Le Ravissement de Proserpine
LE
RAVISSEMENT
DE PROSERPINE PRIS
de Claude Clodian.
primier livre.
Eluy qui le premier fendit la mer profonde,
En aprenant au bois à voguer dessus l’onde,
Et renversant les flots par son rude aviron,
Planta dedans les eaux les arbres d’environ,
Abandonnant aux vens & aux ondes la vie,
Pour recouvrer par art ce que nature nie.
Celuy en tremblotant se jetta dans le sein
De la tranquille mer, puis d’esperance plein,
En regardant de loin les asseurez rivages
Il ne redoute plus les perilleux naufrages.
L’audace temeraire en fin l’epoint si fort,
Que delaissant du tout le desirable bord,
Aiant Notus amy il deplie ses voiles,
Cheminant sur les eaux remerquant les estoilles :
De l’Amphitrite il voit tous les secrets ouvers,
D’Egee & d’Ionie il dompte les hivers.
L’entendement tiré en sa plus digne place
Me commande chanter d’une pareille audace,
Et mon œil va cherchant dans la brune espesseur
Le char & les chevaux de ce grand ravisseur,
Qui laissant de l’Enfer les richesses avares
Devint enamouré de nos Tresors plus rares.
Doncques je veux chanter la profonde Junon,
Que le lit nuptial a fait changer de nom.
Retirez vous de moy, retirez vous Profane,
Phebus persé me sens ainsi qu’un diaphane.
Je le respire ô Dieu, je le sens, je le voy.
Sa divine fureur a chassé loin de moy
Tous les pensers humains, pour des visions sacres.
Je voy desja desja mouvoir les simulacres
Des sieges bluétans : & ces flambeaux espars
Qui rendent ainsi l’air si cler de toutes pars,
Monstrent que le Dieu vient : par la trace du vuide
Un grand son retentit : le Temple Cecropide
S’esmeut en fremissant : & la bonne Eleusis
Monstre ses saints flambeaux en un lieu haut assis.
Les Serpents escailleux qui tirent Triptoleme
Siflent levant un peu le vermeil Diademe
De leur creste rosine, & leur colz recourbez
En replis ondoians sont demy derobez.
Je voy de loin Hecate en sa triple figure.
Je voy l’aymé Jaccus ornant sa chevelure
De Lierre verdissant : un Tigre Parthien
Luy sert d’accoustrement assemblant d’un lien
Ses ongles surdorez : Thirse de Meonie
Tu asseure ses pas, il asseure ta vie.
La grace mutuelle ainsi tousjours se voit,
Quand recevant on donne & donnant on reçoit.
Dieux ausquels vont servant les innombrables nombres
De ces volages vains & non touchables ombres,
Qui gouvernez Averne, Averne qui tout prend,
Et en prenant ce tout, rien jamais il ne rend.
Vous ô Dieux sousterrains que le Stix environne,
Dont les flots ensouffrez arrosent la couronne
Au lac de Phlegeton, qui au gouffres ardans
Tient la fumee hors & la flamme au dedans,
Demonstrez, descouvrez, estallez vos richesses,
Le beau de vostre ciel, & de quelles caresses
L’enfant Citerien a flechi vostre Dieu.
Et que dit Proserpine arrivant en ce lieu,
Lors que ce ravisseur l’aiant prise à sa Mere
En flatant luy promit le chaos pour doüaire.
Faites moy voir encor le travail soucieux
De la Mere doulente, & en combien de lieux
Ell’ erra sans borner son desir ny sa cource,
Faisant choir de ses yeux une piteuse source :
De ce fertile pleur nous est venu le grain,
Qui changé pour le glan apporte un si beau gain.
Le Prince de l’Erebe enflammé de colere
De ce que le doux nom de Mary & de Pere
Luy estoit interdit, & que seul languissant
Il ne sent les attraits de l’amour blandissant,
Esbranla tellement ceste ronde machine,
Que l’on pensoit la terre & le ciel en ruine,
Au profond des Enfers l’on entend un grand bruit
Du Baratre fumeux, une troupe se suit
De monstres effroians, qui conjurent la guerre
Avec les Titans au prince du Tonnerre.
Les Manes palissans viennent hardis de peur :
Thisiphone & ses sœurs leurs incitent le cueur.
Les Hidres serpenteux que porte Thisiphone,
Luy font au tour du chef une horrible couronne.
En ce point elle va du regne tenebreux
Pour allumer le pin au feu malencontreux.
Le cruel Egeon espoint de la furie,
Voulant l’acompagner promptement se delie,
Jurant encor un coup la guerre à Jupiter,
Et faire dans l’Enfer le ciel precipiter.
Mais voicy arriver les trois filles fatales
Aux cheveux blanchissans aux faces tristes-palles,
Qui requerans Pluton en faveurs des humains
Portent à ses genoux leurs suppliantes mains,
Leurs mains qui vont guidant souz le mouvoir du pouce
La vie des mortels, soit elle amere ou douce.
Lachesis la premiere aiant le poil espars,
Faisant noier en pleurs ses languissans regards,
Luy va dire cecy : O Roy grand & severe,
Que ceste terre craint, & que le ciel revere,
Roy qui faites tourner le filet du destin,
Ordonnant à chacun commencement & fin :
Tout ce qui est vivant doit à vostre puissance
L’honneur du bien receu, le jour de sa naissance.
Vous donnez la matiere, & commandez tousjours
A ces esprits errans aux variables cours.
Dea qui vous a esmeu de rompre la loy sainte
Qui tient les Dieux en paix & les hommes en crainte ?
Ne vous souvient il plus des Titans, & comment
La terre s’esbranla & non le firmament ?
Pourquoy levez vous donc les enseignes impies,
Auctorisant encor ces malheureuses vies ?
He nos pauvres fuseaux avoient ils merité
Que l’on rompit le cours de leur fatalité ?
Si vous avez desir d’esprouver ceste flame
Qui naist par la beauté d’une excellente Dame,
Mandez le à Jupiter, il sçaura bien choisir
Ce qui doit contenter vostre amoureux desir.
Luy qui à pardonner se trouve inexorable,
S’esmeut par la priere, & son cueur non ploiable
Est doucement flechi : ainsi l’austere vent
Borree impetueux s’empestre bien souvent
D’un espaix tourbillon : les neges & les gresles
Luy donnent des cheveux, & luy portent des aisles,
Pour ravager la mer, les champs & les forests.
Mais Eole au devant opposant ses arrests
Avec des gons d’airain le renferme en son cloistre,
Et en ceste fureur l’empesche de paroistre.
Pluton aussi soudain se trouve rapaisé.
Il fait venir vers luy par un sentier aisé
Le disert fils de Maie, & lors il luy commande
De porter dans les cieux sa servante demande.
L’oyseau Cillenien esbranle devant luy
Sa verge porte-somme, & plustost chasse-ennuy.
Ce pendant tout faché dans son trône il apuie
Son lourd septre vellu de relanteur moisie :
Son visage est fort noir, ses cheveux mal pegnez :
Son chef hautain & fier, & ses yeux renfrongnez :
La rude majesté de sa hideuse forme
Rendoit par la douleur sa face plus difforme.
Lors d’une forte voix il entonne ces mots.
Le pallais est muet escoutant ses propos :
Le Cocyte serrant ses ondes larmoiables
S’arreste : & le portier aux faces effroiables
Ferme sa triple voix : Acheron devient çoy :
Flegeton se repose, & ainsi dist le Roy.
Neveu du grand Atlas, dont la douce faconde
Rend le commerce heureux de l’un à l’autre monde,
Qui seul voy les obscurs & les luysans palais,
Va viste, fends les vents, va de ma part & fais
Que le fier Juppiter entende ce langage :
Cruel entre les Dieux, pensez vous en partage
Avoir acquis sur moy si grand auctorité ?
Ne vous suffit il pas que vostre iniquité
Ait usurpé le ciel en perdant la lumiere ?
Je n’ay perdu pourtant la vertu coustumiere :
Je ne suis point oysif, si je ne darde pas
Les dars Ciclopeans, j’en ay d’autres esbas
Dans la troisiesme part que le sort ma donnee
Aux ombres effroians tristement condemnee,
Seul (ingrat) vous avez dans le regne esclerci
Le plaisant porte-signe & les trions aussi :
Et vous me defendez les nopces desirees.
Dedans le plus profond des ondes azurees
L’amoureuse Amphitrite embrasse son mary.
Vous estes de Junon tant aymé, tant cheri,
Qui vous reçoit lassé des foudres eslancees,
Et par douces faveurs adoucist vos pensees.
Je me tais du larcin de vos autres amours
De Latone, Ceres, & Themis : car vos jours
Sont rendus plus heureux par un si beau lignage.
Moy chetif cependant privee de mariage
Je ne puis alleger mon importun souci.
Ah ! mais je ne veux plus endurer d’estre ainsi.
J’arreste de la nuit les pointes plus aigues,
Et les ondes aussi du Soleil non cognues,
Et les paluz d’Enfer qu’on ne doit parjurer,
Que je ne sçaurois plus ce tourment endurer.
Si tu ne veux Juppin accorder ma requeste,
Un extreme malheur te penche sur la teste.
J’irriteray vers toy les Tartares beans
Plus hardis que jamais combatront les Geans :
De ton pere peu caut je deliray la chesne :
Mes tenebres perdans la splendeur de ton regne.
A peine eust il finy, que le Nonce depart,
Fend l’air, touche le ciel, le dit au pere à part.
Lequel l’aiant ouy en soy pense & repense
Ce qui doit advenir d’une telle alliance :
Qui pendant le Soleil prendra l’Isle de Deul
Laissant divers advis il s’arreste à un seul.
Ceres avoit chez soy une fille pudique,
En lignage, en vertus, & en beautez unique.
Lucine a bien pensé qu’un autre enfantement
Ne devoit point suivir ce divin ornement :
Proserpine en valeurs suapassant un grand nombre.
Le corps n’est jamais veu plustost suivy de l’ombre,
Que sa Mere la suit de pensers & de pas,
S’accommodant pour elle aux enfantains esbats.
Ainsi voit on souvent la petite genice
De sa mere froncee attirer la blandice,
Quand elle n’a encor sur le frond paroissant
Le demi rond courbé de son double croissant.
La belle vierge estant en âge mariable
Pronube d’un flambeau doucement agreable
Allume son desir : & la tendre pudeur
D’une honteuse crainte empesche telle ardeur.
Le pallais resonnant d’amoureuse querelle
Deux excellents partis s’offrent à la pucelle,
Mars au Bouclier Fameux, Phebus aux traits luysans :
L’un luy donne Rodope, & l’autre fait presens
D’Amiclee, Delos, & du Demon de Clare,
Desirant ceste bru tant admirable & rare :
Et Junon & Latone ont perdu le repos.
Mais la blonde Ceres desprise leurs propos :
Et craignant qu’à la fin une amoureuse envie
Ne la feist souspirer pour sa fille ravie,
(He aveugle au futur) elle va promptement
Aux terres de Sicile, & là secretement
Ayant laissé d’Ether les espaces tant belles,
Elle commet son gage aux Lares infidelles,
S’asseurant de la force, & nature du lieu.
Trinacre estoit d’Itale, & maintenant le Dieu
Nere victorieux ravissant sa frontiere
Luy semble avoir changé sa forme toute entiere
Ell’ est faite en triangle, & trois monts sourcilleux
Menacent l’estranger à l’abord perilleux.
Pachin voit d’une part les fureurs d’Ionie :
Thetys d’autre costé ses puissants bras desplie,
Repoussant Lilibee, & la Tyrrene mer
S’eslance vers Pelore & ne peut l’abismer.
Au milieu est Ætna, qui monstre dans sa flamme
Le triomphe des Dieux, de Geans le diffamme.
Le foier d’Encelade est tirant à costé,
Luy se voyant d’un nœu fortement garroté,
Exhale en ses souspirs une vive fornaise,
Qui tesmoigne l’ardeur de sa cruelle braise :
Et lors que se faschant de son faix ennuieux,
Il destourne & gauchist son chef audacieux.
Ceste Isle est arrachee & les tremblantes villes,
Contre telles fureurs ont des murs inutiles.
L’on n’oseroit aussi voir le sommet sacré
D’Ætne sejour des Dieux, s’il ne leur vient à gré.
Le haut n’en sent jamais du laboureur la trace.
Le reste de ce mont s’embellit par la grace
Des arbres verdoians, & en toutes saisons
Il soufle les challeurs de ses exhalaisons.
Tantost par tremblemens il afflige la terre,
Puis d’un espoisse tache il fait au jour la guerre.
Les Astres il provoque, & à son detriment
Nourrist mesmes le feu de son embrasement.
Mais bien que ceste ardeur le brusle en mainte espace,
Pourtant il garde foy à la nege & la glace,
Qui ne se fond du tout aux rayons de son feu,
Mais cuisant son humeur endurcist peu à peu.
Aussi qu’un froid secret & fidele fumee
L’empesche de se voir promptement consommee,
Et la flamme incoulpable amasse au lieu voisin
Les goutes ruisselans de ce beau cristalin.
Quelle source de feu, qui n’est jamais estainte ;
Quelle fureur de vent, qui n’est jamais contrainte,
Au logis de Vulcan le vent superbe, ireux,
Et de la liberté se trouvant desireux
Des rochers caverneux va recherchant les centres,
Et l’air empuanti dans le profond des antres.
Parfois la mer glicee aux entrailles du mont
Bouillonne par le souffre, & le souffre se fond
Au fond de sa moiteur : là Ceres immortelle
Pensant avoir trouvé la contree fidelle
Pour bien garder sa Fille, ell’luy laisse en depos.
Puis aiant son esprit un peu plus à repos,
Sans crainte elle va voir aux terres de Phrygie.
Cybelle porte-tours son ancienne amie,
Guidant au chariot ses Dragons escaillez,
Qui de mille couleurs resemblent esmaillez,
Sus leurs dos verdoians paroissent des estoilles
De fin or reluysans : leurs crestes sont des voiles,
Qui ombragent le frond : leurs membres sinueux
Sont tousjours ondoians en replus tortueux
Avec un doux venin rendant leurs frains humides.
Ils passent les Zephirs, fendant les airs liquides :
Tantost ils vollent hault, puis les pleines rasant
Ils vont de toutes pars les champs fertilisant.
Les blez sont jaunissans aux endroits où ils passent :
Leurs pieds tracent des pas que les herbes destracent
Verdissant le chemin. O de combien de lieux
La Mere desolee a fait voler ses yeux
Au lieu de son plaisir ! desja la Trinacrie
Par un fuitif regard luy semble estre amoindrie.
La pauvreté desja presageant ses malheurs
A violé son taint par un ruisseau de pleurs,
Disant, Dieu te conserve ô terre desirable,
Terre qui m’est trop plus que le ciel agreable,
Garde je te supply le plaisir de mon sang,
Et le guerdon aymé du travail de mon flanc.
Pour ton digne loier, si tu garde ma Fille,
Tu verras à jamais ta campagne fertile,
Sans que le fer aigu de ces boiaux tranchans,
Ou le rude chartier vienne froisser tes champs.
Tes pleines produiront sans estre silonnees :
Les nations d’autour en seront estonnees.
Cela dit, la Deesse enferme son regret,
Et venuë en Ida jusque au Dome secret
De la grande Cybelle ell’ honore l’image
Dans le Temple devot qu’un beau pinier ombrage
Par un fueillage espaix, que l’orage ne suit.
Un murmure venant des branches porte-fruit,
S’accorde aux vers sacrez, dont le Temple resonne.
Les Thiases dedans font un bruit qui estonne :
Les simulacres fols y rassemblent leur voix.
Ida tremble, Gargare & les timides bois
Des forests d’alentour. Mais Ceres arrivante,
Les tambours refrenans leur chanson violente,
La troupe se rapaise, & le buis & l’airain
Et le fer ne sent plus la Coribante main.
Les Lyons rugissans appaisent leur furie.
De cest advenement Cybelle resjouie
Sort de son cabinet, & ses tours abaissant
Se presente au baiser doucement caressant
La Bletiere Ceres : ja desja par la nue
Juppiter fait sçavant d’une telle entreveuë,
Descouvre sa pensee à sa fille Venus,
Disant, soient mes secrets de toy seule cognus
O ma belle Cytere, & voy par destinee
La blanche Proserpine au noir Pluton donnee.
La Parque le demande & l’antique Themis.
Or la Mere est absente, & le tout est remis
Et au temps & à toy : descend donc en Sicile,
Enchante par les champs la lignee gentille
De la jaune Ceres demain dés que le jour
Embellira le ciel d’un luysant demi-tour :
Qu’il n’y ayt aucun lieu où ne brusle ta flamme :
Que la triste Erynnis la souffre dans son ame :
Et que le cueur serré du severe Ditis
Sente que tes brandons ne sont pas amortis.
Venus obeissant aux volontez du Pere,
Il convie Pallas la sçavante guerriere,
Et celle qui de traits rend Menale estonné,
De commencer aussi ce voiage ordonné.
Alors ces piedz divins emplissent d’un grand lustre
Tout ce qu’ils vont marchant par le sentier illustre.
Ainsi une comete apparoist bien souvent,
Qui rouge presagist ou le feu ou le vent.
Le palle Notonnier redoute sa colere,
Et le peuple estonné en crainte la revere.
Elles voyans le lieu si beau & si plaisant,
Où paroist de Ceres le palais reluisant,
Regardent à l’entour & le marbre & l’yvoire
Et l’electre & l’airain qui du temps ont victoire :
Les murs sont rehaussez, redoublez, rafermis
Par les ouvrieres mains des Cyclopes amis.
Au dedans du logis les portes sont ferrees,
Et de chaisnes d’acier plus fortement serrees.
Sterope & Piracmon jamais n’ont travaillé
Avec plus de sueur, ny le fleuve mouillé,
Metal plus endurci. Par ceste grande espace
Proserpine chantoit d’une mignonne grace,
Et pour sa Mere absente elle tissoit en vain
D’un art laborieux & d’une docte main
Une toille admirable. En un lieu haut paroissent,
Les sieges paternels en l’autre se cognoissent
Les loix de la nature & les freres divers,
Qui par un saint discord accordent l’univers.
Du Cahos ancien le feu premier s’avance,
Qui d’un sault messuré legerement s’élance
Jusques aupres du Pole, & l’air aupres de luy
L’onde s’escoule en bas, la terre sert d’appuy
Pendant au milieu d’eux : la couleur n’est pas une.
On voit l’or du Soleil, & l’argent de la Lune,
L’azur est espandu sur le giron des eaux,
Et les borts relevez de pretieux joyaux.
Les flots vont grossissant en l’eau dissimulee,
Par des filets cachez l’Algue se voit meslee
Avec les cailloux : le murmure enroüé
Des alterez sablons pourroit estre avoüé
Des plus subtils espris. Dans ceste toille encore
Cinq zones se font voir, une qui n’a l’Aurore
Ny Phebus pour amis : car de rayons ardans
Ils luy vont sans sejour mille flesches dardans.
Le rouge va tramant d’une merque menue
Les replis reserrez de lardeur assidue.
Les deux qui ont senti un doux temperament
Donnent à tous humains logis & aliment.
Tout en l’extremité on voit les deux glacees
De brume perennelle obscurément tracees.
L’ouvrage s’environne en un froid eternel.
Elle n’oublia point l’inviolable autel
De son oncle Ditis, ny les Manes fatales,
Qu’elle doit prendre au lieu de ses Nymphes natales.
Ses beaux yeux devinoient en depeignant cecy,
Et pleurant demonstroient un ennuieux souci.
Ell’ avoit commencé à ranger aux lisieres
Du fertil Ocean les plus seches verrieres,
Et retournoit les gons : mais ell’ entend soudain
Les Deesses venir, & lors sa blanche main
Abandonna du tout cest imparfait ouvrage :
Une vive couleur embellit son visage,
Meslant avec sa nege un pourpre gracieux,
Et la honte luysoit au doux feu de ses yeux :
Ses joües qui estoient mollement delicates,
D’une vierge rougeur se firent incarnates,
Mieux que l’yvoire blanc au vermeil de Sidon.
Desja le jour se noie, & le celeste don
Du somme nourricier tient les testes baissees
Aux languissans loisirs & tranquilles pensees.
Pluton est promptement par son frere adverti
Pour aller en Sicile & y prendre parti.
La terrible Alecton accoustre l’esquipage,
En liant les chevaux qui paissent au rivage
D’Erebe & de Cocyte, & vont apres errans
Pour trouver de Lethes les ruisseaux non courans.
Attachez au timon ils rendent une escume,
Dont les tristes oublis corrigent l’amertume :
Orfnee, Ethon, Nictee, & Alastor aussi,
En cruauté, vistesse & fureur & souci,
Merquez du seel d’Enfer sont couplez à la porte,
Fremissans, desirans que le seigneur en sorte ;
Et leur rigueur s’appaise attendant le matin,
Esperant le plaisir du desiré butin.
LE SECOND
Livre.
A naissante lumiere à peine ce peut voir
Dans le sein de Thetys qui luy sert de miroir,
Et le jour non entier lance aux ondes tremblantes
Son agreable ardeur, & les flammes errantes
S’esgaient en l’azur, quand un jeune desir
Incite Proserpine à prendre son plaisir
Aux bocages prochains, où la caute Cytere
A tendu ses filets : les propos de sa Mere
Luy sortent de l’esprit : la Parque ainsi le veult.
Le gon tourne trois fois, & la porte se deult
Predisant le malheur de la Fille obstinee.
Trois fois gemit Ætna sçachant la destinee.
Mais le terrible son du mont prodigieux
Ne sçauroit desmouvoir ce pied audacieux.
Asseuree elle va où ses sœurs la conduisent.
Venus marche premiere & ses ruses attisent
Les desirs de Pluton, mesurant en son cueur
Le ravissement proche & son pouvoir vain-cueur,
Qui flechist le Chaos, & moine en sa victoire
Les Manes asservis au comble de sa gloire.
Elle a le poil retors en double demi-tour,
Cent mille crespillons voltigent à l’entour :
Et par les mains d’amour l’esguille d’Idalie
Les range proprement sur sa face polie.
A beaucoup travaillé pour estre un peu cheri,
Troussoit son vestement, dont la couleur pourprine
Reçoit par les joyaux une splendeur plus digne.
Deux vierges vont suivant l’amoureuse Cypris,
L’une forte à la guerre, & l’autre aiant apris
D’estre crainte aux forests : Pallas tient sur la teste
Le riche armet doré depeind de sa conqueste.
Tyson y est gravé, qui paroist à moitié,
Et mourant & vivant à la teste & au pié.
Ell’ a dedans sa main terrible & menaceante
Un dard hault eslevé, sa robe est ombrageante
Tant seulement les bords du chef Gorgonien.
Mais Trivie se marche avec humble maintien :
En elle on recognoist de son frere la face,
Pareils en sont les yeux, les joües & la grace.
Le sexe empesche seul, qu’il ne luy soit esgal.
Ses bras nus sont luysans plus que n’est le cristal.
Elle va rejettant ses cheveux indociles
A se vouloir mesler, au gré des vens agiles.
Son arc est destendu, ses fleches sur son dos,
Sa robe deux fois ceinte où l’errante Delos
Vogue jusque au genou en sa trame mouvante.
Les costez sont baignez d’une mer ondoiante,
Dont les sablons dorez font la frange du bord.
La race de Ceres qui de taille & de port
Ne leur cedoit en rien (or la gloire infinie
De sa Mere bien tost la douleur de sa vie)
Se marchoit au milieu à Pallas resemblant,
S’ell’ eust eu son escu & son cueur non tremblant.
Mais elle n’a point l’arc qui les flesches eslance :
Et s’aide seulement du trait de ses beaux yeux.
Ses vestements serrez d’un nœu industrieux
Se monstrent recueillis d’une belle ceinture.
Jamais avant ce jour & l’art & la nature
N’avoit veu sur la toille un ouvrage pareil.
Là elle fait venir le rayonnant Soleil
Naissant d’Hiperion : la Lune blanchissante
Paroist d’autre costé en forme differente :
L’un est chef de l’Aurore, & l’autre de la Nuit :
Mais l’œil estincelant de l’un & l’autre luit.
Thetys qui les reçoit (amoureuse nourrice)
Leur donne le berceau, & comme son delice
Les serre doucement dans son sein azuré,
Qui des jeunes rayons se monstre tout doré.
Le Titan nouveau né paroist en sa main dextre,
Qui jette un tendre feu : sa sœur en la senestre,
Qui tire la liqueur hors des tetins verriers,
Et porte sur le frond la merque des cartiers.
Aiant cest ornement sur un beau corps d’albastre,
Proserpine s’en va d’un pied prompt & folastre.
Les naiades autour, qui toutes se tenant
Ainsi qu’un chapelet la vont environnant,
En chantant d’un accord la grace fonteniere
De Crimnise la douce, & Pantagre la fiere,
Qui tresne les cailloux : & Gelan qui nomma
De son nom la cité, que son bras enferma.
La Camarine lente aussi est rechantee :
La gentille Arethuse est proprement vantee :
Mais Cyane se voit sur les autres ranger.
Ainsi Termodoon a veu la belle bande
D’Amazones autour d’Hippolyte la grande,
Quand les pavois ostez, non les cueurs abatus
Elles vont rechantant les viriles vertus,
Et les bras indomptez de leur chaste maistresse,
Dont le Gete, & le Scythe ont senti la rudesse,
Et le gelé Tanais. Hermus peut voir ainsi
Les Nymphes qu’il alaite aiant un doux souci,
Ou de rendre à Bacchus offrandes solennelles,
Ou porter leur joyaux aux rives paternelles.
Le fleuve s’esgayant en son antre posé
D’une prodigue main rend le champ arrosé.
Ætne pere des fleurs aiant veu de sa cime
Le vulgaire sacré, dont il fait tant d’estime,
Dist au mignard Zephyre : ô pere du print-temps,
Qui de tes doux souspirs embasme tous les ans
Mes bosquets enfleurez regarde je te prie
Les filles du Tonant dedans ceste prerie.
Or puis qu’elle ont daigné leurs grandeur abaisser
Pour venir voir nos champs, ne vueilles pas laisser
Nulles sortes de fleurs qui n’y soient apparantes,
Rajeunis de boutons les plantes verdoiantes,
Et que l’Hible fertile envie nostre honneur,
Et que la Panchaie aspire à tel bonheur.
Combien que porte-encens elle soit odoreuse,
Que l’Hydaspe respande une halaine amoureuse
Dans nos riches jardins, & que l’unic oyseau,
Qui tant de siecles voit, y range son tombeau.
De voir cueillir mes fleurs par une main divine.
Zephir aiant ouy, bat l’aisle mollement,
Et par un doux nectar verse fertilement
Les graces sur les fleurs : la terre est embellie
De gazons esmaillez que la rosee allie.
Le ciel se descouvrant aux printanieres fleurs
Monstre qu’il prend plaisir en leurs vives couleurs.
La rose paroist là d’une couleur sanguine,
Et le noir vaciet & ceste fleur voisine
Du cler & de l’obscur. Mais qui peut esgaller
Telles perfections ? on ne voit estaller
A l’oyseau de Junon tant de Soleils ensemble.
L’Escharpe Parthien tant de graces n’assemble.
Le Poele Assyrien n’a point tant de joyaux,
Et l’humide sourci qui denote les eaux,
N’a point tant de couleurs, quand la nuë esclercie
Monstre la deité envers l’homme adoucie.
Mais la beauté du lieu tousjours va surpassant
L’esmail de tant de fleurs, la plaine rehaussant
Son petit bord enflé se monstre relevée
Par des mols ruisselets qui l’aiant retrouvee
La delaissent encor, ces ondelets ruisseaux,
Qui croissent leur giron par les negeux monceaux,
Leschent inconstamment les arbrisseaux & l’herbe
Qui decore le fond de la forest superbe.
Là le Soleil amy empesche la froideur
Et les rameaux serrez la violente ardeur.
Là se voit le cormier si commode à la guerre,
Le Cipres, Couvre-tombe & le rampant Lierre.
Et le chesne durable honoré de Jupin.
L’If paroist en ce lieu tout rempli de ruchetes,
Et le chaste laurier saint arbre des profetes.
Icy le buis crespé flote sur le coupeau,
Et la vigne pampreuse embrasse son ormeau.
Assez pres est un lac, que ceux de Sycanie
Ont appellé Pergun, son eau clere & serie
Demonstre jusque au fond tout ce qu’il tient caché :
L’œil en le regardant n’est jamais empesché.
Il pallist quelque fois voyant les eaux voisines,
Mais il n’en trouble point les ondes cristallines.
La troupe resjouie en ces beaux champs fleuris
Ensemencent par tout & les jeux & les ris.
La subtile Venus qui leur servoit de guide,
Au pillage des fleurs pousse la main timide :
Cueillez mes sœurs (dit elle) ore que l’air tant doux
Embasmé de rosee espend autour de nous
Ses goutes de parfum, & que ma belle Aurore
Fourriere du Soleil ceste plaine colere.
Elle n’eut si tost dit, qu’en signe de douleur
Proserpine regarde une brune couleur.
Ceste gentille bande erre par les bocages
Courant deça delà, où les desirs volages
La tirent par les yeux : on diroit qu’un essein
Nouvellement sorti se jette dans le sein
De ce fertile champ, quand les abeilles changent
Leur palais encirez & en d’autres se rangent.
L’armee porte-miel bourdonne sur le thin,
Et sur les fleurs de chois pour en faire butin.
Meslant le lys candide aux brunes violettes.
L’une de marjoleine a le chef verdissant.
La souveraine fleur rend leur sein rougissant.
L’une marche en grandeur de roses estoilee,
Et l’autre de ligoustre est blanchement voilee.
Le dolant Hyacint s’y voit cueillir aussi,
Et Narcis qui causa son amoureux souci.
L’un natif d’Amyclee, & l’autre d’Helicone.
L’un frappe d’un palet, l’autre d’ardeur felone
Bruslant pour sa beauté : vous eustes pauvres fleurs
De Phebus & Cephise & les plains & les pleurs.
La Fille de Ceres entre toutes est prompte
A recueillir des fleurs qu’ell’ arange sans compte
Dans ses petis paniers elle façonne en rond
Une belle couronne & la met sur son frond ;
Presage trescertain, du fatal mariage.
Ceste Deesse aussi qui d’un viril courage
Anime les combats, plie sa forte main
Pour butiner l’esmail & en parer soudain
Ou son bouclier horrible, ou sa creste ferree.
Celle qui suit des chiens la meute preparee
Au mont Parthenien, veut arrester encor
Par un lien de fleurs sa belle tresse d’or.
Ces trois apparoissans diversement esgales,
Ornoient esperdument leurs faces virginales :
Quand voicy retentir un grand son esclatant,
Qui fait choquer les tours, la terre departant,
Renversant les citez jusques à la racine :
Secrete en est la cause, & la seule Cyprine
Le desir & la crainte assiegent ses esprits.
Alors on voit le Roy des ames pallissantes,
Aiant ouvert la terre en ses cources errantes.
Encelade gemist, ne pouvant soustenir
La Sicile & Pluton, il veut bien retenir
L’essieu du chariot. Mais les Serpens lassees
Ne sçauroient l’arrester pour neant enlassees.
Et comme le soldard accortement caché
Souz les mines d’un champ, ne se voit empesché
D’assaillir l’ennemy premier qu’on s’en advise,
Outrepasse les murs, & tient la ville prise :
Tout ainsi peut-on voir le troisiesme heritier
De Saturne, sortant du tenebreux sentier.
Le monde fraternel où son desir aspire,
Ressent jusque aux rochers la force de son ire :
Ce qui veut s’opposer à l’effort de son bras,
Il frape de son septre, ou tourne souz ses pas.
Les rocz Siciliens, & tous ceux de Lipare
Resonnent effroiez. Mulciber qui s’esgare
Autour de ses fourneaux jette de toutes parts
Tenailles & marteaux, & les foudres espars.
Ce bruit est entendu pres des Alpes hautaines,
Et du Tibre courant, qui prevoiant certaines
Les despouilles d’autruy, est plus audacieux.
Le Po en a troublé son mouvoir gracieux.
Pene au desespoir pour l’amour de sa Fille,
Enfermant les rochers voulut rendre sterile
Le champ Thessalien : quand Neptune plus fort
Fit sentir du Trident le violant effort
Du sommet de l’Olympe, & l’onde plus rassise
Coula dedans ses bords, les fleuves à la mer
Les champs aux laboureurs se donnent pour semer.
La Trinacrie ainsi se cognoissant la moindre,
Ne sçauroit repousser la main qui la veut poindre,
Perdant ses liens durs souz un plus grand pouvoir,
En un gouffre estendu le vain-cueur se fait voir.
Les Astres ont palli d’une douteuse crainte,
Les cieux en ont tremblé, l’ource a esté contrainte
De se baigner en mer, faulseant ainsi la foy,
Bootes est tombé, Orion plein d’effroy,
Atlas est tout blesmi : les poles se brunissent,
Le monde est estonné, les chevaux qui hannissent
D’une halaine mortelle ont tout decoloré,
Et le flambeau du jour en est deshonoré.
Eux qui ont à desdain la plaisante lumiere,
A peine estant venus retournent en arriere.
Mais ayant sur leur dos senti le pesant coup,
Le dard volant en l’air ils passent de beaucoup,
Et le fleuve, & le vent, voire le penser mesmes.
Les Nymphes s’escartans deviennent toutes blesmes,
Voiant l’horrible char & l’escume de sang :
Fuiant avec la peur elles faulsent le rang.
Proserpine est ravie, & paroist demi-morte
Au sein du ravisseur qui resjouy l’emporte.
Elle veut efforcer ses delicates mains,
Afin de s’affranchir, mais ses effors sont vains,
Rappellant ses esprits d’une voix lamentable
Ell’ implore ses sœurs : la vierge redoutable
Luy veut faire sentir les trais de son carquois,
Ne cedant à leur oncle : on voit ces deux pucelles
S’esmouvoir pour une autre, & aux armes cruelles
Protestent de sauver leur innocente sœur,
Et punir griefvement l’importun ravisseur,
Qui resemble au Lyon aiant pris la genice
Seul honneur des troupeaux, lors que par sa malice
Deschirant tout son corps d’un & d’autre costé,
Exerceant envers luy sa mesme cruauté,
Du courroux des pasteurs il se moque, il se jouë,
Et les flots de sa jube en mespris il secouë.
Dompteur du monde vain, & le pire des trois,
Celuy a dit Pallas, où sont les saintes loix
Que tu garde aux Enfers ? les Eumenides fieres
Te font elles trouver le plus meschant des freres ?
Pourquoy as tu laissé ton Royaume douteux,
Pour vouloir faire au monde un inceste honteux ?
Si ton desir lascif veut que tu te marie,
Espouse en ta maison une triste Furie
Digne femme de toy. Veux tu donc assembler
Une vive à la mort, qui te doit resembler
Pour estre ainsi que toy cruelle & inhumaine ?
Laisse, laisse bien tost de ton frere le regne,
Et contant de ta nuit n’entreprends rien sur nous.
En s’escriant ainsi elle frape en courrous
Du bord de son escu les puissans pieds-de-cornes
Desireux de courir & de passer les bornes
Du Royaume esclerci. Mais les Hidres sifflant
Au chef Gorgonien vont leurs crestes enflant,
Et cependant Pallas un trait furieux darde
Dans le noir chariot, qui est illuminé
Par le coup violant que sa main a donné.
Le coup outrepassoit, si Juppin secourable
N’eust lancé promptement le signe desirable
Du foudre porte-paix, avoüant celuy-ci
Pour son frere agreable, & pour son gendre aussi.
L’Hymenee a tonné avec pluye assez grosse ;
Et les esclers (tesmoins) ont arresté la nopce,
Les Deesses cedant à un si puissant Dieu.
Diane a dit ainsi : t’en souvienne, or Adieu,
Mais Adieu pour jamais la volonté du pere
Empesche ton secours. qui peut rien au contraire ?
Le ciel a conjuré pour t’esloigner de luy.
Tu ne verras tes sœurs seulement qu’au jourd’huy.
A un peuple muet tu seras delivree,
Sans avoir pres de toy compagne desiree,
Qui puisse consoler ton desplaisir secret.
Helas qui nous condamne à un si grand regret ?
Vesve de tous plaisirs perdant ta belle face,
Je quite l’arc, les traits, & les rets, & la chasse.
Partenie, Taigete & Menale pleurans
Verront dedans leurs forts les fiers Lyons courans.
Et l’escumeux Sanglier despleurera sans crainte
Le dolant Cynthius. Moy je feray ma plainte
Regretant ta beauté : le Temple Delphien
M’entendra souspirer la perte d’un tel bien.
Ce pendant Proserpine est dans le char vollee,
Son poil espars au vent : son ame desolee
Me tient il condamnee à si piteuse fin ?
O pere trop cruel lance ton ardant foudre,
Que ce corps qui est tien soit consommé en poudre
Tu es du tout privé de paternel amour,
Me privant pour jamais de la clarté du jour.
Quay-je fait he pauvrette ? ay-je portay l’enseigne,
Pour le Titan guerrier qui ton septre dedaigne ?
Quels crimes ont commis mes innocentes mains,
Qui me facent jetter aux gouffres inhumains
De l’impiteux Herebe ? ô que j’estime heureuses
Celles qui ont senti les forces amoureuses
Des autres ravisseurs : aumoins le cler Soleil
Voit ce qui leur advient. Mais un flambeau pareil
Ne luyra pres de moy : la lumiere tant belle
M’est du tout interdite, & le nom de pucelle.
Ma honte est desrobee. Ha la clarté me fuit !
Ce fier Tyran m’emporte en l’eternelle Nuit.
O belles fleurs de moy injustement cheries,
Où Venus a tendu ses fines tromperies
Pour surprendre mes yeux simples, maladvisez !
O conseils maternels à grand tort meprisez !
Las ma Mere aidez moy ! courez de la Phrygie,
Courez pour secourir vostre Fille ravie.
Ne me laissez oster la celeste clarté,
Gardez si vous pouvez ma chere liberté.
Soit que dedans Ida le buis vous environne
Avec un bruit affreux, ou bien que l’air resonne
D’un chant Migdonien : ou soit que le souci
Ne vous tire point là, ne soiez pas ainsi
Du louche ravisseur, & retirez ma vie.
Cest inhumain forcé des graces de ses yeux,
Qui pleurant resembloient deux Soleils pluvieux,
Tirant un grand souspir de son amour premiere,
Essuye lourdement ceste douce lumiere,
Disant d’une voix humble : Appaise tes douleurs
Proserpine mon ame, & croy que tes valeurs
Aiant receu de moy le Septre favorable
Ne te feront jamais estimer miserable.
Tu ne souffriras point un indigne mary.
Je suis fils de Saturne, & le plus favori
De l’ancien Cahos : mon eternel empire
S’estent par l’infiny : heureux je ne desire
Que ta seule beauté, que je tiens en mes bras
Mais ne pense (mon cueur) quand tu seras là bas
Avoir perdu le jour : nous avons d’autres flammes,
Qui esclerent sans fin : & tant de saintes ames
Aux champs Elysiens, dont l’honneur reveré
Arreste pour jamais le beau siecle doré.
Ce qui est merité une fois par les autres,
Reste perpetuel à tous ceux qui sont nostres.
Nous avons tant de prez tous esmaillez de fleurs,
Qui ne fanissent point : nos Zephyres meilleurs
Que ceux mesmes d’Ætna respirent une halaine
De basme, de parfum, & de musc toute pleine.
Dans un bocage espaix est l’arbre du tresor
D’un metal verdissant, & le fruit en est d’or.
Cest arbre t’est sacré : prends-le je te le donne.
Tu jouyras sans fin d’une agreable autonne.
Tout ce qui volle en l’air, qui dans la terre paist,
Qui nage dans les eaux, & qui le ciel regarde,
Tout celà se viendra mettre en ta sauvegarde.
Et les Rois empourprez delaissant leur atour,
Et les pauvres chetifs y viendront à leur tour.
Toy juste jugeras que les ames meschantes
Souffrent pour leurs meffaits : & que les innocentes
Demeurent à repos. Le gouffre Stygien
Servira ta grandeur : & ce trois ancien
Qui tourne les fuseaux : que ton plaisir demeure
En la fatalité. Ainsi dict, à mesme heure
Triomphant il entra au Tartare profond.
Mais qui croiroit le bruit qu’alors les ames font ?
Jamais le vent Auster n’abatit tant de fueille,
Ny tant de goutes d’eau l’Ocean ne recueille,
Que d’ames ont couru pour voir ceste beauté.
Le prince n’aiant plus merque de cruauté,
Vient pour la recevoir : il serene sa face
Dissemblable de soy, il adoucist sa grace
Par un facile ris : les seigneurs arrivans,
Flegeton s’est levé : les ruisseaux desrivans
De son chef ensouffré luy font un grand ravage,
Couvrant de toutes pars son sein & son visage.
Les serviteurs esleus pour le soing des chevaux
Courent hastivement, & des passez travaux
Les vont gratifiant les guidant au pacage.
Et d’autres ce pendant vont serrer l’attelage.
Mais les mieux entendus estendent les tableaux :
D’autres vont enjonchant de verdissans rameaux
Où l’on va despliant les robes singulieres,
Les matrones d’honneur du champ Elysien
Environnent la Royne, & d’un humble entretien
Essayent d’adoucir la peine qu’ell’ endure,
Reliant d’un chapeau sa blonde chevelure,
Y adjoustant le flamme encor (qu’il luy soit grief)
Qui voilera sa honte & ornera son chef.
Chacun se resjouit en la region blesme,
Les mors ensevelis voire les ombres mesme.
Les Manes couronnez vont chanter au festin.
Le tenebreux silence a trouvé une fin.
L’Erebe va cessant son plaintif exercice,
Et l’eternelle Nuit permet qu’on la rarisse.
Le vase de Minos ne trouve plus le sort :
Les tristes condamnez ont treve avec leur mort.
Ixion ne sent plus la roüe de fortune.
Et le Roy alteré trouve l’onde oportune.
Titie soulageant son corps & son ennuy,
Descouvre neuf journeaux qu’il tenoit desouz luy.
La terre s’en monstroit toute fresche & relante.
Le vautour affamé se deut & se lamante,
De ce que malgré luy on le vient arracher
De la poitrine lasse : il voudroit l’attacher
Avec d’autres liens : les fieres Eumenides
Enserrent leurs fureurs dans les coupes liquides :
Elles donnent le vin servant d’echanssons,
Et puis vont attirer par leur gayes chansons
Les Cerastes amis les incitant à boire,
Changeant les tristes feux pour des flambeaux de gloire.
De l’Averne empesté n’esprouvent les dangers.
Amasanctus retient son halaine bruiante.
Le Torrent ne va plus que d’une cource lente.
On dit que l’Acheron eschangea de ruisseaux,
Et le lait nourricier tint la place des eaux.
Le Cocyte dont l’eau se monstre verdissante.
Par le lierre voisin print la liqueur plaisante
De ce doux Lyeus & s’en emplist le sein.
La Parque ne tient plus dans sa fatale main
Le cizeau tranche-vie : aussi les tristes plaintes
Ne doivent pas troubler les assemblees saintes.
La mort n’est plus errante, & le flot & le fer,
Et les maux redoutez sont manques pour l’Enfer.
Le viellard passager d’un roseau environne
Ses cheveux non peignez : puis en chantant il donne
Treve à ses avirons. Desja l’obscure Nuit
Aiant pris son manteau qui d’estoilles reluit
Guide la belle vierge en sa chambre paree.
Une couche estoit là richement preparee,
Qui soudain la reçoit. Les saints Religieux
Entonnent au palais ce chant devotieux.
O Junon que le ciel a fait vers nous descendre,
Recevez du Tonnant & le frere & le gendre,
Et tous deux jouyssez de l’heur perpetuel
Que vous doit apporter un amour mutuel.
Ainsi soit vostre nopce heureusement feconde.
Nouvelles deitez puissiez vous mettre au monde.
Lors vous accomplirez les prieres & vœux
De la grande Ceres, luy donnant des neveux.
LE TROISIESME
Livre.
Uppiter ce pendant veut que la Taumantide
A la robe changeante, à la ceinture humide,
Volle de toutes parts, pour convoquer les Dieux.
L’aisleron bigarré au mouvoir gracieux,
Passe les doux Zephyrs : elle fait son message
Premier aux deitez de l’humide rivage,
Aux Nymphes de la mer, aux fleuves plus cachez,
Qui ne se plaisent point d’estre ainsi recherchez.
Ils s’en vont chancelant vers la porte doree
Du palais estoillé : le paisible Neree,
Le Biforme Glaucus, & Phorque le chenu,
Et l’inconstant Proté y veut estre cognu,
Se monstrant envers tous d’un asseuré visage.
Les fleuves anciens à cause de leur âge
Ont gloire de seance : on voit aux premiers rangs
Tous les celestes Dieux ainsi que les plus grands.
L’honneur n’est pas confus : les deitez des ondes
Selon leurs dignitez ont des places secondes.
La jeunesse est debout : & les Nymphes des eaux
S’appuient mollement sur les aymez ruisseaux
De leurs divins parens : les Faunes sont modestes,
Admirant tous ravis la pompe des celestes.
L’Empereur de l’Olympe a tous va dire ainsi.
Les mortels m’ont donné un immortel souci,
Que l’âge paresseux de Saturne demande,
Il m’a pleu d’alumer d’un soucieux desir
Les peuples assoupis par un trop grand loisir.
Doncques je ne veux plus que les plaines fecondes
Apportent tant de fruits, ny voir couler les ondes
De miel par les forests, ny ruisseler le vin.
Je ne suis envieux : un courage divin
Ne peut rien envier sur la race des hommes.
Mais la fertilité de ce temps où nous sommes
Rend l’homme negligeant, engourdi, paresseux.
Il pense que les biens s’amassent tous par eux.
Or l’esprit hebeté par la grande abondance
Deviendra plus subtil espoint de l’indigence,
Qui luy fera chercher en mil & mille pars
L’honneur de la science, & le profit des ars.
J’entends bien maintenant que la Mere nature
Se plaint de voir ma main & trop fiere & trop dure
Encontre ses enfans : & m’appelant cruel
Me reproche sans fin le bien continuel
Du regne de mon pere : elle se pense riche,
Et moy peu liberal. Je ne veux voir en friche
Le champs mieux labouré, ny que les arbres vers
Recellent les doux fruits de leurs rameaux ouvers.
La terre des humains agreable nourrice
Ne veut d’une merastre emprunter la malice.
Et je ne veux nomplus l’ensemencer de fiel,
Puis qu’ell’ espere en moy qui tiens l’ame du ciel.
Plusieurs sont demeurans dedans la Chaonie,
Recherchans aux bosquets une penible vie
Je leur feray changer le glan pour le froment.
Pource il est ordonné que Ceres la bletiere,
Apres avoir couru la terre toute entiere,
Aiant tousjours le cueur amerement espoint
Pensant trouver sa Fille, & ne la trouvant point,
En fin s’esjouyra, aiant cognu le signe
Qui l’asseure du lieu où est sa Proserpine.
Et en faveur du bien ardamment desiré,
Pour lequel son esprit a long temps souspiré,
Faisant monter son char au dessus de la nuë
Ell’ espandra du blé la semence incognuë.
Or Ceres ne sçait pas le divin ravisseur :
Mais si quelqu’un luy dit, me fust-il frere ou sœur,
Ou espouse, ou enfant, ou quelqu’un de la troupe
Qui sied entre les Dieux, & qui boit à leur coupe,
Sans doute il sentira que mon foudre puissant
Rabaisse tost l’orgueil d’un desobeissant.
Il maudira cent fois sa nature divine,
Voiant que de la mort il n’est estimé digne.
Le cler Soleil des cieux à ses yeux ne luyra,
Et vers mon gendre encor son mal le conduira.
L’inviolable nœu qui tient la destinee,
Vous fera observer ma sentence donnee.
Ce dit il esbranla le hautain firmament,
Et remplit tous les Dieux d’un grand estonnement.
En ce temps là Ceres de sa perte ignorante,
Entre les durs rochers est doucement errante,
Un antre tapissé luy servant d’oreiller,
En fin elle baissa les yeux pour sommeiller,
Le malheur advenu : sa forte main s’allonge
Pensant prendre sa Fille, & serre bien souvent
La mousse verdissante, ou le fuiable vent.
Proserpine luy est incessamment presente :
Elle pense la voir ou malade ou mourante
En accoustremens noirs : les steriles ormeaux
Contre leur naturel sont riches de rameaux.
Le pudique laurier a changé de fueillage,
Luy qui auparavant faisoit si doux ombrage
Autour des chastes lits : une main sans pitié
Luy acablé le chef & arraché le pié.
Elle demande apres aux piteuses Driades,
Qui rend de l’arbre cher les branches tant malades.
On luy dit en pleurant les furies d’embas
D’un fer Tartarien ont causé son trespas.
En fin sans desguiser la face messagere
De son propre malheur se presente à sa Mere
Proserpine liee en obscure prison,
Loing des flambeaux aimez de ce cler orison :
Elle n’aparoist point si belle ny gentille,
Qu’elle fut autrefois au champs de la Sicile.
Allumant d’un regard les vallons plus voisins
Du foudroiant Ætna, quand de ses doits rosins
Elles pilloit les fleurs avec les trois Deesses :
Son poil ne crepillonne en si mignardes tresses :
L’or en est tout souillé des ombres de la nuit.
Le feu de ses beaux yeux si doucement ne luit.
Le coural enflammé de sa bouche vermeille
Estaint sa vive ardeur : sa beauté nompareille
Sa Mere la regarde aiant le cueur pressé :
Quel crime (ce dit elle) a merité la gesne
Que souffre ton beau corps d’une si dure chesne ?
D’où viennent tant de maux ? qui cause ta maigreur ?
Qui te difforme ainsi ô ma Fille, mon cueur ?
He ce lien de fer qui tes bras environne,
Pourroit meurdrir les pieds à une fiere Lyonne.
Mais es tu là ma Fille, ou si je me deçoy ?
Est-ce un image faux qui se presente à moy ?
Sa Fille luy respond : helas Mere cruelle,
Qui mesprise ton sang pour rechercher Cybelle :
Ta Fille t’est unique, & unique en malheur
Pour son mal tu n’as point sentiment de douleur.
Las sans avoir pitié de ma tant dure guerre,
Tu esmeuz de chansons la Phrygienne terre.
Pauvre je suis tiree en ce lieu pour souffrir,
Et ton secours vers moy ne se vient point offrir.
Si tu ne veux passer la Tigre Caspienne
En fiere cruauté pense que je suis tienne.
Et si mon nom t’est doux, & si le tien m’est saint,
Oste ce fer cruel qui durement me ceint,
Si le destin ne veut que lassus je demeure
Dans ton giron aymé, viens moy voir à quelque heure.
Ce disant ell’essaye à luy tendre les bras,
Mais les chesnes de fer ne le permettent pas :
Et ses tremblantes mains font que le fer resonne.
La Mere se reveille, & s’escrie & s’estonne,
Bien aise dont le songe a son esprit deceu,
Faschee du baiser qu’elle n’a point receu,
Ell’ aborde Cybelle & luy dit : Sainte Mere
Je ne puis demeurer avec vous plus long temps,
Ma Fille me retire & ses trop foibles ans.
Cest âge est tant subjet aux fraudes trahissantes :
L’ouvrage des Cyclops, les fornaises ardantes
Ne m’asseurent assez Trinacrie est un lieu
Dont la perfection est le sejour d’un Dieu :
Les flammes d’Encelade en tous lieux estincellent,
Leurs flamboians esclers mes cabinets decellent.
Ore je veux ranger en endroit incognu
Mon bien aymé depost. Mais il m’est advenu
Un songe fort affreux durant la nuit obscure,
Qui tousjours m’a suivie en diverse figure.
Les bouquets jaunissans qui tiennent mes cheveux,
Tombent sans que j’y touche : & bien souvent je veux
Cacher mon desplaisir qu’une piteuse trace
De mes pleurs ruisselans me vient noier la face.
Le sang va descoulant tout le long de mon sein,
Et mon sein est frappé de ma felone main.
Las si je veux toucher la fluste de Lydie,
Elle gemit de mort : si de main plus hardie
Je batz le tabourin, il ne rend que des plains.
Ah j’ay trop demeuré ! ha bon Dieu que je crains
Un insigne malheur ! Deesse, dit Cybelle
Ne remplissez point l’air d’une vaine querelle.
Pensez vous le Tonnant si peu songneux de vous,
Qu’il ne vueille darder son foudroiant courroux
Pour un gage tant cher ? aiez l’ame plus forte,
Et retournez pourtant où le desir vous porte.
Passant le trait volant d’un pas non mesuré.
Elle haste sans fin la cource diligente
Des Dragons accouplez, & de main violante
En mil & mille pars incessemment les point,
Redoublant les tourments qu’ils ne meritent point.
N’estant que sur Ida elle cherche Sicile,
Craint tout, n’espere rien, treuve tout difficile.
Ainsi voit on souvent se tourmenter l’oyseau,
Aiant laissé son nid dedans un arbrisseau :
Il craint pour ses petis (dont il cherche la vie)
Du vent, ou du serpent, ou de l’homme l’envie.
Lors elle pense voir son beau palais desert,
Resemblant la maison que la garde ne sert,
Dont les portes sont hors : prevoiant sa ruine,
Sans plus outre enquerir elle bat sa poitrine,
Arrache ses cheveux, rompt son accoustrement,
Et le pleur enserré redouble son tourment.
Les jaunissans espis sont froissez autour d’elle ;
Une glissante peur englace sa moëlle,
La voix meurt en sa bouche, & son esprit errant
La porte ça & là incessemment courant.
Arrivee au palais elle trouve l’ouvrage
Que sa Fille tissoit avant son mariage :
L’audacieuse araigne en ses filets plus fins
Avoit environné ces ouvrages divins
D’un sacrilege doid. La Mere desolee
Pasme dessus la toille & rend entremeslee
Sa muete complainte au labeur tant prisé,
Qui est demy rompu sus un mestier brisé.
La viole, le lutz que la poussiere souille,
Le chaste lit desert aparoist à ses yeux,
Autrefois si plaisant, ore si ennuyeux.
Elle va l’embrasser, & regretant sa Fille
Il semble qu’en souspirs son ame se distille.
Ainsi voit on souvent le pasteur estonné,
Trouvant l’estable vuide où il avoit mené
Son troupeau bien refait, quand les lyons Puniques
Ou des loups ravissans les cruautez iniques
Ont despeuplé le tout : luy revenu trop tard
Appelle ses brebis, qui sont en autre part.
Dedans un lieu secret du superbe edifice
Ceres voit Electra, la songneuse nourrice
De sa Fille tant chere : or ceste Nymphe avoit
Un renom tresfameux pource qu’elle suivoit
L’infante Proserpine, & la serrant petite
Dedans son tendre sein luy servoit de conduite,
Pour aller voir au ciel le pere souverain,
Joüer à ses genoux & luy toucher la main.
Ceste-cy desplorant la piteuse adventure
D’un tel ravissement plaignoit sa nourriture,
Deschirant ses cheveux : Ceres toute en courroux
Redoublant ses souspirs luy dict que voions nous ?
Quel ravage est-cecy ? de qui serons nous proie ?
Mon mary est il Roy ? les Titans ont ils voie
Pour l’aller prendre au ciel ? qui est entreprenant
De faire ce desordre, & ne craint le Tonnant ?
Tiphon a til rompu le sommet d’Inarime ?
Ou si le Mont Vesuve a fait tomber sa cime ?
Et ma voisine Ætna me veut elle abimer
Au gouffre d’Encelade ? & mes Dieux domestiques
Ont ils de Briaré les cent bras tyranniques
Pour desrober mon gage, & l’emporter d’icy ?
Eh où est maintenant ma Fille, mon soucy ?
Les Sirenes oyseaux & bien mille servantes
Avec Cyane encor sont donc toutes absentes ?
Quelle fraude est cecy ? est-ce donc là la foy
Que vous m’aviez promise en recevant de moy
Mon pretieux despost ? la nourrice tramblante
Eschange son ennuy en crainte pallissante,
Desirant que la mort la face esvanoüir
De la terrible mere, & ne la voir ny ouir.
Elle reste immobile : en fin reprenant ame
Dist la certaine prise & l’incertaine trame,
A grand peine ces mots luy sortirent dehors :
O fust-ce des Geans les violans effors
Que les auteurs du mal ! une perte commune
Ne blesse pas si fort que le seul malheur d’une.
Les sœurs de vostre Fille ont conjuré aux cieux,
L’Ether plus que Phlegra luy est pernicieux.
L’envie leur a fait desirer sa ruine.
Paisible demeuroit la vierge Proserpine
Dans la forte maison, qui alors fleurissoit.
Jamais le seil de l’huis son pied n’outrepassoit,
Servant a vos desirs la toille estoit sa tâche.
Les Sirenes donnoient à son labeur ralâche.
Le gracieux plaisir de ses rians propos
Estoit avec moy, avec moy son repos,
Je ne sçay qui luy dist la secrete contree
Où vostre Fille estoit : pour mieux tendre ses las,
La chaste Delienne & la docte Pallas
Estoient à ses costez, d’un affaité sourire
Venus se faint joyeuse, & doucement attire
Vostre innocente Fille à son embrassement,
Et l’appelant sa sœur s’esmerveille comment
Son exquise beauté demeuree ainsi recluse,
Et vostre austerité bien souvent elle accuse
De l’absenter ainsi des astres paternels,
Defendant ses propos à tous les immortels.
L’ignorante du mal s’esjouit en soy-mesme
Des voir ses belles sœurs, qu’elle cherist, qu’ell’ ayme.
Redoublant le nectar elle prend quelque fois
De Minerve l’armet, de Phebe le carquois.
Ell’ efforce sa main delicate & mignonne,
Et ne peut souslever le bouclier de Belonne.
Venus commence lors en propos trahissans
A vanter de l’Ætna les beaux champs verdissans,
Dissimulant tousjours d’une feinte malice
De croire que le thim ou la rose y fleurisse.
Elle s’enquiert du lieu, monstrant de l’ignorer,
Disant que les frimats ne sçauroient endurer
Les printanieres fleurs que l’irrité Boree
Arracheroit selon la plante desiree.
Ell’ entend le contraire, & desire la voir.
Ses propos attirans sont forts pour esmouvoir
L’âge tendre & coulant de vostre belle Fille.
Je voulus l’arrester. Ma priere inutile
De ses divines sœurs, & va suivant leurs cours :
En ordre va marchant ce quarré d’immortelles.
En ordre vont apres les Nymphes & pucelles.
Les champs sont esmaillez de mil & mille fleurs,
Les violiers couvers de ces perles ou pleurs
Que donne la rosee, avidément ils boivent
Le doux suc espandu que leurs fueilles reçoivent.
Mais las quand le Soleil est plus haut eslevé,
Au milieu de son ciel le monde est veu privé
De sa vive splendeur : une nuit tenebreuse
Couvre l’Isle tramblante : une troupe hideuse
Entourne un chariot horriblement venu,
Dont le secret charton n’a pas esté cognu,
Ou soit le porte-mort, ou bien soit la mort mesme.
Mais il asseche l’herbe, il rend la rose blesme,
Il tarist les ruisseaux, il fait les prez ternis,
Les beaux lis qu’il a veu deviennent tous brunis.
Il ravist Proserpine, & destournant la bride,
Les pieds-de-corne vont où son desir les guide.
Le bruiant chariot est suivy de la nuit.
Si tost qu’il est absent le cher Soleil reluit.
Mais il ne luist pour moy, qui pendant ma maistresse
Veis à grand contre-cueur la Cyprine Deesse,
Qui prompte s’en retourne avec les autres deux,
Ayant tost accomply ses promesses & vœux.
Pleine de desespoir je cours par la montagne,
Et trouve mort au champ Cyane ma compagne.
Ses couronnes de fleurs ont perdu leur couleur,
Elle s’abandonnant en proie à la douleur
Et devient à la fin une source liquide :
Les filles sont autour qui luy vont demandant,
Comment est advenu ce piteux accidant ?
Car elle estoit plus pres : sa parole naïve
Se changeant pour le bruit d’une fontaine vive,
Ne peut rien asseurer les filles d’Achelois
Deplorant ce malheur, changent leurs douces vois
Pour des sons trahissans, & d’entre nous ravies
Elles vont espiant les miserables vies
Des pauvres mariniers. Pelore les reçoit,
Et leur chant amoureux plusieurs hommes deçoit.
Seule j’ay demeuré tristement viellissante,
Avec les regrets de ma maistresse absente.
Ceres est furieuse escoutant ce propos,
Son œil est flamboiant, son esprit sans repos.
Ainsi pourroit on voir l’Hircanienne Mere
Trepigner, enrager redoublant sa colere
Lors que le chevalier plus vaincu que vain-cueur
Desrobe tramblotant ses petis & son cueur.
Il semble qu’ell’ attend en sa gorge profonde,
Non pas un homme seul, mais bien tous ceux du monde.
Et voulant l’engloutir un cristal opposé,
L’empesche d’achever ce qu’ell’ avoit osé.
Ainsi tourne Ceres vers la voute celeste,
Ayant le cueur espoint du dueil qui la modeste.
Elle court par l’Olympe, & maine fort grand bruit
Criant, rendez rendez le bien que j’ay produit.
Que pensez vous de moy ? suis-je de peu de grace
Fille d’un Dieutelet, de populaire race ?
Suis-je moindre que vous de noblesse & de sang ?
Où sont les droits du ciel ? où sont les loix divines ?
Cythere a donc voulu en ses flammes indignes
Paroistre devant tous, apres que les liens
Que forgea son mary entre les Lemniens
Ont enserré ses bras & ceux de l’adultaire :
Depuis ell’ a pensé que tout mal se doit faire.
Et vous qui n’avez eu la couche d’un espous,
Vierges, deviez sauver la vierge comme vous.
Dea vostre volonté s’est elle ainsi changee ?
Estes vous à Cyprine, ou elle à vous rangee ?
La voulez vous donc suivre en ses ravissemens ?
O combien vos honneurs auront d’accroissemens !
Ainsi seront ornez les autels de Scythie,
Tous alterez de sang & de l’humaine vie.
Mais qui vous a causé une telle fureur
Contre ma Proserpine ? aviez vous point de peur
Diane qu’aux forests elle troublast vos questes ?
Pallas craigniez vous point que ses braves conquestes
Vous ostassent le pris des combats ordonnez ?
He ses propos hautains ont ils importunez
Vos esprits desdaigneux ? tant s’en faut qu’ell’ attire
Par ire & par orgueil vostre orgueil & vostre ire,
Que la simple cherchoit les solitaires lieux,
Pour se retirer loin des regards envieux.
Mais que sert la vertu, puis qu’ell’ estant haye
Et ne peut eviter la rage de l’envie.
Ainsi reprenant tout blasmant la deité
Ceres veut descouvrir l’entiere verité.
Luy donnent seulement des souspirs & des larmes,
Et n’osent deceller de crainte de Jupin
Le malheur ordonné du rigoreux destin.
Que fera maintenant la desolee Mere ?
Vaincuë de douleur ell’ use de priere.
Pardonnez (ce dit elle) à mon aspre courroux,
Humble je vous supplie embrassant vos genoux.
Et si la pieté m’a contrainte de dire
Plus qu’il n’estoit seant accusez mon martyre.
Las que je soye aumoins certaine de mon mal,
Si ce ravissement vient d’un ordre fatal
J’avoüe le destin. Mais ô Dieux que je sçache
Où est le ravisseur, & le bien qu’il me cache.
Je ne le reprendray d’une puissante main,
Vous qui me desrobez demeurez-en certain.
Je pardonne le tout, je vous laisse la proie,
Permettez seulement que ma Fille je voie.
Latone avez vous point de Diane entendu
La source de mes maux ? vous est il defendu
De me les reveller ? si vous sentez en l’ame
Le maternel amour de la jumelle flamme,
Que veit naistre Delos, cognoissez la douleur
Que j’ay pour une seule & unique en valeur.
Et si quelque present est gaigné pour ma perte,
Faites le moy sçavoir : ainsi vous soit ouverte
La porte du bonheur durant l’eternité
Voyant en vos enfans vostre felicité.
A ces tristes propos on voit les grands nuages
De ruisselant cristal qui couvre leur visage.
La Mere descouvrant la douleur qui la point
S’escrie : ô pauvre moy, il est tout manifeste
Que ce mal est venu par injure celeste !
Qu’attends-je vainement ? il faut aller chercher
De l’ombre jusqu’au jour mon joyau le plus cher.
J’iray jusques au fond de la mer d’Iberie,
Et de la mer glacee, & de la mer rougie,
Sans repos, sans sommeil, sans fin je rechercheray.
Le Rin & le Risé, prompte je passeray.
Ny pour les flots douteux des ondes Syrtiennes
Je ne lairray de voir les bornes anciennes
De Notus, & verray la negeuse maison
Du vent qui se fait craindre en l’arriere saison.
Aux portes d’orient je seray traversante
Sur l’eschine d’Atlas : souz ma lumiere ardante
Hidaspes reluyra : que le traistre Jupin,
Que l’impie Junon, me tourmentent sans fin,
Amortissant du tout cest aspre jalousie.
Cependant de Ceres la lignee ravie
Sera de leur orgueil le Trofee excellent.
Et moy pauvre Deesse en ce mal violant
J’iray de toutes pars incessemment errante
Ainsi dict, elle fait sa premiere descente
Sur le sommet d’Ætna, propre pour enflammer
Les torches porte-jour qu’elle veut allumer.
Aupres du fleuve Acis aymé de Galatee,
(Qui baigne dedans luy sa poitrine laitee)
Est un bocage espais tout couvert de rameaux,
Voisinant de l’Ætna les eternels flambeaux.
Fut par le Haut-tonnant en triomphe portee,
Et la captive proye eut son dernier recueil
Aux arbres d’alentour qui se hausent d’orgueil,
Se voyant engraver l’immortelle memoire,
Qui publie des Dieux la supresme victoire.
Les testes des Geans fichees d’un costé
Vont menaçant encor de fiere cruauté
Le bois qui les soustient : là les masques sauvages,
Et les hideuses peaux se meslent aux ombrages
Des horribles Serpents les os sont blanchissans,
Dont la peau est noircie aux foudres punissans.
Nul arbre ne se voit dans la forests espaisse,
Qui par un brave nom remerquer ne se laisse.
Cettuy courbe son frond, à peine soustenant
Les armes de Briare : & cest autre donnant
Son chef audacieux aux despouilles ternies
De Zanclus prend ainsi des gloires infinies.
Cettuy-cy de Mimante esleve le harnois,
Cest autre d’Ofion environne son bois,
Et le plus haut Sapin porte dessus la teste
D’Encelade fumeux, la superbe conqueste.
Cest enfant de la terre accableroit soudain
L’arbre qui le soutient : mais un chesne prochain
L’empesche de tomber. Ceste forests sacree
Aux Trofees des Dieux est de tous reveree.
Là il n’est point permis de guider le troupeau,
Ny de fouler la terre ou plier l’arbrisseau.
Polifente fuiant avec crainte regarde
La beauté de ce lieu : mais celà ne retarde
L’embrase, & de ce fer qui blesseroit un Dieu
Aux cedres & piniers ell’ esprouve sa force,
Decoupant, detranchant, la plus polie escorce.
Elle visite l’arbre & le va secoüant,
Reprouvant cettuy là, cettuy-cy avoüant.
Ainsi voit on celuy qui negligeant son estre
Veut traverser les flots en mesurant un hestre,
Accommodant un aulne à usages divers.
Ce long arbre sera les deux costez couvers
De voiles porte-vent, & cest autre d’eslite
Sera rangé au mast, sa force le merite.
Le ployable est tout propre à faire l’aviron :
L’eveux se coulera dans le moite giron.
Deux cipres estoient là d’une excellente grace,
Leurs chefs inviolez passoient d’un long espace
Tous les arbres voisins : Xante n’en a point veu
Ny Oronte nomplus de beauté si pourveu :
On les diroit germains tous pareils en branchage,
Et d’un sommet esgal desprisent le bocage.
Ceres merque de l’œil, & sans plus retarder
A son propre besoin les veut accommoder,
Troussant l’accoustrement ayant la main armee
Elle renverse à bas leur plaisante ramee.
De ces coups furieux les Faunes ont douleur,
Les Driades aussi en changent de couleur.
Les ayant pris tous deux elle jette en arriere
Ses cheveux mal peignez & d’une alleure fiere
Grimpe dessus le mont sans craindre les cailloux,
Ny de la vive ardeur le violant courroux.
Elle fiche ses pieds irritez dans le sable.
Ainsi une Megere animera les Ifs,
Afin que porte-peste ils donnent mort aux vifs :
Soit qu’au champ de Cadmus sa cruauté la meine,
Ou bien que Thiestes la retire en Mycene.
Le Tartare resonne au son des piedz-ferrez.
Les Manes tenebreux courent mal assurez,
Arrestant quelque peu ceste penible cource,
Au bord de Flegeton ell’ en prend de la source,
Pour tremper ses flambeaux : puis destournant le frond
De la bouche d’Ætna elle jette au profond
Ses bruslables Cipres qui empeschent au gouffre
La flamme petillant par la force du souffre :
Et garde que le feu à son gré ondoyant
Ne va deça delà, ses pointes tournoyant.
Tout le mont retentit, & Mulciber travaille,
Afin que la vapeur estouffante s’en aille.
La fureur redoublant a ce feu empesché,
A bruslé tout le haut du mont empanaché.
Ceres ne voulant pas durant ce long voyage
Esclerer ses labeurs d’une flamme volage :
D’un suc qui est sacré arrose ses flambeaux,
Dont la nuiteuse Lune arrose ses toreaux,
Et Phebus ses coursiers : au point que le silence,
Et l’ombre de la nuit amenoit la presence
De l’invincible Dieu, qui loge dans les yeux.
La Deesse s’appreste au voyage ennuyeux,
Ayant le cueur attaint par les flesches de l’ire,
Et du triste regret elle va ainsi dire :
Qu’au lieu de te porter les torches d’Hymené
J’erre avec ces flambeaux pour rechercher la place,
Qui desrobe de moy ton agreable face ?
Ainsi nos deitez tournent dans les destins :
Lachesis ne pardonne à nos honneurs divins.
O que j’estois par toy heureuse, forte & grande,
Voyant autour de moy une amoureuse bande
De courtisans espris aux raits de ta beauté !
Et maintenant (helas) tout plaisir m’est osté.
O doux repos perdu ! ô Mere glorieuse,
Par la divine fleur qui la rend soucieuse !
Ma Fille estant chez moy, je surpassois Junon
En bonheur, en vertu, en richesse, en renom :
Ore ne l’ayant plus, je cours de ville en ville,
J’erre parmy les champs obscure, pauvre & vile.
C’est le plaisir du pere. eh ! mais pourquoy à luy
Voudrois-je attribuer l’effort de mon ennuy ?
O mon ame, ô mon tout, c’est moy qui suis cruelle,
Seule je t’ay laissee & si jeune & si belle.
J’exposay ta beauté aux amans ennemis,
Reveillant cependant les durs sons endormis
Du Thiase enroüé aux terres de Phrygie
J’accouplois les Lyons : & lors on ta ravie.
Prends vangeance de moy & de ces traistres yeux,
Et du sein qui vers toy ne fut officieux.
Mon infidelle sein, & mon traistre visage,
Sentiront de ma main la furieuse rage.
Dea mon cueur où est tu ? quel pole te retient ?
Où est l’heureux païs qui ta beauté soustient ?
Je passeray pour de toy l’un à l’autre monde.
Mais qui sera ma guide & me conduira,
Où ce cruel te tient ? mon chariot ira
Comme il plaira au Sort. Dione abandonnee
Cherchoit ainsi Venus. Et moi plus estonnee
Je te cherche ma Fille, en ce piteux labeur,
Ne sçachant point (helas) si j’auray la faveur
De toucher quelque fois ta face delicate.
Ton beau tain resemblant à la rose incarnate.
Est il tousjours pourpré, ou bien si la palleur
Ha triste que je suis ! amoindrist sa valeur ?
O ma Fille mon ame, he n’est-ce point mensonge,
Du mal que je te voy toutes les nuits en songe ?
Ce disant elle marche arrosant de ses pleurs
Les flammes de l’Ætna, & deteste les fleurs,
Coupable de ses maux, & le lieu de la prise
Elle court esgaree, & sa flamme s’attise
Aux vent de ses souspirs : elle plaint en tous lieux :
Elle conte sa perte aux hommes & aux Dieux.
La splendeur de son feu esclere l’Italie
Et l’Hetrusque, & le Syrte & toute la Lybie.
Dans le sein de la mer ceste flamme reluit.
L’ombre s’en est fuie, il n’y a plus de nuit.
Les antres Scylians, les gouffres Cynofales
Reverent estonnez ces grands torches fatales.