Le Prisme (Sully Prudhomme)/L’Université

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Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 116-117).


L’UNIVERSITÉ


A M. Deltour,
mon ancien professeur au Lycée Bonaparte.


Je ne suis pas ingrat, je t’aime et je t’honore
Pour tes saines leçons, noble Université !
Car il m’est salutaire, à l’âge d’homme encore,
Le puissant cordial dont tu m’as allaité ;

Et tes bras généreux sont ceux de la Patrie
Qui, fière de ses fils, les unit sur son cœur ;
Leur âme, par tes soins éclairée et fleurie.
Te doit son ornement, sa règle et sa vigueur.

Fidèle à la Nature et sévère comme elle,
Tu laisses au combat à discerner les forts,
Tu ne regardes pas qui suce ta mamelle :
Seul, chez toi, le mérite est l’artisan des sorts ;

Disputant aux foyers qu’un vol précoce effraie
D’heureux dons enfouis qui les illustreront,
Ton accueil enhardit la vocation vraie
Qui soupire hésitante et frémit sous le front.


Partout pour l’avenir épiant les couvées,
Tu sauves à tout prix, dès leur premier éveil,
Les voix de rossignols qu’on aurait étouffées,
Les prunelles d’aiglons qu’on fermait au soleil.

Si la gaîté du ciel rarement illumine
Tes austères préaux qui n’ont pas d’horizons,
Un peu du grand zéphyr qui souffle à Salamine
Mêle un salubre arôme à l’air de tes prisons.

Dans le sol sans gazon de tes cours sans platanes
Cependant une fleur attique germe et croît,
Et tes enseignements, si purs quoique profanes,
Font en nous l’esprit ferme et libre et le cœur droit.
 
Pour moi, je te rapporte en nourrisson fidèle
Le meilleur des pensers que je rime aujourd’hui ;
Si j’ai fait un bon vers, il te doit son coup d’aile.
Sa trempe et son éclat, car ton sang coule en lui.