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Le Roi Grive

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Le Roi Grive
Traduit par Félix Frank et E. Alsleben



LE ROI GRIVE


Un roi avait une fille merveilleusement belle, mais si arrogante et si hautaine, qu’elle ne trouvait aucun prétendant digne d’elle. Non contente de les renvoyer tous, les uns après les autres, elle se moquait encore d’eux.

Un jour, le roi organisa une grande fête à laquelle il invita tous les seigneurs éloignés ou voisins qui avaient l’intention de se marier. Ils prirent place suivant leur qualité : les rois d’abord, puis les ducs, les princes, les comtes, les barons et à la fin les simples nobles. La fille du roi fut conduite le long de ces rangs ; mais à chaque prétendant, elle avait quelque objection à faire. L’un était trop corpulent : « Le tonneau ! » disait-elle ; l’autre trop grand : « Grand et mince marche mal ; » le troisième, trop petit : « Petit et gros n’a pas de grâce. » Le quatrième était trop pâle : « La mort en personne ! » Le cinquième trop rouge : « Le dindon ! » Le sixième n’était pas assez droit : « Du bois vert séché au poële ! » Elle eut ainsi quelque chose à dire de chacun, ; mais elle se moqua surtout d’un bon roi placé au rang le plus élevé, et dont le menton était un peu de travers. « Oh ! s’écria-t-elle en riant, il a un menton comme le bec d’une grive. » Et depuis ce temps, elle lui donna le nom de Bec de Grive ou simplement de roi Grive. Le vieux roi, voyant que sa fille ne faisait que se moquer des gens et congédiait tous les prétendants rassemblés, se fâcha sérieusement et jura qu’elle épouserait le premier mendiant qui viendrait à sa porte.

Peu de jours après, un musicien ambulant chantait sous ses fenêtres pour gagner quelques sous. Le roi, l’ayant entendu, dit : « Faites-le venir. »

Le musicien sordide entra, chanta devant le roi et sa fille et demanda une aumône. Le roi lui dit : « Ton chant m’a plu si fort que je veux te donner ma fille en mariage. » La princesse fut consternée ; mais le roi poursuivit : « J’ai fait le serment de te marier au premier mendiant venu et je le tiendrai. » Il ne permit aucune réplique ; on alla chercher le pasteur et la jeune fille fut forcée d’épouser le musicien sur-le-champ. La cérémonie faite : « Il ne me convient pas, dit le roi, que tu restes au château ; accompagne ton mari. »

Le mendiant la prit avec lui et ils traversèrent une grande forêt. Là, elle demanda :

« Oh ! à qui appartient cette belle forêt ?

— Elle appartient au roi Grive. Tu l’aurais, si tu l’avais accepté.

— Hélas ! pauvre fillette délicate, pourquoi n’ai-je pas accepté le roi Grive ? »

Puis ils traversèrent une prairie et elle demanda de nouveau :

« À qui appartient cette belle prairie ?

— Elle est au roi Grive ; si tu l’avais accepté, elle serait aussi à toi !

— Hélas ! pauvre fillette, pourquoi n’ai-je pas accepté le roi Grive ? »

Ensuite ils passèrent par une grande ville. Là elle demanda encore :

« À qui appartient cette ville ?

— Elle appartient au roi Grive ; si tu l’avais accepté, elle serait aussi à toi !

— Ah ! pauvre fillette, pourquoi n’ai-je pas accepté le roi Grive ?

— Il ne me plaît pas, dit alors le mendiant, que tu souhaites toujours un autre mari que moi. Ne suis-je donc pas assez beau pour toi ? »

Ils se trouvèrent enfin devant une toute petite cabane.

« Ah ! Dieu, s’écria-t-elle quelle maison ! À qui peut être ce misérable réduit ?

— C’est ma maison et la tienne ; répondit le mendiant, nous allons y demeurer.

— Où sont tes serviteurs ?

— Mes serviteurs ?… dit le musicien ; ce que tu veux qui soit fait, il faut le faire toi-même. Allume toujours le feu et mets de l’eau pour cuire mon dîner ; je suis bien fatigué. »

La princesse ne savait ni allumer du feu, ni faire la cuisine, et le mendiant fut obligé de préparer lui-même un dîner passable. Lorsqu’ils eurent pris leur maigre pitance, ils se couchèrent ; mais, dès le matin, le musicien fit lever la princesse pour soigner le ménage. Ils vécurent ainsi quelques jours, mangeant leurs provisions ; l’homme dit alors :

« Femme, nous ne pouvons continuer ainsi à manger sans rien gagner. Tu feras des paniers. »

Il sortit, coupa des baguettes et les apporta chez lui ; la princesse se mit à les tresser ; mais l’osier était dur et blessait ses mains délicates.

« Je vois que cela ne va pas, dit l’homme ; file plutôt ; tu réussiras peut-être mieux. »

Elle se mit à filer ; mais le fil roide lui coupa les doigts jusqu’au sang.

« Vois-tu, lui dit son mari, tu n’es bonne à aucun travail ; me voilà bien tombé avec toi ! Allons ! je vais essayer de t’acheter de la poterie, et tu iras la vendre au marché.

— Hélas ! se dit-elle, quand les gens du royaume de mon père viendront au marché et qu’ils me verront vendre des pots, comme ils vont se moquer de moi ! »

Ce fut inutile, elle dut se soumettre sous peine de mourir de faim. La première fois, elle s’en tira encore assez bien ; on achetait volontiers à cette femme, parce qu’elle était belle et on lui payait ce qu’elle demandait : plusieurs personnes même lui donnèrent de l’argent en lui laissant ses pots. Les deux époux vécurent de ce gain jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien. Alors le musicien racheta des pots neufs et la femme se plaça au coin du marché, étala sa marchandise autour d’elle et attendit les chalands. Tout à coup un soldat ivre arriva au galop de son cheval, qui piétina les pots et les brisa en mille morceaux. La femme se prit à pleurer, ne sachant que faire dans son angoisse.

« Ah ! que vais-je devenir ? s’écria-t-elle ; que va dire mon mari ? »

Elle courut à la maison pour lui raconter son malheur.

« Aussi, dit l’homme, qui diable va se mettre au coin du marché avec de la poterie ? Je vois maintenant que tu n’es propre à rien ; je suis allé au château du roi et j’ai demandé si l’on n’avait pas besoin d’une servante de cuisine. On m’a promis de te prendre : tu gagneras ta nourriture. »

Ainsi, la fille du roi devint servante de cuisine : elle aidait le cuisinier et faisait l’ouvrage le plus dur. Elle attachait dans chacune de ses poches un petit pot où elle emportait les restes qu’on lui donnait et elle en vivait au logis avec son mari.

L’époque arriva où les noces du prince aîné devaient être célébrées. La pauvre femme monta jusqu’à la salle et se mit à regarder par la porte. Les bougies s’allumèrent ; les invités firent leur entrée l’un après l’autre, splendidement parés lorsqu’elle vit toute cette pompe et toute cette richesse, elle eut le cœur gros de larmes et elle maudit son orgueil et son insolence qui l’avaient réduite à cet état de pauvreté et de misère.

Les serviteurs lui donnaient parfois un peu des mets délicieux qu’ils allaient servir sur la table : elle les mit dans ses petits pots pour les emporter. Tout à coup, le fils du roi paré de chaînes d’or vint à passer, et quand il vit cette belle personne à la porte, il lui prit la main et voulut danser avec elle ; mais elle s’y refusa ; car elle avait reconnu le roi Grive qui l’avait demandée en mariage et dont elle s’était tant moquée. Elle résista, il l’entraîna ; les ruhans se dénouèrent et les pots tombèrent par terre, de sorte que le potage et les miettes se répandirent sur le plancher. À cette vue, on éclata de rire, on la railla et la pauvre femme aurait voulu être à cent pieds sous terre. Elle essaya de s’échapper par la porte ; mais, dans l’escalier, un homme l’atteignit et la ramena avec lui : elle reconnut encore le roi Grive qui lui dit doucement :

« Ne crains rien ; moi et le mendiant dont tu as partagé la misérable cabane, nous ne sommes qu’un : je me suis déguisé par amour pour toi ; j’étais aussi le soldat qui t’a cassé tes pots. J’ai agi ainsi pour humilier ton orgueil et pour te punir de t’être méchamment moquée de moi. Maintenant, tout est oublié ; nous allons célébrer nos noces. »

Aussitôt les femmes de chambre se présentèrent pour vêtir la princesse de robes magnifiques, et son père, accompagné de toute sa cour, vint la féliciter de son mariage avec le roi Grive. Ce fut alors que la vraie joie éclata !

J’aurais voulu que vous et moi nous eussions été de la fête.


LA GARDEUSE D’OIES À LA FONTAINE


Il était une fois une vieille, vieille femme qui vivait avec ses oies entre des montagnes, au milieu d’un désert où elle avait sa maison. Le désert était entouré d’une forêt, où, chaque matin, la vieille allait munie de sa béquille. La bonne femme montrait une activité qu’on ne lui aurait pas soupçonnée, à cause de son âge : elle cherchait de l’herbe pour ses oies, cueillait des fruits sauvages aussi haut que sa main pouvait atteindre et emportait tout cela sur son dos. On aurait cru qu’elle devait