Le Puits de la vérité/Lettres d’amour

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LETTRES D’AMOUR



Deux humoristes ont fait une conférence sur les Lettres d’amour, et je pense qu’ils n’ont pas dit, mais je suis sûr que d’autres ont dit à ce propos, que le genre était fort suranné, qu’on n’écrit plus de lettres d’amour. C’est un lieu commun exigé par les inventions modernes qui s’appellent le télégraphe, la lettre pneumatique, voire la carte postale, inventions où les épanchements amoureux subissent à la fois la loi de la discrétion et celle de l’économie. Quant au téléphone, n’en parlons pas. Comme il supprime toute écriture, il ne permet pas de dire ce que l’écriture seule supporte et qui, dans la bouche des amants, ne s’entend guère qu’au théâtre. Mais toutes ces occasions et toutes ces facilités de ne pas écrire ne font nullement qu’on n’écrive plus de lettres d’amour, car la correspondance de loisir et de confidence, celle qui demande plusieurs feuillets, s’est trouvée, elle aussi, singulièrement protégée par l’organisation moderne de la poste. Et puis, serait-elle aussi difficile et aussi coûteuse que jadis, serait-elle aussi impossible, que les amants écriraient encore, et qu’ils seraient les derniers à écrire des lettres. Je ne crois pas que l’amour des amants éloignés l’un de l’autre, de ceux même que la vie ne rapproche pas quotidiennement, puisse se contenter du télégraphe ou du téléphone. Sa prolixité, divine ou enfantine, supporterait mal d’être taxée au mot ou à la minute. Comment peut-on s’imaginer que la psychologie des hommes et des femmes ait pu soudain être modifiée par quelques appareils électriques ? On écrit davantage, donc on écrit davantage de lettres d’amour. Je l’affirme sans preuves, mais je l’affirme.


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