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Les Missives/Imitations

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Les Missives de Mesdames Des Roches de Poitiers Mère et Fille
Paris, Abel L’Angelier (p. --70).

IMITATIONS.

1.


MA maistresse douce-humaine,
Dedans la claire fontaine
Lave son tain gracieux,
Et le flambeau de ses yeux.

Et sans pompeuse vesture,
La seule simple parure
D’un candide accoustrement
Prend de son corps ornement.

Elle ne couvre sa face,
De peur que son tain s’efface,
Lors que le Soleil ardant
Nous va ses flesches dardant.

Mais une guirlande verte,
Tenant sa teste couverte
Reçoit esmail par les fleurs
De ses plus vives couleurs.

Le sourire est sur sa bouche,
Son œil n’a rien de farouche,
Son cueur n’a rien de cruel,
Sa grace rien de mortel.


La vertu plus estimee
Fait bruire sa renommee,
Qui ne redit pas encor
L’honneur d’un si beau tresor.

Bien que sa beauté me tue,
Courageux je m’esvertue
De reprendre esprit & vois
Pour revivre plusieurs fois.

Sans voir sa grace modeste,
Toute la gloire celeste
Ne me sçauroit bienheurer,
Et n’y voudrois demeurer.

2.


Où est tu maintenant Mirtille mon espoir ?
Es tu avec ta sœur ou bien seule à toy-mesme ?
Es tu point pres d’un fleuve y cherchant un miroir,
Qui represente bien ceste beauté que j’ayme ?

Es tu dans un vallon, ou courant par les champs,
Ou saultant par les prez, ou chantant au bocage,
Où les Nymphes suivant la douceur de tes chants
Viennent pour admirer ta grace & ton visage ?

Mais es tu point paisible, & pensive à part-toy,
Pressant les belles fleurs (ornement de la terre)
Et que quelque pasteur t’aymant ainsi que moy
Sente pour tes beaux yeux & la paix et la guerre ?


Tu entends les oyseaux, leurs soucis appaissant
Aux fredons redoublez de leurs voix doucereuses,
Et voyant les pigeons en ferveur se baisant,
He Dieu pense tu point aux douceurs amoureuses ?

De moy sans le sommeil qui ta grace me faint,
En songeans que pour moy (ô belle) tu souspire,
Il y a fort long temps que je serois estaint
Accablé souz le faix de mon cruel martyre.

O misere d’amans ! ô fallaces d’amour !
Qui nous fait appuier sur le fer qui nous blesse ?
O jours tristes & longs bornez mon dernier jour,
Finissant tout d’un coup ma vie & ma tristesse.

3.


A toy Venus le mirte est deu.
A Cloris les fleurs de la pree.
A Phebus le laurier agree.
A Pallas doit estre rendu
Le chef de ses palles olives,
Croissant aupres des chastes rives.
Mais les plains & le pleur amer
Appartiennent au Dieu d’aymer.

4.


Damon estoit aupres de sa chere Phylis,
A l’ombre d’un laurier dessus l’herbe fleurie :
Phylis pille les fleurs de ses beaux doits polis,
Et de ses doux regards r’enfleure la priere.

Cependant ils contoient d’agreables discours,
Tesmoignant la douceur du feu qui les enflamme :

A l’entour volletoient mille petis Amours,
Et l’amour est sans plus le Soleil de leur ame.

Calidian estoit contre un orme caché
Espiant leurs propos, à grand peine il respire :
Il sembloit estre un arbre, à un arbre attaché,
En escoutant Phylis qui lors commence à dire.

Douce ame de mon ame, il y a si long temps
Que je n’ay veu tes yeux, qui me tiennent ravie !
Eh sans te voir un jour me dure plusieurs ans,
En t’esloignant de moy tu emporte ma vie.

Que veut dire Ergasto de t’envoyer ainsi
Errant deça, delà, pour le fait du mesnage ?
Ha pere trop cruel, qui des tiens n’as soucy,
Te monstrant envers eux de si felon courage.

Damon respond ainsi : Je jure par tes yeux,
Et par les doux propos de ta bouche tant belle,
Qui me touchent l’esprit de leurs sons gracieux,
Que sans te voir je sens une peine cruelle.

Quand mon pere viellard m’envoye en quelque lieu,
Ceux qui sont pres de moy soubsçonnent que je meure :
Et je ne puis (helas) mesme te dire Adieu,
En delaissant mon cueur qui dans ton sein demeure.

Phylis luy dist encor : Te vei-je pas un jour
Parlant avec Nisa d’une façon privee ?
Je croy que tu tenois certains propos d’amour,
Qui furent delaissez me voyant arrivee.


Nisa est bien aymable, & tu as autrefois
Senti pour sa beauté une amoureuse playe.
J’ay peur que te voyant seulet dedans le bois
De te reprendre encor en vain elle n’essaye.

Bon Dieu (ce dit Damon) comment as tu pensé
Que j’ayme autre que toy, ô ma chere ennemie ?
Te laissant pour Nisa je serois insensé,
Non vaincu de l’amour, mais bien de la folie.

J’ay souffert quelque fois son importunité,
Premier que d’estre serf de tes beautez exquises :
Et maintenant t’aymant en toute extremité,
Me pense-tu subjet de ses nouvelles prises ?

Elle vint l’autre jour ayant l’accoustrement
D’une Nymphe des bois, pour decevoir ma veuë :
D’elle je m’approché, mais fort innocemment,
Et m’en fuy si tost que je l’eu recognuë.

Dy moy la verité, ce luy respond Phyllis,
Aussi bien de ce fait je suis assez certaine :
Qui luy donna ce vase & ces traits si jolis,
Et ce bel arc bruny dont ell’est si hautaine ?

Tu as fait ce present ? c’est toy qui l’as donné.
D’un autre que de toy ne vient un tel ouvrage.
Ah parjure Damon, que tu es estonné !
Or la glace, or le feu te couvrent le visage.

Damon nie cecy, affermant que Python
Luy a donné le tout avec sa promesse
De l’espouser bien tost : les nopces ce dit on
Se font au premier mois avec grande alegresse.

Alors les deux amans estans remis d’accord,
S’en vont pres d’un ruisseau priant de bon courage :
O Piton & Nisa que le bien-heureux sort
Vous face longtemps vivre en un doux mariage.

5.


Toy qui dedans ton sein alaites l’esperance
De l’heureux Hymené, que tu attends de moy,
Ne te plaisant pas tant aux objets que tu voy
Qu’en ce que tu recherche à l’ombre & au silence :
Pecheur lourd & grossier, ta sotte contenance
N’est digne que ma main te donne ainsi la foy.
Neris me veut plus beau, riche, & gaillard, que toy.
Le ciel me l’ordonna le jour de ma naissance.
Il chante quelque fois avec si doux accens
Que les Nymphes suivant ses accords ravissans
Courent cheveux espars, ainsi disoit Blandine
Se cachant à demy dans l’epaisseur du bois.
Mais le son argentin de sa mignarde voix
Fut pris & renvoyé par une Echo voisine.

6.


Orphee nonchalant demeuroit en silence,
Luy-mefmes desdaignant l’honneur de sa science :
Les Nymphes, les Silvains, les fleuves & les bois
Regretoient en douleur la douceur de sa vois :
La vache, & la brebis, tramblant craignoient la rage

Du Lyon & du Loup : la nature sauvage
Tournoit aux animaux : le rocher endurci
Despitoit tel silence & la forest aussi
Dont les arbres suivans la lyre Thraciene
Sembloient avoir quitté la durté ancienne.
Mais depuis que Hercule ayant laißé Argos
De sa main-porte-paix eut porté le repos
Au peuple Thracien chastiant la furie
De ce cruel Tyrant qui postposoit la vie
De l’homme raisonnable à celle des chevaux,
Le divin oubliant tous les passez travaux
Pour le bien survenu de cest aise publique
Remis sus les accords de la douce musique :
La corde rehaussee & le doigt tremblotant
Arrestent de l'Hebrus le fleuve doux flotant.
Rodope humilié le haut sommet abaiße.
Ossa va secoüant la froide nege espaisse
Pour approcher son chef, qui sembloit si chenu.
Le peuplier descendant laisse Hemus tout nu.
Le pinier va tirant le chesne sociable.
Le laurier s'approcha, bien qu’il fust indontable
Aux flesches de l'Amour, & aux arts de Phebus.
Les moutons sautelans dedans les prez herbus
Avoisinent les loups : les dains suivent sans crainte
Les tigres sans fureur : le cerf ne fuit l'attainte
Du courageux lyon : Orphee par les champs
Semoit ainsi la paix aux douceurs de ses chants.
Il chantoit la rigueur d’une Meraste Austere,
Et le craintif souci d’une piteuse Mere,
Qui tremblant regardoit le Serpent estoufant,

Enserré par les mains de son petit enfant.
Cest enfant souriant d’une severe bouche
Feit sentir estant grand une fiere escarmouche
Au toreau ravageant, il feit craindre le chien
Qui aboye sans fin sur le bord Stygien
Et de sa forte main esprouva l'adventure.
Ce Lyon qui devoit revivre en la painture
Du cercle traverseur le Sanglier d’Erimant
Resentit son pouvoir & le digne ornement
Du fameux Termodon : & sa puissance guide
Au profond des Enfers la troupe Stinfalide.
Le Seigneur à trois corps le recognoist vaincueur.
Anthee retombant n’a plus force ny cueur.
Encontre son pouvoir l'Hidre ne multiple.
Le cerf au viste-pied, ne peut sauver sa vie.
Cacus cede son feu à un feu plus puissant.
Du sang de Busiris, le Nil est rougissant.
Et Pholoé encor rend sa gloire cognuë
Par le sang empourpré des enfans de la Nuë.
O Hercule tresgrand, Atlas moindre que toy
A commis à ton dos, & soumis à ta foy
Les Dieux & les humains. Phebus sur tes espaules
Et les astres außi vont esclerant les poles.
Ainsi disoit Orphee animant son escrit
Aux vertus de Hercule : & vous divin esprit
Par vos rares valeurs donnez lumiere & vie
A ma pauvre Clion si long temps endormie.