Le Rieur et les Poissons

La bibliothèque libre.


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 126-128).

VIII.

Le Rieur & les Poiſſons.

On cherche les Rieurs ; & moy je les évite.
Cet art veut ſur tout autre un ſuprême merite.
Dieu ne crea que pour les ſots,

Les méchans diſeurs de bons mots.
J’en vais peut-eſtre en une Fable
Introduire un ; peut-eſtre auſſi
Que quelqu’un trouvera que j’auray reuſſi.
Un rieur eſtoit à la table
   D’un Financier ; & n’avoit en ſon coin
Que de petits poiſſons ; tous les gros eſtoient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l’oreille,
Et puis il feint à la pareille,
D’écouter leur réponſe. On demeura ſurpris :
Cela ſuſpendit les eſprits.
Le Rieur alors d’un ton ſage
Dit qu’il craignoit qu’un ſien amy
Pour les grandes Indes party,
N’euſt depuis un an fait naufrage.

Il s’en informoit donc à ce menu fretin ;
Mais tous luy répondoient qu’ils n’étoient pas d’un âge
A ſçavoir au vray ſon deſtin ;
Les gros en ſçauroient davantage.
N’en puis-je donc, Meſſieurs, un gros interroger ?
De dire ſi la compagnie
Prit gouſt à ſa plaiſanterie,
J’en doute ; mais enfin, il les ſceut engager
A luy ſervir d’un monſtre aſſez vieux pour luy dire
Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus
Qui n’en eſtoient pas revenus,
Et que depuis cent ans ſous l’abyſme avoient veus
Les anciens du vaſte empire.