Le Rhin/XXI.7

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Lettre vingtième-unième
Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour.
VII
Propositions amiables d’un vieux savant retiré dans une cabane de feuillage
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Quand il revint à lui, il entendit une voix douce qui disait : Phi smâ, ce qui en langue arabe signifie : il est dans le ciel. Il sentit qu’une main était posée sur sa poitrine, et il entendit une autre voix grave et lente qui répondait : , , machi mouth, ce qui veut dire : non, non, il n’est pas mort. Il ouvrit les yeux et vit un vieillard et une jeune fille agenouillés près de lui. Le vieillard était noir comme la nuit, il avait une longue barbe blanche tressée en petites nattes, à la mode des anciens mages, et il était vêtu d’un grand suaire de soie verte sans plis. La jeune fille était couleur de cuivre rouge, avec de grands yeux de porcelaine et des lèvres de corail. Elle avait des anneaux d’or au nez et aux oreilles. Elle était charmante.

Pécopin n’était plus au bord de la mer. Le souffle de l’enfer, le poussant au hasard, l’avait jeté dans une vallée remplie de rochers et d’arbres d’une forme étrange. Il se leva. Le vieillard et la jeune fille le regardaient avec douceur. Il s’approcha d’un de ces arbres ; les feuilles se contractèrent ; les branches se retirèrent ; les fleurs, qui étaient d’un blanc pâle, devinrent rouges ; et tout l’arbre parut en quelque sorte reculer devant lui. Pécopin reconnut l’arbre de la honte et en conclut qu’il avait quitté l’Inde et qu’il était dans le fameux pays de Pudiferan.

Cependant le vieillard lui fit un signe. Pécopin le suivit ; et quelques instants après, le vieillard, la jeune fille et Pécopin étaient tous trois assis sur une natte dans une cabane faite en feuilles de palmier, dont l’intérieur, plein de pierres précieuses de toutes sortes, étincelait comme un brasier ardent.

Le vieillard se tourna vers Pécopin et lui dit en allemand : — Mon fils, je suis l’homme qui sait tout, le grand lapidaire éthiopien, le taleb des Arabes. Je m’appelle Zin-Eddin pour les hommes et Evilmerodach pour les génies. Je suis le premier homme qui ait pénétré dans cette vallée, tu es le deuxième. J’ai passé ma vie à dérober à la nature la science des choses et à verser aux choses la science de l’âme. Grâce à moi, grâce à mes leçons, grâce aux rayons qui sont tombés depuis cent ans de mes prunelles, dans cette vallée les pierres vivent, les plantes pensent et les animaux savent. C’est moi qui ai enseigné aux bêtes la médecine vraie, qui manque à l’homme. J’ai appris au pélican à se saigner lui-même pour guérir ses petits blessés des vipères, au serpent aveugle à manger du fenouil pour recouvrer la vue, à l’ours attaqué de la cataracte à irriter les abeilles pour se faire piquer les yeux. J’ai apporté aux aigles, lesquelles sont étroites, la pierre oetites qui les fait pondre aisément. Si le geai se purge avec la feuille du laurier, la tortue avec la ciguë, le cerf avec le dictame, le loup avec la mandragore, le sanglier avec le lierre, la tourterelle avec l’herbe helxine ; si les chevaux gênés par le sang s’ouvrent eux-mêmes une veine de la cuisse de derrière ; si le stellion, à l’époque de la mue, dévore sa peau pour se guérir du mal caduc ; si l’hirondelle guérit les ophthalmies de ses petits avec la pierre calidoine qu’elle va chercher au delà des mers ; si la belette se munit de la rue quand elle veut combattre la couleuvre, — c’est moi, mon fils, qui le leur ai enseigné. Jusqu’ici je n’ai eu que des animaux pour disciples. J’attendais un homme. Tu es venu. Sois mon fils. Je suis vieux. Je te laisserai ma cabane, mes pierreries, ma vallée et ma science. Tu épouseras ma fille, qui s’appelle Aïssab, et qui est belle. Je t’apprendrai à distinguer le rubis sandastre du chrysolampis, à mettre la mère-perle dans un pot de sel et à rallumer le feu des rubis trop mornes en les trempant dans le vinaigre. Chaque jour de vinaigre leur donne un an de beauté. Nous passerons notre vie doucement à ramasser des diamants et à manger des racines. Sois mon fils.

— Merci, vénérable Seigneur, dit Pécopin. J’accepte avec joie.

La nuit venue, il s’enfuit.

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