutteurs, s’élancent, empoignent chacun leur mât et se mettent à grimper, Malatromba au mât de droite, Cornarino à celui de gauche.
Le sort sera contraire,
Dans ce glorieux combat,
À Malatromba !
Son rival va, j’espère,
Tomber Malatromba !
Doge par-ci, doge par-là ;
Il faut régler ce compte-là.
Le sort sera contraire,
Dans ce tournoi tout nouveau.
À Cornarino !
Son rival va, j’espère,
Tomber Cornarino !
Doge par-ci, doge par-là,
Il faut régler ce compte-là,
Tous les deux sont péniblement arrivés à peu près au milieu des mâts, Malatromba a une longueur d’avance. — Musique à l’orchestre.
Dites donc, l’écuyer, je parie cinq contre un pour Malatromba !
Oh ! je ne parierais pas deux sous pour monsieur !
Courage, Cornarino !
Courage, Malatromba !
Ah ! madame, monsieur faiblit !
Je le reconnais bien là… toujours le même !… (À Cornarino.) Aïe donc !… Aïe donc !
Aïe donc, seigneur !… Aïe donc !…
Mettez de la cendre !… pour monter, il faut des cendres.
Un moment !… Je fais des concessions… transigeons.
Moi !… transiger !… quand j’ai une longueur d’avance !
Une longueur !… vous n’avez pas une longueur !
Comment, je n’ai pas une longueur ?
Et puis, si vous avez une longueur, c’est que je le veux bien… je fais une course d’attente… Je me réserve.
Eh bien, nous allons voir… En avant !…
En avant ! en avant !…
Soit !… En avant !…
Ils veut monter et retombe en bas, pendant que Malatromba, arrivé en haut, décroche la timbale et redescend majestueusement aux acclamations de la foule.
Vainqueur !… il est vainqueur !… vive Malatromba ! vive Malatromba !
Merci, mes bons amis, merci !
Je suis ravi, mon cher Malatromba. Tous mes vœux étaient pour vous. (Lui donnant l’anneau.) Voici l’anneau.
Et ma robe ?…
Ah çà ! et moi ?… et moi ?…
Eh bien, nous ne sommes plus rien, nous ? Restons dans la vie privée, monsieur, cela vaux mieux. (Lui montrant son costume.) Vous avez une carrière maintenant.
Donnez-moi une place au moins.
À quoi êtes-vous bon ?… quelle place ?
La place Saint-Marc… pour faire vos tours.
Non, pas ça… je voudrais être ambassadeur.
Pourquoi ça ?
Parce qu’un ambassadeur a des secrétaires et que, comme premier secrétaire, j’emmènerais le petit, si ça lui va.
Si ça me va !
Et à moi donc !
Ça leur va à tous les trois !
Eh bien, soit ! on va vous faire ambassadeur.
Mais où ça ?
Ah ! où ça, où ça ?… Je devine ce que vous désirez, Catarina… — En Espagne… l’ambassade d’Espagne est justement vacante.
Ah ! que je suis heureuse !
Partons | donc tous les deux | |
Partez | ||
Pour ces vertes Espagnes, | ||
Allons | vivre tous deux | |
Allez | ||
Au fin fond des Espagnes ! | ||
Chœur.
| ||
Allez vivre tous deux | ||
Amoroso, Catarina.
| ||
Boléro, | ||
Chœur.
| ||
Partez donc tous les deux |
- ↑ Pierrot, Colombine.
- ↑ Pierrot, Colombine, Léandre, Isabelle.
- ↑ Pierrot, Colombine, Cassandre, Arlequin, Léandre, Isabelle.
- ↑ Pierrot, Colombine, Arlequin, Amoroso, Catarina, Cassandre, Isabelle, Léandre.
- ↑ Amoroso, Catarina.
- ↑ Catarina, Amoroso, Baptiste.
- ↑ Catarina, Baptiste, Amoroso.
- ↑ Baptiste, Catarina, Amoroso.
- ↑ Magnifico, Chef des Dix, Gibetto, Paillumido, Baptiste, Catarina, Amoroso.
- ↑ Paillumido, Gibetto, Magnifico, Chef des Dix, Baptiste, Catarina, Amoroso.
- ↑ Paillumido, Gibetto, Magnifico, Chef des Dix, Malatromba, Cornarino, Baptiste, Catarina, Amorozo.
- ↑ Conseil, Malatromba, Chef, Cornarino, Catarina, Amoroso, Baptiste.
- ↑ Conseil, Magnifico, Malatromba, Chef, Cornarino, Catarina, Amoroso, Baptiste.
- ↑ Conseil, Magnifico, Malatromba, Chef, Cornarino, Catarina, Amoroso, Baptiste.
- ↑ Conseil, Magnifico, Chef, Cornarino. Catarina, Amoroso, Baptiste.
- ↑ Conseil, Magnifico, Chef, Cornarino, Malatromba, Catarina, Amoroso, Baptiste.