Aller au contenu

Le Roi Mystère/Partie 2/06

La bibliothèque libre.
Nouvelles éditions Baudinière (p. 141-149).
◄  V
VII  ►
2e partie

VI

VERS LE PASSÉ

Bien que nous n’ayons encore défini la beauté de Mlle Liliane d’Anjou que d’une façon très imprécise, le lecteur n’ignore point cette beauté tout à fait.

En vérité, quand nous avons pénétré d’une façon si mystérieuse dans la chambre de Robert Pascal, nous avons eu l’occasion de décrire par le menu un portrait de femme qui faisait, avec une glace, l’ornement de ces murs austères.

On retrouvait chez Mlle Liliane d’Anjou, d’une façon frappante, le dessin du visage de cette belle personne. Notre demi-mondaine avait encore la même teinte blonde de cheveux et les yeux bruns du portrait, mais ce que le portrait n’avait pas, c’était cette mélancolie, cet air détaché de tout, cet aspect d’égoïsme impertinent et tranquille, ce mépris des autres et peut-être de soi-même, imprimé sur le front de Liliane.

Sa taille était une merveille et sa démarche en était une autre. On avait vu de vieux Parisiens, disons des gens que rien n’étonne, s’éprendre subitement de Liliane après l’avoir rencontrée simplement au Bois, à l’heure des Acacias, mollement étendue sur les coussins de sa voiture, mais d’autres, qui l’avaient vue marcher, en étaient devenus fous.

Elle s’en apercevait à peine. Qu’on l’aimât, qu’on se ruinât, qu’on se tuât pour elle, la chose lui importait peu, et cependant elle était une femme autrement redoutable qu’une femme méchante. Elle était indifférente. Et le sang des amants qui, par deux fois, avait rougi le tapis de ses appartements, l’avait ennuyée comme une incongruité.

Les hommes avec qui le destin lui avait donné affaire l’ennuyaient. Cependant, le comte Teramo-Girgenti, avec qui elle venait de faire connaissance, ne l’ennuyait point. Il avait eu une façon de briser sa voiture et d’en réparer les dégâts qui n’était pas celle de tout le monde. Sa parfaite galanterie, et puis aussi ses cheveux blancs lui plaisaient. Elle aimait les vieillards, avec qui l’on peut causer. Celui-ci avait encore cet avantage sur les autres, qu’il l’intriguait un peu. Les manières du vieux gentilhomme étaient si singulières et… si pleines d’une inquiétante et douce autorité, qu’elle n’avait point résisté au plaisir de se trouver seule avec lui, dans ce coupé.

Pressentiment inexplicable, il lui semblait non point que cet étranger avait quelque chose à lui dire, mais qu’ils avaient, tous deux, quelque chose à se dire. Par exemple, elle ne savait pas quoi ! C’était une simple sensation, mais curieuse en vérité. Le comte la considérait maintenant si sérieusement qu’elle ne put s’empêcher de lui dire avec un de ces sourires vagues qui avaient déjà fait tant de malheureux :

— Mais enfin, monsieur, que me voulez-vous ?

— Rien, répondit Teramo, je ne veux rien, madame, que l’honneur de vous déposer à votre porte…

— Mais, vous ne savez pas où j’habite !…

— Croyez-vous ? fit tranquillement le comte. Quand vous me connaîtrez mieux, madame, vous apprendrez que je sais tout.

— C’est beaucoup de prétention… d’autant plus de prétention que je vous surprends en défaut du premier coup : nous tournons le dos à mon domicile.

— En vérité ?

— Votre cocher nous conduit rue de Moscou et j’habite…

— Dans le quartier des Champs-Élysées… Mais, madame, n’est-il point agréable de prendre quelquefois le chemin des écoliers ? Quand je vous aurai déposée à votre porte, qui me dit que je vous reverrai jamais !… Et je goûte trop le charme de votre conversation…

La voiture se trouvait maintenant au coin de la rue de Moscou et de la rue de Saint-Pétersbourg. Elle s’arrêta.

— Mais nous ne sommes pas arrivés ! s’écria, en riant, Liliane.

— Je sais ce que c’est, fit le comte en ouvrant la portière. Vous permettez, madame ? Dans une minute je suis de retour… le temps de dire un mot à cet homme…

Et le comte descendit.

Liliane le vit qui se dirigeait vers la porte cochère d’une bâtisse toute neuve, et s’entretenait quelques instants avec un bonhomme qui paraissait être le concierge du lieu ; celui-ci disparut et revint aussitôt portant une cage dans laquelle se trouvait un perroquet.

Le comte donna la cage au cocher, et reprit sa place auprès de Liliane.

— Vous avez acheté ce perroquet ? demanda-t-elle, assez étonnée.

— Oui ; mon cocher sait que j’adore les perroquets. Il aura vu celui-ci derrière la fenêtre de la loge, et il a aussitôt arrêté ses chevaux, persuadé que j’aurais grand plaisir à revenir chez moi avec cette adorable petite bête.

— Vous êtes un type ! constata Liliane, qui prit aussitôt son parti des excentricités du comte, car elle en avait vu bien d’autres…

La voiture continuant son chemin, arriva jusqu’à l’angle du boulevard des Batignoles et là, s’arrêta.

— Eh bien ! demanda Liliane, de plus en plus étonnée. Vous allez encore acheter un perroquet ?

— Ce n’est donc pas ici que vous habitez ? dit le comte, en montrant un balcon qui tenait toute la ligne du premier étage d’une maison de belle apparence.

— Vous retardez, monsieur ! répliqua la demi-mondaine. J’habitais, en effet, cet appartement il y a dix-huit mois. On vous a mal renseigné.

— À ce moment, dit Teramo-Girgenti avec ce calme suprême qui appartient seulement aux esprits supérieurs et aux imbéciles, à ce moment, madame, vous faisiez le bonheur de M. de Saint-Roy, avocat général à la Cour de cassation.

Liliane, stupéfaite, regarda le comte et lui dit, hostile :

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

— À moi ? Rien, chère madame, croyez-le bien, et vous non plus, je l’espère… Je n’ai jeté ce détail dans la conversation que pour vous prouver que je suis peut-être un peu mieux renseigné que vous ne le supposiez.

— Et vous m’avez prouvé que vous êtes plus mal élevé que vous n’en avez l’air.

La voiture était repartie au grand trot. Cette fois, elle avait fait demi-tour et remontait le boulevard de Clichy…

— Mais où va cette voiture ? demanda encore Liliane en marquant soudainement une franche mauvaise humeur.

— Est-ce qu’on sait ?… Quand je ne donne pas d’adresse à mon cocher, ce garçon, dont je vous fais cadeau avec tout l’équipage et que je vous recommande tout particulièrement, imagine que je n’ai que le désir de me promener… Et voilà, il me promène…

— N’importe où ?…

— Est-ce nous conduire n’importe où que de nous arrêter devant cette porte, madame ?…

Comme le comte disait ces mots, la voiture venait stationner devant un hôtel meublé de la rue de Douai.

Liliane reconnut la porte de l’hôtel, et sa méchante humeur devint tout à fait de la colère.

— Ah ça, monsieur, me direz-vous ce que signifie ?…

— Ici, laissa tomber le comte, toujours aussi calme, vous avez fait le bonheur de ce pauvre Bolivar, qui en est mort ! Un brave garçon qui, après s’être emparé d’une petite fortune qu’il avait trouvée dans la caisse de son patron, un banquier de la rue de Clichy, n’a su rendre, quand la justice est venue lui demander des comptes, que le dernier soupir.

Liliane avait déjà une main sur la poignée de la portière, prête à s’élancer, à fuir cette évocation sinistre de son passé, mais le comte saisit cette main délicate ; la voiture repartit à une vitesse nouvelle, et Liliane resta en tête à tête avec le mystérieux vieillard qui, maintenant, l’épouvantait. Elle n’avait plus de colère : elle n’avait plus que de l’effroi.

— Oh ! Monsieur, monsieur ! gémit-elle. Qui donc êtes-vous ?… Que me voulez-vous ?…

L’équipage descendait la butte Montmartre, traversait la place de la Trinité, passait la rue de la Chaussée-d’Antin, arrivait rue de Rivoli… et maintenant traversait la Seine sur le pont Neuf.

Liliane, d’une voix mourante, demandait :

— Où allons-nous ?… Où allons-nous ?…

L’équipage prit la rue Mazarine. Il sembla à Liliane que son cœur allait cesser de battre… Elle étouffait… Elle allait mourir…

— Grâce ! murmura-t-elle.

Mais la voiture s’arrêta encore. Elle se trouvait en face d’une maison infâme… Cette masure, bien connue des étudiants en goguette, avait une ignoble porte rouge, entrouverte sur un corridor obscur.

Liliane claquait des dents : ses ongles roses entraient sauvagement dans la chair exsangue de ses joues ; ses yeux avaient la fixité de la folie…

— Je ne pourrais dire exactement, madame, le jour où vous êtes entrée dans cette maison… mais vous en êtes sortie, il y a trois ans, le 14 de mai, au bras d’un homme qui est aujourd’hui l’amant d’une Tunisienne qui s’appelle la Mouna. L’homme qui vous a ouvert les portes de cette maison s’appelle le comte de Costa-Rica.

Et la voiture repartit.

Liliane n’avait pas eu un gémissement. Elle souffrait à un point où la douleur ne trouve plus ni un cri ni une larme.

Le comte ne la regardait pas. Mais si quelqu’un eût regardé le comte, il eût vu que derrière ses lunettes d’or, celui-ci pleurait.

Combien de temps la voiture roula-t-elle encore à travers Paris ?… Ce n’est ni Teramo-Girgenti, ni Liliane qui l’auraient pu dire…

Un silence affreux régnait dans le coupé, entre ces deux êtres qu’une destinée si étrangement énigmatique avait si singulièrement réunis.

Quand le cocher arrêta à nouveau ses chevaux, l’équipage se trouvait au pied d’un long mur sombre recouvert d’un épais rideau de lierre : on apercevait au-dessus du mur la cime dénudée des arbres et un petit toit pointu, aux tuiles couvertes de neige, qui y était adossé.

Au tournant de la ruelle, on apercevait une petite maisonnette carrée dont le toit était assez drôlement relevé aux quatre coins, à la chinoise.

Le comte avait ouvert la portière et était descendu.

— Venez ! dit-il à sa compagne.

Liliane obéit. Il lui semblait que cet homme qu’elle ne connaissait pas, et qui la connaissait si bien, était son maître depuis longtemps. Elle trouva en elle la force de se lever, de descendre, parce que l’autre l’ordonnait.

Où était-elle ?… Son regard erra, indifférent, autour d’elle… Soudain, elle tressaillit. Elle venait d’apercevoir le petit toit chinois…

— Ce n’est pas possible ! fit-elle. Je deviens folle…

Le comte sortit alors de sa poche une vieille clef rouillée par le temps, et l’introduisit dans la serrure d’une petite porte vermoulue qui s’ouvrait dans le mur. Le lierre était si épais qu’il cachait à moitié cette porte.

Teramo-Girgenti poussa la porte et souleva le lierre.

— Entrez ! dit-il à Liliane.

Liliane s’avança sur le seuil. Mais elle n’eut pas plutôt jeté un regard sur ce qu’il y avait derrière ce mur qu’elle poussa un cri et tomba à genoux…

Magie du souvenir ! Résurrection du passé ! Mémoire ! Après des années et des années que l’on ne compte plus, la nostalgie des temps révolus vous prend quelquefois et vous conduit comme par la main vers la vieille maison chancelante qui a vu vos premiers pas, au pied du mur qui a connu vos premiers jeux, dans une allée déserte du jardin où vous vous rappelez avoir vu marcher votre mère, et alors une angoisse inexprimable, faite de bonheur et d’effroi, gonfle votre poitrine oppressée, vous poussez un soupir et vous dites : c’est là !…

— Ici, jouait mon frère… soupira Liliane.

— Vous avez donc un frère, mademoiselle ! Savez-vous ce qu’il est devenu ?

Pourquoi lui dit-il maintenant : mademoiselle, quand, tout à l’heure, il l’appelait : madame ?

— Non, non, je ne sais pas… Je ne sais rien, gémit-elle… J’avais un père, j’avais une mère, j’avais un frère… Nous vivions heureux !… Mais il doit y avoir longtemps, longtemps… Je ne sais plus… Je ne sais rien, moi…

— Tenez, monsieur, reprend-elle dans ses larmes, tenez… là, là sous ces arbres, notre père nous avait construit, avec quelques planches, une petite maison qui était pour nous tout seuls : mon frère et moi… une petite maison pour jouer… Il n’y avait que nous qui avions le droit d’y aller, et mon frère avait la clef.

Liliane ne s’apercevait pas que son compagnon était presque aussi ému qu’elle… Elle ne s’occupait pas de lui. Elle ne parlait pas pour lui, mais pour elle… Il lui semblait qu’au son de sa voix, ressuscitaient, plus nombreuses, les images, les figures, les heures d’autrefois…

— Allons dans notre demeure, dit-elle, en s’avançant résolument comme si elle eût reconquis d’un coup toutes ses forces, allons dans l’atelier de mon père.

— Que faisait votre père, mademoiselle ?

— Je ne sais pas… mais il avait un atelier avec de jolies tasses dedans…

— Des tasses ?

— Oui, des tasses et des carafes en argent… Je ne sais pas… C’étaient des choses que l’on ne voyait que là… Quelquefois, l’atelier nous faisait peur…

— Comment cela ?

— Oui, mon père allumait du feu dans des fourneaux et on entendait des grands coups de marteau, et mon petit frère disait que papa fabriquait de l’or… Oh ! je me souviens bien, maintenant…

Ils entrèrent dans la maison. Ils s’arrêtèrent un instant dans le corridor.

— Oh ! comme nous avons joué dans le corridor !… Mon petit frère y faisait rouler des billes… Voici l’escalier sur les marches duquel il alignait tous ses soldats de plomb… C’est drôle, monsieur, comme tout cela me revient…

Ils entrèrent dans l’atelier, dans la salle à manger, dans les chambres, partout… et partout elle revécut le passé, comme s’il avait été d’hier. Il semblait que rien n’avait été changé et les meubles familiers occupaient leur place familière. Les ombres de son père, de sa mère, de son frère la suivaient de pièce en pièce et s’entretenaient avec elle. Elle continuait de pleurer doucement… de bonheur… Et elle trouvait maintenant tout naturel que ce jardin, cette maison, cette cour fussent restés ainsi que les lui révélait le souvenir…

Il fallait que ce fût le comte lui-même qui lui fît remarquer combien il était étonnant qu’elle retrouvât tout à sa place, dans la maison, comme si sa mère venait de sortir, comme si son père allait rentrer…

— Oh ! oui, monsieur, fit-elle, c’est bien merveilleux. Vous ne savez pas à qui est cette maison ? Oui, vous le savez, puisque vous m’y avez conduite… Je voudrais l’acheter.

— Elle est à moi, répondit le comte, et je vous la donne.

— Oh ! monsieur, vous êtes bon… Mais qui êtes-vous ?… Qui êtes-vous, pour m’avoir conduite ici ?…

Le comte dit d’une voix altérée :

— Je ne sais pas qui je suis…

— Comment cela ?…

— Savez-vous qui vous êtes, vous ?… demanda le comte tristement. Savez-vous comment vous avez quitté cette maison, ce bonheur, vos parents que vous n’avez jamais revus ?…

— Non ! fit-elle. Je ne sais pas… Je croyais être seule sur la terre à avoir oublié qui je suis…

— Vous ne vous souvenez de rien ?… Ni quand vous êtes partie, ni pourquoi… ni comment, ni rien ?…

— Non ! non !… Rien… Encore maintenant, rien… Je crois que mon père est mort et que ma mère est morte… mais je n’en suis pas sûre… Et puis, j’ai eu la fièvre typhoïde, et il paraît que la fièvre typhoïde est terrible quelquefois pour la mémoire… Mais pourquoi pleurez-vous, monsieur ?… Ah ! pourquoi pleurez-vous ?… Comment se fait-il que mes malheurs vous touchent à ce point que vous ne puissiez retenir vos larmes ? Si vous êtes un parent, dites-le moi !… malgré la honte qui puisse en rejaillir sur vous d’avoir une parente comme moi. Le secret sera bien gardé, allez !… Si vous savez quelque chose, renseignez-moi… Il ne fallait pas me conduire ici si vous ne vouliez rien me dire… Pourquoi pleurez-vous ?

— Je ne suis pour vous qu’un ami… déclara Teramo-Girgenti… un ami inconnu… Il faut avoir confiance en moi… il faut me dire le nom de votre père…

— Mais je ne le sais pas !… Mais je vous jure que je ne le sais pas !… Je sais qu’une vieille femme de Marseille m’a trouvée dans la rue, et je ne sais pas comment je me trouvais à Marseille… Je sais que j’ai eu une fièvre typhoïde dont j’ai failli mourir… c’est tout ce que je sais…

— Vous me le jurez ?

— Je le jure !

Le comte en silence, la conduisit vers cet endroit, sous les tilleuls, où elle s’était souvenue d’une petite maison en bois qu’avait construite le père. Alors, il lui montra la petite maison en bois, qu’elle n’avait pas vue tout d’abord, à cause d’un rideau de lierre qui la masquait.

C’était une pauvre petite cabane dans laquelle on ne pouvait entrer qu’en se courbant.

— Oh ! fit-elle, notre cabane… Entrons !

— Comment ! Notre cabane ?… demanda le comte.

— Pardonnez-moi… Figurez-vous, monsieur, que j’ai eu un moment l’illusion que c’était mon frère qui me conduisait dans cette cabane… Je ne vous regardais pas… et je vous tenais par la main comme autrefois…

Liliane entra, et elle frappa aussitôt des mains avec une joie enfantine !…

— Oh ! sa bêche !… Mon râteau !… C’est avec cette bêche-là qu’il creusait mon petit jardin pour y planter des pieds de violettes que notre mère rapportait du marché…

— Qui, il ?… interrogea le comte, dont la main tremblait à côté de la main de Liliane, sur la petite bêche…

— Mais, mon frère !…

Et, tout à coup :

— Qu’est devenu mon frère, maintenant ?… Mon Dieu ! Il est peut-être mort… Je ne sais même pas comment il s’appelait…

— Comment, mon enfant, demanda le comte, vous ne vous souvenez même pas du nom de votre frère ?…

— Oh ! monsieur… c’est bien naturel, puisque j’ai en vain essayé de me rappeler mon nom à moi…

Teramo-Girgenti se pencha vers Liliane et, tout bas, lui dit :

— Clotilde !…

Ce mot n’avait pas été plutôt prononcé que Liliane poussa un grand cri :

— Robert !…

Et, dans un véritable délire, elle embrassa le comte. Il lui paraissait qu’à ces deux noms qui, si joyeusement jadis, avaient retenti entre ces murs, les arbres allaient reverdir, le printemps fleurir, la vieille maison s’animer, et les morts, ayant brisé, à l’appel de cet écho sacré, la porte du tombeau, reparaître avec les gestes de la vie !…

… Robert !… Clotilde !… Ah ! Comme elle les voyait maintenant, comme elle les entendait, le petit garçon et la petite fille !…

Et c’était lui, cet inconnu qui avait prononcé le mot magique !… Maintenant, elle le suppliait d’en dire davantage… davantage…

— Puisque vous ne pouvez être ni mon père, ni mon frère, finit-elle par dire, après un long silence qui semblait les avoir réunis plus qu’il ne les avait séparés, qui êtes-vous ?… Je ne sortirai pas d’ici sans le savoir…

— Je suis un envoyé de votre frère, dit le comte.

— Il est donc vivant ! s’écria-t-elle… Dieu soit loué !…

— Oui ! il est vivant…

— Conduisez-moi près de lui !

— Un jour… un jour viendra où je vous conduirai près de lui, Liliane…

— Bientôt ?…

— Bientôt.

— Et en attendant, que faut-il faire ?

— Rien, Liliane… rien…

— Où verrai-je mon frère, monsieur ? demanda Liliane, dans une fièvre grandissante.

— Chez moi… chez le comte de Teramo-Girgenti… le soir où, dans son hôtel des Champs-Élysées, il pendra la crémaillère… Ce sera une grande fête, Liliane, ajouta le comte, d’une voix que la jeune femme ne reconnut plus tout à coup… Une grande fête… pour les vivants… et pour les morts !…