Le Rival de Sherlock Holmes (Fleischmann)/09

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Albin Michel (p. 82-98).


CHAPITRE IX

Le cadavre de la marnière de Trafalgar-City.



Un jour, c’était vers la fin de juillet, nous nous promenions, Hopkins et moi, dans le beau jardin de plantes exotiques qui entoure le Museum-Palace au delà de la route du métropolitain de Trenton. La chaleur était véritablement accablante et malgré toutes les liqueurs à la glace et les boissons rafraîchissantes les plus variées que nous avions bu, une soif intolérable nous corrodait la gorge, desséchait notre bouche. La sueur nous ruisselait au long du front. À proximité des cascades dont les eaux traversent le jardin du Museum-Palace en un flot écumeux et bouillonnant, nous nous étions assis.

Que se passa-t-il ? Était-ce la chaleur, l’accablement de l’atmosphère, la soif, autre chose, je ne sais ; toujours est-il que je m’endormis sur le banc, aux côtés de Hopkins s’éventant avec la paille de Floride de son panama.

Brusquement je fus réveillé.

C’était mon ami qui me secouait le bras.

— Sanfield, dormez-vous ?

— Je le crois aisément, dis-je, en me frottant vigoureusement les paupières d’un geste machinal. Et vous ? demandai-je à Hopkins.

— Moi, je viens d’acheter le journal du soir, j’ai lu pendant que vous dormiez.

— Et… rien d’intéressant ?

— Non, rien… Ah ! si !… un crime trop compliqué pour ne pas être trop simple.

— Où cela ?

— À Trafalgar-City !

— Dans le Tennessée ?

— Là même. Voyez.

Et Hopkins me tendit le journal plié, soulignant de l’ongle l’article signalant le crime en plusieurs lignes de gros titres :

LE CRIME DE TRAFALGAR-CITY

UN ASSASSINAT POUR RIEN

MORT AFFREUSE DE LA VICTIME

L’ASSASSIN EST ARRÊTÉ

LE MYSTÈRE DE LA MARNIÈRE

Sous ces six lignes s’étendait le récit du crime.

Depuis l’affaire du Standard Trust aucun événement intéressant véritablement n’était venu interrompre la monotonie de notre vie à Black-Road. C’est pourquoi je me hâtai de lire l’article du journal, persuadé que si Hopkins me le signalait c’est qu’il y voyait l’intérêt d’une affaire mystérieuse et compliquée à souhait, et telle qu’il la souhaitait au gré de ses désirs de logicien sûr de vaincre les ténèbres et d’arriver par la force du simple raisonnement et de la déduction à la manifestation de la vérité.

Je lus donc ceci :

« — Trafalgar City, 20 juilletPar dépêche du service spécial de l’Américan-Messenger
— Hier un crime aussi barbare qu’inexplicable a été commis à Trafalgar-City dans des circonstances particulièrement odieuses. Le fossoyeur de cette ville, un nommé Joë Braddford a précipité dans une marnière profonde de quatre-vingts pieds, un nommé Jim Rackson, aide-fossoyeur. Avant de jeter sa victime dans ce puits, Joë Braddford lui a fracassé la tête qui fut réduite en bouillie sous la violence des coups. On a retrouvé dans la poche de la victime les deux dollars du salaire de la semaine plus une grosse bague en or. Le vol ne semble donc pas avoir été le mobile du crime. Joë Braddford a été arrêté par le constable de Trafalgar-City et aussitôt écroué. Il semble avoir, à la suite de ces événements, perdu la raison. On n’a pu tirer de lui aucun renseignement susceptible de jeter la lumière sur ce drame atroce qui a soulevé à Trafalgar-City un vif sentiment de profonde horreur. »

Ceci lu, je rendis le journal à Hopkins.

— Que pensez-vous de cela, Sanfield ? me demanda-t-il.

Je pense que voilà un crime réellement épouvantable. Ce Joë Braddford réduisant en bouillie la tête de son aide, est une véritable brute. C’est un assassinat, en vérité, des plus odieux.

— Rien ne vous a semblé particulièrement étrange dans le crime lui-même ?

— Non, rien, si ce n’est l’incomparable sauvagerie du meurtrier.

— Ainsi, ce crime sans motifs vous semble admissible ? Vous concevez qu’il a pu se passer tel que l’Américan-Messenger le relate ?

— Pourquoi pas ? Cela déjà s’est vu.

— Ce n’est pas une raison.

— Que prétendez-vous dire, Hopkins ?

— Pourquoi ce Braddford après avoir fracassé la tête de Rackson l’a-t-il jeté dans la marnière ?

— Pour cacher son crime.

— Alors pourquoi n’a-t-il pas dépouillé le cadavre ? Le journal dit qu’on a retrouvé dans les poches deux dollars et une grosse bague d’or.

— Peut-être le temps lui a-t-il manqué ?

— C’est improbable, car le journal dit encore que le constable a procédé à l’arrestation. Donc c’est après le crime que Braddford a été arrêté, alors qu’il avait eu certainement le temps de vider les poches de sa victime.

— Cela peut être.

— Cela doit être. Il n’est pas difficile de le supposer à la lecture de l’article. Donc, si le vol n’est pas le mobile du crime, il en existe un autre.

— Peut-être la colère ? la vengeance ?

— La colère ne prend pas la précaution de dissimuler ainsi, car en jetant le cadavre dans la marnière la dissimulation est démontrée. Mais comment cet homme devenu fou a-t-il pu accomplir cet acte de prudence compréhensible chez un assassin doué de ses facultés, incompréhensible chez un individu privé de raison ? Si, après le crime, cet homme est devenu brusquement dément, c’est qu’une chose horrible, épouvantable, l’a frappé. Cette chose quelle est-elle ? Voilà le hic. Là est l’intérêt, là est pour nous le classique « du pain et des spectacles. » Je présume, Sanfield, que cette affaire est plus intéressante que nous pouvons le supposer.

Je vis aussitôt où Hopkins en voulait venir. Malgré la chaleur j’aurais pu m’écrier en parodiant l’antique « Douleur, tu n’es pas un mal ! » « Chaleur tu n’es pas un empêchement ! » Faisant, taire le cri de mon accablement caniculaire, et repris moi aussi par le désir de nouvelles aventures dont depuis trois mois notre vie était veuve, je demandai simplement au perspicace et humble rival de Sherlock Holmès :

— Hopkins, à quelle heure, partons-nous ?

— Je pense qu’il y a un train vers 8 heures, dit mon ami. Cela nous donne le temps de dîner confortablement et de boucler nos valises en prenant du loisir. J’aime à voir, Sanfield, que vous commencez à prendre goût au métier d’observateur. Il me plaît d’avoir à mes côtés un homme pour qui la phrase : « Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! » serait vaine…

— Et insultante, ajoutai-je. Je suis américain, Hopkins.

— Je le vois, dit-il en me serrant vigoureusement les deux mains.

Et nous allâmes dîner. À 8 heures 10, le train quitta le quai de la gare par la voie de Trenton, Harrisburg, Cincinnati et Nashaville. Le lendemain soir nous fûmes arrivés à Trafalgar-City.

C’est une région humide, sablonneuse, où la glaise abonde. De là l’origine de ces marnières dans une desquelles à quatre-vingts pieds de profondeur avait été retrouvé le cadavre de l’aide fossoyeur Jim Rackson.

Ayant découvert un hôtel tranquille, Hopkins me dit :

— Reposons-nous d’abord. La journée de demain sera peut-être laborieuse.

Le lendemain de grand matin nous fûmes debout. Le premier soin de mon ami fut d’aller rendre visite au Constable. Grâce à son nom, à la réputation dont il jouissait dans l’administration de la police, Hopkins obtint tous les renseignements désirables. Ainsi qu’il l’avait justement présumé, l’arrestation de Joë Braddford avait été opérée plusieurs heures après le crime. Quant au crime lui-même il n’avait eu nul témoin. La seule preuve contre le fossoyeur était sa présence au bord de la marnière.

À vrai dire, cette preuve n’était pas unique. On avait relevé autour de la fosse l’empreinte de ses pas mêlée à celle des pas de Jim Rackson.

— Et ces empreintes, demanda Hopkins, existent encore ?

Le juge lui confirma le détail.

— Je soupçonne cette affaire de nous ménager des surprises, acheva mon ami.

— Je suis d’un avis contraire, riposta aigrement le juge. Braddford a été saisi sur le lieu du crime. Sa participation, sa culpabilité sont hors de doute. J’en suis convaincu. Tout le monde en est convaincu. Je serais curieux, gentleman, de vous voir apporter la preuve du contraire.

Hopkins se leva.

— Au revoir, dit-il simplement.

Et, accompagné de moi, il alla vers la marnière tragique.

C’était un lieu véritablement sinistre à quelques milles de la ville, au milieu d’un paysage ravagé où s’élevaient les ruines d’une ancienne usine. Le cimetière était à un quart d’heure de distance, de l’endroit où se creusait la fosse de la marnière. On ne pouvait admettre que Jim Rackson eût été tué dans le cimetière par son chef et transporté jusqu’au trou où son cadavre avait été retrouvé. D’ailleurs, cette opinion devait être formellement contredite par l’empreinte des pas de l’aide-fossoyeur et de l’assassin. Ces empreintes, à genoux dans la glaise autour de la marnière. William Hopkins les releva avec le soin méticuleux et précis qu’il apportait toujours dans les détails les plus minimes de ses enquêtes et de ses observations.

Cet examen terminé, il se releva, et ses yeux parurent exprimer toute sa satisfaction.

— Retournons déjeuner à Trafalgar City, dit-il, nous reviendrons ici avant la nuit.

Le déjeuner terminé, Hopkins retourna chez le constable. Quand il sortit de son cabinet, il tenait à la main, enveloppé dans un journal, un paquet oblong. Ce paquet sous le bras, il retourna à la marnière. Je l’accompagnais. Arrivé à l’endroit du crime, il défit le journal et sortit du papier une paire de chaussures.

Je remarquai aussitôt qu’elles étaient dissemblables et avaient dû certainement appartenir à deux individus d’âge différent.

— D’abord, le soulier du vivant, dit Hopkins. Le soulier à la main, il remonta jusqu’à l’endroit où la trace des pas était encore visible. Sur une de ces empreintes, il plaça le premier soulier et le considéra attentivement.

Il hocha la tête et replaça la chaussure sur une autre empreinte. Je t’entendis murmurer entre ses dents :

— C’est cela.

Successivement, il plaça la chaussure dans les empreintes, et cette opération le mena à quelques pas de la marnière. Là les traces du soulier du vivant s’arrêtaient.

— C’est bien ce que je pensais, dit Hopkins.

Il reprit l’autre chaussure roulée dans le journal.

— Et maintenant au soulier du mort.

De l’endroit où la trace des pas était apparente, aux bords de la fosse tragique, le même travail lent et minutieux fut recommencé par mon ami.

Quand ce fut terminé, je lui vis aux lèvres le sourire de la satisfaction des pistes heureuses relevées.

Sur ces entrefaites, le soir était lentement tombé, un de ces soirs d’été, lourds et silencieux contribuant à augmenter l’horreur tragique du funèbre paysage où s’était passée notre journée. Les ombres obliques des usines en ruines s’étendaient en grandes bandes découpées sur le sol d’où sourdait une humidité malsaine. Au loin, on voyait la masse sombre des cyprès et des peupliers du cimetière. L’impression de cette vision fut vive sur nous, car, en silence nous regagnâmes Trafalgar-City où les journaux du soir ne donnaient aucune nouvelle autre que celles que nous connaissons, du crime de la marnière de Tom-Camp. (C’est ainsi que se nommait ce funèbre endroit.)

Le lendemain, de grand matin, le constable revit Hopkins. Celui-ci venait le prier de lui communiquer la bague d’or trouvée dans la poche du cadavre. Ce qui fut fait. En même temps, mon ami sollicita l’autorisation de voir dans la chambre d’autopsie de l’hôpital l’aide-fossoyeur qu’on y avait transporté.

Ce fut un spectacle dont l’horreur est loin d’être effacée de ma mémoire.

Sur une table basse, rude et nue, couvert d’un drap d’une blancheur sinistre, reposait le corps de l’assassiné. La tête était effroyablement meurtrie. Ce n’était qu’un amas informe et sanguinolent d’os broyés, de chairs tuméfiées, une chose sans nom où aux caillots d’un sang noirâtre se mêlaient des lambeaux arrachés du cuir chevelu. Froidement, la face impassible, Hopkins examina cette horreur funèbre, ces lamentables restes.

Je m’étais écarté, terrifié, épouvanté, et chacun comprendra ce sentiment chez un homme que son métier éloigna toujours des lamentables drames humains.

Aussi ne fut-ce pas sans un frisson qui me passa dans les vertèbres, que je vis Hopkins saisir la main du cadavre et lui passer au doigt la bague d’or trouvée dans sa poche. Pour cette bague trop large, le doigt était trop maigre et je compris qu’elle avait dû appartenir à un homme d’une forte corpulence, d’une haute stature. Je ne comprenais plus rien aux procédés d’enquête de mon ami, mais habitué à ne considérer que la solution sans m’arrêter aux moyens employés, je ne laissai rien paraître de ma surprise.

Ce fut avec un soupir de satisfaction que je quittai, à la suite de Hopkins, la salle d’autopsie où ce sinistre cadavre, touché par la main de la mort, était la réalisation même de la lugubre phrase qui résume le destin commun : « Frère, il faut mourir ! » La mélancolie m’étreignait confusément le cœur à cette vision horrifiante. Cet homme avait été heureux, avait aimé peut-être, la vie était belle à ses jeunes années, et il était là, épave sanglante d’un drame tragique et mystérieux dont nous cherchions à la fois le comment et le pourquoi. Mon âme admettait, vaincue et résignée, l’arrêt de ce destin frappant cet homme. En ce moment je comprenais le fatalisme arabe du « Dieu le veut ! C’était écrit ! »

De l’hôpital, nous allâmes à la prison. L’assassin, Joë Braddford était dans une étroite cellule au secret. Le geôlier, sur la présentation d’un ordre du constable, nous y mena. Une autre face de l’horreur humaine nous attendait là, dans ce réduit oblong où une lumière blafarde descendait d’une manière de soupirail.

Dans l’ombre, accroupi comme un fauve aux aguets, le fossoyeur était là, le menton aux genoux.

À notre entrée, il se leva d’un bond.

Sans dire mot, William Hopkins lui montra la bague.

L’homme poussa un rugissement qui retentit avec fracas dans l’écho sonore de la prison et, l’écume aux lèvres, se précipita, poings levés sur Hopkins. Celui-ci resta calme :

— Frappe, lui dit-il, mais écoute. D’où vient cette bague ?

Les gardiens maintinrent l’homme, dont la rage était inexprimable. Les yeux enflammés brillaient au fond de leurs profondes orbites, le sang rougissait les pommettes de ses joues, tandis qu’un râle rauque lui sifflait entre les dents du fond de sa gorge contractée.

Peu à peu, ce râle cessa et ce fut un bégayement qui fit claquer entre les dents du malheureux dément :

— La… la… bague… bague… la…

— Veuillez lui maintenir solidement la main, ordonna William Hopkins aux gardiens.

La main du prisonnier fut empoignée, serrée au poignet. Quand elle fut immobile, Hopkins glissa la bague d’or aux doigts raidis. Cette fois encore, la bague se trouva trop large pour les doigts du vivant comme pour les doigts du mort.

Cette constatation faite, mon ami demanda aux gardiens de relâcher Braddford et tous nous sortîmes profondément impressionnés de cette obscure cellule où rugissait la folie de celui qui était qualifié dans les journaux de Trafalgar-City : « le monstre de Tom-Camp. »

— C’est à croire à un châtiment divin ! dis-je à Hopkins en gagnant avec lui la campagne.

— N’est pas athée qui veut, me répliqua-t-il d’un ton sentencieux qu’il affectait volontiers. Et il ajouta presque aussitôt :

— Hâtons-nous. Le temps nous presse. Il nous faut la solution ce soir. Brûlons nos vaisseaux. Cet homme doit aller dans un asile d’aliénés. Il y a de la cruauté à laisser là un innocent.

— Innocent ! m’écriai-je, vous le croyez donc innocent, Hopkins ?

— Mais certainement, cher ami.

— Et pourquoi ?

— J’espère vous le dire, ce soir. Hâtons le pas.

— Où allons-nous ?

— Au cimetière.

— Au cimetière, Hopkins ?

— Oui. Il le faut.

— Le faut-il vraiment ?

— Quoi donc, Sanfield ? Auriez-vous peur ?

Je me raidis, blessé de la supposition.

— Non, Hopkins. Marchons.

— À la bonne heure. Je vous retrouve.

Et nous accélérâmes le pas.

Je l’ai dit déjà : le cimetière de Trafalgar-City se trouvait à quelques milles de la marnière de Tom-Camp, à un quart d’heure de marche environ.

Nous l’atteignîmes bientôt et le remplaçant de Joë Braddford vint nous ouvrir la grille du champ funèbre.

— Enterre-t-on beaucoup ici ? demanda Hopkins à l’homme qui nous regardait un peu surpris.

— Oh ! non, gentleman. Ceci c’est le vieux cimetière. On n’y enterre plus guère depuis que le nouveau cimetière est achevé. C’est pourquoi deux hommes suffisent ici.

— Deux hommes, ah ! en vérité ?

— Oui, il y avait, il y a quelques jours encore, Joë Braddford et Jim Rackson, mais depuis l’assassinat, je suis seul ici.

Tout en causant, Hopkins s’était engagé dans l’allée centrale du cimetière, regardant les tombes anciennes ruinées par le vent, les neiges, les pluies. Ce n’étaient, dans les hautes herbes de l’été, que des croix brisées, des pierres fendues, le champ de la désolation dans ce champ des morts. Brusquement Hopkins s’arrêta. À gauche de l’allée, un trou béait, fosse noire au fond de laquelle gisaient des ossements épars mêlés à la terre grasse et à des débris de cercueil. La terre semblait avoir été fraîchement remuée, une pioche gisait encore au fond du trou.

— Qu’est ceci ? demanda Hopkins, le doigt tendu.

— Ceci, dit le remplaçant de Joë Braddford, est une fosse dont la concession est expirée. On en retire les ossements pour les transporter au fond du cimetière.

C’est à cela que Joë Braddford et Jim Rackson travaillaient le jour où le malheur est arrivé.

Un éclair brilla dans l’œil de Hopkins.

— Êtes-vous certain de cela ?

— Oh ! bien certain gentleman !

— Qui donc était enterré en cet endroit ?

— Le clergyman Price Weston.

— Avez-vous connu le défunt ?

— Oui. Il est mort voici dix ans. C’est lui qui me maria à Eddy Jackson, de Raleigh.

— Bien. Quel homme était-ce ?

— Un homme de haute taille, très solide.

— Grand ?

— Véritablement très grand.

— De forte corpulence ?

— Oui. C’est ainsi que je l’ai connu.

— Il était marié ?

— Oui, veuf.

— Des enfants ?

— Non. Sa femme est morte, je crois, au bout de quelques mois de mariage dans le naufrage du Gil-Braltar près de Trinidad.

— Existe-t-il encore des gens qui le connurent à Trafalgar-City ?

— Oh ! oui. Le nommé Boss, qui fut son domestique, habite encore la ville, et la femme de ménage Lia, est à l’hospice des vieillards. Ils ont bien connu le révérend Price Weston.

— À merveille. Ceci suffit. Venez, Sanfield.

À pas rapides, Hopkins s’éloigna. Nous descendîmes la grande allée de ce mélancolique cimetière où le gravier sec criait sous nos pieds. Le soleil rouge et brûlant descendait au loin, très lentement, derrière les murs du silencieux enclos. Bientôt nous atteignîmes la grille qui, lugubrement, grinça dans ses gonds huilés. Sans mot dire, Hopkins poursuivait son chemin, se hâtant vers Trafalgar-City. Je me retournai une dernière fois pour contempler la tragique vision de ce cimetière au milieu de cette plaine désolée, et, dans le lointain, debout à côté de la fosse ouverte, je vis le nouveau fossoyeur appuyé sur sa bêche…