Le Printemps d’un proscrit/Chant II

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Giguet & Michaud (p. 93-115).

 
O spectacles des champs, si chers à ma pensée !
Dans les cœurs vertueux votre image est tracée ;
Mais chez un peuple en proie aux fureurs des méchans,
Tous les cœurs sont fermés à vos tableaux touchans.
Ainsi l’azur des cieux et les fleurs du rivage,
Au cristal d’une eau pure, impriment leur image ;
Mais l’émail du printemps, le tendre azur des cieux,
Ne sont point réfléchis sur les flots orageux.
D’un vain philosophisme invoquant l’imposture,
Hélas ! J’ai cru long-temps connoître la nature :

Le savoir orgueilleux cherche à l’approfondir ;
Mais il suffit d’avoir un cœur pour la sentir.
Le sage dans les champs vit toujours avec elle ;
Et, fidèle à ses lois, à son culte fidèle,
Voit toutes ses beautés, et sent tous ses bienfaits.
La nature modeste et simple en ses attraits,
Ressemble à la bergère, à la vierge craintive
Qui dévoile son cœur et sa grâce naïve
Au berger qui la suit dans les bois, dans les champs,
Qui sut long-temps lui plaire et sut l’aimer long-temps.
Ah ! Dans les champs, au sein de l’amitié chérie,
Si quelque noir chagrin venoit troubler ma vie,
Sans me plaindre du sort, je l’offrirois aux dieux.
Eh ! Quel mortel, hélas ! Ne fut point malheureux ?
Combien de fois d’avril les perfides gelées
Ont plongé dans le deuil ces précoces vallées ?
Combien de fois le choc des élémens rivaux
Troubla du haut des monts ce beau ciel des hameaux ?

La foudre, la tempête et la grêle bruyante
Ont souvent ravagé cette plaine riante.
Sous un ciel enflammé, souvent ces clairs ruisseaux
Suspendirent leurs cours ; les fleurs, les arbrisseaux
Attendoient vainement le tribut de leurs ondes ;
Et le flambeau du jour, sur leurs rives fécondes,
Détruisant ses bienfaits, dévora les moissons,
Et les germes éclos de ses propres rayons.
L’écho qui répétoit les doux chants des bergères
A répété les sons des trompettes guerrières ;
Ces bois ont retenti du signal des combats ;
Le bronze sous ce chaume a vomi le trépas ;
Et des lacs d’alentour, la nymphe épouvantée,
A vu dans ses roseaux son urne ensanglantée.
Ce fort, de nos ayeux asile protecteur,
S’écroula sous les coups d’un farouche vainqueur.
L’hirondelle revint, et sur ce mont stérile
Elle chercha la tour qui lui servoit d’asile ;

Ses hôtes n’étoient plus, et le sensible oiseau
Voltigeoit sous ces ifs autour de leur tombeau.
Ces créneaux menaçans, cette enceinte guerrière,
Des oiseaux de la nuit sont le triste repaire ;
La mousse des déserts couvre leurs vieux débris ;
Et le sage pensif sur la colline assis,
De la guerre et des ans déplore les outrages.
Mais le temps qui par-tout promène ses ravages,
Dans son cours éternel ramenant les saisons,
Fait renaître les fleurs et l’espoir des moissons.
Bientôt la paix sourit autour de la chaumière ;
Et Phébus dans les flots de sa vive lumière,
Sur les monts, dans les champs par lui fertilisés,
Verse l’oubli des maux que la guerre a causés.
En vain

Mars a long-temps fait gronder son tonnerre ;
Deux printemps ont suffi pour consoler la terre.
Ainsi, de l’univers l’ordre toujours constant,
Des débris du chaos sans cesse renaissant,
Montre par-tout des dieux la sagesse suprême ;
C’est un cercle infini qui roule sur lui-même ;
Et de l’éternité rapprochant les instans,
Il entraîne avec lui les êtres et les temps.
La mort sème par-tout les germes de la vie ;
La fleur tombe, et renaît sur la terre embellie ;
Et l’enfant réveillé, dans un monde nouveau
Sur la tombe des morts voit placer son berceau.
Sous ces débris couverts d’une mousse légère,
Sous cet antique ormeau, dont l’abri solitaire
Répand sur l’horison un deuil religieux,
Reposent du hameau les rustiques ayeux.
Bravant les vains mépris de la foule insensée,
Jamais l’ambition ne troubla leur pensée.
Peut-être

en ce cercueil d’humbles fleurs entouré,
Dort un fils d’Apollon, d’Apollon ignoré ;
Un héros dont le bras eût fixé la victoire,
Qui n’a point su combattre, et qui mourut sans gloire ;
Un César, un Scylla, du hameau dédaigné,
Qui respecta les lois, et qui n’a point régné.
Ainsi, la fleur qui naît sur les monts solitaires,
Ne montre qu’au désert ses couleurs passagères ;
Et l’or, roi des métaux, cache en des souterrains
Son éclat trop funeste au repos des humains.
On ne les vit jamais profaner leur génie
En flattant les tyrans, fléau de la patrie ;
Leur amour n’étoit dû qu’au mortel vertueux ;
Leur respect au malheur, et leur encens aux dieux.
La terre si long-temps à leurs efforts docile,
Les reçut dans son sein qu’ils ont rendu fertile.
Ce ciel qui les vit naître et qui les vit mourir,
Leur sourit dans la tombe ; et l’amoureux Zéphir

Qui portoit dans leurs sens sa fraîcheur éthérée,
Fait pencher doucement sur leur urne sacrée
Les rameaux des cyprès et la tige des fleurs.
Heureux qui dédaigna la gloire et les grandeurs !
Ainsi que la vertu, la gloire a ses victimes.
Le temple des honneurs est entouré d’abîmes ;
Et la postérité qu’appellent tous nos vœux,
Ne retient que les noms d’illustres malheureux.
Qui n’a pas plaint l’auteur d’émile et de Julie,
Ce Rousseau malheureux par son propre génie ?
Suivant d’un faux esprit l’instinct capricieux,
Triste ennemi des arts, et célèbre par eux,
Fuyant, cherchant l’éclat qu’il redoute et qu’il aime,
Vain jouet des humains, du sort et de lui-même ;
De la publique envie, objet infortuné,
Il n’a pas un asile, et meurt abandonné.
A peine chez les morts il venoit de descendre,
Qu’à son île chérie on arrache sa cendre ;

Son froid cercueil souillé d’un odieux encens,
Reçoit du panthéon les honneurs flétrissans ;
Et sur l’échafaud même, invoquant sa mémoire,
Les bourreaux l’ont forcé de rougir de sa gloire.
Infortuné ! La gloire éternise ses maux,
Et la tombe immobile est pour lui sans repos.
Plus heureux ces mortels ignorés du vulgaire,
Qui, sans être apperçus, ont passé sur la terre.
Leurs paisibles cercueils, respectés des méchans,
N’éprouveront au moins que l’outrage des ans.
Aux murs de saint-Denis, dans cette église antique,
Qui montre au loin ses tours et son clocher gothique,
Vingt rois dormoient en paix dans le même cercueil.
La gloire, en ce séjour de splendeur et de deuil,
Sourioit sur le marbre à leurs ombres royales,
Et des règnes passés retraçoit les annales.
Hélas ! Que reste-t-il de tous ces monumens
Consacrés par les arts, et respectés des ans ?

Turenne, Duguesclin, vos ombres désolées
Désertent en pleurant ces pompeux mausolées ;
Et vos rois exhumés par la main des bourreaux,
Sont descendus deux fois dans la nuit des tombeaux.
Nous avons tous connu dans l’éclat de sa gloire,
Ce roi dont nos neveux béniront la mémoire ;
Son ombre erre plaintive autour de ces palais,
Témoins de sa splendeur, témoins de ses bienfaits.
Et, quand le crime heureux obtient l’apothéose,
Je cherche en vain la tombe où la vertu repose.
Sa poussière ignorée est le jouet des vents ;
Un peuple aveugle insulte à ses mânes errans ;
Et, quand janvier ouvrant les portes de l’année,
Ramène de sa mort la fatale journée,
Ses bourreaux vont offrir à leurs dieux inhumains
Ce sang pur et sacré qui souille encor leurs mains.
Détourne, ô dieu ! Les maux que ce jour nous apprête :
Le supplice a son culte, et le meurtre a sa fête !

Mais le ciel n’entend point nos vains gémissemens ;
Le fer des oppresseurs menace tous les rangs ;
Le meurtre accroît encor leurs fureurs meurtrières ;
Les palais dans leur chûte entraînent les chaumières ;
Du monarque et du peuple on creuse le tombeau ;
Et la fondre a frappé jusqu’au foible roseau.
O dieux ! Qui plus que moi vécut dans les alarmes ?
Qui fut plus malheureux ? Dans l’exil, dans les larmes,
J’ai vu fuir ces instans, hélas ! Qui sont si courts,
Où le cœur n’est ouvert qu’au charme des amours.
A peine citoyen, j’ai perdu ma patrie,
Et j’ai connu la mort sans connoître la vie.
Proscrit, chargé de fers comme un vil criminel,
Au trépas condamné par un sénat cruel,
En vain d’un dieu vengeur j’implorois la justice ;
Je voyois lentement s’avancer mon supplice,
Sans trouver un mortel sensible et généreux,
Qui partageât mes maux et me fermât les yeux.

Du fond de ma prison par mes pleurs arrosée,
Mon ame s’élevoit au céleste élysée.
A tout ce que j’aimai, j’adressai mes adieux :
O rivages de l’Ain, vallons délicieux,
O bois ! Dont mon enfance avoit cherché l’ombrage,
Vous mêliez à mon deuil votre riante image ;
Et mes derniers regards, en dépit des tyrans,
Se détournoient vers vous et cherchoient le printemps,
Mais, ô bonté du ciel ! L’amitié magnanime
Au fer inexorable arrache sa victime.
Je fuis ; et du Jura les antres ignorés
M’offrent contre la mort leurs asiles sacrés.
Errant sur ces rochers, noir séjour des orages,
Je retrouvai la paix dans leurs grottes sauvages,
La paix que ma patrie, hélas ! Ne connoît plus.
Sur ces vastes sommets, l’un sur l’autre étendus,
L’homme, au niveau des cieux, élève son génie ;
Et comme l’horison sent son ame agrandie,

Placé plus près du ciel, je devenois meilleur ;
L’espoir de la vengeance expiroit dans mon cœur ;
Et, portant mes pensers vers ces cités bruyantes,
Vers ces cités de sang et de débris fumantes,
Des vainqueurs, des vaincus je plaignois les fureurs ;
Et ce n’est pas sur moi que je versois des pleurs.
Quelquefois aux rayons de l’aube matinale,
Quand du char du soleil la pompe triomphale
Doroit d’un feu naissant les rochers d’alentour,
Je disois : " O soleil ! Astre éclatant du jour,
Roi des mondes semés dans ta vaste carrière,
Aux combats inhumains tu prêtes ta lumière !
Hélas ! Et la vertu que le crime poursuit,
Demande son salut aux ombres de la nuit.
De tes feux les plus purs la montagne étincelle ;
Les cieux brillent en paix de ta splendeur nouvelle ;
Les bois harmonieux t’annoncent aux vallons,
Et le désert sourit à tes premiers rayons.

Pourquoi donc, ô soleil ! Ta clarté renaissante
Porte-t-elle aux cités le trouble et l’épouvante ?
Ton absence avoit mis une trève à leurs maux ;
Mais l’aurore déjà rappelle les bourreaux ;
Et, ramenant encor les terreurs de la veille,
Le jour vient réveiller le crime qui sommeille.
J’entends par-tout le bruit des tambours menaçans ;
Je vois se relever les échafauds sanglans.
La tendre épouse, hélas ! Qui gémit d’être mère,
Arrose de ses pleurs sa couche solitaire ;
Et ses fils, son époux, qu’elle demande en vain,
De ce jour qui nous luit, ne verront pas la fin. »
La guerre et tous ses maux, présens à ma pensée,
Sembloient peser alors sur mon ame oppressée ;
Et l’aride rocher se mouilloit de mes pleurs.
Mais le soleil, des monts franchissant les hauteurs,
Dans le ciel du printemps dissipant les orages,
M’offroit un dieu caché dans l’azur des nuages.

D’un noir chagrin mon cœur languissoit accablé ;
Je regardois le ciel, et j’étois consolé.
Aujourd’hui l’amitié vient essuyer mes larmes ;
L’amitié ! Que ce nom dans l’exil a de charmes !
Il est si doux d’aimer ; mais on aime bien mieux,
Alors qu’on est proscrit, et qu’on est malheureux !
Tels ces germes d’avril que féconde la pluie,
L’amitié dans les pleurs croît et se fortifie.
Nos cœurs unis, bravant un injuste pouvoir,
N’ont qu’un même sujet et de crainte et d’espoir ;
Nous mettons en commun nos loisirs, nos études,
Nos plaisirs, nos chagrins, et nos inquiétudes.
O mes tendres amis ! Grâce à nos doux liens,
Je souffre tous vos maux, vous souffrez tous les miens.
Amitié, doux appui de l’homme en sa misère,
La coupe des douleurs est par toi moins amère ;
Les maux les plus cruels, par tes soins soulagés,
Se changent en plaisirs, lorsqu’ils sont partagés.

J’en jure par nos cœurs et par tes douces chaînes ;
Ce dieu qui t’envoya pour consoler nos peines,
Appaisant les partis, l’un par l’autre irrités,
Rendra la paix au juste et le calme aux cités.
Au fond des noirs cachots il portera la vie ;
Aux français fugitifs il rendra leur patrie ;
Son pouvoir brisera le sceptre des méchans :
Et moi, loin des cités, dans le repos des champs,
J’attendrai dans le deuil le jour de sa justice,
Comme une jeune fleur, dont l’humide calice
Du soleil qui s’éloigne espérant le retour,
Se referme, et languit dans l’attente du jour.
Dieu ! Tu le sais, malgré la fortune cruelle,
Au parti malheureux mon cœur resta fidèle.
Du pouvoir, des grandeurs, l’espoir ambitieux
N’a jamais profané mon courage et mes vœux ;
Et je n’aspire point au temple de mémoire.
Ah ! Puissé-je ignorer les honneurs et la gloire,

Et cultiver en paix les arts et l’amitié,
D’un monde que j’oublie, heureux d’être oublié !
O toi qui m’as reçu, simple et douce retraite,
Tu n’obtiendras jamais l’encens d’un grand poëte !
Ton jardin est modeste, et son enclos heureux
N’inspire point l’orgueil d’un vers présomptueux.
Toujours sourd à la voix des brillantes nayades,
L’écho n’y redit point le vain bruit des cascades.
On n’y voit point ces rocs, ouvrage du ciseau,
Ni ces vieux monumens, faits dans un goût nouveau ;
Ni ces ponts traversant un fleuve, où l’œil à peine
Découvre un filet d’eau qui se perd dans la plaine.
D’un temple on n’y voit point les orgueilleux débris,
Ni ces pompeux ormeaux, en voûtes arrondis,
Ni ces plants étrangers, ces arbres sans patrie,
Que l’Europe, à grands frais, a conquis sur l’Asie.
Plus riche, et moins brillant, j’y vois l’abricotier
De ces fruits jaunissans couvrir l’humble espalier ;

La framboise pourprée, et la rouge groseille,
La pêche aux frais duvet, à la robe vermeille,
La prune diaprée, y brillent tour-à-tour
Des couleurs de l’aurore et de l’azur du jour.
A l’ombre du cacis, chargé d’un fruit d’ébène,
La fraise laisse voir sa rougeur incertaine ;
Plus loin, le cerisier montre aux yeux éblouis
Ses fruits mûrs suspendus en groupes de rubis.
Tandis que près de là, parmi l’herbe touffue,
Le fertile arbre-nain se dérobe à la vue,
Semblable à ce mortel bienfaisant et discret,
Qui ne se laisse voir que par le bien qu’il fait,
Modeste favori de Pomone et de Flore,
On voit déjà ses fruits, quand on le cherche encore.
Là, s’élève au milieu de sa nombreuse cour,
La reine des vergers, l’honneur de ce séjour ;
La calville pendant au flexible branchage,
Mêle un pourpre douteux au vert de son feuillage.

Ici, l’api vermeil et ses nombreuses sœurs
De leurs groupes naissans étalent les couleurs.
Plus loin, l’arbre où mûrit la poire succulente,
S’inclinant sous le poids de sa branche pendante,
Semble inviter la main et fixer les regards.
Tout autour, j’apperçois sur vingt couches épars,
La pâle chicorée et la verte laitue ;
La citrouille au flanc large, à la feuille étendue ;
L’artichaut qui dans l’air lève un front couronné,
Et le choux plus modeste, au Pinde dédaigné ;
Le melon qui mûrit sous son abri de verre,
Et la patate, espoir du peuple en sa misère ;
L’oseille au vert foncé, le cardon épineux,
Et l’oignon que le Nil mit au rang de ses dieux.
Objet toujours nouveau d’une utile culture,
Ce sol, sans luxe vain, mais non pas sans parure,
Au doux trésor des fruits mêle l’éclat des fleurs.
Là croît l’œillet, si fier de ses mille couleurs ;

Là naissent au hasard le muguet, la jonquille,
Et des roses de mai la brillante famille ;
Le riche bouton d’or, et l’odorant jasmin ;
Le lys tout éclatant des feux purs du matin ;
Le tournesol, géant de l’empire de Flore,
Et le tendre souci qu’un or pâle colore.
Souci simple et modeste, à la cour de Cypris,
En vain sur toi la rose obtient toujours le prix ;
Ta fleur moins célébrée a pour moi plus de charmes.
L’aurore te forma de ses plus douces larmes ;
Dédaignant des cités les jardins fastueux,
Tu te plais dans les champs ; ami des malheureux,
Tu portes dans les cœurs la douce rêverie ;
Ton éclat plaît toujours à la mélancolie ;
Et le sage indien, pleurant sur un cercueil,
De tes fraîches couleurs peint ses habits de deuil.
Dans les bois d’alentour, sous leurs vastes ombrages,
Je n’ai point vu des dieux les pompeuses images :

L’ingénieux ciseau, sur le marbre ou l’airain,
N’y grava point les traits d’un Faune ou d’un Sylvain ;
Flore, Pomone, et toi, trop volage Zéphire,
Vous êtes sans autels, au sein de votre empire !
Mais l’hôte fortuné de ces aimables lieux,
A des trésors plus vrais, des dieux moins fabuleux.
Là, j’ai trouvé d’éden la paisible innocence ;
Les mœurs et les vertus du monde en son enfance ;
Le repos, la gaîté, l’heureux oubli des maux,
Et l’aimable santé, fille des doux travaux.
Là, satisfait des biens que donne la nature,
Sous un tranquille abri, près d’une source pure,
Dédaignant les cités et leur luxe imposteur,
Les champs et l’amitié suffiront à mon cœur.
Dans les plaines du ciel, l’aigle vit de carnage ;
Il plane sur la foudre ; et l’abeille, plus sage,
Sur l’émail d’une fleur, sur l’aîle des zéphirs,
Trouve à-la-fois son miel, sa gloire et ses plaisirs.

Nature, ame du monde, en tous lieux répandue,
Providence des champs, aux cités méconnue,
Veille sur mon asile, accepte mon encens,
Et préside à mes goûts ainsi qu’à mes accens.
Tu créas l’amitié, tu lui prêtas tes charmes ;
Pour nous rendre meilleurs, tu nous donnas les larmes ;
Dès mes plus jeunes ans, si j’ai suivi ta loi,
Onserve-moi long-temps un cœur digne de toi ;
Montre-moi ta splendeur, et découvre à ma vue,
Tes mystères cachés et ta grâce inconnue :
Mais si mon cœur renonce à chérir tes bienfaits,
Rends-moi mon ignorance, et garde tes secrets.
Que je plains le savant qui ne voit dans la rose
Que les sucs végétaux dont la fleur se compose !
Pour lui, Flore a perdu ses parfums, ses couleurs,
Et l’aurore jamais n’a répandu de pleurs.
Dans l’immense horison que son regard embrasse,
Un compas à la main, il ne voit que l’espace ;

Dans ce ciel étoilé, dans ces globes de feu,
Son cœur froid et distrait n’apperçoit point un dieu.
Vain savant, il n’a lu dans son erreur profonde
Qu’un feuillet détaché du grand livre du monde !
L’homme n’a que des sens ; l’ame n’existe pas,
S’il ne peut l’asservir à son triste compas.
Les talens, les beaux-arts, qui charment notre vie,
L’aimable illusion, la tendre rêverie,
Les doux rapports des cœurs, sont pour lui sans attraits ;
Il ne les a point vus au fond de ses creusets.
Il n’a jamais connu, dans son indifférence,
Les pleurs de l’amitié, ceux de la bienfaisance ;
Trop malheureux, hélas ! Dans sa stupide erreur,
Le néant qu’il invoque est déjà dans son cœur.
Quand le printemps revient, et lorsqu’à sa présence
Tout renaît à la joie et s’ouvre à l’espérance,
Il reste indifférent ; tout semble mort pour lui.
Il dit dans son orgueil : j’ai tout approfondi.

Ainsi l’oiseau des nuits de ses regards funèbres,
S’applaudit de percer les voiles des ténèbres.
Mais lorsque les oiseaux, dans les bois d’alentour
De l’astre du matin célèbrent le retour,
Lui, caché tristement dans sa retraite obscure
Ne voit point le soleil, et maudit la nature.