Le Procès des Thugs (Pont-Jest)/I/2

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Lecomte (p. 12-21).


II

UN CRIME ENTRE MILLE.



À cette étrange prétention du prisonnier, la foule avait fait entendre un murmure, mais lord William Bentick réclama immédiatement le silence, et comme il n’y avait aucun danger que Feringhea pût s’échapper, il ordonna de lui ôter ses fers.

L’Hindou accompagna d’un sourire orgueilleux le bruit des chaînes qui tombaient à ses pieds, et croisant ses bras nus sur sa large poitrine, il attendit.

La parole fut aussitôt donnée à l’attorney général[1], M. Macready, qui, au milieu d’un silence solennel, s’exprima en ces termes :

— Avant de laisser se dérouler sous les yeux de la cour d’horribles scènes, sans pareilles dans l’histoire des crimes qui ensanglantent les Indes anglaises depuis tant d’années, il est indispensable de lui faire connaître, en aussi peu de mots que possible, ce qu’étaient, ce que sont encore aujourd’hui les Thugs ou Étrangleurs, bien que ces débats même soient appelés à nous révéler les mystères de cette sanglante association dont les attentats, la puissance et les ruses dépassent tout ce que l’imagination peut rêver.

« On trouve ces malfaiteurs partout, sous tous les caractères, sous toutes les formes, sous tous les costumes.

« Ils voyagent parfois en petites troupes de douze à quinze hommes ; souvent, au contraire, par bandes de deux à trois cents.

« On les rencontre sur les grandes routes : marchands se rendant à quelque foire importante et paraissant ne s’être réunis que pour mieux se défendre contre les voleurs ; pèlerins, allant dévotement et pieds nus adorer Vischnou[2] à plusieurs centaines de lieues de la ville natale ; cipayes, c’est-à-dire soldats, rejoignant leurs régiments ou retournant dans leurs foyers ; rajah, avec la suite obligée d’équipages et de serviteurs des princes.

« Dans les villes, ce sont parfois les juges devant lesquels vous venez vous défendre, les médecins qui vous soignent, les brahmines qui prient, les domestiques auxquels vous confiez votre femme et vos enfants.

« Oui, vos enfants ! Et c’est par des cruautés exercées sur des êtres sans défense que les Thugs se sont rendus indignes de toute pitié.

« Si j’ai pris la parole, dès le début de ces débats, ce n’est ni pour étudier avec vous les origines du Thugisme et ses doctrines sanguinaires, ni pour vous expliquer ses épouvantables mystères, chacune des audiences qui se succèderont ici apportera son contingent de lumière sur ces terribles choses, c’est pour mettre sous vos yeux le tableau de l’un des attentats les plus horribles des sectateurs de Kâli.

« Celui-là seul suffira pour vous faire connaître jusqu’où peuvent aller ces fanatiques, et vous serez moins surpris ensuite par les incidents dramatiques, les révélations horribles qui vous réserve ce procès.

« Quelques-unes des personnes qui m’entendent ont certainement conservé le souvenir du drame dont je vais parler, drame qui a arraché des larmes de tous les yeux, des sanglots de tous les cœurs.

« L’un de nos plus illustres magistrats, sir Albert Melvil, remplissait ici les fonctions dans lesquelles nous lui avons succédé.

« Il était riche, justement honoré, et lady Melvil lui avait donné un enfant qui faisait sa joie et son orgueil.

« C’était une de ces familles pour lesquelles les horizons sont sans nuages, les jours tissés de soie et d’or, tout de satisfactions et d’espérances.

« Sir Albert était fier de son enfant, mais un jour la maladie vint frapper à la porte de sa maison et s’asseoir au chevet de l’être aimé. Bientôt il vit Ada, cette fille trop chérie, tomber en langueur, laisser là ses jeux, dépérir à vue d’œil.

« Je n’essaierai pas de vous peindre le désespoir de sir Albert et de sa femme ; il y a des douleurs pour lesquelles il n’y a pas de paroles, mais seulement des larmes.

« Les médecins, à bout de science, conseillèrent un jour le changement de climat, et notre collègue quitta immédiatement Madras pour aller habiter Méliapour.

« Ne voulant pas croire encore au malheur dont il était menacé, il laissa ici une partie de sa maison. Il n’emmena avec lui que quelques domestiques. Parmi eux se trouvait un Télinga dans lequel il avait une confiance absolue, illimitée, et que sa fille adorait.

« Cet homme, en effet, était le modèle des serviteurs. Depuis près de deux ans qu’il était dans la maison, pas une plainte, pas un murmure. Son dévouement à la famille dans laquelle il vivait était sans bornes.

« Il s’appelait Soulami.

« C’était à lui que le père et la mère confiaient leur fille lorsqu’ils étaient forcés par leurs relations du monde de s’absenter tous deux en même temps. L’Hindou se faisait alors femme patiente, mère attentive, pour veiller sur son précieux dépôt.

« La fillette rendait à Soulami affection pour affection, et les regards ne pouvaient s’arrêter sans émotion sur le groupe bizarre que formaient cette enfant frêle et blanche, folle et rieuse, aux longs cheveux bouclés, aux grands yeux bleus, et cet homme bronzé, grand et fort, à la physionomie grave et pensive.

« Quand Ada devint malade, Soulami ne voulut plus la quitter ni le jour ni la nuit. Ce n’était que de ses mains qu’elle acceptait les potions ordonnées.

« Il semblait que la vie du serviteur fût attachée à celle de l’enfant.

« Cependant l’air des champs fut tout d’abord favorable à la malade. Ada put se lever : on la laissa même, une belle journée, sortir dans le parc. Mais bientôt sir Albert Melvil inquiet la rappela auprès de lui.

« Ada remonta les degrés de la vérandah pour rejoindre son père. Les derniers rayons du soleil irisaient d’or ses boucles blondes tombant sur ses épaules ; son teint était animé ; ses yeux limpides avaient d’étranges regards.

« En la voyant approcher, il fut saisi d’une impression subite et douloureuse. Il est un genre de beauté si intense et cependant si fragile que nous ne pouvons en supporter la vue.

« Son père la prit vivement dans ses bras, en lui disant :

« — Ada, ma bien-aimée, tu es mieux maintenant, n’est-ce pas ?

« Ada tremblait. Sir Albert la mit sur ses genoux, et l’enfant appuyant sa tête sur la poitrine de son père, répondit :

« — Il est inutile, cher père, de garder cela plus longtemps en moi-même. Le temps est venu où je dois vous quitter. Je m’en vais pour ne plus revenir.

« Et l’enfant se prit à sangloter.

« — Oh ! chère petite, dit M. Melvil d’une voix tremblante, mais d’un ton qu’il s’efforçait de rendre gai, tu es nerveuse et découragée aujourd’hui. Il ne faut pas te laisser abattre ainsi.

« Mais la force trompeuse qui, durant quelque temps, avait soutenu Ada, déclinait avec rapidité. On entendait de jour en jour plus rarement son pas léger sur la vérandah, et plus souvent aussi, on la trouvait couchée sur sa petite chaise longue, auprès de la fenêtre ouverte, ses grands yeux profonds fixés sur les eaux mouvantes du lac.

« Soulami était souvent dans la chambre d’Ada. L’enfant souffrait d’angoisses nerveuses et trouvait du soulagement à se faire promener.

« Le plus grand plaisir de l’Hindou était de porter dans ses bras cette frêle créature.

« Quelquefois, lorsqu’une légère brise s’élevait, il la conduisait sous les orangers du parc, où il s’asseyait pour lui chanter des gazals[3] indoustani.

« Un jour qu’ils étaient sortis tous les trois, le père, l’enfant et le serviteur, sir Albert Melvil voulut porter lui-même sa fille.

« — Père, laisse le bon Soulami, qui m’aime tant, me porter aujourd’hui !

« L’Indien pleurait, fier de son précieux fardeau. Ils firent ainsi une longue course sous les orangers.

« Le soir, l’enfant s’endormit plus calme et l’Hindou s’accroupit au pied de son lit, ne la quittant pas des yeux, écoutant sa respiration, comptant les battements de son cœur.

« Soudain, l’enfant s’éveilla en poussant une plainte, et sa pâleur effraya son gardien.

« — Venez, venez vite ! dit le fidèle serviteur en frappant à coups précipités sur la porte de M. Melvil qui était allé prendre un peu de repos.

« Ces paroles le réveillèrent brusquement et tombèrent sur son cœur comme des pelletées de terre sur un cercueil.

« Une seconde après, il était penché sur le lit de sa fille, qui semblait s’être endormie de nouveau, et un exprès était expédié au docteur.

« Le malheureux père voyait mourir son enfant et s’écriait en se tordant les bras :

« — Oh ! si elle pouvait s’éveiller et me dire une parole, une seule encore !

« Et, se penchant sur elle, il murmura doucement à son oreille :

« — Ada, mon Ada chérie !

« Les grands yeux bleus d’Ada s’ouvrirent, un sourire passa sur son visage, elle essaya de soulever la tête.

« — Cher père ! dit-elle en faisant un dernier effort et jetant ses bras autour de son cou.

« Mais ils retombèrent à l’instant, et sir Melvil vit la convulsion de l’agonie passer sur le visage de sa fille.

« Elle s’efforçait de respirer et levait ses petites mains.

« Sir Albert, lady Melvil, qu’on avait également prévenue, et Soulami étaient là, immobiles, haletants, lorsque le docteur entra.

« Il jeta un regard sur l’enfant et demanda :

« — Est-elle dans ce nouvel état depuis longtemps ?

« — Depuis minuit, répondit le pauvre père à travers un sanglot !

« Le docteur s’était penché sur l’enfant, appelant toute sa science à son secours.

« Sir et lady Melvil priaient Dieu.

« On n’entendait au milieu de ce silence navrant que les battements du balancier de la pendule qui semblait hâter sa marche.

« Soudain le médecin se releva.

« — Sir Albert, dit-il en prenant les mains du malheureux, courage ! tout n’est peut-être pas perdu. Voyons, soyez fort ; une crise heureuse peut sauver votre enfant. Si elle se produit d’ici à quelques heures, je réponds d’elle. Je ne vous quitte pas, attendons !

« Il était près d’une heure du matin.

« Le reste de la nuit se passa, pour ceux qui assistaient à cette lutte de la mort et de la vie, en alternatives inénarrables de joies et de désespoirs. Lady Melvil ne voulut pas se retirer un instant chez elle.

« Quant à Soulami, il veillait sur Ada comme un avare sur un trésor.

« Au moment où le jour se levait, où la brise du large semblait donner une vie nouvelle à toute la nature, l’enfant fit un mouvement, et tous les assistants se rapprochèrent.

« Le docteur prit la main d’Ada, elle était moins brûlante ; il écouta les battements de son cœur, ils étaient réguliers ; il interrogea sa respiration, elle était lente et facile. Ses yeux étaient entr’ouverts, ses lèvres essayaient un sourire. Elle semblait sortir d’un long et douloureux rêve.

« Le père et la mère attendaient toujours, mais ils espéraient déjà.

« Lorsque le médecin se tourna vers eux, le visage illuminé d’un noble orgueil, ils n’eurent pas besoin de l’interroger. Ses yeux en disaient plus que toutes les phrases :

« Ada était sauvée !

« Je ne vous ferai pas le tableau de cette joie immense, remplaçant subitement les plus vives alarmes. Que ceux que le ciel a épargnés, après avoir un instant arrêté sur eux sa colère, se souviennent. Qu’ils se rappellent tout ce qu’il y a de poignant dans les douleurs de ces pauvres êtres, qu’on ne peut questionner, dont l’existence ne tient à rien, qui sont si petits et qui occupent une si grande place dans nos maisons et dans nos cœurs.

… Dans le madrassah (collège) de Bénarès la Sainte.


« Sir et lady Melvil hésitaient à croire ; mais la physionomie nouvelle de l’enfant parlait avec une éloquence trop persuasive pour qu’ils pussent douter longtemps.

« C’était une résurrection qui s’opérait.

« Quant à Soulami, ses yeux noyés de larmes ne quittaient pas l’enfant, même pour serrer les mains que ses maîtres lui tendaient avec reconnaissance.

« Le docteur sortit avec sir Melvil qui voulait reconduire lui-même le sauveur de sa fille et auquel il avait, du reste, quelques dernières recommandations à faire.

« Lady Melvil et Soulami étaient seuls avec l’enfant.

« La mère et le serviteur semblaient goûter la même joie.

« On n’aurait pu dire qui était le plus heureux ou de cette jeune femme qui sentait la vie se renouveler en elle au fur et à mesure que le danger s’éloignait de sa fille, ou de cet homme au masque impassible qui avait témoigné un aussi grand dévouement.

« Quant à l’enfant, ses grands yeux cerclés par la maladie s’étaient ouverts brillants et limpides, et ils allaient avec des regards pleins de tendresse de sa mère à son ami. Sa bouche souriait, ses lèvres se rosaient en bégayant de ces mots charmants, doux comme une prière, qui sont de toutes les langues.

« Ses bras amaigris se tendaient vers ceux qu’elle aimait : de ses petites mains diaphanes elle leur envoyait des baisers.

« Puis c’étaient des caresses et des joies ineffables, au milieu desquelles Ada s’endormit de nouveau, mais d’un sommeil calme, cette fois, et rempli de promesses pour les jours suivants.

« Le lendemain, en effet, l’enfant était infiniment mieux, et de jour en jour elle marcha rapidement vers la convalescence. Bientôt lord Melvil put s’absenter de temps en temps pour venir jusqu’ici remplir ses fonctions.

« Il laissait sa fille sous bonne garde : sa mère et Soulami.

« Un soir, ce dernier proposa à lady Melvil de promener un peu la jeune convalescente dans le parc.

« À cette idée, l’enfant poussa un cri de bonheur, et l’Hindou, la soulevant doucement, la tendit à sa mère, qui l’enveloppa dans un cachemire léger, puis la coucha dans ses bras.

« Ils descendirent.

« Ada indiquait où elle voulait aller. Là étaient ses oiseaux favoris, qui semblaient l’appeler de leurs battements d’ailes ; plus loin ses fleurs aimées, qu’elle voulait revoir.

« Soulami obéissait aux moindres ordres de l’enfant et la portait de fleurs en fleurs, de nids en nids, comme si elle dût y prendre exemple de jeunesse et de santé.

« La mère suivait l’Hindou et bénissait Dieu.

« — Rentrons, dit-elle au moment où Soulami s’était arrêté avec son précieux fardeau sur le haut des marches d’un kiosque d’où l’on découvrait tout le jardin.

« Mais l’enfant tendit ses petites mains.

« Elle avait aperçu la pièce d’eau où les cygnes de neige se jouaient au milieu des lotus roses, et voulait aller jusque là.

« Comment lui refuser ? La nuit était tiède et parfumée.

« Ils descendirent les degrés et prirent l’avenue qui, en quelques secondes, les conduisit où voulait aller Ada.

« Le ciel était brillant d’étoiles, la lune haute et dans son plein. Les grands arbres se dessinaient sur l’eau en ombres fantastiques.

« Cela amusait l’enfant qui remerciait Soulami en approchant de ses joues ses petites lèvres pleines de sourires.

« Ils avaient fait ainsi le tour du bassin et se trouvaient juste en face de la maison.

« Soulami marchait à reculons et l’enfant se plaisait à reconnaître de loin la chambre et la vérandah qu’elle venait de quitter.

« — Assez maintenant, dit la mère ; si mon mari rentrait, nous serions grondés.

« — Pas encore, répondit l’Hindou ; voyez comme cette promenade fait du bien à votre enfant !

« Et il s’éloignait toujours, pressant doucement Ada sur son cœur et les yeux fixés sur lady Melvil à laquelle sa fille tendait les bras en souriant.

« Ils arrivèrent ainsi jusqu’à la grille qui donnait sur la campagne. La forêt était à cent pas. Cette grille était ouverte.

« — Où allez-vous, Soulami ? dit la jeune femme en voyant l’Hindou franchir le seuil de la porte et ne pas la quitter du regard.

« — Plus loin, plus loin encore, dit le serviteur.

« Lady Melvil se prit à trembler.

« — Mais non, rentrons, je le veux. Tenez, Ada a peur !

« Elle voulut prendre sa fille dans ses bras.

« L’Hindou, qui marchait toujours à reculons, fit un bond en arrière et mit une certaine distance entre la femme de son maître et lui.

« Puis il jeta les yeux aux alentours.

« La campagne était déserte. La maison se perdait déjà derrière les arbres du jardin. La forêt était à quelques pas seulement. La pureté de l’atmosphère, et l’éclat de la lune en rendaient les ombres plus épaisses.

« Lady Melvil s’était rapprochée.

« — Mais je veux mon enfant, ma fille ! Soulami, je vous en pris. Qu’avez-vous donc ? Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

« L’Hindou continuait à s’éloigner. La jeune femme, la voix pleine de sanglots, s’attachait à ses pas.

« Ada se débattait dans les bras de Soulami ; elle pleurait, poussait des cris, appelait sa mère.

« Lady Melvil, folle de terreur, suppliait le Télinga de lui rendre son enfant.

« Mais l’Hindou, sans répondre, marchait toujours.

« Soudain, Ada poussa un cri désespéré.

« Lady Melvil voulut s’élancer ; mais rencontrant le regard froid et incisif de son serviteur, elle tomba à genoux en murmurant :

« — Grâce, Soulami, grâce !… Mon enfant !

« Elle se traînait à ses pieds.

« Je ne suis pas Soulami, ton esclave, dit le misérable en repoussant la jeune femme ; je suis Schubea, le sectateur de Kâli. Ada est bien heureuse ; elle est maintenant dans le ciel, et son âme viendra sur la terre me donner des songes dorés pour me remercier de l’avoir délivrée. J’aimais autant que vous notre chère Ada ; je l’aimais mieux que vous, car j’ai fait son bonheur !

« Et il jeta dans les bras de lady Melvil le corps inanimé d’Ada, sur le cou de laquelle les rayons de la lune laissaient voir une trace bleuâtre qui en faisait le tour.

« Il l’avait étranglée.

« Le cadavre et la mère roulèrent dans l’herbe de la prairie, et le meurtrier s’élança au plus profond de la forêt.

« Le misérable n’avait soigné et sauvé cette enfant que pour que le sacrifice en fût plus agréable à sa divinité sanglante ! »


L’auditoire épouvanté jeta un cri d’horreur, et pendant quelques minutes ce fut comme un concert de malédictions contre la mémoire de l’infâme.

Puis l’attention se porta de nouveau vers l’attorney qui, après un instant de repos, reprit en ces termes :

— Tout cela est horrible, hideux, incroyable, et cependant tout cela est vrai : vous pourrez en juger, si le chef que nous avons entre les mains tient ses promesses et nous dévoile tous les mystères de cette infernale association.

« N’était-il pas nécessaire, messieurs, pour que l’horrible ne vous menât pas à l’incrédulité, que vous eussiez un léger aperçu de ces mœurs, nées du fanatisme, de l’amour du sang et du pillage ?

« N’est-il pas temps que l’Inde civilisée se lève tout entière, se réveille de son trop long sommeil pour poursuivre, saisir et punir sans trêve ni pitié ces sectateurs d’une divinité au culte de laquelle chacun de nous peut-être doit la perte d’un être aimé ?

« Que rien donc ne nous arrête dans notre tâche ; c’est l’humanité qui nous appelle à son secours ; c’est la religion qui nous commande, c’est le salut de notre puissance en Asie qui nous l’ordonne ! »

À ces dernières paroles de l’attorney général, malgré tout le respect qu’imposait le tribunal, des applaudissements frénétiques éclatèrent, et plus d’un quart d’heure fut nécessaire pour rétablir le silence.

Feringhea seul avait conservé tout son calme.

Les bras fièrement croisés sur sa poitrine, la tête haute, les yeux fixés sur les grandes croisées qui éclairaient la salle, il avait affecté de ne prêter aucune attention au récit de l’attorney général ni à ce qui se passait autour de lui.

C’est à peine si le bruit parut l’arracher au rêve qu’il semblait suivre.

  1. Procureur général.
  2. Le second dieu de la trinité hindoue.
  3. Chants, ballades.