Le Rhin français/10

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Attinger Frères (p. 32-35).

X

Moralité de l’annexion à la France.

On n’en est plus à se demander quel a été le potentat le plus coupable de l’histoire et, derrière lui la nation la plus digne de châtiment.

L’homme fulgurant qu’on charge de tous les « péchés d’Israël », Napoléon a tué, mutilé, condamné aux Invalides bien moins d’hommes que Guillaume II, et cela durant vingt années de gloire. Encore fut-il aussi souvent attaqué qu’attaquant, grâce à l’or anglais qui ne cessa d’ameuter contre lui Allemands, Autrichiens et Russes. Lorsqu’il partit pour la fatale Russie, il pouvait se dire : « J’emmène à la boucherie 500 000 à 600 000 hommes ; mais il n’y a pas que des Français avec moi ; des Allemands, des Polonais, des Italiens partageront l’honneur de mes victoires. — Alors la fière Deutschland le suivait, l’oreille basse. — Je n’expose donc qu’à moitié mon peuple. »

Pour remonter à plus de deux mille années en arrière, Alexandre le Grand, partant pour la conquête des Indes « afin d’être loué par les Athéniens », n’exposait en fait de Macédoniens que les 16 000 hoplites de sa phalange.

Quand Louis XIV, tellement admiré, puis si décrié depuis de l’autre côté du Rhin, partait en guerre, il ne mettait en ligne que de petites armées où ses gentilshommes menaient galamment au feu autant ou plus d’Irlandais, de Suisses, de mercenaires, d’aventuriers de toute nation que de Français de France.

Mais le petit-fils de l’inoubliable grand-père, lequel était un peu obtus, s’est mis délibérément devant la mort ou la mutilation possible de six à sept millions des siens, de vingt-cinq millions de jeunes hommes et de quadragénaires de sept nations ; devant la ruine totale de vingt provinces ; devant la guerre sans pitié, sans remords, sans « Rucklosigkeit », comme ils disent ; ce qui répond à « sans égard à quoi que ce soit, au droit, à la justice », et fort heureusement pour nous, sans calcul exact des possibilités, voire des probabilités. Tout son peuple l’a suivi, gonflé de haine, en criant : « Hoch ! Hoch ! Hurrah ! »

Jamais vainqueurs ne purent exiger plus loyalement des vaincus une rétribution sévère, un « n’y revenez plus » retentissant. Jamais la France n’eut meilleure occasion de dire aux Germains de Mayence, de Coblence, de Cologne, d’Aix-la-Chapelle ; la maison est à moi, c’est à vous d’en sortir.