Le Puits de la vérité/Café sans caféine

La bibliothèque libre.



CAFÉ SANS CAFÉINE



Café sans caféine, tabac sans nicotine, vin et bière sans alcool, viande végétale, luxe sans fortune, amour sans amour, tout cela est bien le produit d’un temps où on ne vit que d’apparences, où la suprême adresse semble être de lâcher la proie pour l’ombre, où l’on se résigne à être malheureux pourvu que les autres vous croient heureux. Mais est-ce bien particulier à notre temps et la manie de paraître ne fut-elle pas de tous les temps ? D’Aubigné se moquait déjà de ce travers dans son amusant Baron de Fœneste et sans doute qu’à toute époque il s’est trouvé des gens pour en rire. On peut dire cependant qu’il ne fut jamais plus intense qu’à l’heure présente. C’est d’ailleurs un vice éminemment social et très favorable à la prospérité des États. Sans la vanité, que deviendrait la civilisation ? Est-ce même un vice, et d’ailleurs qu’est-ce que le vice ? Rien autre chose, peut-être, que la vertu que nous ne possédons pas ? Si nous sommes prodigues, rien ne nous déplaît comme l’avarice, encore qu’elle ait sa valeur, si on en considère autre chose que la caricature. Si nous sommes avares, ce sera la prodigalité, qui pourtant nous fait participer à son plaisir. Laissons donc les gens jouir par la vanité, s’ils sont incapables d’autres joies ou même si, plus encore qu’aux autres joies, ils participent à celle-là. Aimeriez-vous une femme qui ne serait pas un peu vaniteuse, c’est-à-dire un peu coquette, qui se laisserait mollement éclipser par les autres femmes ? L’orgueil est plus beau, sans doute, mais il est bien sombre. C’est un vêtement d’intérieur. Il en faut un autre pour sortir. Maintenant que j’ai suffisamment loué la vanité, je puis bien ajouter qu’elle ne m’est guère sympathique. Être m’a toujours séduit plus que paraître. Je suis l’homme qui se satisfait le moins des apparences. Est-ce que j’aurais la vanité de cela ? Tout n’est que vanité.


_______