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Le Révélateur du globe/Appendices

La bibliothèque libre.
A. Sauton (p. 283-374).

APPENDICES
A
Ligne de Démarcation
(Voir pages 47 et 163.)

« De sa cellule du Monastère de la Rabida, au retour de son premier voyage, Christophe Colomb, écrivant aux Rois Catholiques, indiqua comment, pour éviter des conflits ultérieurs, devait s’opérer la répartition des terres à découvrir entre les deux puissances maritimes qui tentalent, à cette époque, des recherches dans l’Océan.

« À cet effet, Colomb imagine de faire attribuer par le Souverain Pontife, pour les découvertes des Castillans dans l’Ouest, un espace égal à celui qu’auraient les Portugais dans l’Est. Et, afin de déterminer les frontières des deux royaumes sur les plaines illimitées de l’Océan, il propose un moyen d’une simplicité divine.

« Aussi plein d’assurance que s’il tenait étendu sous sas yeux l’espace entier du Globe, dont plus des deux tiers étaient encore ignorés, il fait avec une sublime auduce ou plutôt un calme angélique la section de l’Équateur que nul n’avait franchi ; trace à travers l’immensité une démarcation gigantesque ; tire d’un pôle à l’autre une ligne idéale, qui partaera la Terre, en passant à une moyenne distance de cent lieues, prise entre les îles du Cap Vert et celle des Açores. Pour opérer cette étonnante séparation géographique, il choisit précisément le seul point de notre planète que la sclence choisirait de nos jours[1] : la curieuse région de la Ligne sans déclinaison magnétique, où la transparence des eaux, la suavité de l’air, l’éblouissante limpidité de l’atmosphère, l’abondance de la végétation sous-marine, l’éclat tropical des puits, la phusphorescence des vagues, indiquent dans le mobile empire des ondes une démarcation mystérieuse du Créateur.

« Cette colossale dimension était la plus hardie conception qui fût jamais sortie du cerveau humain, Jamais proportion si gigantesque n’était entrée dans un calcul de mesure. Néanmoins, Colomb, sans s’étonner, sans hésiter, ne se doutant pas, peut-être, du prodige de son opération, prend tranquillement ses dimensions, et demande avec simplicité qu’on les envoie à Rome.

« Assurément, tout ce qu’il exposait dans ses considérations, pour ce partage des régions inexplorées entre les doux couronnes de Castille et de Portugal était aussi rationnel que hardi ; aussi hardi qu’inconnu du reste des hommes ; et, par cela même, à cause des obstacles qu’éprouve toujours la nouveauté, devait provoquer des objections, des doutes, partant des résistances. Mais le Messager du Salut avait foi dans l’infaillible sagesse de l’Église, dépositaire des vérités du Verbe. Nous verrons, plus loin, combien la Papauté justifia cette noble confiance »…

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« Suivant le conseil de Christophe Colomb, les Rois Catholiques avaient supplié le Souverain Pontife de leur octroyer par une Bulle, la donation des terres qu’ils avaient découvertes au couchant et de celles qu’ils espéraient découvrir encore.

« Quelles que pussent être les dispositions personnelles d’Alexandre VI pour la cour d’Espagne, la demande ne pouvait être accordée immédiatement ; cette affaire exigeait la plus grande prudence. Déjà le Portugal avait obtenu un privilège pour ses découvertes à l’Orient. Il fallait éviter qu’une faveur actuellement consentie à l’Espagne n’occasionnât des conflits, sous les règnes ou dans les siècles suivants ; et que l’œuvre de l’Apostolat n’amenât de sanglantes rivalités entre deux nations chrétiennes. Il était besoin d’assigner une limite entre les deux couronnes catholiques.

« Là naissait la difficulté.

« Où finissait l’Orient ? Où commençait l’Occident sur l’espace illimité des mers ? Tel était le problème à résoudre.

« Jamais plus épineuse difficulté géographique et politique n’avait été soumise à la Papauté. D’après les traditions de prudence du Saint-Siège et les temporisations ordinaires de la chancellerie romaine, on aurait dû d’abord saisir d’une telle question des Commissions de cosmographes, en Portugal, en Castille et en Italie, afin de délibérer sur leur rapport et asseoir une opinion sûre. C’était un délai de deux ans.

« Mais, évidemment, en formulant leur demande, les Rois avaient joint au dossier la copie des notes qu’avait rédigées Colomb dans sa cellule de la Rabida. Et tel était l’intérêt qu’inspirait à Rome cette entreprise chrétienne, telle était la confiance du Saint-Siège dans la sainteté du but et la pureté des sentiments de Christophe Colomb, que, sans hésitation et sans délai, comme soudainement éclairée sur l’œuvre et sur l’homme de la Découverte, la Papauté accepte en la proclamant, la vérité de son système cosmographique ; reconnait explicitement la forme sphéroïde de la Terre, sa rotation sur son axe, ayant pour extrémité les deux pôles et maintient toutes les assertions scientifiques de Colomb. Dans l’état contradictoire de la cosmographie, cette affirmation était d’une hardiesse étonnante.

« Alexandre VI ne traite point comme une négociation diplomatique le privilège qu’il va concéder. Il n’obéit ici à aucune propension personnelle ; ce n’est pas un acte de condescendance d’un Pape espagnol envers des rois espagnols. Il n’y a plus ici ni Espagnol ni Souverain ; le Pontife procède uniquement en qualité de Chef de l’Église, avec l’assistance des vénérables cardinaux présents à Rome[2]. Car il ne s’agit point d’un intérêt international, d’une affaire à régler pour la Castille ; mais des intérêts vitaux du catholicisme, de la conquête des âmes, de l’extension de la science et du royaume de Jésus-Christ.

« Comme la demande de la Castille est juste, le Souverain Pontife, avec le consentement du Sacré Collège qui l’entoure, accorde le privilège par sa Bulle du 3 mai 1495.

« Le principe posé, il s’agit d’en régler l’application : de fixer des limites aux expéditions des Castillans ; de partager entre eux et les Portugais les parties inconnues du Globe sur lesquelles ces deux puissances feront porter l’Évangile et la civilisation.

« C’est ici qu’apparaît visiblement la participation de l’Église à la Découverte, et que montre ses effets, la bénédiction intime du pape Innocent VIII sur l’entreprise de son compatriote. Tel qu’il est, son successeur vient d’accepter comme une des obligations pontificales le patronage de la Papauté dans l’invention du Nouveau Monde. Il a foi en Colomb ; lui donne pleine créance en des choses inouïes ; le dispense de toute preuve : justifie ses calculs invérifiables. C’est uniquement sur Colomb que se fonde, c’est d’après Colomb que s’engage le Souverain Pontife dans le colossal partage du Monde inexploré entre les deux couronnes d’Espagne et de Portugal. Tout ce que le Messager du Salut a proposé est accordé de point en point, comme chose indiquée par la Providence. Le chef de l’Église impose les gigantesques proportions de l’opération géométrique tracée par Colomb. Le Saint-Siège prend sous sa responsabilité l’exactitude de cet arpentage de l’inconnu et de l’incommensurable. Pour assigner aux Portugais et aux Espagnols la limite qui les maintiendrait respectivement dans leurs droits, le Souverain Pontife, avec une hardiesse surhumaine, tire sur la carte encore informe du Globe une ligne qui, parlant du pôle boréal, passant à une moyenne de cent lieues à l’ouest des Açores et des îles du Cap Vert, va se continuer à travers l’Océan austral jusqu’au pôle Antarctique ; décrivant ainsi toute la longueur de la Terre, ô merveille ! sans rencontrer dans l’immensité de ce trajet, le moindre lieu habitable, d’où pût naître une contestation.

« La miraculeuse précision de cette Ligne avait, en outre, pour effet d’assurer à l’Espagne, en récompense de son zèle, la possession exclusive du Nouveau Continent dans son entier. Quelques protestants ont remarqué que le Saint-Siège, par cette démarcation, s’exposait à mettre les deux nations rivales en présence sur le même point, puisque la Ligne passait sur des parallèles et des longitudes que nulle nef n’avait sillonnés ; et qu’il était présumable que dans un si vaste prolongement la ligne couperait quelque grande terre. Oui, mais cette ligne a passé miraculeusement dans la seule distance où ne se trouvait point de terre. Là est le prodige !

« Remarquez-le :

« La démarcation pontificale, part du pôle Arctique, arrive à cette mystérieuse latitude de la ligne sans déclinaison, à la moyenne de cent lieues, tirée entre l’archipel du Cap Vert et le groupe des Açores, franchit le tropique, coupe l’équateur, avoisine le cap Saint-Roch, sillonne les profondeurs de l’Atlantique, se rapproche de l’île Clerck, passe entre la terre de Sandwich et le groupe des îles Powel, pénètre enfin dans le cercle Antarctique pour s’aller perdre parmi les places éternelles du Pôle.

« Que l’on prenne la carte moderne la plus perfectionnée, celle du Globe Politique, par John Purdy, publiée à Londres, en 1844[3], ou celle plus récente de Johnston, « le Monde Commercial », admirable planisphère réglé au méridien de Greenwich, édité à Londres, en 1850[4], qu’on tire la moyenne de cent lieux entre les Açores et le Cap Vert, qu’on suive la ligne mystérieuse solennellement tracée, à travers l’inconnu, par le Souverain Pontife : et l’on sera confondu de voir qu’au-dessous de l’Europe, cette ligne parcoure toute l’étendue de notre planète, jusqu’au Pôle Antarctique, sans rencontrer une terre.

« Qu’on essaye ensulte de tirer une pareille ligne à tout autre point que celui qu’indiqua le Saint Siège et l’on tombera nécessairement sur quelque île ou sur quelque partie de continent. La ligne tracée par le Saint Siège avec cette précision prodigieuse comporte quelque chose d’auguste qui fait incliner de respect la science et l’imagination.

« Si l’illumination du génie de Colomb, ce regard à portée prophétique, jeté sur la face du globe avec une telle rectitude, nous confondent, on n’est pas moins saisi d’admiration à l’aspect de cette confiance absolue que lui témoigne la Papauté. On se courbe devant cette hardiesse exceptionnelle qui fait authentiquer et sanctionner, comme choses déjà vérifiées, les intuitions de son génie.

« Rome comprenait Colomb.

« Or, comprendre, c’est égaler. Toutes les sympathies du Saint Père et du Sacré Collège étaient acquises à Colomb.

« Jamais affaire plus grave, plus délicate, commandant plus de lenteur ne put être soumise au Pontificat ; et pourtant, comme le remarque judicieusement Humboldt, « jamais négociation avec la cour de Rome n’avait été terminée avec une rapidité plus grande ». Ce qui surprend ce savant universel, ce sont ces deux Bulles, « littéralement les mêmes dans la première moitié », rendues « dans l’intervalle de vingt-quatre heures[5] ».

« Sa surprise montre combien l’illustre protestant est étranger au caractère de Colomb. C’est précisément cette distinction des deux Bulles quand une seule aurait suffi, qui prouve l’estime de la Papauté pour le Révélateur du Globe, et quelle importance elle attachait à son œuvre. Dans la première Bulle, celle du 3 mal, qui est dite Bulle de Concession, le Saint Siège accorde à l’Espagne les terres découvertes, avec les mêmes privilèges et droits que les Papes ont accordés en 1438 et 1439, aux rois de Portugal. Cecl est la donation faite à l’Espagne sur la demande de ses souverains. Mais, le lendemain, 4 mai, en procédant à la séparation de ces deux héritages, pour marque d’honneur, afin de mieux solenniser cette opération unique, sans précédent, sans analogue, le Souverain Pontife consacré par une Bulle particulière la délimitation qu’il vient de fixer, d’après sa pleine confiance en Colomb. Circonstance : caractéristique de la pensée qui fit séparer en deux Bulles cette donation : le Pape, en parlant de Colomb, dans la Bulle de Concession, le 3 mai, s’était borné à le nommer son cher fils, sans le qualifier plus explicitement. Mais, dès le lendemain, dans sa Bulle de Répartition, comme s’il eût senti le devoir de donner un témoignage solennel d’estime à ce Messager de la Bonne Nouvelle, le chef de l’Église caractérise officiellement le Héros qui vient d’agrandir le monde. Il ne se borne pas à l’appeler son fils blen-aimé : Dilectum filium ; il le reconnaît pleinement digne de cette mission : Virum utique dignum ; certifie qu’il est très recommandable à divers titres : et plurimum commendandum ; et déclare qu’il était destiné pour une si grande œuvre : ac tanto negocio aptum.

« Cette Bulle de Répartition porte évidemment le caractère d’une bénédiction et d’une récompense divine. »

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« Deux mois avant le départ de Colomb pour son second voyage, le Portugal avait adressé à la Castille une protestation contre les Bulles des 3 et 4 mai 1493 qui, disait-il, portaient atteinte aux droits dont sa couronne avait été précédeminent investie.

« La Cour de Castille, craignant de voir s’altérer les bonnes relations existantes avec son allié, voulut examiner attentivement sa réclamation. Le 30 juillet 1494, isabelle chargea don Guttierre de Tolède, cousin du Roi, professeur à l’université de Salamanque, de lui adresser sans retard, à Ségovie, les muitres en’astronomie et en géographie qu’il jugerait les plus capables, pour conférer avec des pilotes qu’elle avait assemblés, Le grand cardinal d’Espagne, écrivit le 26 août suivant au savant lapidaire de Burgos, Jayme Ferrer, qu’il traitait d’ami, d’arriver en toute hâte avec ses cartes et ses instruments de mathématiques pour une vérification de mesure. Ce lapidaire, homme de foi sincère, naturaliste, voyageur, géographe, fut done invité à donner son avis sur la contestation élevée entre les deux États.

« Cependant le Portugal, tout en s’adressant à la Castille, faisait agir activement auprès des membres influents de la Cour pontificale. Les dernières ressources de son art diplo matique furent mises en jeu pour obtenir du Saint-Siège sous unc forme quelconque, l’infirmation ou Ie retrait des Bulles accordées à l’Espagne. Mais, aux observations motivées par les cosmographes portugais, aux instances et aux sollicitations du roi Joam II, le Pape répondit purement et simplement qu’il avait d’avance prévenu toute contestation, en tirant une ligne de démarcation d’un pôle à l’autre, et que sa donation était irrévocable. La cour d’Espagne ayant de son côté dénoncé au Saint-Siége la réclamation du Portugal, le Pape lut fit identiquement la même réponse.

« Le Portugal, néanmoins, ne se tint pas pour battu : il revint à importuner le Saint-Siége, faisant valoir sa primauté dans les découvertes maritimes, ses intentions pieuses ot diverses considérations tirées des sciences géographiques. Tout fut inutile : le Pape resta inébranlable. Le Saint-Siége reposait avec une telle sécurité dans la délimitation fixée d’après les données de Christophe Colomb, qu’il renvoya les ambassadeurs ordinaires et les envoyés extraordinaires des deux couronnes aux Bulles des 3 et 4 mai 1493.

« Une circonstance de ce débat négligée jusqu’à présent par les historiens et qui, pourtant, fait ressortir tout naturellement le caractère providentiel de la Ligne de Démarcation papale, doit trouver ici sa place.

« Il paraît que la reine de Castille elle-même, entrevoyant déjà la possibilité du mariage de l’infante, sa fille aînée, avec l’héritier présomptif de Joam II, pour éviter toute cause de division avec son puissant voisin à qui l’attachaient d’autres liens de parenté, n’était nullement éloignée de consentir à ce que le Safnt Père revisât su Bulle de Répartition et la modifiât dans un sens plus avantageux au Portugal. Isabelle trouvait tout simple que, sur sa propre demande, le Saint-Siège restreignit un privilége uniquement accordé en sa faveur. Elle y comptait si bien qu’en écrivant à Christophe Colomb, le 5 septembre 1493, elle parlait d’un amendement à la Bulle comme d’une chose déjà obtenue. La reine de Castille joignait ses instances à celles de Joam II. Les deux parties intéressées étant ainsi d’accord s’attendaient à voir rectifér la prétendue erreur de la Bulle.

« Mais, lorsque dans sa Bulle de Répartition, le Saint Père déclarait avoir fait sa Donation par l’impulsion spontanée de sa libéralité propre, sans égard pour aucune instance et agissant en vertu de sa plénitude apostolique, il attestait uuc vérité non moins formelle qu’imposante. Aussi respectant lui-même cette Donation incomparable, attribuée en dehors de tout mobile humain, et à laquelle il semblait, le premicr, reconnaître le caractère d’une bénédiction divine, le Souverain Pontife demeura immuable dans sa détermination. Il écarta les sollicitations tentées et les modifications proposées par l’Espagne, ainsi qu’il avait écarté les opiniâtres réclamations et les supplications obséquieuses du Portugal. Sa décision resta aussi infexible qu’un decrct céleste.

« Le Saint Père avait prononcé en sa qualité de Chef de l’Église : sa parole déjà subsistait dans le temps, irrévocable comme l’accompli et l’indéfectible. Tout ceci est étrange et merveilleux. En telle occurence, le plus grand saint et le plus grand génie s’associant n’eussent pu mieux faire qu’Alexandre VI. Cependant, afin de mettre un terme à ces plaintes, et pour constater l’immutabilité de sa résolution, le Pape donna, le 26 septembre, une Bulle par laquelle, tout en confirmant sa Donation aux rois d’Espagne, il l’étendait au lieu de la restreindre. Cette Bulle prit son titre de son objet et fut appelée en diplomatique : la Bulle d’Extension, Bula de extension.

« Dès lors, le débat resta entre les deux couronnes.

« L’obstination du Portugal et la condescendance de l’Espagne, qui tenait à ne pas s’alléner un allié que de nouveaux liens du sang allaient en rapprocher davantage, firent que, d’un commun accord, après avoir usé toutes les finesses diplomatiques, on décida par un traité signé le 7 juin 1494, dans la ville de Tordésillas, de s’en tenir à la délimitation que fixerait une Commission savante, composée en nombre égal de Castillans et de Portugais, laquelle était chargée de corriger les prétendues erreurs de la Bulle. Cependant, comme si, maintenant, elle eût pressenti le danger de toucher à la décision pontificale, Isabelle ne se détermina que tardivement, le 5 juin, deux jours seulement avant la signature du traité, à nommer ses fondés de pouvoir ; tandis que, dès le 8 mars, le roi de Portugal avait désigné les siens. La reine nomma pour la Castille : l’Intendant général de la couronne, Henrique Henriquez ; le commandeur de Léon, don Guttierre de Cardenas, et le docteur Maldonado de Talavera, l’ancien vice-président de la savante Junte à Salamanque. Le roi Joam II avait nommé pour le Portugal : don Ruy de Souza, seigneur de Sâgres et de Berenguel, son fils, don Joam de Souza et le licencié Arias de Almanada[6].

« Quel fut le résultat de la condescendance de la Castille envers l’ambition ombrageuse du Portugal et qu’advint-il du changement apporté à la décision du Saint-Siège ?

« Ceci mérite d’être constaté.

« Quand il sanctionnait, au palais de Saint Pierre, le calcul opéré par Christophe Colomb dans sa cellule de la Rabida ; quand il faisait la répartition de l’inconnu et du futur attingent, en fixant pour ligne de Démarsation le tracé qu’avait indiqué le Révélateur du Nouveau Monde, le Souverain Pontife, sans le dire, donnait magnifiquement à l’Espagne la moitié de ce Globe, le nouveau continent dans l’intégrité de son étendue !

« Ne pouvant croire à cette incomparable immensité de munificence, rapetissant dans son esprit la donation du Saint-Siège, consentant à l’amoindrir encore plutôt que de mécontenter un voisin dont on souhaitait l’alliance, la Castille s’inspira de la pensée du Portugal ; s’aveuglant et méconnaissant le caractère apostolique et providentiel du privilège dont elle était saisie, elle permit à ses Commissaires de redresser par leurs calculs les erreurs supposées de la Bulle. Les savants Portugais avec un orgueil, et les Castillans, avec une sottise exemplaires, sans plus tenir compte du tracé pontifical que s’il n’eût point existé, ne daignant pas même le nommer ou y faire allusion, convinrent de tirer une autre ligne droite[7], allant du pôle arctique au pôle antarctique et passant à 370 lieues au couchant des îles du Cap Vert[8]. C’était reculer de 270 lieues la ligne fixée par le Saint Père.

« Or, dans ce reculement de 270 lieues, la projection de la ligne nouvelle au lieu d’arriver au Pôle Sud, comme la Démarcation papale, sans couper aucune terre, allait rencontrer le cap Saint-Augustin et toute la partie du nouveau continent qui s’avance à l’Est dans l’Atlantique.

« Donc :

« Pour avoir méconnu l’apostolat de Christophe Colomb, douté de la science inspirée du Saint-Siège, s’être crue plus équitable que le Souverain Pontife envers les droits du Portugal et avoir osé corriger la Bulle, l’Espagne perdit son privilège exclusif sur le Nouveau Monde ; et le vaste empire du Brésil fut acquis au Portugal.

« Les historiographes royaux d’Espagne ont été surpris de la grandeur de la dotation que lui avait octroyée le Saint Père et déploré cette faiblesse de la Commission qui, sous prétexte de perfectionnement géographique, consentit à ce déplacement de ligne. La plus récente histoire d’Espagne[9] publiée en France reconnaît aussi que pour ne pas s’en être uniquement rapportée au Saint Père, la Castille perdit la magnifique possession du Brésil.

« Les Commissaires pleinement satisfaits de leur science, passant sous un silence dédaigneux la Démarcation papale, avaient tiré leurs mesures avec une étroitesse de vues et une sécheresse de mathématicien. Néanmoins, leurs prétentieux calculs ne reposaient sur aucune donnée cosmographique ; tandis, au contraire, que la ligne tracée par le Souverain Pontife précisait un emplacement des plus importants sur la surface du Globe, le plus digne de nos études et de nos investigations. Involontairement frappé de cette merveilleuse précision du Saint-Siège, le grand Humboldt a signalé commé un contraste, l’insigniflance des mesures fixées par la Commission savante qui prétendait faire un partage plus ingénieux ou plus exact que celui d’Alexandre VI. L’ilustre protestant dit en parlant des moyens cherchés alors pour déterminer sur terre et sur mer une ligne de Démarcation imaginaire : « L’état de la science et l’imperfection de tous les instruments qui servaient sur mer à mesurer le temps ou l’espace ne permettaient pas encore, en 1493, la solution pratique d’un problème aussi compliqué. Dans cet état de choses, le pape Alexandre VI, en s’arrogeant le droit de partager un hémisphère entre deux puissants empires, rendit, sans le savoir, des services signalés à l’astronomie nautique et à la théorie physique du magnétisme terrestre[10]. »

« Remarquant aussi le dédaigneux silence de la Commission au sujet de la Ligne de Démarcation pontificale, Humboldt dit plus loin : « Les lignes de Démarcations papales méritaient d’être mentionnées exactement, parce qu’elles ont eu une grande influence sur les efforts tentés pour perfectionner l’astronomie nautique et les méthodes de longitude[11]. »

« Les ennemis de l’Église, les détracteurs de la Papauté, tout en lui contestant le droit de cette étonnante Donation, sont obligés de confesser la sagesse de son opération et la grandeur de la rémunération accordée au zèle catholique de l’Espagne. Montesquieu lui-même, appréciant au fond, la décision pontificale, parle de « la célèbre Ligne de Démarcation », et suivant son expression de magistral, trouve qu’ainsi le pape Alexandre VI « jugea un grand procès[12]. » Après avoir d’abord essayé de taxer d’imprudence la Délimitation décrétée par le Souverain Pontife, Washingion Irving est forcé de rendre enfin hommage « à la ligne de Démarcation d’un pôle à l’autre, si sagement tracée par Sa Sainteté[13] ».

« De quelque croyance qu’on soit, à quelque point de vuc qu’on se place, un fait reste acquis pour tous dans le débat : le Saint-Siège montra plus de confiance en Colomb que la cour de Castille. Le Révélateur du Globe fut mieux jugé par l’Église que par le gouvernement auquel il se dévouait. Et, parce qu’elle osa mettre en doute l’infaillibilité apostolique, parce qu’elle préféra la prudence de l’homme, sa prétendue science à l’autorité souveraine qu’elle avait d’abord invoquée, l’Espagne réduisit elle-même l’immensité de son privilège et dimiaua, contre son gré, cette admirable dotation. »


(Christophe Colomb, Histoire de sa Vie et de ses Voyages, d’après les documents authentiques tirés d’Espagne et d’Italie, par le Comte Roselly de Lorgues. — Édition Didier, Paris, 1859. — Ier vol., pp. 371, 318 et 486.)

B
Publications et œuvres d’art relatives à Colomb
sous le Pontificat de Pie IX, de 1846 à 1873
(Voir page 50.)

1846. — Lorenzo Costa fait retentir son poème : Christophe Colomb.

Le chevalier Luigi Grillo, ancien aumônier de la marine sarde, imprime l’histoire des Liguriens illustres,

L’abbé Gavotti écrit sa notice sur Colomb.

Vincenzo de Conti reprend la discussion sur la patrie de ce héros.

Constantin Reta publie à Turin son histoire de l’immortel Génois.

1847. — Le compositeur français, Félicien David, crée ses mélodies océaniques sur la découverte de Christophe Colomb.

1848. — Le savant franciscain Maria Fannia da Rignano, maintenant évêque de Potenza et Marsico, publie à Rome ses remarques sur un poème en l’honneur de Christophe Colomb.

1849. — Cette année, stérilisée par la révolution, s’écoule péniblement à travers les commotions de l’Europe entière. Mais l’inventeur du Nouveau Monde n’y est plus oublié.

1850. — Le Pérou ayant voté une statue colossale à Christophe Colomb, charge de son exécution l’excellent sculpteur génois Salvatore Revelli.

1851. — Pie IX daigne nous ordonner d’écrire l’histoire complète de Christophe Colomb. — Notre vénérable ami le marquis Antonio Brignolo Sales, ancien ambassadeur de Sardaigne, commande au sculpteur génois Raggi, un groupe représentant Colomb au moment de sa découverte. — Un ligurien éminent, Mgr Stefano Rossi, publie à Rome une monographie sur l’emprisonnement et la transportation de Christophe Colomb.

1852. — Un poème collectif dû aux élèves de l’Université de New-York, est édité sous ce titre : L’Amérique découverte. — L’excellent ami dont notre cœur porte toujours le deuil, le comte Tullio Dandolo, fait paraître à Milan son ouvrage : Les Siècles de Dante et de Colomb.

1853. — Lamartine écrit la biographie de Colomb. — Mgr Luigi Colombo, des comtes de Cuccaro, imprime à Rome un volume intitulé : Patrie et biographie du Grand Amiral. — Don Ramon Campoamor publie un poème intitulé : Colomb. — Un officier supérieur de la marine, le baron de Bonnefoux., imprime son Histoire de Christophe Colomb. — Enfin, pour la première fois, le Révélateur du Globe rencontre en France une inspiration digne de sa grandeur, M. l’abbé Louis-Anne Dubreil, depuis lors justement élevé aux honneurs de l’archiépiscopat, et aujourd’hui assis sur le célèbre siège d’Avignon, fait jaillir de son cœur un chant sublime, aux harmonies pleines de majesté. Le lyrisme y déborde, et s’élève dans un élan souverain à des ravissements et des hauteurs qui ne seront pas dépassées. Cette ode, intitulée Colomb dans les fers[14], efface tout ce qu’en divers temps et en différentes langues on essaya sur ce noble argument, éternelle tentation de la poésie.

1854. — Le savant archevêque de Gêncs, Mgr Andrea Charvaz, prononce publiquement l’éloge de Christophe Colomb, dans un admirable discours dont le Conseil municipal vote l’impression. — La reine Maria-Amélie, son A. R. l’infante doña Maria-Luiza-Fernanda et le duc de Montpensier vont en pélérinage aux ruines du couvent qui abrita Christophe Colomb à son arrivée en Espagne.

1855. — En Amérique, l’éloge de Christophe Colomb est renouvelé plusieurs fois, à propos d’inauguration de monurents ou de statues. — En France, M. le baron Feuillet de Conches met au jour un savant travail sur les portraits de Christophe Colomb. L’illustre Père Ventura de Raulica adresse aux Italiens son manifeste : Colomb restitué à l’Église.

1856. — La première histoire complète de ce héros chrétien, rédigée par ordre du Souverain Pontife est éditée à Paris. — S. A. R. Mgr le duc de Montpensier devient le Mécène des poètes espagnols dont il a réveillé le zèle, et l’Album de la Rabida, en l’honneur de Colomb paraît à Séville sous ses nobles auspices. — Le savant professeur M. Gaultier de Claubry publie une monographie sur Christophe Colomb. — À Londres, le capitaine Alexandre Becher écrit sur ce héros.

1857. — Impressions et réimpressions des traductions de notre ouvrage à Milan et à Cadix. — Attaques violentes de la part des protestants d’Allemagne, de Genève, de Londres, d’Édimbourg et de Dublin. — Libelle lancé contre nous en Italie, par l’abbé Sanguineti, obstinément calomniateur du héros génois. — Le jeune poète milanais, Contini, publie uno ode en l’honneur de Colomb.

1858. — Hommages rendus à Christophe Colomb par les feuilles catholiques. — La plus célèbre revue d’Italie, la Civiltà Cattolica, nous défend contre nos détracteurs et honore notre œuvre de son suffrage.

1859. — La guerre d’Italle absorbe l’attention publique. Mals dès la paix de Villafranca, on reparle de Christophe Colomb.

1860. — Robert Smith publie à Londres son poème : Colomb et le Nouveau Monde. — À Turin, le professeur Jean-Baptiste Torre compose son Histoire populaire de Christophe Colomb.

1861. — Le Père franciscain Agosiino d’Osimo fait sortir des presses d’Ascoli son volume : Christophe Colomb et le père Juan Perez de Marcheña. — À Plaisance, paraît sans nom d’auteur, un nouvel ouvrage intitulé : Recherches historiques sur la véritable patrie du célèbre Christophe Colomb.

1862. — Au collège de France, M. Philarète Chasles résume les travaux héroïques de Christophe Colomb et les écrits qui en ont traité. Le citoyen Émile Deschanel attaque grossièrement notre plume dans ses conférences, et fabrique un volume contre la grandeur de Colomb.

1863. — À Rome, un excellent écrivain, le Père Marcellino da Civezza, dans son Histoire générale des Missions franciscaines, consacre de nombreuses pages à célébrer Christophe Colomb. — À Paris, M. Georges Seigneur publie, en beaux vers, une remarquable trilogie sur l’inventeur du Nouveau Monde.

1864. — Au Chili, M. de Varnhagen, ministre du Brésil, imprime une dissertation sur le lieu précis du premier débarquement de Colomb. — À Madrid, le 22 juin, une loi votée par les Cortès ouvre un crédit de 800.000 réaux pour élever une statue à Christophe Colomb.

1865. — À Paris, M. Lucien de Rosny donne une traduction nouvelle de la première lettre de Christophe Colomb. — Le marquis du Belloy tire de notre ouvrage une Histoire de Colomb, illustrée de belles gravures. — Dans son remarquable drame intitulé : Don Juan converti, M. Désiré Laverdant esquisse en traits vigoureux le sain caractère de Christophe Colomb.

1866. — L’admirable lettre du Primat d’Aquitaine, S. Em. le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, suppliant le Saint-Père de vouloir bien introduire la cause de Christophe Colomb, par voie exceptionnelle, acquiert l’importance d’un événement. Elle est imprimée dans deux langues à Bordeaux, à Marseille, et reproduite en partie dans les Semaines religieuses de plusieurs diocèses, pendant qu’on la traduit au dehors. — Toute la presse européenne retentit de cette question ; et les protestants eux-mêmes avouent que la béatification de Colomb serait un grand acte de justice ecclésiastique. — Presque simultanément, le premier des orateurs, la gloire du barreau français, l’ilustre Berryer, et l’un de nos plus grands écrivains catholiques, M. Poujoulat, félicitent et remercient de cette démarche le vénérable cardinal. — La noble initiative de l’éminentissime archevèque s’accompagne de : coïncidences qui ont tout l’air de résultats. En effet, dans cette même année 1866, le savant M. Jérôme d’Adda reproduit à Milan, en types magnifiques, pour la bibliothèque Ambrosianne, la Lettera rarissima de Christophe Colomb. — En France, à la Sorbonne, M. le professeur Himly établit que la découverte du Nouveau Monde n’avait pu être le fruit du hasard. — Un des plus généreux défenseurs du catholicisme, notre regretté comte Henri de Riancey, dans le neuvième volume de sa grande Histoire du Monde, applaudit à l’idée de cette béatification. — En Espagne, l’université de Salemanque dédie à Christophe Colomb un album de poésies, composées en son honneur par les plus renommés de ses anciens élèvos. — Aux États-Unis, M. Barlow s’occupe de la béatification proposée et imprime royalement un splendide volume. — M. Henri Harrisse publie à New-York, sous le nom de Bibliotheca americana vetustissima, sa curieuse collection des premiers écrits sur l’Amérique. — Au Brésil, M. Manoël Aranjo de Porto-Alegre dédie à l’empereur Pedro Il son grand poème sur Christophe Colomb, qu’il déclare l’élu de la Providence. — À Bogota, le congrès des États de la Colombie décide que la statue de Colomb sera érigée dans l’isthme de Panama. — L’opportunité de la lettre adressée au Saint-Père, par l’illustre cardinal Donnet, n’est-elle pas manifeste pour les deux mondes ?

1867. — À Paris, M. Gustave Pradelle fait imprimer un beau drame en sept actes sur Christophe Colomb. — De nouvelles éditions de la vie de Colomb, des abrégés, des plagiats, des contrefaçons de notre histoire sont entreprises en divers pays.

1868. — M. Richardt Henry Major publie à Londres la Collection des lettres de Christophe Colomb. — M. Borel d’Hauterive, dans son Monarque de la sagesse, commémore le zèle catholique de Christophe Colomb.

1869. — Dans trois églises de Paris, des lectures édifiantes de la vie de Christophe Colomb sont faites le soir. — Le nom du Révélateur du globe est enfin connu au Japon, par notre histoire de la Découverte, emportée d’Europe. — À Gênes, M. le commandeur Bruzzo demande que le gouvernement italien réclame du gouvernement espagnol, la restitution des cendres de Christophe Colomb, qui appartiennent à sa patrie. — M. l’abbé Cadoret, chanoine de Saint-Denis, ancien aumônier en chef adjoint de la marine, écrit avec un grand talent littéraire une histoire abrégée de Christophe Colomb, qui obtient le plus flatteur succès.

1870. — Un poème affreux, en idiome génois, paraît sous le titre de la Colombiade. — Une vie de Christophe Colomb, découvreur de l’Amérique, par Arthur Helps, est éditée à Londres. — Un professeur de l’Université de Gênes, M. le chevalier Gazzino, compose une belle ode sur la sainteté de Colomb. — On réimprime, en Angleterre, le Choix des lettres de Christophe Colomb, par R.-H. Major.

1871. — Une nouvelle Vie de Christophe Colomb est traduite à Florence. — Un Journal se fonde à Savone sous le nom de Christophe Colomb. — À Modène, M. Bernard Pallastrelli, dans un in-folio de luxe, traite du mariage de Christophe Colomb. — De Ferrari prend étrangement Christophe Colomb pour sujet de sa poésie.

1872. — La Revue des bibliothèques paroissiales doit à la plume d’un éminent archevêque des considérations de l’ordre le plus élevé sur Christophe Colomb. — Le bibliophile américain, M. Henri Harrisse, publie à Séville un volume sur le second fils de Colomb. — L’abbé Poggi imprime à Turin des poésies en l’honneur de Colomb.

1873. — L’année s’ouvre par un poème italien dont ce héros est l’argument. — M. d’Avezac accroît d’un appendice son Canevas Chronologique de La vie de Christophe Colomb. — Une excellente Histoire de Christophe Colomb à l’usage de la jeunesse, œuvre du savant docteur ès lettres, Dominique Bertolotti, recteur du séminaire de Saint-Charles à Arona, sort des presses de Turin. — Le professeur Jacques-Marie Ruffino publie une éclatante poésie en l’honneur de Colomb et de l’hospitalité franciscaine. — À Gênes, le chevalier Luigi Grillo parle ouvertement de la sainteté du plus grand des Italiens, et célèbre ses vertus héroïques dans le Giornale degli Studiosi. — À Paris, pendant l’Avent, l’église de Sainte-Marie-des-Batignolles entend un éloge de Colomb, équivalent à un panégyrique.


(L’Ambassadeur de Dieu et le Pape Pie IX, par le Comte Roselly de Lorgues. — Paris, Plon, 1874. — Prolégomènes.)

C
Postulatum pour l’Introduction de la Cause
par voie exceptionnelle
(Voir page 53.)


BEATISSIME PATER

Post hominum salutem, ab Incarnato Dei Verbo, Domino Nostro Jesu Christo, feliciter instauratam, nullum profecto eventum extitit aut præclarius, aut utilius incredibili ausu Januensis nautæ Christophori Columbi, qui omnium primus inexplorata horentiaque Oceani æquora pertransiens, ignotum Mundum detexit, et ita porro terrarum mariumque tractus Evangelicæ fidei propagationi duplicavit.

At enim, christianissimo huic summeque de Religione, totaque humanitate bene merito Heroi, condignum nullum præmium dum viveret relatum est, sed contra multæ calumniæ impactæ, multa opprobria et gravla etiam tormenta irrogata, sic ut Novo Continenti per summam injustitiam Americæ nomen indito, ipsa quoque detecti Novi Orbis gloria, ab inclyto viro, ad alterum ex priscis ejus sectatoribus, prope modum traduceretur.

Sola Apostolica Sedes ut supernam viri missionem agnovit, ita omnibus quibus poterat modis adjuvasse vide tur ; nam et Legati Apostolici munus eidem detulit, totque alia tamque præclara amoris et grati animi testimonia per tres Pontifices Innocentium VIII, Alexandrum VI, et Julium II ipsi attribuit, quanta nulli unquam paris conditionis homin]i inveniantur elargita.

Nunc vero, post tria et amplius sæcula ab novo orbe reperto, singulari prorsus divinæ sapientiæ consilio effectum est, ut tu, BEATISSIME PATER, prædictam Apostolicam Sedem conscenderes, primus videlicet inter Beati Petri successores, qui Atlanticum Oceanum olim transieris, magnamque Americæ partem lustraveris, sicque propriis veluti oculis metiri potueris maximum laborem ac molestiarum molem ab eo perlatam, qui cæteris audacissimum iter aperuit, ac melius perspicere quot quantisque divinæ gratiæ auxiliis christianum ejus pectus roborari debuerit, ut tam arduum opus, ad catholicæ Ecclesiæ diffusionem, ac tot animarum salutem perficeret.

Hæc sane animadversio in causa fuit, ut egregius Comes Roselly de Lorgues sub auspicatissimis initiis Pontificatus tui, fidentius vulgaret celebrem illam historiam, in qua Christophori Columbi superma vocatio, ejusque virtutes et præsertim zelus plane catholicus in novo orbe perquirendo, nec non Apostolicæ Sedis favor, et cœlestia signa quibus fuit adjutus, summa diligentia et fide describuntur.

Gloriosa interim Christophori memoria, ex injustæ oblivionis tenebris statim egressa, ubique gentium gratiose personat, et dum Orbis universus grati animi sensus erga apostolicum et bene meritum Heroem certatim exprimit, Christi fideles, recolendo quod opitulante Ecclesia et propter Ecclesiam memorandum facinus incepit, atque complevit, eorum admiratio et pietas veluti sponte sua sese transformant in devotum cultum, nihilque ardentius exoptant, quam ut publici Ecclesiæ honores ab Sancta Sedo incomparabili homini decernantur.

Eminentissimus quippe Princeps Cardinalis Donnet, Archiepiscopus Burdigalensis, quatuor ab hinc annis exposuit SANCTITATI TUÆ venerationem fidelium erga servum Dei Christophorum Columbum, enixe deprecans pro introductione illius causæ exceptionali ordine.

Faustum vero hujusce petitionis nuntium, brevi dierum spatio, totam replevit gaudio, ac spe Europam, Africam, Asiam et Americam ; unde quamplurimi Ecclesiarium Præsules, nec non ex cœtu sæculari spectatissimi viri, gratulatoriis epistolis gratias egerunt prælaudato Cardinali introductionis causæ initiatori. Quinquaginta de hinc supplices libelli ex diversarum Orbis partibus, SANCTITATI TUÆ porrecti fuere, devote pariter exposcentes præfatæ causæ introductionem ; ardens hoc desiderium aperte etiam produnt publicæ Ephemerides nonnullarum nationum, et non pauci egregii scriptores, in eorum operibus typis consignatis.

Ast præfatæ causæ introductioni prima fronte aliquibus videntur obstare notissima Ecclesiæ decreta, præsertim quod regulares processus supra Dei servi vitam atque virtutes nec olim confecti fuerint nec nunc temporis adeo feliciter confici queant.

Nihilominus, cum hic agatur de servo Dei plane extraordinario, tam in vita, quam post mortem, uti documenta jam parata super ejus operibus, virtutibus et prodigiis evidentissime comprobant, etiam sperare licet ut ipsius causa, juris ordine non adeo exacte servato, felicem exitum obtinere possit.

Quapropter, BEATISSIME PATER, infrascripti Catholicæ Ecclesiæ Cardinales, Patriarchæ, Primates, Archiepiscopi, Episcopi, etc., enixe postulant, atque efflagitant ab SANCTITATE TUA, ut digneris signare introductionis causæ præfati servi Dei, cum opportunis dispensationibus.

Confidentes interim hoc totius orbis votum minime frustratum iri, Apostolicam Benedictionem implorant.

D
Miracles de Christophe Colomb pendant sa vie
(Voir page 97.)
I
MIRACLE SUR TERRE

« Ne voulant pas anticiper sur les preuves à produire devant là Sacrée Congrégation des Ritos, nous rappellerons seulement ici deux événements prodigieux, disons le mot, deux miracles, qui furent accomplis en faveur de Christophe Colomb, l’un sur terre, l’autre sur mer.

« Parlons d’abord du premier en date.

« Il s’agit du fait d’armes le plus extraordinaire que nous ait transmis l’histoire, et qui pourtant semble le moins connu des historiens. Nous allons rappeler la lutte la plus gigantesque, par la djsproportion des forces, dont fassent mention les annales des peuples,

« De l’Iliade à l’Énéide, à la Moallaka d’Antar, au Shâh-Nameh de Firdouzi, au Ramayana et à la Lusiade, récits belliqueux des rapsodes, poèmes runiques, chants scandinaves, fabulations persanes, chansons de geste, épopées de l’Indoustan et de l’Araucanle, entreprises des Conquistadores, expéditions de Fernand Cortez, de Pizarre et d’Almagro, n’apportent rien de comparable à cette action inouïe, où en rase campagne deux cent vingt hommes en défirent cent mille.

« Si par des motifs honteux pour la cour d’Espagne, ce triomphe à peine croyable n’eut pas de retentissement en Europe, il fut très célèbre aux Antilles ; il y devint populaire et y reste connu sous le nom de miracle des flèches. La preuve en subsiste encore aujourd’hui.

« Ici, nous devons entrer dans quelques détails.

« Après son second voyage d’exploration, Christophe Colomb, tombé en léthargie par suite d’indicibles fatigues, fut ramené inerte à Hispaniola, où, pendant cinq mois, il resta malade d’épuisement. Durant ce temps, quatorze des principaux caciques avaient formé une ligue dans le but de massacrer les Espagnols jusqu’au dernier. Le prince Guacanagari, dévoué à Colomb, vint trouver l’Amiral encore retenu dans son lit. Il lui révéla le complot, en répandant des larmes, tant la situation lut paraissait désespérée. Les Indiens profitant de la maladie du Vice-Roi et de l’état valétudinaire des Espagnols, la plupart rudement éprouvés du climat, avaient juré de les détruire, sans en épargner un seul. Le danger était grand.

« On aurait tort de penser que les brillantes armures d’Espagne, le bruit et l’effet des arquebuses, suffisaient pour épouvanter les Indiens. Quand ils eurent vu mourir des chevaux, puis des Castillans, ils cessèrent de les croire immortels. Tout aussitôt le patriotisme reprit ses droits dans leurs âmes.

« Qu’on ne s’imagine point que les indigènes, pour ne posséder ni armes à feu, ni armures d’acier, ne fussent pas à craindre. Si quelques peuplades de l’intérieur montraient un naturel pacifique, celles du rivage occidental et des côtes méridionales se trouvant exposées aux attaques des anthropophages, avaient contracté des allures guerrières ; elles comptaient des capitaines et des soldats d’élite. La seule tribu des Ciguayens pouvait fournir un contingent de quinze mille guerriers valeureux. Colomb avait déjà pu juger de leur bravoure. Un d’entre eux avait osé venir seul à son bord, se promener fièrement, goûter les provisions, tout examiner en détail et se retirer ensuite, sans manifester ni satisfaction ni crainte.

« Une autre fois, un canot portant quatre insulaires, deux femmes et un enfant, fut surpris par une chaloupe espagnole, que montaient plus de vingt-cinq soldats. Loin de s’intimider, jes naturels, hommes et femmes, saisissant aussitôt leurs arcs, commencèrent l’attaque. Ils blessèrent mortellement deux Espagnols. La chaloupe ayant fait chavirer le canot, ils continuèrent à tirer leurs flèches tout en nageant, et s’échappèrent enfin en plongeant très bas[15].

« Le courage, pas plus que la présomption, ne faisait défaut aux indigènes. D’ailleurs, la fierté est de tous les pays, comme de tous les temps. L’Archichronographe royal des Indes en cite, par occasion, un fort curieux exemple. Lorsque sur la côte d’Uraba, le bachelier conquérant Encise, pour se procurer des vivres, sortit de son campement à la tête de cent hommes, « il rencontra trois Indiens qui, par audace, attaquèrent les Castillans, comme s’il n’y en eût cu que deux contre mille Indiens : ils tirèrent leurs flèches si promptement et en blessèrent tant, qu’avant qu’on les pût atteindre, is avaient vidé leurs carquois, et se mirent à fuir de telle sorte qu’il semblait que le vent les emportat[16]. »

« On ne doit pas oublier que près de Veragua, le 6 avril 1503, les indigènes attaquèrent à la fois les Espagnols sur le fleuve et sur le rivage, pénétrèrent dans leur camp, malgré la valeur de l’Adelantado et de Diego Mendez ; massacrèrent le capitaine de pavillon de l’Amiral, Diego Tristan, le maître canonnier, Matteo, tous les marins qui montaient le canot de la Capitane, le contre-maître du Galicien, Alonzo Ramon, en blessèrent beaucoup d’autres et les auraient totaleinent exterminés, si le feu de deux plèces d’artillerie de marine ne les eût tenus en respect.

« Christophe Colomb jugeait fort exactement la gravité de la situation. Cette conjuration s’inspirant du patriotisme devenait générale, et présentait un caractère sérieusement haineux.

« Forcé, pour éviter l’extermination complète des siens, de prendre en toute hâte l’offensive, le Vice-Roi, quoique très souffrant encore, et ne pouvant mettre en ligne que deux cents fantassins valides, appuyés de vingt cavaliers, quitta l’Isabelle le 24 mars 1495. Après avoir investi du commandement son frère Don Barthélemy, il l’accompagna pourtant, se dirigeant vers la magnifique plalne qu’il avait dédiée à l’Immaculée Conception.

« L’ennemi l’y attendait, formé en cinq corps d’armée, s’élevant ensemble à près de cent mille hommes. Ces forces se trouvaient sous les ordres supérieurs d’un guerrier étranger, Manicatex, borgne, mais vaillant et habile stratégiste, comme l’attestait son plan de bataille. Ses troupes occupaient les diverses issues de la plaine, et n’en laissaient qu’une seule librement accessible aux Espagnols. Après l’entrée de ceux-ci, les cinq corps d’armée devaient, à un signal donné, se porter rapidement de toutes leurs positions sur le centre, et écraser sous l’immensité du nombre cette poignée d’étrangers, que dans leur rapport les éclaireurs avaient dédaigneusement représentés par une poignée de maïs. Le généralissime Manicatex avait choisi cinq mille archers d’élite qui devaient engager l’action. Pendant que leurs flèches pleuvraient de toutes parts sur le groupe des Castillans, les lances, les javelots, les haches de pierre et les massues en bois de fer achèveraient la déroute.

« On ne saurait disconvenir que la situation des Espagnols ne fût périlleuse ; car, en réalité, le feu des arquebuses était moins meurtrier qu’effrayant, à cause de l’intervalle nécessaire entre chaque coup, pour la recharge de l’arme, le maniement du rouet et l’ajustage de la fourche qui assurait la justesse du tir. L’excellente trempe des épées ne servait qu’à portée de longueur, et avant qu’elles fussent tirées du fourreau, les traits innombrables de l’ennemi pouvaient accabler ce petit détachement. On frémit à une telle disproportion de forces. Pour sortir vainqueur de la lutte, chaque Espagnol devait laisser sur la place ou mettre on fuite cinq cents indigènes ! un contre cinq cents ! cela ne s’était jamais encore imaginé.

« Christophe Colomb, en atteignant la plaine de la Conception, ne suivit pas les hommes conduits par son frère ; il n’entra pas dans la Véga, mais gravit un morne élevé d’où son regard embrassait l’étendue de ce magnifique espace.

« Il est naturel de se demander pourquoi le Vice-Roi à peine convalescent, au lieu de rester à l’Isabelle avec les malades, s’était joint à sa petite troupe. Puisqu’il en avait résigné le commandement, c’est évidemment qu’il n’était point venu pour combattre en personne. Celui qui s’appelait la Colombe portant le Christ ne pouvait oublier son message de paix et de bonne nouvelle. Sa présence n’était pas non plus destinée à encourager les Espagnols par ses paroles ou son exemple, car il ne se trouvait pas au milieu d’eux ; elle ne devait servir qu’à intercéder. Du sommet de la montagne, l’Ambassadeur de Dieu priait son Maître, qui tant de fois l’avait secouru sur la mer, de ne pas l’abandonner sur la terre. Il implora aussi cette Vierge immaculée, dont il avait consacré en ce lieu la Conception miraculeuse. Sa prière fut entendue. Et alors se passa un fait sans pareil dans l’histoire des guerres.

Au moment où, sur le signal de Manicatex, les cinq mille archers d’élite commencèrent à obscurcir l’air de leurs flèches, un vent subit s’éleva qui, les faisant dévier, amortissait leur force d’impulsion, et par sa violence semblait même les renvoyer sur ceux qui les lançalent. Le cri de Miracle ! fut poussé dans la pelite armée espagnole. Les ladiens, consternés et épouvantés du prodige, se débandèrent à l’instant.

« Tandis que l’Adelantado, qui avait divisé sa troupe en deux corps, les chargeait de deux côtés opposés, l’intrépide Ojeda se précipitait furieusement sur eux avec ses vingt chevaux. Des chiens corses qui suivaient les Espagnols, se mettant à la poursuite, complétèrent la déroute.

« Sans doute le courage fut héroïque chez les Espagnols, perdus et comme engloutis au milieu de cette masse de cent mille ennemis armés ; néanmoins, en y réfléchissant, on sent que le succès n’était pas humainement possible. Techniquement, il ne s’explique pas.

« Aucun général n’admettra que deux cent vingt soldats, sans artillerie ni armes de précision, en rase campagne. puissent disperser une arinée de cent mille hommes, pourvus d’arcs, de javelots, de lances, de massues, combattant pour leurs foyers. Aussi la jactance des hidalgos ne s’est-elle jamais exercée sur ce fait inouï. Les Castillans n’eurent pas la témérité d’attribuer à leur propre valeur ou à la supériorité de leurs armes un trlomphe si extraordinaire ; ils avouèrent sans fausse honte qu’ils le dovaient à un secours rmiraculeux. C’est pourquoi cette victoire ne tira point son nom du champ de combat, mais de la cause qui l’avait procurée, et s’appela tout franchement le Miracle des flèches.

« Si nous ne savions pas combien, en Espagne, tout ce qui eût servi à glorifler Colomb était soigneusement caché ou amoindri, nous aurions lieu d’être surpris du laconisme et de la réserve des historiographes au sujet d’un tel événement.

« Cependant, malgré leur circonspection, tous s’accordent sur un point : Christophe Colomb assistait au combat sans y prendre part. Il n’y figurait pas Comme chef militaire. Son frère, Don Barthélemy, seul, exerçait le commandement, L’archichronographe impérial, Oviedo y Valdez, ne nomme pas même Colomb ; et tous les autres historiens des Indes reconnaissent que l’Adelantado seul dirigea l’action. L’historiographe royal de Castille dit expresséinent que l’affaire fut conduite par l’Adolantado. Mais dans la crainte de déplaire au suprême conseil des Indes, n’osant rapporter franchement la tradition locale qui était si précise et si claire, Herrera cssaye d’expliquer ce succès, à peine croyable, d’une façon moins croyable encore. « L’armée, réunie sous les ordres de Manicatex, dit-il, était composée d’environ cent mille hommes. L’Adelantado les alla attaquer, et les entoura si adroitement avec son infanterie, sa cavalerie et ses chiens, qu’en peu de temps il les mit tous en déroute[17]. »

« Entourer l’ennemi, c’est l’envelopper. Comprend-on comment deux cent vingt hommes, adroitement ou non, peuvent en entourer cent mille ?… Quelle élasticité de bras et de jambes ! D’après la proportion du nombre, chaque Espagnol aurait dû faire face à cinq cents indigènes environ.

« Il est certain que cette victoire n’est pas explicable militairement. Les vainqueurs ne n’en sont point attribué le mérite. On n’en a pas fait honneur à l’Adelantado. La vanité castillane n’a jamais décrit avec complaisance ce fait d’armes le plus grandiose des annales guerrières. Il n’a été pleinement apprécié, célébré et éternisé que là même où il s’accomplit. Cet événement n’a pas été nommé une victoire, mais un miracle ! et les colons aussi bien que les indigènes n’oublièrent point l’intervention soudaine de la puissance qui préserva les chrétiens d’un véritable massacre.

« Quoique les historiens ajent évité de parler de cette affaire, sans doute parce qu’ils auraient été obligés d’y mêler Colomb, nous ne pouvons oublier son rôle dans cette miraculeuse journée. La prière du Serviteur de Dieu sur la montagne, pendant le combat des chrétiens contre les Indiens, nous rappelle involontairement celle de Moïse durant le combat d’Israël contre les Amalécites.

« Moïse élait parti avec les troupes, mais sans en prendre le commandement. Il l’avait confié à son lieutenant Josué[18]. Au lieu de suivre celui-ci sur le champ de la lutte, il se tenait au sommet de la colline[19]. Là, devant le Seigneur, il était debout, les mains’élevées ; et, par la seulc puissance du signe ainsi figuré, obtenait miraculeusement la victoire. Dans sa reconnaissance, Moïse dressa en ce lieu un autel, qu’il appela de ce nom : « Le Seigneur est ma gloire[20]. »

« Christophe Colomb, parti aussi avec ses troupes, n’en prit pas le commandement, et le remit à son lieutenant l’Adelantado. Il ne marcha pas non plus sur le terrain du combat, mais se tint au sommet de la colline, priant le Seigneur pour son peuple ; il obtint la victoire. Dans sa gratitude, Colomb ft dresser là un autel, célébrer une messe d’actions de grâce et, pour mémoire de cette journée éleva une Croix.

« Ensuite près de là, du côté opposé à la Croix, en signe de la palx conclue, il fit planter l’arbre qui en est le symbole. La Colombe portant le Christ avait apporté son rameau d’olivier. Et cet olivier, unique dans cette région, existait encore au commoncement de ce siècle. I] était du double plus grand que ceux d’Europe, mais ne donnait point de fruit.

« Tandis que l’Espagne semblait ignorer cette victoire qui surpasse toute épopée, aux Antilles, une tradition constante et invariable dans su transmission perpétua le souvenir du miracle. Là où déjà s’oublie le nom de l’Adelantado, les habitants se rappellent le prodigieux événement. La renommée du miracle des flèches s’est maintenue vivace dans l’île d’Haïti. Écoutons un témoignage que personne ne suspectera ; c’est celui d’un commissaire de la République française, obligé, en germinal an VI, de traverser cet ancien champ de bataille. « C’est dans ce lieu, dit-il, et à l’ombre d’un sapotillier qui existe encore, que Christophe Colomb, après une bataille décisive contre les naturels, se retira pour rendre grâees à Dieu. Il y fit célébrer une messe, et planter une Croix[21]. » Avant lui, un savant créole, membre du gouvernement colonial, député de la Martinique, Moreau de Saint-Méry, avait aussi parlé du miracle des flèches[22], dans sa description de la partie espagnole de Saint-Domingue.

« Les habitants, restés étrangers aux influences de Cour, informés par la volx publique de ce fait miraculeux, reconnaissaient son importance, et le classaient parmi les faveurs dont la Providence avait comblé la nation espagnole. La réimpression de l’Histoire générale des faits des Castillans dans les Indes, par Antonio de Herrera, faite à Madrid, en 1730, chez Nicolas Rodriguez Franco, et dédiée au roi Philippe V, portait, gravés dans son frontispice, les principaux événements accomplis dans le Nouveau-Monde. On y voyait nettement représenté le miracle des flèches. D’un simple geste, Notre-Dame de l’Immaculée-Conception renvoyait vers les Indiens les flèches lancées contre les Castillans. Le burin réparait ainsi, d’une manière presque officielle, l’oubli de l’historiographe royal.

« Aux Antilles, les lieux témoins de cette miraculeuse intervention en ont fidèlement gardé mémoire. Ce souvenir a survécu au renversement et au dépeuplement de la ville, qui fut autrefois la Conception. À quelque distance de l’ermitage de Santo-Cerro, vers le sommet de la colline, derrière la Croix qu’éleva Colomb, se trouve une assez belle église, dont les murs intérieurs sont couverts de peintures fort anciennes, et en triste état ; à droite se remarque la description d’une grande bataille livrée aux Indiens. Vis-à-vis on voit Colomb, rendant des actions de grâces à Dieu. « Au fond, dit la relation du commissaire de la République, est représenté le miracle des flèches repoussées par la Vierge sur les Indiens qui les lançaient. Ce miracle est encore représenté à l’entréc de l’église et au-dessus de l’autel. Il tient le premier rang parmi les faits extraordinaires qui accompagnèrent la Découverte[23] ».

La Légende dorée et les Bollandistes, rapportent, comme une chosc certaine, que saint Christophe, avant de consommer son martyre par la décapitation, fut condamnéà être percé de flèches, mais que les flèches restaient en l’air et qu’aucune ne put l’atteindre. Ils ajoutent que l’une de ces flèches se retournant contre le tyran vint lui crever un œl. Ce falt est consigné dans tous les récits anciens du martyre de saint Christophe et, particulièrement dans le missel de saint Ambroise, à la préface de la messe du Porte-Christ.

« Dans la collection des plombs historiés de M. Forgeais, dit Pessemesse (Archéologie populaire, citée par M. Péladan, de Nîmes, dans la brochure signalée plus haut, page 105), nous trouvons plusieurs méreaux qui nous aident à compléter l’iconographle de saint Christophe. Ces méréaux, comme on le sait, servaient de jetons aux corporations. Plusieurs corporations étaient placées sous le patronage de saint Christophe ; aussi on possède un assez grand nombre de plombs frappés à son effigie. Les arbalétriers l’avaient pris pour patron, parce que, disent les actes de son martyre, les flèches que tiraient contre lui les soldats de Dagnon, épargnèrent son corps et se retournèrent contre ses bourreaux ; une, entre autres, perça l’œil du rol. Cette particularité de la passion du saint était figurée par plusieurs flèches retournées à ses pieds. On trouve ce motif sur la châsse qui renferme ses reliques, à Arba, en Dalmatie. »

Cette circonstance, rapprochée du miracle des flèches dont on vient de lire le récit, confirme singulièrement les remarques contenues au chapitre iii de la seconde partie de ce livre, touchant l’accomplissement mystérieux de la légende symbolique du Christophore.

II
MIRACLE SUR LA MER

« Parmi les quatre caravelles que l’ordonnateur de la merine avait livrées à Christophe Colomb pour son dernier Voyage de découvertes, se trouvait un navire, nommé le Galicien, épais, mauvais marcheur, si défectueux dans sa mâture qu’une ronde brise le mettait en péril. D’ailleurs, à tout instant l’escadrille était obligée de diminuer de voiles pour ne pas le perdre de vue. Il y avait urgence de s’en débarrasser.

« Le 29 juin, l’escadrille, étant arrivée devant Saint-Domingue, jeta l’ancre à une lieue du port. Colomb envoya le capitaine du Galicien, Pierre de Terreros, exposer lui-même au gouverneur Ovando la nécessité de se procurer un autre navire, et le prier de lui céder une des caravelles qui allaient partir ou de lui en fournir une autre que l’Amiral payerait de ses deniers. Il devait aussi demander, de la part de son chef, licence d’entrer dans le port avec ses quatre navires, pour se mettre à l’abri d’une violente tempête qu’il prévoyait devoir éclater prochainement.

« Ovando aurait pu accorder la permission de descendre ; mais il craignait de déplaire au roi Ferdinand, et surtout de s’aliéner les bureaux de la marine, s’il accédait à la demande de l’Amiral. Peut-être aussi n’était-il pas convaincu de la néccessité de remplacer un navire mis en mer depuis deux mois à peine. Quant au besoin d’échapper à la tempête, la sérénité du ciel, la splendeur du soleil, le calme azuré des flots lui donnaient en ce moment l’air d’une plaisanterie. Non seulement il n’accorda pas à l’amiral de prendre un autre navire, mais il lui « défendit de descendre et même d’aborder ».

« Tout ce que demandait l’Amiral étant refusé, le capitaine du Galicien revint à bord de la Capitane rendre compte à son chef de l’insuccès de sa démarche. Il put, en passant au milieu de leurs amarres, compter dans le mouillage trente-quatre navires avec pavillon de partance. C’était la flotte que devait ramener Torrez, à laquelle s’étaient réunies deux caravelles achetées par un ancien notaire amateur de navigation, Rodrigo de Bastidas.

« Il est plus aisé de se figurer que de rendre l’indignation dont fut saisi le grand homme en se voyant repoussé « d’une terre et des ports que, par la volonté de Dieu, il avait gagnés à l’Espagne en suant le sang[24] », ne pouvant ni se réparer ni s’abriter dans une île dont il était le Vice-Roi et le Gouverneur perpétuel, contraint par conséquent de s’offrir comme une proie à la tempête, et de continuer son voyage avec un navire hors d’état de naviguer ! Ce refus si contraire aux lois de l’humanité et aux usages de la mer répandit la consternation dans les équipages.

« Mais, quolque profonde que fût l’indignation de l’Amiral, son humanité, sa charité chrétienne l’emportèrent sur son ressentiment. Il renvoya de nouveau vers le gouverneur pour lui dire que, puisqu’il lui refusait un asile, malgré la nécessité de se réparer et au moment même d’un péril imminent, rigidité qu’il ne pensait pas être conforme à l’intention des Rois, qu’au moins il retînt encore la flotte près de partir, et qu’il ne la laissât pas aller avant huit jours[25], parce que l’ouragan s’étendrait jusqu’en de lointains parages ; quant à lui, il allait sans retard chercher un abri.

« Comme Ovando n’entendait rien à la navigation, etque sa prudence le portait à ne pas négliger un avis utile, il prit conseil des pilotes et du capitaine général, Antonio de Torrez. Il faut bien le reconnaître, aucune apparence atmosphérique ne semblait justifier la prévision de l’Amiral ; il fut donc décidé que l’on partirait ainsi qu’il était convenu. Les piloles, en regardant le clel, raillèrent gaillardement la sinistre annonce du vieil amiral, qui fut traité d’esprit morose, de « faux prophète[26] », et peut-être de radoteur.

« Colomb, fort embarrassé de l’état du Galicien, ne vit pas d’autre expédient que de donner au plus mauvais navire le meilleur capitaine. Il fit passer à son bord comme commandant en premier, son frère don Barthélemy, homme fécond en ressources, et immédiatement chercha un abri le long de la côte voisine. À quelques lieues de là, l’on trouva une petite anse assez fermée, qu’il appela « le port caché », puerto escondido. Il s’y assure de son mieux, et aussitôt fit toutes ses dispositions pour recevoir l’ouragan, avec autant de hâte que s’il l’eût vu venir.

« Cependant le bon état de la mer, l’éclat du ciel, la douceur des brises, souriajent à ceux qui devaient partir. Après un séjour assez long, loin de leur famille et de leurs habitudes, il leur tardait de revoir la patrie. Conformément aux ordres de la Reïne, Ovando avait signifié un congé de retour à tous les rebelles connus. La plupart ne demandaient pas mieux, puisque leur fortune était faite. D’ailleurs ils emportaient chacun des quantités d’or capables d’adoucir leurs juges.

« On les avait répartis, au nombre de plus de cinq cents, sur diverses caravelles. Bobadilla, le gouverneur destitué et qui se consolait de sa disgrâce avec ses monceaux d’or, avait pris place sur la Capitane. Il emportait un trésor qu’on estimait à plus de cent cinquante mille ducats, outre des quantités de morceaux d’or qu’il destinait à la Reine[27]. Roldan, destitué comme lui et appelé à rendre compile de sa rébellion, avait entassé dans ce vaisseau des masses d’or rapinécs sous toutes les formes, jusqu’à la violence, pendant sa révolte. Sur cette caravelle, on avait embarqué cent mille pesos provenant des droits royaux. On y avait aussi transporté, au grand regret de toute la ville, le plus énorme morceau d’or massif dont il ait jamais été parlé dans l’histoire. Cette pépite, que plus de mille hommes avaient touchée de leurs mains[28] avec admiration et convoitée, s’élevait, d’après un témoignage authentique, au poids de « trois mille six cents pesants d’or ». Les rebelles avaient aussi placé sur ce navire la somme de cent mille pesants d’or fondu et marqué, et quantité de gros grains d’or natif, pour les montrer ainsi en Espagne. Jamais une telle quantité d’or n’avait été vue à la fois.

« D’autres richesses, également acquises au mépris de la justice et de l’humanité, payées du sang et de la vie de tant de malheureux Indiens, étaient entassées sur chacune des caravelles. D’après Benzoni, il y avait là plus de quatre cents Espagnols, tous riches, tutti richi.

« Le temps étant superbe, on mit fin aux adieux. Le capitaine général donna le signal du départ. La flotte, ouvrant ses voiles, s’éloigna majestueusement des rives de l’Ozama. Elle gouverna directement au sud-est, pour aller doubler le cap de l’Épée, au-dessus de l’île Saona, et gagner la haute mer.

« Tout allait à souhait. On arriva par un souffle propice à la hauteur du cap Raphaël, à une distance d’environ huit lieues, quand tout à coup la brise mollit ; puis en peu d’instants des signes inquiétants se manifestèrent. La transparence du ciel s’épaissit, l’éclat du jour décrut rapidement. L’Océan se tenait calme et morne ; l’air était lourd et suffocant. Pour des pilotes exercés, il n’y avait pas à s’y méprendre : c’était l’annonce de lu tempête.

« Quoiqu’on fût en vue de la terre, on ne pouvait y chercher un refuge. Aucun souffle ne soulevait les voiles, qui pendaient flasques le long des mâts. L’Atlantique, devenu terne et glauque, demeurait immobile comme un cercueil de plomb. Il n’était plus possible ni de retourner au port, ai de fuir le danger des côtes en effrontant la haute mer. Sans doute tel marin qui avait raillé l’Amiral aurait en ce moment voulu, suivant le conseil de sa vieille expérience, n’avoir pas quitté le mouillage ; mais il était trop tard. Aucun art ne pouvait rien maintenant.

« L’effet suivit de près la menace.

« Un vaste balancement rompit la plaine unie des eaux ; les vagues, après quelques larges oscillations, se gonfèrent aotrclssant ; leurs cimes en bouillonnant s’élevèrent blanchissantes. Bientôt le fond de la mer sembla se soulever ; le souffle strident de la tempète grinça dans les mâtures, ballotant comme un Jouet, parmi les masses d’écume, cette superbe flotte. Les vergues frappaient l’eau ; l’avant et l’arrière plongealent tour à tour sous les lames. Les trésors accumulés dans les navires furent rudement secoués. La fureur des vagues fit s’entre-choquer plusieurs caravelles. Quelquesunes s’entr’ouvrirent et sombrèrent à l’instant ; d’autres luttèrent par d’impuissantes manœuvres. Un épais embrun s’ajoutait à l’affreuse obscurité du ciel, On ne se voyait point ; on entendait à peine les commandements inutiles du portevoix et les cris désespérés de l’horreur.

« La Capitane, si merveilleusement encombrée d’or, malgré ses solides charpentes, fut saisie par l’ouragan, fracassée, ouverte aux flancs, dépecée, puis engloutie sans rémission dans l’abîme. De tout ce qu’elle portait, hommes et trésors, rien ne reparut. Plus de vingt-six caravelles, toutes chargées d’or, dépouilles des malheureux Indiens, furent brisées et ensevelies dans les gouffres des vagues ; d’autres, emportées dans les silions écumeux de l’Océan, furent entraînées scus des parallèles inconnus, et sombrèrent plus loin, après avoir ressenti plus longtemps les angoisses du désespoir.

« De toute cette superbe flotte, il ne revint à Hispaniola que deux ou trois navires fracassés, à demi noyés ; tandis qu’un seul, le plus mauvais, le plus petit de tous, nommé l’Aiguille « el Aguja », continuait sa route vers l’Europe. « Il portait tout le bien de l’Amiral, qui consistait en quatre mille pesos ; et ce fut le premier qui arriva en Castille comme par la permision de Dieu[29] ». Les navires maltraités qui revinrent se réparer à l’Espagnole portaient les gens les plus pauvres, les plus obscurs de ce convoi ; il n’y avait parmi eux qu’un seul hidalgo, le notaire navigateur Rodrigo de Bastidas : « C’était un fort honnête homme[30] », que Bobadilla avait aussi persécuté inhumainement.

« Dans cette terrible journée périrent, sans en excepter un seul, les traîtres, les calomniateurs, les ennemis jurés de Colomb. « Là, dit un historiographe royal, a pris fin François Bobadilla, celui qui avait envoyé l’Amiral et ses frères, les fers aux pieds, sans l’accuser, ni lui donner liou de se défendre ; là prit fin aussi le rebelle François Roldan et quantité de ses complices qui s’étaient soulevés contre les Rois, contro l’Amiral, dont ils avaient mungé le pain, et qui avaient tÿrannisé les Indiens. Là périt aussi le Cacique Guarionex (qui avait opiniâtrement refusé l’Évangile) ; les deux mille pesos furent submergés avec ce grain d’or de grandeur prodigieuse[31]. » Tout fut perdu ; la mer engloutit à la fois avec ces richesses iniques leurs iniques possesseurs, « au nombre de plus de cinq cents hommes[32] ».

« Or, pendant que s’accomplissait ce désastre, l’Amiral, retiré dans « le port caché », puerto escondido, laissait gronder l’ouragan, et se confiait à Dieu.

« Durant le jour, les quatre caravelles, parant de leur mieux aux coups de vent et de mer, tinrent bon. Mais « la tempête fut terrible pendant cette nuit-là, et elle désempara les vaisseaux ». Au milieu de l’obscurité, trois navires furent arrachés du port, où la Capitane resta seule. Chacun d’eux fut emporté de son côté[33], sans conserver d’autre espoir que le mort. Chacun croyait les autres irrémissiblement perdus. Ils durent s’abandonner à la violence des flots. Le Galicien, sur lequel se trouvait heureusement l’Adolantado, perdit sa chaloupe, et, pour la ravoir, le bâtiment faillit périr. Il dut y renoncer. On s’efforça de gagner la haute mer. Les trois caravelles furent fort maltraitées, perdirent une partie de leurs agrès et de leurs provisions. Le navire de l’Amiral, quoique horriblement fatigué, ne reçut aucune avarie. Il dit lui-même : « Notre Seigneur sauva celui dans lequel je me trouvais, en telle sorte que, quoique étrangement assailli, il n’éprouva pas le moindre dommage[34]. » Après avoir été battues de.la tempête durant plusieurs jours, les quatre caravelles se rejoignirent au port d’Azua le dimanche[35], comme afin de célébrer ensemble ce saint Jour, et remercier Dieu de sa protection manifeste. Les circonstances de cette réunion inespérée paraissent avoir frappé l’Amiral, si habitué aux bontés de sa Haute Majesté.

« Ce désastre n’a point été considéré comme un simple sinistre de mer ; tous les contemporains y ont vu un châtiment providentiel. L’action de la justice divine fut ici tellement transparente que, sans exception, tous les historiens de cette époque s’en montrèrent saisis de respect et d’effroi.

« Si le discernement de la tempête, qui épargne le juste et sévit contre les coupables, balaye de son souffle leurs espérances, emporte leurs supplications, verse au gouffre de l’Océan les richesses accumulées au prix de leur âme ; si le sauf-conduit donné parmi les abîmes au petit trésor de l’Amiral, qu’on a placé méchamment sur la plus fragile des nefs, et qui l’amène seule à travers l’Atlantique dans le port destiné, nous frappent d’étonnement, cet étonnement se changera en stupeur, à l’aspect de la protection qui, durant ce même instant, couvre la personne et l’escadre de l’Ammiral dans la mer des Antilles. Ses quatre caravelles sont également préservées et sur la côte et sur la pleine mer. Le Galicien, ce navire mis en danger par la seule houle, résiste à l’impétuosité des flots : la Capitane ne perd ni un homme ni une ancre, ni un câble, ni une planche, ne recoit aucune avarie.

« Le caractère vraiment surnaturel de cet événement impressiona profondément l’Espagne. L’étrangeté de ces circonstances, l’immensité de la perte, le deuil de plus de cinq cents familles, donnèrent aux détails de ce fait une authenticité lugubre et mémorable.

« La Reine fit au gouverneur Ovando un double grief, de son double refus d’obtempérer à l’avertissement de l’Amiral et de lui accorder un refuge dans une si pressante nécessité[36]. Le Roi regretta l’or fondu et marqué, surtout ce pain d’or massif dont aucun travail des mines n’a jamais offert le pendant. Longtemps la mémoire de ce terrible fait se conserva vivace dans l’Île. L’archichronographe impérial Oviedo, qui y résida et s’en entretint avec des témoins oculaires, fut frappé de son caractère prodigieux. Dans trois passages de son Histoire naturelle des Indes occidentales, il revient sur cette flotte perdue pour avoir négligé le conseil de l’Amiral[37]. Le Milanais Girolamo Benzoni, qui habitait Hispaniola quarante ans après l’exécution de ce jugement, et dut y entendre encore quelques témoins oculaires, n’a pu se défendre de voir ici la sentence d’un arrêt céleste[38]. Le châtiment des rebelles, l’anéantissement de leur inique trésor, lui paraît un exemple salutaire donné au monde et une haute leçon de philosophie historique.

« La prédiction de Colomb, son terrible accomplissement, l’immunité accordée au petit trésor du messager de la Croix sur l’Atlantique, et la conservation de ses quatre navires dans la mer Caraïbe, sa caravelle seule exemptée de toute fatigue et de toute avarie pendant l’effroyable tumulte des flots, faits qu’attestent des témoins oculaires, des pièces officielles, des documents authentiques et l’unanimité des historiens, ne sauraient aujourd’hui être mis en doute.

« Chose à remarquer : personne n’a jamais osé attribuer un tel enchaînement de circonstances au Hasard, ce patron complaisant du difficile, qu’on se plaît à charger de l’imprévu et de l’extraordinaire dès que notre raison n’en trouve pas une explication qui la satisfasse.

« En vain tenterait-on d’expliquer naturellement cet événement formidable ! Qu’on n’essaye pas de l’attribuer à l’habileté consommés, à l’expérience lumineuse de l’Amiral. Un tel genre de prédiction est au-dessus des faits de l’observation et de la pratique. Interrogez les hommes spéciaux, les officiers de mer : mieux que tous autres, ils vous apprendront l’impossibilité d’une telle prophétie, d’après les données de la science nautique. Le savant Arago ne croyait point à la possibilité de présager une tempête, et encore moins de la deviner avant l’arrivée des signes précurseurs de l’ouragan. Voici ce que dit, au sujet de la prédiction de Colomb, un officier supérieur de la marine, ancien directeur d’école navale, auteur du Manœuvrier complet et du Dictionnaire de marine à voiles et à vapeur, le baron de Bonnefoux :

« Nous nous croyons fondé à n’admettre l’infaillibilité absolue d’aucun homme, d’aucun instrument météorologique, d’aucune donnée préalable, d’aucun signe précurseur, en ce qui concerne toute prédiction ou toute annonce sur le temps qu’il fera, non-seulement deux jours, mais même deux heures à l’avance. Que Colomb, par exemple, en cette occasion, ait remarqué que les nuages des régions supérieures avaient une marche assez prononcée à l’encontre de celle des nuages plus voisins de la terre ; qu’il ait observé que les vents alisés faiblissaient ; que, par intervalles, les brises de l’ouest prenaient de l’ascendant ou toute autre indication pratique, et qu’il ait jugé prudent de prendre ses précautions et de se mettre à l’abri, nous le concevons facilement, d’autant qu’en marin consommé, Colomb avait l’habitude, qui est celle de tous les chefs prudents, d’avoir toujours la pensée, préoccupée de sa route, de son navire, de l’état du ciel et des probabilités du moment ! Mais quant à déclarer publiquement qu’une tempête devait éclater dans deux jours, nous croyons que c’est au-dessus des facultés humaines, et que ni Colomb, ni personne au monde n’a jamais pu le prédire avec certitude[39]. »

« Nous aussi nous sommes persuadé qu’une telle prédiction « est au-dessus des facultés humaines » : c’est précisément pour cela que l’annonce officielle de Colomb au gouverneur Ovando, le conseil de ne point laisser partir la flotte, donné avec insistance, deux jours avant la tempête, nous semblent présenter un caractère prodigieux, assorti au drame prodigieux de ce châtiment de la Providence.

« Les circonstances positives des faits ne laissent aucune prétention au Hasard. Humboldt et Washington Irving[40], les écrivains rationalistes, les contempteurs de l’ordre surnaturel, n’ont pas osé faire intervenir ici le Hasard, et risquer une interprétation, selon leur système, de cet événement formidable.

« Quelle sagacité ne montra pas la tempête en laissant continuer sa route au plus frêle navire, chargé des droits de l’Amiral, et en se contentant d’avarier les bâtiments de Rodrigo de Bastidas, tandis qu’elle engloutissait inexorablement, après les avoir fracasséos, les solides caravelles de la flotte, chargées d’hommes pervers et de richesses homicides ! Quelle sûreté de tact dans l’ouragan, qui respecte la Capitane, où flotte le pavillon du Messager de la Croix, la laisse sur ses amarres dans le port, pendant qu’il arrache de leur ancrage, emporte et ballotte dans la haute mer les trois autres navires, les tlent en péril, comme pour marquer, par cette différence de sort, la différence de leur destination, et mieux faire ressortir une protection toute spéciale !

« Et que penser du beau temps qu’on dirait d’accord avec la tempête, afin de ramener à Colomb, le dimanche, au même lieu, les caravelles dispersées au large et disparuos dans l’espace, comme pour leur permettre de solenniser ce jour, conformément aux pieuses habitudes de l’Amiral ?

« Ces étonnantes prévoyances sont-elles l’œuvre du Hasard ? En ce cas du moins, ce Hasard est tellement ingénieux dans ses combinaisons, transcendant dans ses calculs, il s’éloigne si fort de l’accidentel, de l’imprévu, qu’on ne peut guère le reconnaître ; et si c’est réellement lui, avouons qu’il est bien changé ; il ne ressemble pas à lui-même.

« Les ennemis de Colomb, frappés de l’immunité qui préservait son bien et ses équipages, et voyant de quelle façon, en une seule fois, il avait été vengé de ses persécuteurs, attribuaient à son pouvoir magique cette terrible journée[41].

« Quand, en se rappelant la haute piété de Colomb, inventeur et donateur de cette terre où il avait planté la Croix, on rapproche par la pensée ses gigantesques travaux, ses droits sucrés, ses intentions si pures, de l’attentat commis contre lui par les ingrats, les rebelles, le mandataire d’un pouvoir trompé, arrachant à son gouvernement, jetant en prison chargé de fers et bannissant de l’île le messager du Salut, on sent le cœur, d’accord avec la raison, reconnaître icl une grande leçon donnée au monde. Ainsi que la sagesse du Créateur se révèle par les merveilles de ses œuvres, l’éternel gouvernement de la Providence devient visible pour nous dans un tel acte. On ne doit pas oublier l’évangélique générosité du conseil de Colomb. Après le refus durement exprimé d’Ovando, l’Amiral renvoya auprès de lui, n’espérant plus le ramener à de meilleurs sentiments envers sa personne, mais voulant détourner de ses ennemis le danger auquel ils l’exposaient lui-même, et préserver la flotte d’une destruction imminente.

« Il semble que, dans sa miséricorde, la Providence eût ménagé aux coupables cet avertissement, comme une dernière épreuve de leur dureté de cœur.

« Mais ces hommes cupides, maintenant surchargés de richesses, étaient impatients de revoir la patrie. Il leur tardait d’aller jouir oisivement en Castille du fruit de leurs rapines. Leur passé était d’avance légitimé par leur or ; et ils espéraient recevoir sans doute les faveurs dont le crédit de Juan de Fonseca récompenserait leur haine contre l’Amiral. Ils renvoyèrent avec dédain le conseil du patriarche de l’Océan ; répondirent par la dérision et le mépris à cet acte de chrétienne magnanimité. Après l’avoir abreuvé d’amertumes, de calomnies, quand il régnait sur eux, ils voyaient avec joie ses navires repoussés de la terre qu’il avait découverte. La présence du juste aurait troublé leurs illusions coupables. Ne voulant rien de lui, pas même un conseil, ils rejetèrent son avertissement, ainsi que sa personne était déjà rejetée de l’île, dont il était le Vice-Roi. Ils dirent au Serviteur de Dieu, comme l’impie des anciens jours au Seigneur lui-même : « Éloignez-vous de moi[42]. »

« Cette ingratitude mit le comble à leur iniquité. Le Très Haut aveugla ces superbes. :

« L’ange du Seigneur donna ses ordres à la tempête, et le châtiment s’accomplit.

« Ce acte de divine justice, exécuté dans la secondo année de l’ère de la Renaissance, pendant l’essor de l’imprimerie, le développement littéraire de l’Espagne, la clairvoyance de la critique, semble venir prouver aux plus obstinés incrédules les miracles de l’Ancien Testament ; démontrer irréfragablement l’intervention, parfois tangible, du Souverain des cieux dans les choses de la terre ; et donner crédit aux châtiments temporels des peuples, sous l’ancienne Loi, rapportés par les Livres saints, constatés par les plus hautes traditions de l’Orient, et dont l’antiquité profane elle-même conserva la mémoire.

« Ni aux temps des patriarches, ni après la sortie d’Égypte, sous les Juges, les Rois, jamais dans l’héritage d’Israël n’éclata signe plus évident que celui par lequel, en ce jour-là, se manifesta la colère de Dieu au sein de l’Atlantique.

« Cet événement qui défie à la fois les explications de la science et les prétentions du hasard, laisse dans un cruel embarras les libres penseurs, les positivistes, adversaires naturels du surnaturel.

« Le fait est là patent, aussi indubitable que l’existence de Charles-Quint et de François Ier. On ne saurait donc le nier ; mais comment l’expliquer, en dehors de la Providence ? Le hasard n’a pas le moindre prétexte pour se présenter ici ; personne d’ailleurs n’ose l’y convier, et alors que dire ?

« Ce fait est un miracle ; et ce miracle reste le plus étonnant qui se soit produit depuis les temps du Sauveur.Il porte un caractère formidable et terrifiant. L’air, la mer, la terre se mirent en courroux contre les ennemis de l’envoyé de Dieu. Ceux qui partiront, ceux qui restèrent furent également frappés, chacun dans la proportion de ses fautes ou de ses forfaits. Ce fut une véritable exécution, ordonnée par la Justice divine. Les contemporains de la Découverte le reconnurent, et l’appelèrent du non de châtiment. Les historiographes eurent beau abréger les détails du désastre, ne point s’appesantir sur ses effets, ni remonter franchement à sa cause, l’opinion publique jugea cet événement et avoua qu’il était une punition.

« Ce châtiment comprit à la fois tous les ennemis du Serviteur de Dieu à Hispaniola : ceux qui avaient entravé son administration, les ingrats qui s’étaient soulevés contre lui, l’homme assez brutalement impie pour l’avoir osé jeter dans les fers, les arrogants hidalgos, cadets enrichis aux dépens de la vie des malheureux Indiens, les officiers de mer, la plupart ses élèves, qui avaient dédaigné son avertissement, les habitants dont l’approbation fut complice de la dureté du gouverneur Ovando. Espagnols, indigènes, marins, soldats, colons et colonie, tous subirent les conséquences de leur aveuglement.

« Christophe Colomb est préservé d’une façon doublement étonnante ; car, contrairement aux usages de la nautique, il se tient près de terre, au lieu de gagner le large. Son mouillage est si peu sûr que les trois autres caravelles sont arrachées de leur ancrage et dispersées dans l’immensité des eaux. Elles souffrent de graves avaries. Son navire reste seul respecté de l’ouragan et, suivant l’expression de l’Amiral, « n’est pas endommagé d’une paille[43] ».

« La graduation dans le châtiment porte une évidence accablante pour les incrédules.

« Toutes les caravelles encombrées de richesses iniques sont détruites sans rémission. Il n’est fait grâce à aucune.

« Quant aux navires de Rodrigo de Bastidas, portant les gens les plus pauvres et les moins coupables, ils perdent simplement leurs agrès ; les membrures ne sont pas défoncées ; les équipages ont la vie sauve. Ces nefs peuvent rentrer à Saint-Domingue et s’y réparer.

« De tous les bâtiments de la flotte, il n’est permis qu’à un seul de continuer sa route et d’arriver en Espagne. C’est précisément le plus chétif, le plus petit, le plus frêle, le plus usé des navires. On l’appelle l’Aiguille, tant il est étroit ; mais il porte le peu d’effets qui appartiennent à Colomb ; et dès lors une mystérieuse immunité l’assure contre la fureur des tempêtes.

« Quel fécond sujet de réflexions pour le philosophe chrétien, et quel profit en peut tirer l’École catholique !

« Le miracle est là, précis, indubitable. La désolation et le deuil de cinq cents familles nobles, l’affliction de la Reine, la déception du Roi, la perte du trésor, la mort de tant d’officiers et de matelots, le complet anéantissement de la flotte des Indes, ont donné jadis à la prophétie de Colomb un retentissement égal à l’énormité du désastre. Pendant que nous traçons ces lignes, deux témoins de ce châtiment providentiel subsistent encore. Ils élèvent à l’unisson leur voix de pierre ; ce sont à la fois les ruines de l’ancienne cité de Saint-Domingue, et les constructions de la nouvelle capitale de ce nom, sur l’autre rive de l’Ozama. « Si hi tacuerint, lapides clamabunt ! »

« L’ancienne ville créée par le commandement de Colomb, élevée dans un site admirable et souvent admiré, réunissant les conditions les plus rares de salubrité, de force, d’agrément et d’agrandissement, promise à un avenir prospère, l’ancienne ville ingrate envers son fondateur, ayant partagé l’incrédulité railleuse des officiers de mer, devait être punie à son tour.

« L’ouragan dont elle avait ri, le croyant imaginaire, quand il était prophétisé par un temps serein, annonça sa venue par des tressaillements affreux. Les secousses du sol répondaient à celles des airs. L’impétuosité des vents arracha les toitures, leurs tourbillons renversèrent les maisons bâties en charpente, ébranlèrent les meilleurs édifices, firent lézarder Les plus solides constructions. Tels furent les ravages excercés sur la ville que ce lieu sembla frappé de la malédiction divine, et que le gouverneur intérimaire, le commandeur Ovando, résolut de transporter sa résidence de l’autre côté de l’Ozama, où la nouvelle cité perdit tous les avantages que lui assurait son premier établissement. Elle n’avait plus le même prospect, les mêmes ombrages, la même commodité. Elle manquait d’eau potable, celle de l’Ozama étant salée encore à plusicurs lieues de son embouchure.

« Ainsi, par la destruction sur les flots et la destruction sur la terre s’accomplit la prophétie, à courte échéance, qu’avait adressée le Serviteur de Dieu au chef de la population incrédule.

« Le caractère hautement instructif de ce terrible drame a frappé d’étonnement protestants et philosophes. Certains historiens ennemis de Colomb ont essayé de le défigurer en l’écourtant, ainsi, Lopez de Gomara, qui n’ignorait aucun détail de ce désastre, ne parle point de l’avis envoyé par Colomb à Ovando. Il se borne à dire que sur le refus du gouverneur, l’Amiral alla chercher un port où il fût en sûreté[44]. Alvarez de Colmenar, tout en parlant de la destructon de la flotte et de la ruine de Saint-Domingue, ne dit mot du charitable avertissement de Colomb[45]. Mais devant la concordance des historiographes à ce sujet, le protestantisme ne peut garder le silence. Voici ce que dit Robertson : « Ses avis salutaires furent regardés comme les songes d’un visionnaire qui avait l’arrogance de faire le prophète, en annonçant d’avance un événement hors de la portée de la prévision humaine.

« Tous les historiens, voyant dans cet événement une distinction si marquée et si juste de l’innocent d’avec le coupable, et une dispensation équitable de la peine et de la récompense, ont cru y reconnaître l’action immédiate de la Providence divine qui vengeait les injures d’un homme de bien persécuté et punissait les oppresseurs d’un peuple innocent[46]. »

« Les indigènes considérèrent aussi cet événement comme un acte de la justice de Dieu et ils s’en réjouirent, disant entre eux : « Au moins ceux-ci (les morts) ne nous feront plus descendre dans les mines d’or et vivre dans les transes comme nous faisions[47]. »

« Le pasteur allemand, Campe, dit de son côté : « Ce qu’il y eut de plus remarquable dans cet événement c’est que le seul vaisseau de la flotte qui ne reçut aucun dommage et qui put continuer sa route pour l’Espagne, fut préclsément celui à bord duquel on avait mis les débris de la fortune de Colomb, et que l’on n’avait choisi pour ce service que parce qu’il était le plus mauvais de tous[48]. »

« L’historien de Saint-Domingue, le P. Charlevoix, écrit : « Mais ce qui fit surtout juger que ce grand malheur était un effet de la justice divine, c’est que les navires que la tourmente épargna étaient les plus faibles, les plus mal équipés de la flotte, et que le plus mauvais de tous sur lequel on avait chargé tout le bien de l’Amiral, fut le premier qui arriva en Espagne. On remarqua aussi que la seule personne de distinction qui se sauva fut un nommé Rodrigue de Bastidas : c’était un fort honnête homme, riche et habile navigateur[49]. »

« En voyant tous les ennemis de Colomb atteints à la fois, suivant leur degré de culpabilité, les contemporains de la Découverte cherchèrent une explication à ce sinistre si épouvantable dans l’ensemble et si intelligent dans les détails. Mais en général, les préventions semées contre le révélateur du Globe empêchaient de reconnaître le caractère pourtant si expressif de ce désastre. Au lieu d’y voir un jugement de Dieu, les calomniateurs de l’Amiral répandirent le bruit que par sa puissance ténèbreuse et ses incantations infernales, ce méchant homme avait soulevé cette tempête, afin de se venger de ses ennemis. Le vulgaire fut persuadé que Colomb s’était servi d’un pouvoir surnaturel pour combiner tous ces malheurs dont il avait exempté uniquement le mauvais petit navire qui portait tout son bien.

« Une esquisse de la vie de Christophe Colomb, extraite de l’histoire de Robertson et publiée à Venise en 1778, l’établit positivement[50].

« Le pasteur allemand Campe, ajoute : « Cet événement remarquable fit sur les esprits bruts et superstitieux de ce temps-là une impression tout fait inconséquente. Au lieu d’adorer la justice avec laquelle la main du Tout-Puissant conduit les hommes, ils s’imaginèrent sottement que Colomb était un sorcier, et qu’avec le secours de puissants esprits à ses ordres, il avait excité cette tempête pour se venger de ses ennemis. Car autrement, disaient-ils, pourquoi n’y aurait-il eu d’épargné précisément que le vaisseau qui avait à bord ses propres biens[51] ? » Sans recueillir de plus nombreux témoignages, nous nous arrêterons à cette remarque :

« La justice distributive fut ici tellement apparente, le châtiment des ennemis du Juste eut une si claire signification, qu’aux Antilles chacun médita sur ce lamentable désastre. Au sujet de sa cause et de son objet, les avis se partagèrent. Les uns l’attribuaient à la Providence, les autres à l’enfer. Mais personne n’eut l’ineptie d’en vouloir faire honneur à l’aveugle hasard.


« Quiconque a compulsé les œuvres des hagiographes, pour chercher à recueillir dans la vie des Saints des faits de l’ordre surnaturel, en a-t-il jamais rencontré qu’on puisse dire supérieurs aux deux miracles que nous venons de rapporter ? Quel prodige l’emporte sur la bataille gagnée par deux cent vingt Espagnols contre cent mille indigènes, pendant la prière de Christophe Colomb ? Dans aucune de ses pages l’histoire nous offre-t-elle un événement qui égale en désastre la destruction de la flotte des Indes, pour avoir rejeté l’avertissement du Serviteur de Dieu ?

« De tels faits se suffisent.

« Ces miracles parlent assez haut pour nous dispenser de tout commentaire. Aussi nous bornerons-nous à rappeler ces actes de la puissance divine. Ne déclarent-ils pas, implicitement, les vertus transcendantes du chrétien qui les mérita ? »


Miracles de Christophe Colomb après sa mort
I

Christophe Colomb étant déjà méconnu de son vivant, comment aurait-on après sa mort imploré son Intercession ? Un saint ne fait pas de miracles quand on ne l’en sollicite pas ; comme aussi nul ne songe à invoquer un saint dont n’a jamais oui célébrer les vertus.

« Mais tandis que les hommes oubliaient complètement le Révélateur du Globe, la Mère de divine grâce rendait féconde en merveilles une Croix de bois, seul hommage qu’eût pu lui offrir son zélé serviteur, dépouillé de ses biens, de ses drolts, de ses honneurs, même de la gloire de ses découvertes.

« Au liou des églises, des chaires de théologie, de l’hôpital, des fondations pieuses qu’il avait projetés, Christophe Colomb fut réduit, par sa pauvreté, à cette unique offrande. Mais la Vierge l’agréa ; et cet humble bois reçut une puissance exceptionnelle, en rapport avec l’exceptionnelle grandeur du mandat que l’Ambassadeur de Dieu avait rempli sur la terre. Un nom exceptionnel aussi lui fut donné par cette voix des peuples qu’on appelle la voix de Dieu : Vox populi, vox Dei. Ce nom rappelait le tombeau du Sauveur et sa croix qu’on reconnut à ses miracles.

« La Croix qu’avait érigée Colomb fut nommée la vraie Croix, à cause de la multitude de ses miracles[52]. Aucune relique n’attira jamais un concours de fidèles plus incessant que ce rustique monument d’une piété apostolique. Des grâces innombrables étaient journellement obtenues par ce bois, sans que le nom de celui qui l’avait élevé s’offrit à l’esprit de personne. S’il vint à la pensée de quelques catholiques, ceux-ci le turent par prudence. Qui croyait alors à Christophe Colomb, dans le monde ?

« Cependant la vraie Croix de la Conception fut célèbre dans les Antilles, en Espagne et dans le nouveau continent. On lui rendit une sorte de culte ; et ce culte, interrompu par force majeure, n’est jamais pourtant tombé en désuétude. Il a été repris dès que les circonstances l’ont permis ; et au commencement du siècle actuel, on allait encore en pèlerinage au lieu où se conserve un fragment considérable de la vraie Croix de la Conception, que les Français confondaient avec la vraie Croix de notre Sauveur, retrouvée par la sainte impératrice Hélène.

« Nous n’éprouvons aucun embarras à parler devant les libres penseurs, les positivistes, de la vraie Croix de la Conception et de ses miracles. Le fait subsiste inattaquable, parfaitement éclairei, officiellement consigné dans Les chroniques des Indes et de la Castille, écrit et certifié par les ennemis mêmes de l’Amiral. On ne saurait nier l’existence de cette Croix, les miracles qu’elle opéra, la dévotion qu’elle inspira. Seulement, aujourd’hui comme à l’époque de cette ferveur, personne n’a remarqué une corrélation entre ce prodige et l’homme qui en fut l’occasion ou la cause.

« Nous avons le devoir de réparer cet oubli, et de rappeler les rapports existant entre l’Ambassadeur de Dieu et la Croix qu’il éleva en l’honneur de la Vierge conçue sans péché.

II

« En plaçant sous l’invocation de l’Immaculée Conception la magnifique plaine d’Haïti, qu’il avait découverte à son second voyage, Christophe Colomb, pour souvenir de sa dédicace, fit dresser au sommet de la colline la plus élevée une très grande Croix, afin qu’on pût la voir de loin, et que l’emblème du Verbe fait chair parût présider à cet admirable déploiement de la végétation intertropicale.

« Ce fut sous les auspices de cette Croix, sous sa sauvegarde, por su amparo[53], et comme à ses pieds qu’il voulut édifier la ville épiscopale de la Conception. Cette cité prit un accroissement si rapide, que huit ans après, on y fondait jusqu’à 240.000 écus d’or, produit annuel des mines de Cibao. En 1508, la ville reçut des armoiries, surmontées d’une couronne de Notre-Dame[54].

Mais pendant sa construction, et avant l’achèvement de la cathédrale, l’Ambassadeur de Dieu venait assidûment méditer près de cette Croix. C’est là qu’il faisait matin et soir publiquement sa prière, à laquelle assistaient les soldats, les ouvriers et les futurs habitants. À ce profond admirateur des beautés de la création, ce site offrait un attrait indicible. Espagnols et indigènes savaient que c’était son lieu de prédilection. Il y trouvait aussi de grandes consolations spirituelles. Il avait épanché là son cœur devant l’auguste Trinité. De grandes vérités s’étaient révéléesà son âme et il avait résolu, en mémoire de ces faveurs incommunicables, d’élever sur cette place une splendide chapelle, où chaque jour se dirait une messe en l’honneur de la Très Sainte Trinité, et une messe en l’honneur de l’Immaculée-Conception. Le laconisme de ses expressions testamentaires[55] montre combien ce lieu était connu de tous. Il l’affectionnait à ce point qu’après sa découverte du nouveau continent, il y était revenu pour y rafraîchir son âme, se délasser de ses fatigues, de ses tribulations. Il s’y trouvait encore lorsque le Père-franciscain Juan de Trasiera vint lui apprendre sa disgräce, bientôt suivie de l’emprisonnement.

« On avait eu beau arracher de l’île le Révélateur du Globe, le destituer, le calomnier et l’oublier, lorsque le Tout-Puissant eut rappelé à lui son serviteur, cette Croix, qu’il avait avec tant d’amour dédiée à l’Immaculée-Conception, couvrit de ses bénédictions ceux qui continuèrent de le vénérer.

« Un jour, un malade implorant la bonté divine, en embrassant le pied de cette Croix, fut guéri. D’autres fiévreux vinrent également y prier et s’en retournèrent guéris. On accourut des divers points de l’île. Tous ceux qui recouraient à la Croix n’étaient pas déchargés de leurs maux ; sa vertu n’agissait pas indistinctement sur chacun. Ceux-là seuls que le Seigneur en jugeait dignes éprouvaient les effets de ce bois miraculeux. Mais les guérisons étaient si fréquentes et l’affluence si considérable, que la célébrité de ces miracles dissémina promptement dane l’ancien et dans le nouveau monde le renom de la vraie Croix.

« Notre histoire de Christophe Colomb contient à ce sujet des détails si précis, rapporte des témoignages si accrédités, que nous nous bornerons à certifier ici qu’aucun fait de l’époque présente n’est mieux prouvé ni plus solidement établi que l’existence et l’efficacité de cette Croix miraculeuse.

« Elle a été l’objet d’une dévotion ardente. On venait en foule l’implorer, comme on va aujourd’hui aux sanctuaires de Lourdes et de la Salette. Il a fallu que ses miracles fussent bien avérés et bien nombreux pour que la voix du peuple lui ait donné le nom de la vraie Croix. À cause de la multitude de guérisons qu’elle opérait, cette Croix faillit disparaître par l’excès de la vénération qu’elle inspirait aux fidèles. Chacun voulait en posséder une parcelle. On en dérobait des fragments, qui étaient mis dans des reliquaires. On en enlevait des morceaux assez considérables ; et, circonstance attestée par les historiens, ces pieux larcins ne diminuaient point son volume, car le vide se remplissait aussitôt.

« Les Indigènes idolâtres, étonnés du prodige, croyant que la présence seule de cette Croix falsait la force des étrangers et assurait leur domination, essayèrent de la détruire. Pendant la nuit, ayant d’abord creusé très bas autour du pied de la Croix, ils s’efforcèrent de la renverser. Plusieurs centainns de bras le tiraient avec des cordes de liane. Malgré leur nombre, ils ne lui purent imprimer le moindre mouvement. Alors, usant d’un autre moyen, ils tentèrent d’y mettre le feu. Ils amoncelèrent tout autour d’énormes quantités de broussailles sèches. Les flammes s’élevèrent très haut, enveloppèrent la Croix ; mais quand la fumée fut dissipée et le feu consumé, les Indiens virent la Croix exempte d’atteinte. Seulement, vers le pied, se trouvait une marque noire comme si l’on eût trop approché une chandelle. Quand ils voulurent recommencer, ils aperçurent, dirent-ils, « une Dame d’un port et d’un regard pleins de majesté, assise sur un des bras de la Croix, qui rendait tous leurs efforts inutiles[56] ». Dès lors suisis d’effroi et de respect, ils ne passaient plus devant la Croix sans s’incliner humblernent[57].

« La célébrité de cette Croix était alors si grande, qu’aux Antilles et dans le nouveau continent son nom fut donné à deux villes. Au Mexique, Fernando Cortez fit construire la Vera-Cruz, tandis qu’à Hispaniola, où le souvenir de la Conception était inséparable de la vraie Croix se fonda, près du lac de Xaragua, la ville de Sainte-Marie de la Vraie Croix[58]. « 

« Cependant la ferveur des chrétiens continuait d’enlever des morceaux de ce bois vénéré, sans qu’il diminuât jamais quand, à la suite de quelque horrible profanation, les miracles cessèrent tout à coup. Le bois enlevé ne se remplit plus. Quoique cessant de se manifester au dehors par des guérisons quotidiennes, la vertu miraculeuse de cette Croix demeurait en elle, invisiblement. Plus, tard de terribles circonstances vinrent le prouver. Et comme l’affluence des pèlerins était toujours la même, que l’on continuait de soustraire des fragments de la Croix, à ce point que les deux bras avaient presque disparu, tant ils étaient réduits, l’Évêque de la Conception, pour arrêter ces mutilations qui la menaçaient maintenant d’une destruction prochaine, vint processionnellement avec son clergé l’enlever, et la fit placer dans une chapelle de sa cathédrale. Ce qui restait de la vraie Croix, et qu’on peut évaluer à un tiers de sa hauteur, fut enfermé dans une châsse de cuivre doré, munie de trois serrures.

« L’immense notoriété des miracles passés attirait toujours une foule nombreuse autour de la vraie Croix. L’empereur Charles-Quint prenait un vif intérêt aux récits faits sur ce bois miraculeux. Il sut que certains ecclésiastiques, préposés à sa garde, détournaient à leur profit une partie des offrandes que lui destinaient les pèlerins et les malades. Il fit enjoindre au trésorier de l’Évêque d’employer désormais ces fonds conformément à l’intention des donateurs. Dans l’année 1525, lui-même, en témoignage de vénération à la très sainte Croix, la santissima Cruz, voulut contribuer pour une somme de quatre-vingt mille maravédis à l’ornement de sa chapelle,

« Frappé du retentissement de ces miracies et voyant s’établir un commencement de culte, l’Empereur supplia le Saint-Père de vouloir bien accorder des indulgences aux pèlerins qui viendraient honorer cette Croix et feraient quelque offrande à son intention.

« Pendant les trente-neuf ans qui suivirent, le concours des fidèles près de la vraie Croix ne dirminua point. Mais dans le cours de l’année 1564, un affreux tremblement de terre épouvanta l’île de Saint-Domingue, bouleversa le district de la Vega et détruisit de fond en comble la cité de la Conception. Le sol se couvrit de ruines. La campagne désolée fut abandonnée de ses habitants. Le château de la Conception, la solide forteresse elle-même, glisaient méconnaissables en blocs épars. De cette jeune ville il ne resta debout, au milieu des décombres, que deux parties d’édifices, où se gardaient deux fragments considérables de la vraie Croix.

« Cette calamité ne servit qu’à mieux démontrer la puissance du bois miraculeux qu’avait planté Colomb. Ce qui a été conservé de ce bois va conserver le lieu qui l’abrite et tous ceux que leur respect ou laur dévotion ont muni de ses parcelles. À travers ces formidables convulsions de la nature, la Croix, image de celui qui a vaincu le monde, triomphe de la violence des airs et des secousses de la terre. Elle garde à son tour ceux qui la gardaient. Le bouleversement, la ruine, la désolation se déchaînant, peuvent frapper les biens, les propriétés des adorateurs de la Croix, mais il semble défendu de toucher à leur vie comme il le fut au démon d’attenter à celle de Job. Le fait de cette merveilleuse exemption est authentiquement certifié par l’unanimité des historiographes.

Durant l’écroulement total des maisons, et l’écrasement de leurs malheureux habitants, aucun de ceux qui avaient sur eux ou chez eux quelques fragments de la vraie Croix ne reçut la moindre atteinte. Les Franciscains, ces fidèles amis de Colomb, possédaient une partie considérable de la vraie Croix. Le moment du désastre les surprit réunis au chœur pour l’office. Précipités sur le sol, presque ensevelis sous les décombres d’une partie de la voûte, à demi étouffés et meurtris, ils se relevèrent pourtant sans blessures[59]. Chose étrange ! Après la cessation du fléau, la seule construction qui fût encore debout, était leur couvent. On en voit même aujourd’hui les restes. La cathédrale bâtie en plerres de tailles s’était entièrement effondrée sous la violence des secousses. Une seule chapelle avait résisté au

terrible phénomène ; c’était celle où l’on avait conservé la vraie Croix[60].

« L’immunité singulière accordée pendant cette épouvantable destruction à ceux qui honoraient la vraie Croix, accrut l’admiration et la ferveur qu’inspiraient déjà ses miracles. Ces faits extraordinaires furent communiqués officiellement au gouvernement espagnol.

« Héritier de la vénération que son père montrait pour ce saint bois, le roi Philippe II ordonna de le transporter à ses frais[61] dans la cathédrale de Saint-Domingue. Ce fut une mémorable mais difficultueuse procession de vingt-deux lieues par des chemins souvent peu praticables. la vraie Croix, remise à l’Évêque, eût alors une châsse en argent massif, ornée d’un beau travail en filigrane, et formée par trois serrures dont le doyen du chapitre métropolitain, le plus ancien chanoine et le plus ancien prébendier reçurent chacun une clef. Cette précaution contre la négligence ou la faiblesse dit assez quel prix mettait le roi catholique à la conservation d’une relique si renommée. Peu d’années avant la Révolution française, un historien de Saint-Domingue a pu la voir encore.

« La célébrité de la vraie Croix de la Conception survécut aux ruines de cette cité. La dévastation et l’abandon de la Véga ne purent décourager le zèle des pèlerins et les empêcher de venir s’agenouiller pieusement au lieu qui le premier fut témoin de tant de miracles. La haute éminence sur laquelle Colomb avait élevé la Croix s’appela la Sainte-Colline, Santo Cerro. Elle porte encore aujourd’hui cette désignation : Le concours des fidèles, quoique bien réduit par le dépeuplernent de la contrée, continua néanmoins d’être ussez considérable pour occaslonner l’établissement d’un bel ermitage près de cet emplacement.

III

« Toutes les fois qu’il s’agit de miracles, on ne saurait trop se mettre en garde contre la crédulité vulgaire, et s’assurer du discernement des témoins autant que de la sincérité des témoignages. Aussi ferons-nous d’abord remarquer avec quelle unanimité les historiographes des Indes, les chroniqueurs officiels, les écrivains indépendants, séculiers ou ecclésiastiques, rapportent ces faits notoirement connus de leurs contemporains, et qu’ils avaient pu d’ailleurs contrôler eux-mêmes. Ils sont les premiers convaincus de la réalité de ces miracles. Leur respect se révèle dans leurs expressions. Rarement ils appellent cette Croix thaumaturge simplement : la Croix. Ordinairement ils la nomment : la Très-Sainte-Croix de la Conception, — le Saint Bois de la Conception, — la Sainte vraie Croix de la ville de la Conception de la Véga, — la Très-Sainte-Enseigne. — Ils la qualifient ouvertement de Sainte Relique.

« L’accord des historiens est unanime sur le lieu, la date, l’auteur et le motif de cette érection de Croix. Tous reconnaissent que la Sainte vraie Croix de la Conception fut dédiée par Christophe Colomb, lors de son second voyage. Il y a mieux : l’Archichronographe impérial des Indes connaissait personnellement l’officier qui avait commandé le piquet de charpentiers et matelots chargés d’abattre l’arbre dont fut formée la Croix. Cet officier, Alonzo de Valencia habitait encore Saint-Domingue au moment où Oviedo y Valdez rédigeait son Histoire naturelle des Indes. En sa qualité de voyageur et de naturaliste, l’Archichronographe impérial signale un prodige particulier, moins éclatant que les guérisons, mais tout aussi remarquable : c’est la longue conservation de ce bois, exposé en plein air, sans être protégé d’aucun enduit, et qui, dans ce pays, où les alternatives de chaleur et d’humidité putréfient si promptement tout bois mort, avait résisté aux vicissitudes de l’atmosphère, n’était ni déjeté, ni pourri, ni tombé, malgré les pluies torrentielles, les bourrasques, les ouragans qui, dans le cours des années, avaient brisé où déraciné tous les arbres d’alentour[62].

« L’Archichronographe rappelle les vaines tentatives des indigènes pour détruire la Croix, et leur vénération mêlée de crainte, quand ils eurent expérimenté par eux-mêmes sa puissance miraculeuse. Le manuscrit d’Oviedo y Valdez est soumis à l’examen du Suprême Conseil des Indes, composé principalement des ennemis de Colomb, dont les familles s’enrichissaient au détriment de sa postérité. Ces faits sont publiés avec l’autorisation de ces hauts fonctionnaires. Le livre est dédié à un prince de l’Église : « Don García Jofre de Loaysa, évêque de Siguensa, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Suzanne, confesseur de la Césarée majesté, président du Conseil royal de l’empire occidental des Indes, îles et terre ferme de la mer Océans. » Les miracles que rapporte l’auteur ont donc reçu doublement, par cette approbation et cette dédicace, un certificat d’authenticité officielle.

« Postérieurement, l’historiographe royal de Castille, Antonio de Herrera, parle de ces miracles d’une manière plus étendue. Il a eu le temps de recueillir des faits plus nombreux. Quoique Herrera fût bien jeune à l’époque du tremblement de terre qui détruisit la Conception de la Vega, il avait pu connaître des témoins des miracles de la vraie Croix, et acquérir les preuves de la dévotion qu’elle inspirait encore. Pendant qu’il écrivait, la vraie Croix, déposée dans la cathédrale de Saint-Domingue, jouissait d’une célébrité populaire. Après en avoir parlé dans sa « Description des îles et terre ferme de la mer Océane », écrite par ordre du Suprême Conseil des Indes et sous ses yeux, il en parle avec détails dans son grand ouvrage divisé en Décades. Il rappelle que le bois de la vraie Croix était un souverain remède pour guérir les fièvres ; qu’on le donnait en infusion et en poudre aux infirmes, et qu’on avait vu par sa vertu guérir des malades sans espoir, abandonnés des médecins[63].

« Telle fut la notoriété des miracles de la vraie Croix de la Conception qu’ils prirent rang parmi les grâces que la Providence accordait à la nation espagnole, et eurent leur place au frontispice de l’Histoire générale des faits des Castillans dans les Indes, publiée sous les auspices du roi Philippe III. Ainsi semblait justifiée la devise que venait d’inaugurer une des plus importantes cités espagnoles du nouveau continent : Non fecit taliter omni nationi.

« C’est aussi à la miraculeuse fécondité de la vraie Croix que fait poétiquement allusion Lopez de Vega dans l’image de ce simple bois planté par Colomb, et qui, prenant racine, porte des fleurs et des fruits.

« Peu d’années avant la cession de Saint-Domingue à la France, la cathédrale possédait encore cette précieuse relique de la vraie Croix. Nous savons positivement qu’en 1765, on l’y conservait dans sa châsse d’argent massif, fermée à trois clefs, sous la garde du chapitre métropolitain dont était alors doyen « Don José Nuñez de Caserez, docteur en la sacrée théologie de la pontificale et royale Université de saint Thomas d’Aquin[64] ».

« Qu’est devenue cette relique pendant les bouleversements et les révolutions qui, depuis lors, ont ensanglanté Haïti ? Il ne nous est point possible de répondre aujourd’hui même d’une façon satisfaisante à cette question. L’Archevêque de Port-au-Prince, arrivé à Rome pour le Concile œcuménique, avec l’intention d’y parler de Christophe Colomb, devait ordonner des recherches relativement à la vraie Croix. La fin si prématurée de Mgr du Cosquer, survenue avant l’ouverture de la session, nous a privé de son bienveillant concours. Néanmoins, nous espérons être bientôt en mesure de renseigner sur ce point la sacrée Congrégation des Rites.

« Quoi qu’il en soit, dès maintenant nous possédons la preuve que, malgré les dissensions politiques et les révolutions qui se sont succédé à Haïti, le culte de la vraie Croix de la Conception s’est perpétué près du lieu où il prit naissance.

« Dans les premières années du siècle actuel, durant l’expédition française de 1802 à Saint-Domingue, nonobstant la pénurie et les alertes, suite de l’état de guerre, on continuait de se diriger en pélerinage vers la partie presque inhabitée de l’île, pour aller vénérer la vraie Croix. Ce bois précieux était alors placé dans une châsse au-dessus du maître-autel de l’église de la Vega, où des peintures murales rappellent encore le miracle des flèches ainsi que l’apparition de Notre-Dame-de-la-Conception sur la Sainte Colline, à l’heure où les Indiens s’efforçaient d’abattre la Croix que lui avait dédiée son fidèle serviteur, Christophe Colomb.

« On ne saurait, dit le commissaire de la République française, Dorvo Soulastre, se faire une idée de la ferveur des habitants… Ils viennent en grand nombre, de fort loin et à grands frais, déposer dans cette église de riches présents, en échange desquels ils obtiennent de petites portions de ce bois qui ne s’épuise point, quelque grande qu’en ait été et que soit encore la distribution qui s’en fait[65]. « L’affluence des pèlerins a permis d’élever là un monastère de Franciscains pour le service religieux. Le couvent est attenant à l’église. Sa cour forme une belle terrasse d’où l’on découvre la belle plaine de la Véga, à laquelle on a donné par excellence, et sans doute en raison de son étendue, le surnom de Royale… Nous remontâmes à cheval. Enfin, au moment de rejoindre notre route, nous rencontrâmes une troupe de pèlerins et de pèlerines de tout âge et de toute couleur, qui allaient faire leurs dévotions à l’ermitage[66]. »


« On le voit :

« Au commencement de ce siècle, le culte de la vraie Croix plantée par Colomb se perpétuait encore parmi les populations d’Hispaniola. Le temps, les bouleversements du sol et des hommes n’avaient pu l’effacer du cœur des habitants. Et pourtant, les miracles de la vraie Croix de la Conception sont restés presque ignorés de l’histoire, ainsi que la Sainteté de Colomb l’e été des historiens, jusqu’au règne de l’immortel Pie IX. »

(Extrait de l’Ambassadeur de Dieu et le Pape Pie ix, par le Comte Roselly de Lorgues, Paris, Plon, 1874. Seconde partie, chap. ix et xi.)

E
La voie d’exception
I

« Christophe Colomb se présente non moins exceptionnel dans l’hagiographie que ne le fut son rôle dans l’humanité. De l’étude de son histoire, naît irrésistiblement la conviction que cet homme doit être un saint. La sainteté semble la condition naturelle de son mandat, ainsi qu’elle est l’inéviteble conclusion de sa biographie. La logique lui délivre un certificat de Sainteté, en attendent que l’Église le vise, l’approuve et le sanctionne par sa proclamation solennelle.

« Dieu a mis dans une telle évidence son serviteur si longtemps méconnu, que le signe de l’Exception marque sa Cause avant d’avoir marqué sa vie. Par la grandeur de ses travaux apostoliques on ne peut lui comparer aucun saint, et il est comparable à tous par la pratique de leurs vertus. Il est de leur parenté, de leur génération, il a leur splendeur immortelle.

« Nul esprit sérieux ne méconnaît l’importance de cette Cause. Qui vient donc l’arrêter au seuil de la Sacrée Congrégation des Rites ?

« L’impossibilité de satisfaire aux décrets des Papes Urbain VIII et Benoît XIV.

« Mais est-ce que devant la justice ecclésiastique une pure question de forme pourrait l’emporter sur le fond ? Christophe Colomb n’est-il pas l’éternel honneur du Catholicisme, son triomphe, sa poésie ? La puissance de la Foi se manifesta-t-elle jamais d’une manière plus féconde que par la conquête d’un Monde ? Oublie-t-on que son vœu d’étendre le règne du Christ a doublé notre Terre ?

« Dans le temps présent, au milieu des malheurs de l’Église, les résultats de la Découverte se font apprécier oncore davantage. L’œuvre de Colomb montre plus directement ses effets au Saint-Siège. C’est de ce Nouveau Monde qu’arrivent fréquemment des consolations, des hommages et des offrandes au Souverain Pontife, dépouillé, menacé, et délaissé des gouvernements de l’Europe.

« Comment ! pour un simple défaut de forme, le Légat de la Providence serait repoussé du Saint-Siège qu’il glorifia si magnifiquement ? Et, en retour d’un dévouement sane exemple à la Papauté, en récompense de la moitié du Globe donnée à l’Église, inexorablembnt, l’Église proscrirait de ses diptyques son nom admirable ? Cela semble impossible. La Sacrée Congrégation des Rites dira-t-elle à ce Messager du Salut : — « Allez ! il est trop tard maintenant. Que ne vous présentiez-vous trois siècles plus tôt ? » — Nous ne pouvons le croire. Cette rigueur ne révolterait pas moins la piété que la reconnaissance.

« Évidemment, une telle Cause ne saurait s’introduire dans la forme habituelle ; c’est pourquoi la Postulation sollicite de Sa Sainteté une Exception, parce qu’il s’agit d’un Serviteur de Dieu vraiment exceptionnel. « Cum hic agatur de servo Dei plane extraordinario. »

« En effet :

« Colomb est Exceptionnel, puisque son existence se lie au plus grand événement des races humaines. Il est Exceptionnel par le caractère de sa prédestination, la sublimité de son Ambassade, la grandeur de son but, et sa personnalité majestueuse, laquelle avant tout examen, toute information sur ses vertus et ses miracles, nous apparaît revêtue des signes de la Sainteté.

« Il est exceptionnel à ce point, que l’admission de sa Cause à la Sacrée Congrégation des Rites, au lieu de le grandir dans l’opinion, comme il arrive d’ordinaire, la rehausse elle-même. Elle s’illustre à son contact. Ne le dissimulons pas : quelque respectable que soit ce haut tribunal, ses jugements touchent peu les hommes du monde. Ils le laissent fonctionner à sa guise, sans se préoccuper de ses décisions. Mais cette fois, à l’indifférence succèdent la déférence et l’étonnement. Combien n’apparaît-il pas imposant, cet Aréopage Romain, qui cite à comparaître devant lui le plus grand des humains, celui que l’Éternel choisit pour instrument de sa providence ?

« Ce Serviteur de Dieu étant exceptionnel, sa Cause peut-elle être d’une autre nature que sa personne ? Ne se trouve-t-elle pas Exceptionnelle nécessairement ?

« Regardez :

« C’est la première fois que des laïques ont déféré au jugement de la Papauté un personnage historique oublié pendant des siècles.

« C’est la première fois quel’incrédulité, le matérialisme, ont osé disputer au Saint-Siège le droit d’évoquer une Cause de Béatification, et protester d’avance contre le jugement de Rome.

« C’est aussi la première fois que dans un but tout opposé, les ennemis de l’Église ont si bien calomnié un Serviteur de Dieu, que l’avocat du Diable se trouvera supplanté dans son rôle, et n’aura plus aucune accusation nouvelle à fournir.

« Également, c’est la première fois que des Princes de l’Église et des Évêques des nations les plus éloignées demandent qu’une Exception soit faite dans une Cause de Béatification.

« L’Exception constituant essentiellement le caractère de cette Cause, l’éminentissime Cardinal Donnet s’est franchement appuyé sur son carastère Exceptionnel pour demander une Exception, L’Exception était reconnue indispensable par son illustre collègue S. Ém. Fernand de la Puente, Archevêque de Burgos, premier Cardinal d’Espagne qui se soit occupé de Colomb,

« C’est pareillement sur l’Exception que s’est fondé le pieux et docte Mgr Charvaz, Archevêque de Gênes, en sollicitant de Sa Sainteté l’introduction de cette grande Cause, Et, parce que l’Exception est inhérente à la personnalité de Christophe Colomb, généralement les Évêques qui ont exprimé le même désir au Saint-Slège ont aussi invoqué le même moyen, C’est, qu’en effet, la voie d’Exception s’ouvre seule pratieable, seule conforme à la grandeur de cette Cause.

« D’ailleurs, ici, l’Exception n’a rien que de simple, de naturel et de logique. Ella s’impose par la nécassité, loi supérieure à la volonté des hommes. Et, chose unique, cette Exception ne dérogerait point, pour l’avenir, aux décrets du Pape Benoît XIV. Elle n’aurait aucun inconvénient, car on ne saurait s’en prévaloir. Elle ne créerait pas un précédent, Nul n’aurait le droit de l’invoquer, puisque nul, dans la série des âges, ne pourra répéter l’œuvre de Christophe Colomb.

II

« Quelques dignitaires ecclésiastiques ont pensé qu’il était « trop tard » pour solliciter l’introduction de cette cause. Ils objectent le long temps écoulé, l’absence des témoignages requis, de culte immémorial, et surtout le manque d’un Évêque du lieu qui pôt faire régulièrement une enquête.

« On n’a pas à se préoccuper des trois premières difficultés ; la Providence y a pourvu. Les plus amples justifieations seront faites devant la juridiction compétente. Quant à l’objection touchant l’Évêque du lieu elle subsiste, insurmontable en appurence ; car ni l’Évêque du lieu de la naissance, ni celui du lieu de la mort de Christophe Colomb, ne peuvent informer. Il quitta Gênes à l’âge de quatorze ans. Il mourut en voyage à Valladolid. Ses restes furent ensuite transportés ailleurs. Sa demeure efvile était Cordoue où il ne parut jamais. Sa résidence officielle était Saint-Domingue, d’où il fut presque toujours absent. Aucun évêque n’a donc eu réellement qualité pour commencer sur lui une information.

« Il n’appartenait pas à l’Ordinaire d’ouvrir une enquête sur ce héros. Pour Colomb, il n’y a pas, il n’y a jamais eu un Évêque du lieu. Tandis que pour tout chrétien mort en odeur de sainteté, il se trouve toujours, même sur un point des régions les plus lointaines, des pays idolâtres, grâce aux circonscriptions des Vicariats apostoliques, un Évêque du lieu, pouvant informer sur ses vertus et ses miracles, aucun évêque n’est en droit d’informer sur Christophe Colomb. À son égard, l’Évêque du lieu n’existe pas. Son vrai domicile avait été la mer. Or, l’Océan qui est à tous et qui n’appartient à personne, l’Océan qui couvre plus des deux tiers du globe, est le grand Diocèse Nullius. La juridiction de la Mer relève uniquement du Chef de la Chrétienté. Seul, le Saint-Père, directement ou par délégation, peut légitimement connaître d’une existence passée presque entière sur l’empire mobile des eaux.

« Cette fois la grandeur de la cause est assortie à la grandeur du Juge. On dirait qu’indiquant elle-même la nécessité de l’Exception, la Providence n’a pas voulu permettre que son Ambassadeur relevât en premier ressort, de la puissance épiscopale, afin que le successeur de saint Pierre, Évêque de la mer comme de la terre, Évêque du lieu en tous lieux, par sa qualité d’Évêque des Évêques, s’adjugeât obligatoirement cette cause, trop grande pour la compétence d’une autorité diocésaine, et digne seulement de l’autorité universelle du Vicaire de Dieu.

« Il nous paraît rationnel que cette Cause étant Exceptionnelle par le fond, le soit aussi par la forme : qu’elle ne tombe sous aucune juridiction épiscopale, et ne puisse appartenir directement qu’au seul Chef de la Chrétienté. Mais s’il n’est de la compétence d’aucun Évêque d’informer sur les vertus et les miracles de Christophe Colomb, il entre dans le droit de tous d’élever la voix à sa louange ; de rappeler des services sans pareils et de les recommander à la justice du Père des fidèles. Personne n’a besoin de se constituer, d’avance, Examinateur de la Cause. Il suffit de supplier Sa Sainteté de vouloir bien l’introduire per voie d’Exception.

« Quant aux formes à suivre dans ce cas unique, on n’a pas à s’en inquiéter ; leur détermination appartient exclusivement au Souverain Pontife. La puissance du pape Pie IX, pour faire l’Exception, n’égale-t-elle pas celle qu’avait le pape Benoît XIV pour établir la règle ?

« Telle est l’opinion que nous ont exprimée, à Rome, le premier avocat des Causes des Saints, et les plus éminents Consulteurs. À leur appui, se joint la déclaration du savant Mgr Dominique Bartolini, secrétaire de la Sacrée Congrégation des Rites. Nous ne pourrions citer une autorité plus compétente. Le docte prélat reconnaît, qu’en cette matière le Pape étant suprème juge et législateur, à lui seul appartient d’ordonner ce qui doit se faire dans ce cas nouveau : « At quoniam de hisce negotiis unus est et supremus legislator et judex Summus Pontifex, ideo ad eum tantum pertinet quod agendum sit in casu edicere[67].

« Pour adopter une forme nouvelle, et, dans ce cas nouveau, user de son autorité apostolique, le Saint-Père a besoin d’avoir la claire manifestation du sentiment des fidèles. Or seuls les Évêques sont les organes légitimes et autorisés de sa transmission. De plus, leur témoignage serait à la fois un appui pour la Cause et une force pour son suprême juge.

« Le résumé de notre consultation dit en propres termes :

« Il n’est pas douteux, d’après les faits rapportés dans son histoire, que l’on ne puisse fournir (quoique dans une forme exceptionnelle) les preuves exigées par les Papes Urbain VIII et Benoît XIV. Mals au défaut de témoins de visu et de témoins de auditu, premiers éléments de toute procédure régulière, il est absolument besoin comme point de départ du témoignage actuel de l’opinion et de la claire manifestation du sentiment catholique :

« Pour cela, il suffit de suivre la voie tracée par l’éminentissime Archevêque de Bordeaux.

« Les illustrissimes Évêques ne sont point obligés de s’établir chacun en particulier examinateurs de la Cause, et de faire d’avance le travail de la Congrégation des Rites ; mais les Évêques, en général, comme représentants de l’opinion Catholique, ont le droit de prier le Chef de l’Église de daigner ordonner l’introduction de cette Cause, véritablement unique.

« Le point essentiel est que la demande d’introduction ait l’appui d’une grande partie de l’Épiscopat. »

« Donc :

« Considérant l’apport incomparable fait à l’Église par son messager, Christophe Colomb, les hommages unanimes rendus à ses vertus, le renom de sainteté inséparable de son histoire, l’intérêt immense qui se manifeste pour lui dans la catholicité, l’Exception faite en sa faveur par le Saint-Siège, du vivant de cet Apôtre, et continuée après sa mort, en acceptant la dédicace d’ouvrages où il était parlé de son rôle apostolique et de son esprit divin ; en permettant qu’il fût traité de messager du ciel, d’envoyé de Dieu ; qu’on le dît annoncé dans les prophéties ;

« Remarquent principalement les témoignages accordés par la Papauté à sa mission providentielle, dans la bulle du 4 mai 1493 ; et à son but évangélique, dans les brefs des 10 décembre 1851 et 24 avril 1863, ainsi que le vœu exprimé par le Concile provincial de Poitiers, dans sa session de janvier 1868 ;

« Les premiers Pasteurs des Diocèses ont toute liberté d’action pour prier Sa Sainteté de vouloir bien, en vertu de son autorité souveraine, ordonner d’introduire la Cause devant la Sacrée Congrégation des Rites.

« Assurément, le Pape est l’unique arbitre de cette Cause et le juge suprêmede l’Exception. Mais qui ne sait la profonde humilité de Pie IX ? Son complet désintéressement des choses contingentes à sa personne ? C’est précisément parce que son voyage dans le Nouveau Monde a produit des effets si prodigleux, et eu de telles conséquences pour la gloire de Colomb, que Sa Sainteté ne voudra pas prendre une initiative à laquelle sembleraient participer ses sympathles particulières.

« Le Saint-Père ayant, humainement, le mérite d’avoir ressuscité cette grande renommée, pour la rendre à l’Église, craindrait de suivre trop facilement l’inclisation naturelle de sa piété vers le Serviteur de Dieu, par qui la Grâce a opéré de si merveilleux changements sur la face du Globe. Il faut que les vœux, les instances de l’Épiscopat fassent une respectueuse violence à sa modestie, et que leur multiplicité oblige en quelque sorte le Souverain Pontife à se prononcer.

« Un grand nombre de pieux fidèles et de fervents admirateurs de Pie IX vivent dans cette attente.

« Ces demandes des Pasteurs des Diocèses, au successeur du Prince des Apôtres, n’auraient pas seulement pour effet d’exprimer le désir général des catholiques, elles constitueraient au profit de la Cause, un point de départ qui serait de haute importance devant la Congrégation des Rites. »

(Extrait de l’Ambassadeur de Dieu et le Pape Pie IX. — Seconde partie, Chap. 14.)

F
Origine du nom d’“Amérique”.

« Amerigo Vespucci, Florentin lettré et mathématicien, ayant été d’abord premier commis dans l’importante maison d’expédition maritime qu’avait fondée à Séville l’armateur Juanoto Berardi, son compatriote, et par cela étebli nécessatrement en rapport assidu avec Christophe Colomb, pulsa dans ses conversations le goût de la cosmographie et la curiosité des merveilles lointaines. Amerigo quitta le comptoir pour l’astrolabe et le sextant et accomplit plusieurs voyages après lesquels il devint Pilote-Major. On le mit plus tard à la tôte du Conseil Hydrographique. Dans sa jeunesse, son oncle, Georges Antoine Vespucci, docte religieux de Saint-Marc, chargé de l’éducation de plusieurs enfants de sang illustre, l’avait associé à leurs études. Doué d’un style abondant et gracieux, Amerigo continua, après ses classes, de correspondre avec plusieurs de ses anciens condisciples haut placés en Europe. La description des voyages qu’il avait accomplis dans ces pays nouveaux, par lui adressée au duc René de Lorraine, à Lorenzo de Pier Francesco de Médicis et au gonfalonier de Florence, Pietro Soderini, eut un grand retentissement. Dans l’une de ses Quatre Relations, quelques termes vagues et ambigus laissaient facultatif de croire qu’il avait, le premier, vu la Terre Ferme. Il semblait avoir donné à ces contrées inconnues le nom de Nouveau Monde.

« Toutefois, personne jusqu’alors n’avait imposé un nom au continent découvert par Colomb. La Découverte ayant été faite sous les auspices de la Croix et pour le triomphe de la Croix, cette terre nouvelle était généralement indiquée sur les cartes par le signe et le nom de la Croix. Ce continent nouveau s’appela d’abord : Terre de la Sainte Croix ou Nouveau Monde. La célèbre édition de la Géographie de Ptolémée, faite à Rome, dans l’imprimerie d’Evengelista Tosino, par Marc de Bénévent et Jean Cotta de Vérone, en 1608, reproduisait une mappemonde de Ruysch, où le nouveau Continent était désigné par ces mots : Terra sanctæ Crucis, sive Mundus Novus. Mais, pendant ce temps, déjà la Relation d’Amerigo Vespucci, imprimée à Vicence, l’année précédente, était réimprimée à Milan, et, sans le vouloir, la France venait d’enlever pour jsmais à Colomb l’honneur de doter de son nom ce Nouveau Monde dont il était l’inventeur.

« Un géographe lorrain, habitant Saint-Dié, dans les Vosges, avait publié, sous le pseudonyme de Martinus Hylacomilus, un ouvrage de cosmographie, suivi des Quatre Relationsde voyages d’Amerigo Vespucci. Cet écrit, intitulé : Introduction à la Cosmographie, rédigé à Saint-Dié, imprimé d’abord dans cette ville en 1507, et réimprimé à Strasbourg en 1509, était dédié à l’empereur Maximilien[68]. L’auteur, Martin Waldsemüller, n’y nommait pas une seule fois Christophe Colomb, et paraissait ne pas même soupçonner son existence. Il attribuait ouvertement la découverte du Nouveau Continent au génie d’Amerigo Vespucci. Dans son admiration pour la sagacité d’Améric, le cosmographe de Saint-Dié déclarait qu’il ne voyait pas quel droit défendait de donner à ce monde nouveau le nom d’Améric qui l’avait découvert, et de l’appeler Amérique, puisque l’usage a rendu féminins les noms de l’Europe et de l’Asie[69]. La haute destination de cet écrit facilita l’adoption du nom proposé par Martin Waldsemüller. On voit dans l’édition de Jean Gruniger, en 1509, que la première copie de la relation des Quatre Voyages de Vespucci, d’abord écrite en espagnol, puis traduite en portugais, fut mise en italien, d’où elle se trouva ensuite traduite en français, et bientôt, du français reproduite en latin, ce qui la rendit européenne. Cette grande notoriété préparait l’acquiescement du public à l’injuste dénomination que proposait si candidement le géographe de Saint-Dié.

« Nous sommes encore obligé d’avouer, hélas ! que la France inscrivit la première ce nom d’Amérique sur ses cartes de géographie. Les plus anciennes cartes imprimées à Lyon portèrent le nom d’Amérique, comme désignation du Nouveau Monde. Telle était la carte de 1522, gravée sur bois, qui fut jointe à la réimpression du Ptolémée dans les ateliers de Melchior et Gaspard Trechsel[70]. Telle était aussi celle que publia en 1541 l’éditeur Hugues de Portes.

« Les presses protestantes de l’Allemagne multiplièrent à l’envi cette aveugle usurpation. Le moine apostat Sébastien Munster, auteur de l’Introduction à la table de Cosmographie, répandit ce nom d’Amérique par l’imprimerie de Bâle. D’un autre côté, Joachim Vadlanus, dans sa Cosmographie universelle, imprimée à Zurich en 1548, propageait le nom d’Amérique. Florence accueillit avec empressement une dénomination dont s’enorgueillissait son patriotisme, et l’Italie fut dupe de ces assertions vaniteuses. Après avoir été inscrit d’abord dans un ouvrage de cosmographie, puis gravé sur des planisphères, le nom d’Amérique se trouva pour la première fois, en 1570, buriné sur un globe en relief. Ce globe de composition métallique, richement damasquiné d’or et d’argent, était l’œuvre du Milanais Francisco Basso.

« À cette date, le nom d’Amérique était accepté sans conteste. Depuis longtemps, on ne songeait plus à Colomb. Sa postérité était déjà éteinte dans la ligne masculine qui eût fait revivre son nom. En formant son recueil de voyages en 1507, Fracanzo de Montalbodo ne s’était point enquis de la mort de Christophe Colomb, et ignorait même sa dernière expédition maritime. Dans la traduction latine dont la préface paraît signée par Madrignano, le Ier juin 1508, il était dit que « jusqu’à ce jour, Christophe Colomb et son frère, délivrés de leurs fers, vivaient en honneur à la cour d’Espagne ». Le continuateur de la célèbre Chronique des Rois Catholiques par Hernando del Pulgar, maître Vallès, attribue la découverte du Nouveau Monde, non pas à un homme, mais à une caravelle[71] ; il fait allusion à la fable du pilote mort chez Colomb. Cette insouciance qui était la conséquence naturelle de tant d’erreurs, découlait naturellement du profond décri dans lequel s’était terminée la carrière du grand Amiral de l’Océan. On peut juger de l’indifférence du public pour sa gloire, puisqu’un contemporain de la Découverte, chapelain du Roi Catholique, esprit élégant, Lucio Marineo, attiré de Sicile en Castille afin d’y propager le goût des lettres latines, en écrivant son Histoire des choses mémorables d’Espagne, faisait déjà confusion au sujet de la découverte du Nouveau Monde, défigurait le nom merveilleusement symbolique de Christophe Colomb, et ne rougissait pus de l’appeler Pierre Colomb ! Il se rendait ainsi le complice du médecin allemand, Jobst Ruchamer qui, dans le premier livre germanique où l’on ait parlé du Nouveau Monde, ne prononce pas une fois le nom de Colomb et s’obstine à l’appeler Christoffel Dawber, ce qui signifie en français : Christophe Pigeon mâle.

« Ces hommes ne se doutaient pas de l’énormité de leur profanation.

« Après son troisième voyage, Christophe Colomb était tombé si bas dans l’opinion publique qu’on ne dalgnait pas même s’occuper de lui. Pour beaucoup, il n’était déjà plus de ce monde. D’autres, n’attachant Aucune importance à ce qui le touchait, ne prenaient pas la peine de vérifier les dates. Nous voyons que cette dépréciation de su gloire était générale, à l’époque où parurent les trois premières Décades Océaniques de Pierre Martyr, à Alcala de Hénarès, on 1516, dix ans avant la première édition des premiers livres de l’histoire des Indes par Oviedo, publiée à Tolède, et quand le Vénitien Ramusio avait déjà entrepris sa Collection de voyages. La preuve en ressort de leurs écrits. Tous ont à disculper Colomb des accusations que la malveillance continue de répandre contre lui, depuis sa mort. Toutefois, le sentiment des historiens espagnols était impuissant à réformer l’opinion publique. D’abord, parce leurs ouvrages, comportant une assez grande étude, n’étaient pas destinés à devenir populaires, ensuite, parce qu’aucun de ces ouvrages ne fut publié dans un état d’achèvement complet ; enfin, et surtout, parce qu’ils restèrent la plupart manuscrits. Le second fils de Colomb, don Fernando, qui se fit son biographc, ne termina son travail qu’en 1536, et le laissa manuscrit. Le vertueux Barthélemy Las Casas commença le sien fort tard et ne l’acheva que cinquante-trois ans après la mort de Colomb. Il le laissa manuscrit. L’opinion resta donc sous l’influence des préventions les plus injustes. La calomnie qui avait éprouvé chacun des jours du grand homme, depuis son triomphe, au retour de son premier voyage, implacable malgré le trépas, s’acharna contre son nom, s’assit sur sa tombe et diffama séculairement sa mémoire. »

(Christophe Colomb, Histoire de sa Vie et de ses
Voyages
, par le Comte Roselly de Lorgues,
Introduction.)                                                
  1. Ce qu’offre d’ingénieux, de nouveau, d’important, au point de vue de la physique, de la géographie et de la cosmographie, cette ligne, raya, qu’iodiquait Colomb, est relevé avec admiration par Humboldt, notamment dans son Histoire de la géographie du Nouveau Continent et dans son Cosmos, Essai d’une description physique du Monde. Ce fait mérite d’être remarqué.
  2. Herrera, Histoire générale des Indes occidentales. Décade I, liv. II, ch. iv.
  3. A Chart of the World on Mercators projection, by John Purdy. — 1844.
  4. Johnston’s Commercial Chart of the World. — 1850.
  5. Humboldt, Histoire de la géogr. du Nouv. Cont., t. III, p. 54.
  6. Capitulacion de la particion del mar Océano, entre los catolicos Reyes D. Fernando y doña Ysabel, y D. Juan Rey de Portugal. — Coleccion diplomatica, docum. LXXV.
  7. Herrera, Hist. gén. des Ind. occid. déc. Ie, liv. II chap. x.
  8. « La cual raya ó linea é señal se haya de dar y de derecha, como dicho es, á trescientas setenta leguas de las islas de Cabo Verde, etc. » — Coleccion diplom.
  9. Rosseeuw-Saint-Hilaire, Histoire d’Espagne, t. VI, p. 116.
  10. Humboldt, Cosmos, Essai d’une descrip. phys. du Monde t. II p. 340.
  11. Humboldt, Id., t. II, pp. 571, 572.
  12. Montesquieu, de l’Esprit des lois, t. II, liv. XXI, ch. xviii p. 78.
  13. Washington Irving. Hist. de Christ. Colomb. liv. V. chap. ix p. 370, — Édit de 1828.
  14. Le Révélateur du Globe a également inspiré à Mgr. Dabreil un autre chant, intitulé Vision de Colomb, qui révèle aussi chez son auteur une vision véritablement vaticienne. Il en sort des im- pressions d’une grandeur inconnue, et d’imposantes magnificences où l’enthousiasme que soutient l’élévation native du sujet, se revêt constamment d’une facture large, élégante et digne, à laquelle tout lecteur décernerait le prix, si l’Académie des Jeux floraux n’avait couronné, dès l’apparition, cette éminente poésie.
  15. Roselly de Lorgues, Histoire de Christophe Colomb, Ier vol, p. 433.
  16. Harnera, Histoire générale des voyages et conquêtes des Castillans dans les îles et terre ferme, liv. VIII, ch. vi.
  17. Herrera, Histoire des voyages et conquêtes des Castillans liv. II, ch. xvii.
  18. « Dixitque Moyses ad Josue : Elige viros, et egressus, pugna contra Amalec. » — Exodi, cap. xvii, v 9.
  19. « Moyses autem Aaron et Hur ascenderunt super verticem collis. » — Exodi, cap. xvii, v 10.
  20. « Ædificavitque Moyses altare, Et vocavit nomen ejus, Dominus exaltatio mea » — Exodi, cap. xvii, v 15.
  21. Dorvo-Soulastre, ex-commissaire du gouvernement de Saint-Domingue, Voyage par terre de Santo-Domingo, capitale de la partie espagnole de Saint-Domingue pp. 69, 70.
  22. Moreau de Saint-Méry, description de la partie espagnole de Saint-Domingue, t. I, p. 132.
  23. Dorvo-Soulastre, ex-commissaire du gouvernement de Saint-Domingue. Voyage par terre de Santo-Domingo, capitale de la partie espagnole de Saint-Domingue, etc., p. 71.
  24. Paroles de Christophe Colomb : « … La tierra y los puertos « que yo por la voluntad de Dios, gané á España sudando sangre. » — Lettre aux Rois Catholiques, datée de la Jamaïque, le 7 juillet 1530.
  25. Fernando Colombo, Vita dell’Ammiraglio, cap. lxxxviii.
  26. Herrera. Histoire générale des voyages et conquêtes des Castillans dans les Indes occidentales. décade Ire, Liv. V, ch. ii.
  27. Benzoni, la Historia del Nuovo Mondo, lib. I, fogl. xxv.
  28. « Globum eum mille amplius homines viderunt atque attractaverunt » — Petri Martyri, Anglerii, Oceanæ Decadis primæ, liber decimus, fol. 24, § d.
  29. Herrera, Histoire générale des voyages et conquêtes des Castillans dans les Indes occidentales. décade Ire, liv. V, ch. ii, p. 337.
  30. « Bastidas, hombre bueno y piedoso con lndios. » — Rafael Maria Baralt, Resümen de historia de Venesuela, t. 1, cap. vir, p. 132.
  31. Herrera, Histoire générale des voyages et conquêtes des Castillans dans les Indes occidentales, décade Ire, liv. V, ch. ii.
  32. Ovindo v Valnez, Histoire naturelle et générale des Indes liv. III, ch. ix.
  33. « La notte con grandissima oscurità si partirono tre pavigli della sua compagnia, ciascun per lo suo camino. » — Fernando Colombo, Vita dell Ammiraglio, cap. lxxxviii.
  34. En el que yo iba, abalumado á maravilla, Nuestro Señor le salvó que no hubo daño de una paja. » — Lettre aux Rois Catholiques datée de la Jamaïque, le 7 juillet 1503.
  35. Fernando Colombo, Vita dell’Ammiraglio, cap lxxxviii.
  36. Les Rois eurent un grand ressentiment de la flotte, car ils le firent paraître ouvertement… Ils mandèrent à Nicolas de Ovando, qu’ils n’avaient pas pour agréable le refus qu’il avait fait à l’Amiral de se retirer dans le port par la pressante nécessité où il était, et de n’avoir pas voulu suivre son conseil en retenant la flotte quelques jours davantage. » — Herrera, Histoire générale des voyayes et conquêtes, etc., dans les Indes occidentales, décade Ire, Liv. V, ch. xii.
  37. « … Qui furent perdus pour ne point avoir cru ne prins conseil de l’Amiral. » — Oviedo y Valdez, Histoire naturelle et générale des Indes, traduction de Jean Poleur.
  38. Benzoni : « Qui é da notare quanto la giustizia di Dio permette per castigare la malignita de gli nomini e considerare che tutti i nostri tesori e le nostre richezze nell’quali tanta fidanza abbiamo, tutte sono sogni e ombre false, etc. » — La Historia del Nuovo Mondo, lib. I, fogl. xxiv. (Venezia, 1572).
  39. Bonnefoux, Vie de Christophe Colomb, p. 363, 364.
  40. Humboldt a simplement essayé, dans une note, quelque dénigrement sur l’opinion pieuse de Las Casas et de Fernando Colomb. De son côté Washington Irving prétend que si les coupables furent punis, l’innocent cacique Guarionex partagea leur sort : qu’ainsi l’innocent et le coupable furent confondus. Nous ferons remarquer d’abord qu’au point de vue catholique, cette objection est sans valeur ; ensuite, qu’en fait, Guarionex, fils d’une femme perverse, opiniâtrement sourd à la parole évangélique, plusieurs fois pardonné par Colomb et l’Adelantado, ingrat envers eux, instigateur d’assassinat et complice des révoltés, ne saurait, même aux yeux des hommes, paraître innocent.
  41. « Por cuyo motivo podian culparle los que le aborrecian de que havia tramado aquella borrasca por arte magia, para vengarse de Bobadilla y de los demás enemigos suyos que iban en su compañia. » — Hernando Colon, Historia del Almirante don Cristobal Colon, cap. lxxxviii.
  42. « Recede a nobis, scientiam viarum tuarum nolumus. » — Job, cap. xxi, § l4.
  43. « No hubo daño de una paja. » — Lettre aux Rois Catholiques écrite de La Jamaïque, Le 7 juillet 1503.
  44. Lopez de Gomara. Histoire des Indes, liv. I, ch. xxiv.
  45. Alvarez de Colmenar, Annales d’Espagne et de Portugal, t. I, p. 452.
  46. Rosertson, Histoire de l’Amérique, t I, liv. II, p. 211.
  47. Girolamo Benzoni : « Ne fecero molta allegrezza con dire traloro, questi non ci faranno piu stentare alle mine dell’ oro, ne vivere in tanto stratio quanto facevano. » — La Historia de Mondo nuovo, p. 25.
  48. Campe, Découverte de l’Amérique, t. I, p. 204.
  49. Charlevoix, Histoire de Saint-Domingue, t. I, liv. III, p. 214.
  50. « Crederono coloro che Colombo possedesse un potere sopra naturale e s’immaginarono ch’agli (medesimo avesse combinato quel terribile temporale per arte magica e per forza d’incanti. » — Vita di Cristoforo Colombo, p. 130.
  51. Campe, Dévouverte de l’Amérique, t. I, p. 204.
  52. Lopez de Gomara : « Que liamaron por esso de la vera Cruz. » — La Historia general de las Indias, cap. xxxiv, p. 21 ; in-12, 1554
  53. Herrera : « Para que desde muy lexos se pudiese devisar, y por tener aquella santissima insinia por su amparo… » — Decad. I, lib. X, cap. xii.
  54. Moreau de Saint-Méry, Description de la partie espagnole de l’île de Saint-Domingue, t. I, p. 223.
  55. Testamento y codicilo del Almirante D. Cristobal Colon. — Colecc. diplom., no clviii.
  56. Le P. Charlevoix Histoire de Saint-Domingue, liv. IV, p. 479.
  57. Oviedo y Valdez : « … La miravan con acatamiento y respecto y se humillavan a ella de ay adelante. » — Coronica de las Indias, lib. III, cap. v.
  58. Dans la suite, cette ville étant, par sa proximité du port, le premier point de la province où l’on dirigeait les marchandises, fut peu à peu appelée de préférence « Sainte-Marie du Port », Sancta Maria del Puerto. Plus tard les Français, étrangers à la cause de son premier nom, l’ont appelée Léogane. — Adrien des Salles, Histoire générale des Antilles, t. I, p. 218.
  59. « Los que tenian esta santa reliquia ne se descalabraron ni morieron como entre otros fueron los frayles franciscos cuyó monasterio se cayó. » — Herrera, Decada I, lib. X, cap. xii.
  60. « Se Cayó, y la yglésia collegial que era muy grande e fuerte de canteria, salvó la parte adonde estava la Cruz. » — Herrera, loc. cit.
  61. Moreau De Saint-Méry, Description de la partie espagnole de Saint-Domingue, t. I, p. 192.
  62. « Y es tanta la devocion que los cristianos en ella tienen que furian muchos pedaços y astillas della, assi por llevar a España como otras partes, yes tenida en mucho veneracion, assi por sus miraglos como porque en tanto tiempo como estuvo descubierta, jamas ne pudrio ni cayo por ninguna tormenta de agua ni viento : ni jamas La pudieron mover… » — Ovieno y Valdez, la Historia general y natural de las Indias, lib. III, cap. v.
  63. Herrera « Y para calenturas es cosa muy aprovada dandola á bever en polvos á los enfermos, porque se ha visto sanar hombres desaudiados de los medicos. » — Decada 1, lib. X, cap. xii.
  64. Moreau pe Saint-Méry, Description de la partie espagnole de Saint-Domingue, t. I, p. 132.
  65. Dorvo-Soulastre, Voyage par terre de Santo-Domingo, capitale de la partie espagnole de Saint-Domingue, au cap Français, p. 61.
  66. Dorvo-Soulastre, Voyage par terre de Santo-Domingo, capitale de la partie espagnole de Saint-Domingue, au cap Français, p. 73.
  67. Réponse de Mgr D. Bartolini, secrétaire de la Sacrée Congrégation des Rites, à S. Ém, le Cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, en date du 25 août 1866.
  68. Le titre complet de l’ouvrage est celui-ci : Cosmographiæ introductio, cum quibusdam geometriæ ac astronomiæ principiis ad eam rem necessariis, insuper quatuor Americi navigationes.
  69. « Non video cur quis jure vetet ab Americo inventore sagacis ingenii viro Amerigem quasi Americi terram, sive Americam dicendam, cum et Europa et Asia a mulieribus sua sortitæ sint nomina. » — Cosmographiæ introduotio, cap. ix.
  70. Sous ce titre : « Orbis typus universalis juxta hydrographorum traditionem exactissime depicta. » (1522).
  71. « El primero que las descubrio, fue aquella caravella llevado por viento contrario en levante, y tan contrario que vinó á en tierras no conocidas, etc. » — Vallès, Breve y compendiosa adicion a la Chronica de los catolicos y esclarecidos reyes, etc., cap. I, fol. ciiii.