Le Prisme (Sully Prudhomme)/Un Mot d’enfant

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Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 44-45).


UN MOT D’ENFANT


A Madame Julie de Launay.


 
J’adore les enfants, tout haut, devant eux-mêmes,
Et voyez si j’ai tort ; un marmot m’entendit
Et, de son air câlin : « Monsieur, puisque tu m’aimes,
Je te promets, dit-il, de te donner un nid. »

Un nid ! sentez-vous bien quelle divine chose ?
Cet ingénu trésor, l’appréciez-vous bien ?
Un enfant, dont le cœur pas plus gros qu’une rose
Peut tenir dans un nid, fait ce présent au mien !
 
A quelque ambitieux que hante la chimère
De graver à jamais son nom dans le granit,
Un oiseau, tiède encor des ailes de sa mère,
Offre tout simplement pour don suprême un nid !

Un nid ! c’est la chaleur intime et le murmure,
La tendresse et l’espoir dans l’ombre palpitant,
C’est le libre bonheur bercé par la ramure,
Bonheur bien enfoui, voisin du ciel pourtant.


Un nid ! mon cher enfant, il me vient une larme,
Tant ce petit mot-là m’est allé droit au cœur ;
Comme un chatouillement dont on souffre avec charme,
De mes vœux fatigués il émeut la langueur.

Ce mot a rencontré dans l’infini de l’âme
Une oasis profonde, et soudain découvert
La source qui répand la fraîcheur sur la flamme
Et fait pour un moment oublier le désert.

Enfant, prends-moi la main, je me sens seul au monde,
J’approuve, les yeux clos, ton choix que Dieu bénit ;
Des vierges sur les prés dansent là-bas la ronde,
Choisis-moi la colombe et j’accepte le nid.