Le Printemps d’un proscrit/Chant I

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Giguet & Michaud (p. 69-88).

 
Qu’un autre des héros célèbre les exploits,
Qu’il chante la puissance et les bienfaits des rois ;
Ami de leur pouvoir bien plus que de leur gloire,
Qu’il encense à-la-fois Plutus et la victoire ;
Je redoute la pompe et l’éclat des grandeurs.
Elevé dans l’exil et nourri dans les pleurs,
Tandis que la discorde ensanglante la terre,
Je redis mes chagrins à l’écho solitaire.
Je te revois enfin, aimable et doux printemps,
Je chante tes bienfaits, inspire mes accents,

Pare-moi de tes fleurs nouvellement écloses.
Prête à mes doux pensers la fraîcheur de tes roses,
Et qu’à ta voix, la paix, l’espoir consolateur,
Ainsi que dans les champs renaissent dans mon cœur.
Déjà les nuits d’hiver, moins tristes et moins sombres,
Par degré de la terre ont éloigné leurs ombres ;
Et l’astre des saisons, marchant d’un pas égal,
Rend au jour moins tardif son éclat matinal.
Avril a réveillé l’aurore paresseuse ;
Et les enfans du nord, dans leur fuite orageuse,
Sur la cime des monts ont porté les frimats.
Le beau soleil de mai, levé sur nos climats,
Féconde les sillons, rajeunit les bocages,
Et de l’hiver oisif affranchit ces rivages ;
La sève emprisonnée en ses étroits canaux,
S’élève, se déploie et s’alonge en rameaux ;
La colline a repris sa robe de verdure ;
J’y cherche le ruisseau dont j’entends le murmure ;

Dans ces buissons épais, sous ces arbres touffus,
J’écoute les oiseaux, mais je ne les vois plus.
Des pâles peupliers la famille nombreuse,
Le saule ami de l’onde, et la ronce épineuse,
Croissent aux bords du fleuve en longs grouppes rangés.
Dans leur feuillage épais, les zéphirs engagés,
Soulèvent les rameaux ; et leur troupe captive,
D’un doux frémissement fait retentir la rive.
Le serpolet fleurit sur les monts odorans,
Le jardin voit blanchir le lys, roi du printemps.
L’or brillant du genêt couvre l’humble bruyère,
Le pavôt dans les champs lève sa tête altière ;
L’épi cher à Cérès, sur sa tige élancé,
Cache l’or des moissons dans son sein hérissé ;
Et l’aimable espérance, à la terre rendue,
Sur un trône de fleurs, du ciel est descendue.

Dans un humble tissu, long-temps emprisonné,
Insecte parvenu, de lui-même étonné,
L’agile papillon, de son aîle brillante,
Courtise chaque fleur, caresse chaque plante ;
De jardin en jardin, de verger en verger,
L’abeille en bourdonnant poursuit son vol léger.
Zéphir, pour animer la fleur qui vient d’éclore,
Va dérober au ciel les larmes de l’aurore ;
Il vole vers la rose, et dépose en son sein
La fraîcheur de la nuit, les parfums du matin.

Le soleil élevant sa tête radieuse,
Jette un regard d’amour sur la terre amoureuse ;
Et du fond des bosquets un hymne universel
S’élève dans les airs, et monte jusqu’au ciel.
L’amour donne la vie à ces beaux paysages ;
Pour construire leurs nids, les hôtes des bocages
Vont chercher dans les prés, dans les cours des hameaux,
Les débris des gazons, la laine des troupeaux.
L’un a placé son nid sous la verte fougère ;
D’autres au tronc mousseux, à la branche légère,
Ont confié l’espoir d’un mutuel amour ;
Les passereaux ardens, dès le lever du jour,
Font retentir les toits de la grange bruyante ;
Le pinçon remplit l’air de sa voix éclatante ;
La colombe attendrit les échos des forêts ;
Le merle des taillis cherche l’ombrage épais ;
Le timide bouvreuil, la sensible fauvette,
Sous la blanche aubépine ont choisi leur retraite ;
Et les chênes des bois offrent à l’aigle altier,
De leurs rameaux touffus l’asile hospitalier.
Heureux qui, retiré sous un abri champêtre,
Loin du choc des partis qu’il ne veut point connoître,
Errant dans ces bosquets, caché sous leurs berceaux,
Ne perd jamais l’aspect de ces rians tableaux !
Tandis que loin de lui la discorde en furie,
Change à son gré la terre à la crainte asservie,
Il voit toujours ses champs, au retour des saisons,
Riches des mêmes fleurs et des mêmes moissons.
Le peuple qui l’entoure, étranger à la guerre,
Ne connoît que le fer qui féconde la terre ;
Courbé sur ses sillons, il bénit les destins,
Et travaille en silence au bonheur des humains.
Ainsi dans les vallons, la féconde rosée,
Sans bruit descend du ciel sur la terre embrasée,

Et, sans être apperçue, y fait naître les fleurs.
Fidèle à ses foyers, il conserve ses mœurs.
Il n’entendit jamais ces profanes maximes,
Ces préceptes nouveaux, pères de nouveaux crimes ;
Il n’a jamais connu ce théâtre orageux,
Où des partis bruyans le choc tumultueux,
Où la licence, espoir des règnes despotiques,
Donne l’affreux signal des tempêtes publiques.
Il n’a point vu Paris et ses honteux travers.
O coupable cité ! Toi qui forgeas nos fers,
Des rois, des nations, des dieux mêmes chérie,
Hélas ! Tu fus long-temps l’orgueil de la patrie ;
L’olivier de la paix, le laurier des beaux arts,
Croissoient auprès des lys dans tes heureux remparts.
Cet empire à-la-fois assis sur les deux mondes
T’apportoit les tributs de la terre et des ondes ;
Tu reçus dans ton sein un monarque adoré ;
Réponds-moi : qu’as-tu fait de ce dépôt sacré ?

Ton fleuve voit par-tout sur ses rives tremblantes,
Du trône et des autels les ruines sanglantes ;
Tes remparts sont souillés des plus noirs des forfaits ;
La misère et le deuil assiègent tes palais.
Victime comme nous d’un horrible systême,
Tu causas tous nos maux, tu les souffres toi-même.
Le luxe, les beaux arts, source de ta splendeur,
Ont fui ton peuple en proie à l’aveugle terreur ;
L’ignorance a flétri les lauriers du génie ;
Le commerce exilé cherche une autre patrie ;
L’état n’a plus ses loix, ni le peuple ses mœurs ;
Les plus doux sentimens sont éteints dans les cœurs ;
Les grâces, les vertus ont perdu leur empire,
La beauté sa candeur, et l’amour son sourire ;

La jeunesse est flétrie au sortir du berceau.
Vainement la vieillesse, aux portes du tombeau,
Montre ses cheveux blancs ; et l’échafaud impie
Dévore le printemps et l’hiver de la vie.
Quand tout a succombé, vous qui craignez la mort,
Hâtez-vous : de vos cœurs bannissez le remord ;
Partagez des tyrans la lâche ignominie ;
A la honte de vivre immolez la patrie ;
Allez : dans leurs tombeaux outragez vos ayeux ;
Dénoncez vos parens, insultez à vos dieux :
Tout lien est rompu, s’il n’est illégitime ;
Les dieux sont un vain songe, et leur culte est un crime.
Au milieu des partis qui s’égorgent entr’eux,
Les empires, jouets d’un destin malheureux,
S’ébranlent, entraînés sur le torrent des âges ;
Et le monde, couvert de leurs vastes naufrages,
Echappe au joug des rois follement divisés,
Sur les débris fumans de vingt sceptres brisés.
Le sage, ami des champs, contemple du rivage,
Ces immenses débris dispersés par l’orage ;
Et, toujours calme, au sein des peuples agités,
Jouit en paix des biens que Delille a chantés.

Pour lui, le doux printemps revient toujours le même,
Il est toujours aimé de ses voisins qu’il aime ;
Tous ses plaisirs d’hier seront ceux d’aujourd’hui ;
L’univers est changé, rien n’est changé pour lui.
La crainte n’a jamais troublé sa solitude ;
Victime de la haine et de l’ingratitude,
Il brave les méchans, il se rit des ingrats.
La nature et les dieux ne l’abandonnent pas :
Non, la foudre jamais n’a fait pâlir le sage :
Quand l’ame est sans remord, le ciel est sans nuage.
Il est persécuté ; mais l’aspect des bourreaux
Peut troubler ses foyers sans troubler son repos.
Tel un chêne, entouré des éclats du tonnerre,
Citoyen du désert, fils aîné de la terre,
Croît en paix sur les bords des torrens orageux.
Ah ! Dans ces jours de deuil, si quelques malheureux
Vont chercher un abri sous son toît solitaire,
Il leur ouvre à-la-fois son cœur et sa chaumière.

Les bois qu’il a plantés, sous leurs rameaux discrets,
Dérobent aux méchans les heureux qu’il a faits ;
Le pâle fugitif y cache ses alarmes,
Et, loin des factions, loin du fracas des armes,
Pleure en paix sur les maux de l’état ébranlé.
D’un monde corrompu, Dieu lui-même exilé,
Sans temples, sans autels, près des mortels qu’il aime,
A caché dans les champs sa majesté suprême ;
Son nom n’est invoqué qu’à l’ombre des forêts,
Et l’écho du désert chante seul ses bienfaits.
Quelquefois le hameau, que rassemble un saint zèle,
Au dieu dont il chérit la bonté paternelle,
Vient, au milieu des nuits, offrir au lieu d’encens,
Les vœux de l’innocence et les fleurs du printemps.
L’écho redit aux bois leur timide prière.
Hélas ! Qu’est devenu l’antique presbytère,
Cette croix, ce clocher élancé vers les cieux,
Ces monumens sacrés, si chers à nos ayeux ?

Le fidèle pasteur, chassé du sanctuaire,
A fui loin du hameau dont il étoit le père.
Sur la vertu l’enfer a versé tous ses maux,
Et Fénélon lui-même a trouvé des bourreaux.
Ce pasteur bienfaisant, aux fêtes solemnelles,
Vient visiter encor ces retraites fidèles ;
Il paroît, et le ciel à sa voixs’est ouvert.
Les plus grands souvenirs ont peuplé ce désert,
Et l’apôtre d’un dieu devient un dieu lui-même.
Sans se montrer armé du terrible anathême,
Il rend l’espoir au juste et la crainte au méchant ;
La victime pardonne, et le pauvre est content.
Sous un toit écarté, mystérieux asile,
Sur le tronc d’un vieux chêne, orné de l’évangile,
Il reçoit les sermens des époux du hameau ;
Au vieillard expirant il ouvre un ciel nouveau.
Le vieillard qui sourit à cette image auguste,
Présente aux coups du sort le front calme du juste ;

Et sans regrets il voit le trépas s’avancer,
Comme la fin d’un jour qui va recommencer.
Mais déjà l’homme saint, entraîné par son zèle,
Obéit à la voix de son dieu qui l’appelle ;
Il va chercher ailleurs des cœurs à soulager,
Des dangers à courir, des maux à partager.
Il erre au sein des bois : ô nuit silencieuse,
Prête ton ombre amie à sa course pieuse !
S’il doit souffrir encore, ô dieu ! Sois son appui ;
C’est la voix du hameau qui t’implore pou lui.
Et vous, faux sectateurs de la philosophie,
Epargnez ses vertus, et respectez sa vie ;
Aux cachots échappé, vingt fois chargé de fers,
Il prêche le pardon des maux qu’il a soufferts ;
Et chez l’infortuné qui se plaît à l’entendre,
Il va sécher les pleurs que vous faites répandre :
Aux chagrins du présent il ferme l’avenir,
Il nous apprend à vivre, et nous aide à mourir.

J’ai connu les hameaux, et ma voix ignorée
N’y prêcha point d’un dieu la parole sacrée ;
Sans consoler les champs, sans leur porter la paix,
De l’hospitalité j’y connus les bienfaits.
Sous ce toit ignoré qu’a respecté la guerre,
Proscrit par les tyrans, sans appui sur la terre,
Quand sur moi la fortune épuisoit ses rigueurs,
J’ai trouvé des amis, un asile et des pleurs.
Jeté dans ces vallons, loin d’un monde barbare,
J’ai trouvé l’élysée en fuyant le tartare.
Puissé-je parmi vous, heureux hôtes des champs,
Voir s’écouler mes jours comme ceux du printemps,
Et fixé pour jamais sur ces rives lointaines,
Goûter tous vos plaisirs, sentir toutes vos peines !
Tel un arbre apporté des climats étrangers,
S’élève auprès de l’arbre, enfant de nos vergers,
Et de son nouvel hôte embrassant le feuillage,
Porte avec lui des fleurs, brave avec lui l’orage.
O reines des cités !

Dans ces vallons rians
Je renonce avec joie à vos cirques bruyans.
L’ignorance barbare et la révolte impie
Ont voilé d’un long deuil les autels de Thalie ;
Melpomène étalant ses tragiques douleurs,
Ne trouve plus, hélas ! Le chemin de nos cœurs.
Quel français au milieu des publiques misères
Pourroit pleurer encor des maux imaginaires ?
Dans le vide des jours, dans la longueur des nuits,
Vous seuls, je vous regrette, ô mes livres chéris !
Bossuet, Fénélon, dont le divin génie
Quelquefois m’a distrait des maux de la patrie ?
O vous ! Dont j’admirois les talens, les vertus,
A vos doctes leçons je n’assisterai plus ;
Je ne t’entendrai plus, ingénieux Delille,
Tour-à-tour l’interprête et l’égal de Virgile ;
Fontanes, dont la voix consola les tombeaux ;
St-Lambert qui chantas les vertus des hameaux ;
Morellet, dont la plume éloquente et hardie
Plaida pour le malheur devant la tyrannie ;
Suard qui réunis, émule d’Adisson,
Le savoir à l’esprit, la grâce à la raison ;

Laharpe, qui du goût expliquas les oracles ;
Sicard, dont les leçons sont presque des miracles ;
Jussieu, Laplace, et toi, vertueux Daubenton,
Qui m’appris des secrets inconnus à Buffon ;
Je ne vous verrai plus. Plein d’un tendre délire,
J’oserai quelquefois vous chanter sur ma lyre.
Toi sur-tout, tu seras le sujet de mes chants,
Sensible Bernadin, dont les tableaux touchans
Montrent par-tout d’un dieu la bonté paternelle.
Plein de ton souvenir, à tes leçons fidèles,
Oubliant les palais et les jardins des rois,
J’offrirai mon encens à la flore des bois.
Je bénirai le dieu qui créa la nature,
Qui couronna ces monts de leur riche verdure,
Qui préside aux saisons et commande aux autans ;
A sa voix, quand l’hiver a ravagé nos champs,
Le plus foible des vents dissipe les orages ;
Le souffle du zéphire anime les bocages ;
L’or de la

primevère a percé les gazons,
Et les arbres en fleurs blanchissent les vallons.
J’oserai quelquefois, errant sur ces rivages,
Au bord de ces ravins, dans ces forêts sauvages,
Percer la nuit profonde où, sous un voile épais,
La nature jalouse a caché ses secrets.
Je verrai sur ces monts la cascade orageuse
Tombant avec fracas sur la roche écumeuse,
Et ses flots divisés et poussés par les vents,
Remontant en vapeur aux sources des torrens.
Je parcourrai des monts les cimes menaçantes,
Et ces volcans éteints et leurs laves errantes.
J’irai sur ces rochers, noircis par les frimats,
Interroger la foudre éclatant sous mes pas.
Entouré des éclairs qui sillonnent la nue,
Je chercherai des vents l’origine inconnue.
Je verrai sans effroi le choc des élémens ;
Et, tandis qu’aux cités les partis triomphans,

Brisant les monumens élevés à la gloire,
De vingt siècles fameux effacent la mémoire,
Tranquillement assis sur ces rochers déserts,
Leurs sommets surchargés des dépouilles des mers,
Leurs noirs granits, mêlés de couches végétales,
De l’antique univers m’ouvriront les annales.
Quelquefois arrêté dans le fond d’un vallon,
Abaissant mes regards jusqu’à l’humble buisson,
Des insectes divers les peuplades nombreuses,
M’offriront le tableau des cités orageuses ;
Là, sur un vil gazon l’insecte a sa fierté,
Ce peuple a son orgueil, ces rois leur majesté :
On y connoît la joie, on y verse des larmes,
La paix a ses bienfaits, la guerre a ses alarmes ;
Il est là des tyrans, des ministres cruels,
Et des solons d’un jour qu’on proclame immortels.
Tandis que des partis l’ambition superbe,
Usurpe un grain de sable, et dispute un brin d’herbe,

Le voyageur distrait renverse sous ses pas,
Vingt empires fameux qu’il ne soupçonnoit pas.
Ainsi, du dieu puissant la volonté suprême,
Brise l’orgueil des rois et leur vain diadème.
Il parle, et les états à sa voix sont rentrés
Dans la nuit du néant dont il les a tirés.
A l’heure où l’horison lentement se colore
Des rayons du soleil qu’on ne voit point encore,
Quand le coq matinal éveille les hameaux,
Sur les rives du fleuve, au penchant des côteaux,
Dans ces bois, par degrés reprenant leur verdure,
A son brillant réveil je verrai la nature.
Le printemps te salue, ô dieu ! Qui chaque jour
Ordonnes au soleil de hâter son retour.
L’univers est rempli de ta flamme invisible,
La terre est animée, et la plante est sensible.
L’hymen, par ses liens, par ses charmes secrets,
Unit les fleurs des champs, les chênes des forêts.
Tout fermente, tout vit : ces arbres

que la fable
Environna long-temps de son prestige aimable,
Semblent se souvenir qu’au siècle fabuleux
Ils furent des époux, des amans malheureux :
Thisbé dans les bosquets cherche toujours Pyrame,
Adonis pour Vénus a conservé sa flamme ;
Clytie au dieu du jour adresse encor des vœux ;
Et, tandis que des vents le souffle impétueux
Va porter aux ormeaux des régions lointaines
Les germes qu’il reçut des ormeaux de nos plaines,
Le volage Zéphir, doux messager des fleurs,
Emporte de l’amour les gages créateurs,
Et sème dans les champs leur poussière odorante,
Des filles du printemps postérité brillante.
La pervenche fleurie aux légers papillons
A confié l’espoir de ses doux rejetons ;
Le narcisse éveillé par l’aube matinale
Livre au courant des eaux sa race virginale ;
La légère vapeur qui borde le ruisseau
Dans ses humides flancs porte un monde nouveau ;
Et les plantes, les fleurs, sur la terre arrosée,
Semblent pleuvoir du ciel dans des flots de rosée.
Sur l’aiguille mobile, interprète du temps,
Les hôtes des cités mesurent leurs instans ;
L’airain qui retentit autour de leurs demeures,
Vient seul les avertir de la fuite des heures ;
Sur les eaux, dans les bois, à la voûte des cieux,
Le temps trace aux hameaux son cours silencieux,
Tous ses pas sont marqués sur le sol des prairies ;
Et dans les champs voisins les fleurs épanouies,
Aux rayons du matin, à la chaleur du jour
Fermant leur sein humide et l’ouvrant tour-à-tour,
Ont mesuré la marche et l’emploi des journées,
Et compté du printemps les heures fortunées.
O beaux jours du printemps ! ô vallons enchantés !
Quel chef-d’œuvre des arts surpasse vos beautés !
Quel talent, quel génie, a, dans ses nobles veilles,
Des simples fleurs des champs égalé les merveilles !
Quel chant peut s’égaler au doux chant des oiseaux,
Au bruit harmonieux et des bois et des eaux !
Quel fidèle pinceau pourra m’offrir l’image
De l’astre du printemps levé sur ce bocage,
Et de

ses feux naissans éclairant les côteaux !
Ces tableaux du matin ont consolé mes maux ;
A l’aspect de ces feux dont la plaine étincelle,
La nature renaît, je renais avec elle ;
Le calme des vallons a passé dans mon cœur ;
Je me crois transporté dans un monde meilleur ;
Je me crois plus heureux, ô fortune trompeuse !
Je ne regrette point ta faveur dangereuse ;
Hors les biens toujours vrais que donne l’amitié :
Hélas ! J’ai tout perdu, mais j’ai tout oublié.
Heureux si célébrant ces vallons, ces prairies,
Et de leur doux aspect charmant mes rêveries,
Mes vers chers au malheur, et du temps respectés,
Valoient un seul des biens que ma muse a chantés !