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Le Roi Mystère/Partie 2/07

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Nouvelles éditions Baudinière (p. 149-156).
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2e partie

VII

OÙ DIXMER COMMENCE À REGRETTER D’AVOIR MONTRÉ SON JEU

Quelques minutes plus tard, le comte et Liliane se retrouvaient dans la petite ruelle, où les attendait l’équipage dont Teramo-Girgenti avait fait don à la demi-mondaine.

Le comte referma la porte, donna la clef de la propriété à Liliane, lui dit que chaque fois qu’elle voudrait revenir en ces lieux elle n’avait qu’à faire connaître son désir à son cocher, enfin qu’il fallait qu’elle gardât son cocher, lequel lui serait aussi dévoué qu’il l’avait été pour lui-même.

Liliane écoutait le comte et semblait ne point l’entendre. Elle obéit comme une automate au geste de Teramo-Girgenti et se retrouva seule dans la voiture avant qu’elle eût eu le temps de s’en étonner.

— Chez Madame ! commanda le comte. Et n’oublie pas, Cassecou, cet après-midi, d’aller porter mon perroquet rue de Ponthieu !

La tête de Liliane se montra à la portière. Elle s’était déjà reprise à sourire au comte.

— Comment dites-vous que s’appelle cet homme ? fit-elle.

— Cassecou, madame…

— Joli nom pour un cocher !

Et elle envoya au vieillard un baiser désespéré…

L’équipage fila comme une flèche.

Le comte resta seul. Il revint, à pied, par ces rues presque désertes du quartier de l’Observatoire.

Au coin du boulevard du Montparnasse, le comte fut rejoint par une voiture de maître qui semblait l’attendre.

Il cria au cocher :

— Au Palais de Justice !

Et il se jeta dans le coupé.

Quand le comte arriva au Palais de Justice et eut gravi l’escalier qui montait chez le procureur, sans avoir eu pour cela le besoin de demander son chemin à quiconque, il fut assez étonné du mouvement insolite qui régnait dans la galerie.

Des gardiens couraient, des gagistes s’interpellaient, des avocats stagiaires, sortant de la correctionnelle, se précipitaient comme des petits fous, retroussant leur robe, et, de la galerie Marchande, survenait une patrouille de gardes.

Le comte arrêta un jeune avocat qui paraissait fort affairé et lui demanda ce qui se passait ; le jeune avocat lui répondit qu’il n’en savait rien et qu’il courait comme tout le monde.

Enfin, un gagiste finit par lui dire que le bruit s’était répandu dans tout le Palais « qu’il y avait encore eu un assassinat dans les bureaux du procureur impérial ».

Et ce gagiste ajouta :

— Depuis l’affaire Desjardies et l’assassinat Lamblin, ils ont tous perdu la tête : ils voient des assassinats partout. Au fond, il n’y a rien eu de grave ; c’est tout simplement le portier de la prison de la Grande-Roquette qui était venu au Palais, mandé par M. le procureur impérial, et qui s’est trouvé mal.

Teramo-Girgenti remercia et continua son chemin. Ce ne fut pas sans peine qu’il parvint à la porte des bureaux du procureur.

Le comte avait l’air de chercher quelqu’un qu’il ne trouvait point, et il finit par demander à un garçon de bureau :

M. Cyprien n’est point ici ?

— Non ! fit l’autre brusquement… Que lui voulez-vous ?

— J’étais venu hier soir pour voir M. le procureur et votre collègue m’a dit que je serais sûrement reçu aujourd’hui. Il m’a dit que je n’aurais qu’à demander M. Cyprien.

— Il n’est pas là ! fit le garçon de bureau en s’échappant.

Teramo-Girgenti montra une grande patience. Il s’empara d’une chaise et s’assit, et, attentivement, il regarda tout ce qui se passait autour de lui.

Des groupes discutaient autour du trou dont nous avons parlé, trou par lequel un escalier en colimaçon conduisait à la cour de la Sainte-Chapelle et à la Souricière. Teramo-Girgenti continuait à s’étonner de ne point trouver son M. Cyprien.

Tout à coup, les groupes s’écartèrent et il entendit ces mots :

— Voici le docteur Sartine ! Voici le docteur Sartine !

Et il vit arriver en grande hâte un homme en longue redingote noire qui portait sous son bras une trousse. Cet homme avait une figure singulièrement anxieuse, et Teramo-Girgenti pensait que ce n’était point là la figure d’un docteur qui va soulager quelqu’un qui se trouve mal.

Le docteur passa, bousculant tout le monde, et pénétra, par le secrétariat, dans le bureau du procureur.

La porte s’était refermée. On avait mis une garde devant cette porte.

Teramo-Girgenti surprit ensuite ces paroles prononcées, derrière lui, à voix basse, par le garçon auquel il s’était adressé tout à l’heure, et qui s’entretenait maintenant avec un huissier :

M. le procureur a demandé Cyprien à trois reprises… C’est tout de même drôle qu’il ait disparu comme ça…

— Qu’est-ce que tu en penses ? demandait l’autre.

— Je pense qu’il se passe trop d’affaires louches ici… Je vais tâcher de passer au service du procureur général.

— Et ce pauvre homme ? questionna l’huissier, crois-tu qu’il soit mort ?

— Il en avait bien l’air…

Teramo-Girgenti se leva, fit signe au garçon de bureau, l’entraîna dans un coin, et lui mettant un louis dans la main :

— Vous ne pouvez pas m’annoncer en ce moment à M. le procureur ?

— Oh ! Monsieur, répondit le garçon, en montrant une physionomie bouleversée par le désespoir de ne pouvoir contenter immédiatement les désirs d’un homme assez généreux pour payer de vingt francs l’honneur de parler à un larbin du parquet, si vous vouliez patienter un peu…

Teramo-Girgenti remit un nouveau louis dans cette main mercenaire…

— Je ne patienterai qu’à une condition, mon ami, c’est que vous me racontiez, par le menu, tout ce qui vient de se passer ici…

Et il se rassit.

Alors, l’autre, avec une mine importante et mystérieuse, lui confia que « depuis des heures » M. le procureur impérial, le préfet de police et un officier divisionnaire de la préfecture, nommé Dixmer, étaient en conférence, et que celle-ci avait d’autant intrigué tout le monde qu’on en ignorait le motif, et que, lorsqu’elle avait pris fin, il y avait un quart d’heure, M. le procureur impérial, le préfet de police et M. Dixmer étaient apparus dans l’antichambre, fort agités. Or, pendant que durait cette conférence, était arrivé, de la Roquette, le portier de la prison. Le préfet de police, paraît-il, l’avait fait mander. Et il attendait d’être introduit auprès de lui, quand préfet, procureur, officiers étaient sortis. Le préfet, apercevant le portier, avait dit au bonhomme : « Je vous attends à la préfecture tout à l’heure », puis il avait serré la main du procureur comme quelqu’un qui prend congé. Dixmer avait salué ces messieurs en leur disant : « À ce soir », et il s’était dirigé vers l’escalier en colimaçon qui donne directement du vestibule du procureur sur la cour de la Sainte-Chapelle. Au moment où il posait la main sur la rampe de l’escalier, l’huissier Cyprien était passé brusquement devant lui en disant à Dixmer : « Je ne sais si la porte d’en bas est ouverte : je vais vous l’ouvrir. » Et il disparut dans le trou. Dixmer avait un pied sur la première marche, quand le procureur impérial l’avait retenu un instant pour lui dire quelque chose à l’oreille. Pendant ce temps, l’espace de quelques secondes, le portier de la Roquette passait, lui aussi, devant Dixmer, et descendait l’escalier…

« M. Dixmer venait de descendre à son tour, quand nous entendîmes qu’il criait : il appelait au secours. Je me suis précipité et j’ai aidé comme j’ai pu M. Dixmer à sortir de là un corps qui obstruait l’étroit boyau. Quand nous l’eûmes monté ici, on reconnut le portier de la Roquette ! Respirait-il encore ? Nous ne savions ! Il ne faisait plus aucun mouvement. Le procureur et le préfet de police n’avaient pas eu encore le temps de quitter cette pièce. Personne ne savait plus où donner de la tête, quand M. le procureur a ordonné qu’on transportât le corps dans son cabinet et que l’on allât chercher le médecin du Palais… Et voilà ! Vous en savez autant que nous, monsieur… Maintenant, on dit qu’il est tombé d’une attaque… mais d’une attaque de quoi ?… ajouta l’homme en clignant des yeux… Le plus drôle, c’est que, depuis, on n’a pas revu Cyprien… D’où venait-il, celui-là ?… Personne ici ne le connaissait… »

Pendant que le comte se renseignait ainsi dans le vestibule, le docteur Sartine avait pénétré dans le cabinet du procureur. Il avait trouvé le corps étendu sur le divan de cuir.

Le procureur leva la tête à l’arrivée du docteur.

— Docteur, fit froidement Sinnamari, nous sommes renseignés… C’est une balle qui a tué cet homme…

— Vous êtes sûr que c’est une balle ? s’écria le docteur, en s’avançant vers le corps, dont la poitrine avait été mise à nu. Il n’est pas possible que cette petite blessure… On dirait une piqûre d’épingle…

— Cette blessure, docteur, a été faite avec un pistolet d’enfant, un joujou… et un pistolet qui, paraît-il, fait moins de bruit qu’un pistolet de tir dans une foire… Oui, nous savons maintenant… Du reste, il faudra procéder le plus tôt possible à l’autopsie… mais dans le plus grand mystère. Je compte sur vous, docteur, la justice compte sur vous…

Et il passa dans le cabinet de son substitut, qui était vide. Le préfet et Dixmer le suivaient.

Aussitôt la porte fermée, Dixmer, dont l’agitation grandissait, s’écria sourdement :

— Je vous le dis ! Ils se sont trompés !… C’est moi qui devais mourir !… C’est moi qui devrais être à la place du mort !… Ah ! Vous ne savez pas ce qu’ils sont forts ! Comment ont-ils deviné que je les trahissais ?… Par quel miracle ne suis-je pas mort ?… J’avais le pied sur cet escalier quand ce pauvre homme est venu prendre ma place et se faire tuer à ma place !

— Par qui ?

— Par qui voulez-vous que ce soit, si ce n’est pas ce Cyprien, qui descendait devant nous, qui m’a cru derrière lui, qui s’est retourné et qui a appliqué son joujou sur la poitrine de l’autre ?… Un joujou terrible, car ces hommes n’ont pas les armes de tout le monde !… Cyprien sait que je trahis !… Je suis perdu !… gémit furieusement Dixmer.

Sinnamari interrompit un instant le désespoir de Dixmer.

— Mais enfin, s’écria-t-il, impatienté, en admettant que Cyprien avait été placé comme espion à ma porte par R. C., ce Cyprien serait donc aussi son exécuteur, pour qu’il n’hésite pas une seconde à assassiner un homme qui trahit son maître !…

— Mais tous, monsieur le procureur !… Tous sont ses exécuteurs… Oui, il a comme ça des hommes qui sont prêts à tuer et à se faire tuer pour lui… J’en connais, pour mon compte, trois qui sont prêts à mourir pour lui… et il y en a d’autres… d’autres que l’on ne connaîtra jamais… car au fond je ne sais rien… Ils ne m’ont laissé pénétrer de leur secret que ce qui pouvait leur être utile… Ce chemin par lequel je suis descendu depuis un mois dans les catacombes est perdu pour nous, maintenant qu’ils savent que j’ai trahi !… Ah ! j’étais bien surveillé, allez !… Ils ont une bonne police… Ils se surveillent tous les uns les autres. Ah, prenez garde !… Cet homme peut tout contre vous, et vous ne pouvez rien contre lui, parce qu’il apparaîtra partout et que vous ne le trouverez nulle part !…

— Mais enfin, vous nous avez dit que vous l’aviez vu !… Et moi je l’ai vu !… On peut donc le voir, le toucher, le reconnaître !

— Le reconnaître !… Mais vous lui serrez peut-être la main dix fois par jour, et vous le croyez votre ami, ou l’ami de votre ami… Cet homme a vingt faces, dont ses lieutenants les plus fidèles ne connaissent qu’une, et vous voulez le reconnaître !…

— Et que vous avait-il promis pour que vous fussiez à lui ? demanda le préfet de police.

— De me faire nommer préfet de police ! répondit Dixmer.

Et il ajouta naïvement, dans sa douleur, pendant que le préfet de police le regardait tout interloqué :

— Et il l’aurait fait, monsieur le préfet, je vous le jure !… Il en a fait bien d’autres ! J’étais plus sûr d’être préfet de police avec lui que de devenir chef de la Sûreté avec vous…

— Dixmer, dit rudement Sinnamari, je crois que vous êtes fichu…

— C’est bien mon avis ! obtempéra lamentablement Dixmer.

— Vous êtes fichu… si nous n’atteignons pas ce roi de malheur !… Voyez-vous un moyen ?

— Un moyen de quoi ?

— De devenir chef de la Sûreté !…

Dixmer se tut, et puis il sembla se décider.

— Un moyen de l’atteindre, lui, directement ? dit-il. Maintenant que je suis brûlé, je n’en connais pas… Mais il y a peut-être quelque chose à faire qui le gênerait bien…

— Parlez !

— Ce matin, après l’affaire, reprit l’officier de police, j’ai surpris un bout de conversation entre le Vautour et Patte d’Oie…

— Qu’est-ce que c’est que ça, le Vautour et Patte d’Oie ? demandèrent à la fois le préfet et Sinnamari.

— Ce sont deux de ses principaux lieutenants. Ils s’étonnaient un peu de la formidable besogne de cette nuit… Ils disaient que depuis que l’A. C. S. existait, on n’avait jamais fait une chose approchant de l’évasion de Desjardies…

— Et alors ?

— Et alors, ils pensaient que toute cette affaire pouvait bien n’avoir pas été montée seulement pour les beaux yeux du père…

— Ah ! Ah ! fit Sinnamari, qui commençait à comprendre.

— Le Vautour ajoutait qu’il avait vu quelquefois Mlle Desjardies et qu’elle était bien belle…

— Et qu’est-ce qu’a répondu Patte d’Oie ?

— Il a répondu qu’il voudrait bien être sûr de ça… Alors le Vautour lui a frappé sur l’épaule et lui a dit textuellement : « Eh bien ! ma vieille Patte, moi j’en suis sûr, et la Mouna elle-même me l’a dit : elle a bien vu cette nuit que Mystère était amoureux de la Desjardies, et nous ne sommes que des poires ! »

— Et après ? demanda Sinnamari, très intéressé.

— Oh ! après, je n’ai plus rien entendu, parce que, comme je pouvais être surpris…

— Par qui ?

— Oh ! dans cette maison-là, il faut s’attendre à tout… Par le roi des Catacombes, peut-être… C’était chez un bistrot de la rue Montgallet… on ne sait pas quelle forme peut prendre le roi des Catacombes…

— Vraiment ?…

— Et il arrive toujours quand on s’y attend le moins…

À ce moment, on frappa à la porte, et un huissier annonça que M. le comte de Teramo-Girgenti faisait demander à M. le procureur impérial si celui-ci pouvait le recevoir.

— Le comte de Teramo-Girgenti ! s’écria Sinnamari. C’est le ciel qui nous l’envoie !…

Le préfet et Dixmer firent un mouvement pour se retirer.

— Restez, messieurs ! Je vous en prie… Je vais vous présenter au comte.

Le comte apparut sur le seuil du cabinet.

— Monsieur de Teramo-Girgenti, soyez le bienvenu chez moi, fit Sinnamari, bien que votre arrivée coïncide avec des circonstances particulièrement tragiques…

— En effet, monsieur le procureur impérial, je viens d’apprendre qu’un gardien venait de mourir chez vous d’une attaque d’apoplexie. J’ai vu emporter le corps.

Sinnamari ferma la porte derrière le comte, lui présenta le préfet et Dixmer, le pria de s’asseoir, puis lui demanda des nouvelles de son grand ami don Alvarez de Manovar, président des Cortès d’Espagne.

— Il m’a écrit une longue lettre dans laquelle il m’écrivait tant de merveilles sur vous que j’avais hâte de faire votre connaissance. Mon ami, M. Philibert Wat, le gendre de notre président du conseil, m’a annoncé votre arrivée à Paris. J’en fus d’autant plus joyeux que, je ne vous le cache pas, je suis décidé à vous demander un service, monsieur, un très gros service.

— Je suis vraiment très heureux de pouvoir être utile à un ami de don Alvarez de Manovar, répondit le comte. Le service que vous me demandez, monsieur le procureur impérial, est accordé…

— Peut-être que vous… Voici ce dont il s’agit : nous sommes aux prises, en ce moment (quand je dis « nous », je parle de la justice, de la police française) avec un bandit d’une envergure peu ordinaire, qui nous joue les plus méchants tours du monde… Ainsi, je vais vous confier un secret… L’homme dont vous venez de voir emporter le corps n’est pas mort de mort naturelle… Il vient d’être frappé, ici même, chez moi, par un brigand de sa bande…

— De la bande de qui ? demanda, imperturbable, Teramo-Girgenti.

— De la bande du roi Mystère ! On l’appelle aussi le roi des Catacombes…

— Ah, le roi des Catacombes !… Je connais, lit le comte.

— Justement ! Vous connaissez !… Philibert Wat nous a dit que vous le connaissiez !… Il a même dit, mais en plaisantant, bien entendu, que vous étiez son ami…

— Oh ! interrompit Teramo-Girgenti avec un pâle sourire… Son ami… C’est beaucoup dire…

— J’en étais sûr !…

— Pardon, monsieur le procureur, interrompit Teramo. Mais pourriez-vous me dire pourquoi ce gardien a été frappé par un acolyte de ce monarque ?

— Par erreur, monsieur. Et, puisque vous êtes dans nos secrets, je puis vous dire que le coup était destiné à monsieur…

Et Sinnamari montra Dixmer, qui s’inclina, très pâle…

— Mes félicitations, monsieur, dit le comte, en s’adressant à Dixmer…

Et, retourné vers Sinnamari :

— Mais voilà un pauvre homme qui ne s’attendait pas à mourir !… Voulez-vous faire savoir à sa femme, à ses enfants, s’il en a, enfin à ses parents, que je fais une pension à ses héritiers de dix mille francs. Le capital sera versé ce soir !…

Les trois hommes n’en croyaient pas leurs oreilles.

— Bah ! cela ne fait après tout qu’un capital de trois cent mille francs… et cela ne fera jamais que six millions trois cent mille francs que me coûte le roi des Catacombes…

— Mystère vous doit six millions ?… demanda Sinnamari, très intéressé.

— « Me doit » est une façon de parler… C’est là le chiffre dont j’ai dû payer ma rançon quand j’étais son prisonnier dans les carrières de la campagne romaine… La dernière fois que j’ai revu ce charmant garçon — c’était il y a quelques jours — il me déclara qu’il serait bientôt en mesure de me rembourser mes six millions. Il m’expliqua les rouages amusants d’une société tout à fait étonnante, qu’il appelle l’A. C. S. Si bien, monsieur le procureur, si bien que, non seulement je lui ai dit de garder pour son fonds de commerce les six millions qu’il m’a volés, et qui vont au moins me rapporter, paraît-il, du 20 %, mais que je lui en ai encore remis six autres !…

Et Teramo ajouta : « Voilà comme je suis l’ami du roi des Catacombes. Je ne suis pas son ami du tout ; je suis en affaires avec lui, ce qui n’est pas la même chose. »

Enfin Teramo annonça que s’il lui avait été prouvé que Mystère lui avait menti en lui affirmant qu’il ne faisait plus que des affaires honnêtes, il ne se ferait, lui, Teramo, aucun scrupule de livrer Mystère à la justice, car il n’aimait point qu’on se moquât de lui !

Sur ce, humant avec une distinction suprême un peu de poudre de tabac, il laissa les trois hommes fort intrigués, le préfet affirmant qu’on avait affaire à un faiseur, Sinnamari prétendant que Teramo était un peu fou, Dixmer se demandant, à part lui, s’il ne venait pas de voir, une fois de plus, le roi Mystère…

Au cours de la conversation, le comte avait invité Sinnamari à sa pendaison de crémaillère et le procureur impérial avait accepté avec empressement.

Il était quatre heures de l’après-midi quand Sinnamari quitta le palais. Sa figure ne reflétait plus aucune trace de préoccupation ou d’ennui. Sur le boulevard, il héla un fiacre :

— Cocher, 72 bis avenue d’Iéna, et au trot !

Et, montant dans le fiacre, il murmura, ne pensant plus qu’à sa belle maîtresse :

— Pourvu que Liliane m’ait attendu !…