Le Roi de Rome et les femmes/7

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A. Méricant (p. 326-384).

Oh ! que tu dois souvent te dire et repasser
Dans quel large avenir tu devais te lancer !
Combien dans ton berceau fut court ton premier rêve !
Doublement protégé par le droit et le glaive,
De peuples rassurés espoir consolateur,
Petit-fils d’un César et fils d’un Empereur,
Légataire du monde, en naissant Roi de Rome,
Tu n’es plus aujourd’hui rien que le Fils de l’Homme !
Pourtant, quel fils de roi contre ce nom obscur
N’échangerait son titre et son sceptre futur<ref> C’est dans ce passage que M. Menjaud de Dammartin relevait le délit d’attaque contre les droits que le Roi tient de sa naissance. Après avoir lu ces vers au cours de son réquisitoire, il concluait en ces termes : « Ainsi, pour résumer tout ce qui, dans le langage de l’auteur, se rattache à la première partie de la prévention, garder encore aujourd’hui, comme il le dit hautement, non pas seulement le souvenir pieux de celui qu’il affecte d’appeler l’ancienne idole de la France, l’héritier de l’Empire, mais professer religieusement ses vieilles erreurs... sa vieille idolâtrie... (vieille idolâtrie du reste tout au plus de parade, et qui chez le poète de 34 ans n’a jamais pu guère être autre chose qu’un éphémère engouement de collège), et s’empresser bientôt d’encenser publiquement l’image de l’usurpateur ; prendre, par une dérision amère, le Roi légitime lui-même à témoin de cet hommage audacieux rendu au rejeton du plus grand ennemi de sa dynastie ; présenter ce Roi légitime comme réduit à cette condition d’humiliante abnégation, de renoncement misérable, qu’il tolérât, qu’il encourageât en quelque sorte, le tribut offert sous ses yeux au fils de l’usurpateur déchu ; garantir au duc de Reichstadt une fidélité qui doit survivre au malheur, déplorer douloureusement la chute désastreuse et sitôt amenée de la race qui avait violemment envahi le trône ; l’exposer aux regards, cette race, comme protégée, non seulement par la force du glaive, mais par le bon droit... ; puis, par un contraste qu’on cherche à rendre insultant et dérisoire, opposer au développement majestueux de cette puissance imposante, le règne dont on ne s’était pas douté, le règne incognito, le règne inaperçu de l’héritier des lis,

Roi chez l’étranger seul, Roi d’un humble château, monarque in partibus ; conclure enfin de cet insidieux rapprochement, dans un écrit voué manifestement à rehausser la gloire de la race usurpatrice et à dénigrer avec affectation la dynastie légitime, par cette confession, qu’aujourd’hui même, instruit par l’âge mûr et restant néanmoins assiégé de doutes impérissables, plongé dans une incertitude éternelle, on ne parvient enfin à s’incliner devant le droit de nos princes augustes que par le sacrifice et l’abnégation des lumières de la raison qui le combattraient, et par la foi, un mot, foi encore imparfaite, foi encore insuffisante pour triompher de doutes sans cesse renaissants ; n’est-ce pas attaquer évidemment, n’est-ce pas contester ouvertement les droits que le Roi tient de sa naissance, et par conséquent compromettre autant qu’il est en soi, jusqu’à la dignité royale elle-même ?... » Cette remarquable phrase occupe cinquante-cinq lignes au compte rendu du procès. Cf. pp. 15, 16, 17.</ref> ?
Mais quoi ! content d’un nom qui vaut un diadème,
Ne veux-tu rien un jour conquérir par toi-même ?
La nuit, quand douze fois ta pendule a frémi,
Qu’aucun bruit ne sort plus du palais endormi,
Et que seul, au milieu d’un appartement vide,
Tu veilles, obsédé par ta pensée avide,

Sans doute que parfois sur ton sort à venir
Un démon familier te vient entretenir.
Oui, tant que ton aïeul, sur ton adolescence
De sa noble tutèle[sic] étendra la puissance,
Les jaloux archiducs, comprimant leur orgueil,
Du vieillard tout-puissant imiteront l’accueil ;
Mais, qui peut garantir cette paix fraternelle ?
Peut-être en ce moment la mort lève son aile :
Tôt ou tard, au milieu de ses gardes hongrois,
Elle mettra la faux sur le doyen des rois[1] ;
Alors, il sera temps d’expliquer ce problème
D’un sort mystérieux ignoré de toi-même ;
Fils de Napoléon, petit-fils de François,
Entre deux avenirs il faudra faire un choix.
Puisses-tu, dominé par le sang de ta mère,
Bannir de ta pensée une vaine chimère !
Et de l’ambition éteindre le flambeau !
Le destin qui te reste est encor assez beau :
Les rois ont grandement consolé ton jeune âge ;
Le duché de Reichstadt est un riche apanage,
Et tu pourras un jour, colonel allemand,
Conduire à la parade un noble régiment.
Qu’à ce but désormais ton jeune cœur aspire ;
Borne là tes désirs, ta gloire, ton empire ;

Des règnes imprévus ne gardons plus l’espoir ;
Ce qu’on vit une fois ne doit plus se revoir :
Tout dort autour de nous ; sur le flot populaire
Les rois ont étendu leur trident tutélaire ;
Dans un ciel calme et pur luit un nouveau soleil ;
Les potentats du nord, réunis en conseil,
D’une paix éternelle gratifiant l’Europe,
Au futur genre humain ont lu son horoscope ;
Et, sans doute le ciel, dans ses livres secrets,
De Vienne et de Leybach a transcrit les arrêts :
Car, si la politique en changement féconde,
Une dernière fois bouleversant le monde,
Sous des prétextes vains divisait sans retour
L’irascible amitié de l’une et l’autre cour ;
Si, le fer à la main vingt nations entières,
Paraissant tout à coup autour de nos frontières,
Réveillant le tocsin des suprêmes dangers ;
Surtout si, dans les rangs des soldats étrangers,
L’homme au pâle visage, effrayant météore,
Venait en agitant son lambeau...[2].
Si sa voix résonnait à l’autre bord du Rhin...
Comme dans Josaphat la trompette d’airain,

La trompette puissante aux siècles annoncée,
Suscitera les morts dans leur couche glacée ;
Qui sait si cette voix, fertile en mille échos,
D’un peuple de soldats n’éveillerait les os ?
Si d’un père exilé renouvelant l’histoire,
Domptant des ennemis complices de sa gloire,
L’usurpateur nouveau, de bras en bras porté,
N’entrerait pas en Roi dans la grande cité ?
Tels, aux bruyants accords des cris et des fanfares,
Les princes chevelus, dans les Gaules barbares,
Paraissaient au milieu des Francs et des Germains,
Montés sur des pavois soutenus par leurs mains.


C’est ainsi que, jouet d’un songe fantastique,
Je mêlais au passé l’avenir prophétique.
L’heure avait déjà fui ; sous le long corridor
La foule s’écoulait, et je rêvais encor :
Je comptais les anneaux de cette immense chaîne
Qui lia deux captifs dans les deux Sainte-Hélène[3] ;

Je voyais tour à tour et l’enfant au berceau,
Et le saule pendant, planté sur un tombeau ;
Et tous ces souvenirs de tristesse et de gloire
Se heurtaient à la fois dans ma vague mémoire.
Alors, comme apparaît et grandit sur les murs
Un spectre que l’optique esquissa en traits obscurs,
De la place où j’étais, au plafond de la salle,
Se dressa lentement une ombre colossale ;
Trois fois elle tourna des regards de fureur
Sur les armes d’Autriche et le vieil empereur ;
Elle éleva trois fois une voix gémissante,
Puis, emportant son fils, farouche et menaçante,
L’ombre se recoucha dans son pâle linceul :
Alors finit le songe, et je me trouvai seul.


*
* *

Le 6 juin 1832, le poème fut saisi. Tiré, semblet-il, à 1.100 exemplaires, les commissaires de police délégués ne purent mettre la main que sur une vingtaine de brochures. Le reste de l’édition avait-il été vendu ou caché ? Les débats ne purent faire la lumière sur ce point. La chambre des mises en accusation renvoya Barthélemy devant le tribunal correctionnel, où, flanqué de son imprimeur David et des libraires Denain et Levavasseur, il comparut le 29 juillet. Trois avocats étaient assis au banc de la défense : Me Mérilhou, pour Barthélemy ; Me Jules Persin, pour David ; Me Vulpian, pour Denain et Levavasseur. Le public accouru était des plus brillants. Victor Hugo y coudoyait le général Gourgaud. Ce que le Procureur du Roi reprochait au poème, nous l’avons dit déjà. Il se borna à relire Le Fils de l’Homme et à signaler, en quelques-unes de ces mémorables phrases filandreuses, ce que le livre pouvait contenir de favorable à « l’usurpateur », à l’ennemi des « rois légitimes », c’est-à-dire à Napoléon. Barthélemy lui répliqua. « Le sieur Barthélemy, écrit dans son compte rendu la Gazette de France du 31 juillet, a récité des vers qui déjà sont imprimés, car il en tenait une épreuve à la main. Son débit est lourd, son ton est lugubre et sa prononciation a désagréablement l’accent méridional. » La défense du poète était rimée en effet. Elle fut piteuse, de fond comme de forme. Barthélemy y reniait tout sentiment d’espoir napoléonien, ergotait sur ses ironies et rendait hommage aux Bourbons :


... Le dernier Louis, sauveur inattendu,
À travers la tempête à nos vœux fut rendu.


Ainsi, après avoir souhaité pour le Fils un retour à la manière de celui de l’île d’Elbe, il finissait par déclarer qu’il avait espéré néanmoins le retour des Bourbons. Par cette palinodie il préludait à toutes celles qui devaient déshonorer par la suite sa carrière. Après avoir eu le courage de glorifier les souvenirs d’Empire, il se dérobait devant la menace de l’amende et de la prison. C’est une peur moyenne et humaine. Regrettons simplement de voir les historiens de la légende napoléonienne oublier qu’elle mena Barthélemy à ce fâcheux reniement. Elle ne lui servit de rien, au surplus. Tandis que Denain et Levavasseur étaient acquittés, David frappé de 25 frs d’amende, Barthélemy s’entendait condamner à trois mois de prison et à 1000 frs d’amende. Il en appela, et le 7 janvier 1830 la Cour royale de Paris confirmait purement et simplement le jugement.

On l’admit comme justifié. La Gazette de France n’éleva qu’un grief contre les juges. « Il paraît, disait-elle, que désormais, à l’exemple de M. Barthélemy, chacun pourra se défendre devant la police correctionnelle, en employant les formes particulières de sa profession. Cet accusé fait métier de rimer, et il a plaidé en vers. Quelque jour M. Béranger chantera sa justification, et on ne voit pas pourquoi il serait défendu à un artiste de l’Opéra de danser la sienne et de l’exécuter en pantomime. Le temple de Thémis deviendra ainsi celui des muses, et si cette nouvelle manière de juger n’est pas très conforme à la dignité du lieu, elle sera au moins fort récréative. » Ainsi la plaisanterie eut le dernier mot dans l’affaire.


*
* *

Quelle impression fit Le Fils de l’Homme en Autriche ? Il paraît assez difficile de le savoir, car l’entrée du poème dans les États de François II fut soigneusement surveillée. Cependant, à en croire M. de Montbel, il serait parvenu jusqu’à la cour et le duc de Reichstadt en aurait eu connaissance. « Il est des coups qui ne sauraient atteindre à une certaine élévation, écrivait l’ancien ministre. Le poème fut lu dans la famille impériale, en présence du duc de Reichstadt, avec une froide indifférence. Le jeune prince se contenta de faire l’observation qu’on avait eu raison de ne pas laisser arriver jusqu’à lui l’auteur d’un semblable écrit[4]. » D’où M. de Montbel tenait-il ce renseignement ? De Prokesch ? Non, sans doute, puisque Prokesch ne dit rien de pareil dans son livre. C’est donc à Metternich qu’il en faut attribuer la source, et avec d’autant plus de certitude que Metternich dicta à M. de Montbel tous les passages qui ne sont point empruntés à Prokesch. Faut-il admettre cette explication ? On ne le pense pas, et déjà, à l’époque, on en avait compris la puérilité.

Se faisant l’écho de cette opinion, Franc-Lecomte écrivait dans son roman : « Quelle vraisemblance que ce poème fut communiqué au prince, quand on avait refusé pour lui l’hommage de Napoléon en Égypte ! Quelle probabilité que la famille impériale écoutât cette lecture avec une froide indifférence[5] ! » Franc-Lecomte raisonnait-il si mal ?

Le Fils de l’Homme fournit donc par la suite, à l’époque de la mort du duc de Reichstadt, tous les détails donnés par les canards, les complaintes, les brochures sur le captif de Schoënbrunn. C’est la source où tous puisent ; c’est la pierre angulaire de la légende et, à ce titre, le poème et le poète n’étaient peut-être pas tout à fait indignes des quelques détails que nous venons de leur consacrer.

III

LE ROI DE ROME SÉDITIEUX[6]

Pour déclarer le fils de l’Empereur, son nom et son souvenir, attentatoires à la sûreté de l’État, le gouvernement de la Restauration n’avait point attendu la publication du poème de Barthélemy. Dès 1815 il faisait la chasse aux images, gravures, portraits, chansons, évoquant la figure enfantine dans les splendeurs de sa naissance et parmi les regrets de son éloignement. M. Henri Welschinger a fort heureusement évoqué cette recrudescence de la propagande bonapartiste[7]. Des exemples typiques ont été fournis par lui de la sottise de la police et de la mesquinerie effarée du gouvernement. Ainsi, en 1822, l’Indépendant, dans son compte rendu du Salon de peinture, avait élogieusement parlé du portrait d’un enfant tenant en main un bouquet de fleurs bleues. Cet article attira l’attention. La foule s’amassa devant le tableau. Les uns prirent les fleurs pour des Vergissmein nicht, les autres s’écrièrent : « C’est le Roi de Rome ! » La police fit évacuer le Salon, enlever le portrait, supprimer l’Indépendant, qui reparut peu de temps après sous le nom de Constitutionnel. Cependant là, les fleurs pouvaient encore servir d’excuse au zèle de la police. Les violettes du printemps étaient devenues séditieuses. Mais que dire du préfet des Basses-Alpes, par exemple, le sieur Ferrand, qui dénonçait au ministre de l’Intérieur des portraits de l’Enfant Jésus comme offrant de la ressemblance avec les traits du « fils de Bonaparte » ? Ce à quoi le ministre répondait : « Le préfet se trompe évidemment il n’y a rien qui rappelle le fils de Buonaparte, car le fils de Buonaparte a maintenant 12 ans, et c’est le monographe[sic] de Marie et non 2 N[8]. » Pour modérer cette chaleur des mouchards, il fallut établir un code relatif à ces images séditieuses, indiquer où commençait leur danger, jusqu’où il importait de les tolérer. La définition donnée est heureuse :


{{taille|Napoléon appartient à l’histoire, et son fils à l’Autriche. Qu’on vende le portrait de ce dernier, il n’y a rien de prohibé là-dedans, du moment qu’on lui laisse ses noms et titres actuels, les seuls légitimes. Mais qu’on vende son portrait qui le représente à cheval en uniforme de hussard et qu’on ajoute au bas de la gravure un {{sc| N}} couronné et entouré d’une auréole, cela passe les limites, car le duc de Reichstadt a même renoncé au nom de Napoléon, et rappeler ce nom en l’appliquant à son fils, cela paraît inconvenant.|90}}


Ces ordres, plus tard, furent complétés, et le Roi de Rome ayant paru définitivement séditieux, par une circulaire ministérielle du 8 septembre 1829, son image fut proscrite sans recours. Voici au nom de quelles raisons :


{{taille|Celui-ci [le fils de Napoléon] n’appartient ni à l’histoire ni à la France, et la malveillance peut seule chercher à répandre son portrait. Ainsi, sous quelque prétexte ou sous quelque déguisement qu’il vous soit présenté, vous refuserez votre autorisation[9].|90}}


Pauvres préfets ! Moins d’un an après, une nouvelle circulaire les autorisait à laisser paraître ces mêmes portraits ! À aucun instant, d’ailleurs, ils n’avaient cessé de gonfler le sac de toile des colporteurs. Le priseur l’avait sur sa tabatière ; le fumeur sur sa pipe ; le demi-solde sur ses bretelles ; la mercière sur ses rubans, sur ses mouchoirs[10], sur ses bonnets, sur ses foulards, sur ses bérets ; l’élégant sur son gilet ; le joueur sur ses cartes ; le sabotier sur le manche de son couteau ; partout l’image dangereuse se fixait avec les traits grossiers et naïfs de l’enfant impérial. Les cartons de police s’emplissaient de dénonciations, de procès-verbaux de saisie, une image suscitant à elle seule une correspondance se chiffrant quelquefois par cinq lettres, et plus ! La hiérarchie policière et judiciaire s’employait avec une activité fébrile à ces poursuites, distribuant amendes et mois de prison, ordonnant confiscations et arrestations avec un zèle sans égal. De cette ardeur, une mince et obscure affaire nous va donner un exemple. Elle peut servir de type à toutes celles de ce genre. En 1820, on saisit, dans le département du Haut-Rhin, quelques gravures sur un misérable colporteur. Aussitôt l’enquête s’engage et les lettres confidentielles s’échangent. Le dossier que voici nous fait suivre la marche des poursuites :


GENDARMERIE ROYALE
  22e LÉGION.
Nancy, le 10 mai 1820.

Le colonel commandant la 22e Légion,
à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur.

  Monseigneur,

{{taille|J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence que M. le capitaine commandant la Gendarmerie du Haut-Rhin rend compte dans son rapport du 3 au 5 de ce mois, que M. le Procureur du Roi de l’arrondissement de Belfort fait saisir sur le nommé Pelizaro, marchand d’estampes à Colmar, plusieurs gravures du petit Napoléon, dont deux enluminées, dix en noir, portant une étoile à l’extrémité supérieure et un aigle à celle inférieure avec cette inscription : Dessiné à Vienne d’après nature, et six autres plus petites avec cette inscription : Je prie Dieu pour mon père et pour ma France< ref> Ces gravures avaient été exécutées en 1814, pendant la campagne de France, de l’ordre même de Napoléon. On trouvera l’énumération de leurs divers formats et modèles dans l’ouvrage de M. John Grand-Carteret, L’Aiglon en images et dans la fiction poétique et dramatique ; Paris, 1901, in-8°, p. 200 et suiv.</ref>. Ces gravures ont dû être adressées audit Pelizaro, le 27 avril dernier, par le sieur François Boullat, rue Saint-Jacques, n° 38, et apportées par le courrier de la malle. Il a été rendu compte de ces événements aux autorités locales compétentes et à Son Excellence le Ministre de la Guerre.|90}}
Je suis, avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur,


L. de Saint-Sauveur.

Le Procureur près la Cour de Colmar avait, de son côté, informé de « l’événement » le sous-secrétaire d’État au ministère de la Justice, le comte Portalis. Le lendemain on écrivait au baron Mounier, alors à la tête de la Direction générale de la Police du Royaume :


Paris, le 11 mai 1820.

  Monsieur le baron,

{{taille|M. le Procureur général près la Cour Royale de Colmar, m’informe qu’on a saisi, le 2 de ce mois, à Belfort, par ordre du Procureur du Roi, des exemplaires d’une gravure du ci-devant Roi de Rome, comme publiés en contravention à l’article 8 de la loi du 31 mars dernier et à l’article 12 de la loi du 1er avril, titre 3[11].|90}}
Cette gravure a été saisie sur le nommé Sébastien Pelizaro, âgé de 19 ans, né à Tessine, en Italie.
{{taille|Il a été relâché après son interrogatoire puisqu’il n’a pas paru avoir fait ce débit avec de mauvaises intentions, ni surtout avec clandestinité. Il a de suite quitté Belfort et s’est sans doute dirigé sur Colmar où il s’est dit domicilié et où il a été recommandé à la police.|90}}
Le véritable auteur du débit de cette gravure paraît être le sieur Bulta ou Boulta, fabricant d’estampes, rue Saint-Jacques, n° 38, à Paris, signataire de la lettre d’envoi fait à Pelizaro, qui a déclaré ne lui avoir fait la demande que de gravures nouvelles en général et non de celle-ci qu’il ne savait pas être en circulation. Il est à remarquer que dans la facture ces portraits sont donnés comme étant de Louis XVII, obligation qui n’a pas besoin de réfutation, mais d’où l’on peut induire que le marchand de Paris ne s’est pas conformé à ce que prescrivent les lois sur la matière.
Je communique ces renseignements à M. le Procureur du Roi à Paris, avec un exemplaire de la gravure qui m’a été adressée et la lettre d’envoi du sieur Bulta pour qu’il prenne à l’égard de ce dernier les mesures convenables.
Recevez, Monsieur le baron, l’assurance de ma haute considération.


Le Pair de France, sous-secrétaire d’État
au département de la Justice, chargé
du portefeuille,

Comte Portalis.

Ainsi saisi, Mounier – ancien secrétaire du cabinet de Napoléon[12] ! – mit ses mouchards en campagne, munis de la gravure séditieuse dont il demandait en ces termes communication :


À M. le Procureur du Roi,
à Paris.

Paris, le 16 mai 1820.

  Monsieur,

Une lettre de M. le sous-secrétaire d’État au département de la Justice, m’apprend qu’il vient de vous adresser une estampe saisie à Belfort, dans le Haut-Rhin, parce qu’on suppose qu’elle a été publiée en contravention à la loi du 31 mars et qu’elle représente, dit-on, le Roi de Rome, sous le nom de Louis XVII.
Je vous prie de m’envoyer cette gravure en communication afin que je puisse vérifier si le dépôt en a été fait, à quelle époque il a été effectué et s’il y a violation des règlements sur la librairie. En vous renvoyant l’estampe, j’aurai soin de vous faire part du résultat de mes recherches[13].


Le Procureur mit diligence dans la réponse, et, le même jour écrivait au baron Mounier :


PARQUET DE 1re INSTANCE

À M. le baron Mounier.

Le 16 mai 1820.

  Monsieur le baron,

J’ai l’honneur de vous adresser, suivant le désir que vous m’exprimez dans votre lettre de ce jour, la gravure saisie à Belfort, représentant le fils de Bonaparte.
Je vous prie de me renvoyer cette gravure le plus tôt possible avec le résultat des recherches que vous avez ordonnées.
Le commissaire du quartier de l’École de Médecine, en exécution d’une commission rogatoire de M. le Juge d’Instruction, s’est transporté aujourd’hui au domicile du sieur Bulta, rue Saint-Jacques, n° 38, qui avait expédié à Belfort les exemplaires de la gravure en question, à l’effet de saisir tous ceux qui seraient encore trouvés chez ce marchand d’estampes ; mais la plus exacte perquisition n’a produit aucun résultat.
Agréez, Monsieur le baron, l’assurance de ma haute considération.


Le Procureur du Roi,
Jacquinot-Pampelune.

Les recherches faites à la Direction générale de la Police furent négatives. Mounier écrivait quelques jours plus tard :


{{d|{{taille|À M. le Procureur du Roi,|90}}|3}}

à Paris.

  Monsieur,

Il résulte de la vérification des registres de la librairie que le portrait que vous m’avez communiqué et que je vous renvoye n’a point été déposé et qu’en le supposant fait à l’étranger, il a été introduit en fraude[14].


Telles sont toutes les pièces du dossier. La perquisition chez Bulta n’ayant donné aucun résultat, on jugea peut-être inutile ou absurde de le poursuivre. De fait on ne trouve point son nom parmi la liste des graveurs condamnés pour la mise en vente d’image séditieuses[15], et il ne saurait être confondu avec le sieur Danty, poursuivi, le 22 juin suivant, pour une estampe napoléonienne portant en légende : Pour le père et le fils[16]. Condamné ou non, on voit le risque couru par le marchand pour une petite image évoquant le souvenir d’un enfant de huit ans prisonnier.

IV

LE RETOUR DES CENDRES DU ROI DE ROME À PARIS

Pour l’énergie française, quel lieu de pèlerinage plus émouvant que les Invalides et le tombeau de l’Empereur ? Ce qui demeure vivant et présent de l’ordre latin, de la raison nationale, est là, tracé par la géométrie harmonieuse du catafalque impérial, symbolisé par le grave et mélancolique élan des Victoires de marbre. Ce bloc funèbre témoigne de la gloire et de l’ordre français. Rude, poli, carré, imposant et majestueux, il apparaît sous le dôme lumineux des Invalides, comme l’image même de la sagesse latine. Leçon unique donnée par la matière à l’esprit ! La conscience nationale, devant ce tombeau, prend sa véritable signification et apparaît dégagée des sophismes, nue comme une vierge et claire comme une épée. Au spectacle de ce cercueil triomphal et anonyme, on se doit de condamner son âme avide de lyrisme au joug sévère de la discipline de la race. Ce mort jette, de son marbre, de profondes et vivaces racines en nous ; la terre ne pèse point de sa boue sur lui ; il est libre, couché dans la lumière, dans la solitude ; il est vivant parmi la mort et le silence ; il est présent dans la stupeur émue de cette fosse pleine de drapeaux et de noms de victoire. Que l’âme française se penche sur la rampe glacée, au-dessus de cet ossuaire de marbre, et qu’elle écoute retentir en elle l’appel impérieux des Cariatides.

Mais, ce qu’on en retiendra d’émouvant et de pathétique, ce ne sera point cela, ce cri du marbre vers la vie et l’avenir ; ce que la mémoire en emportera de durable hantise, ce sera, deviné, dans l’ombre confuse de la crypte, derrière le tombeau, un réduit obscur, étroit, vide.

Là il n’est qu’une place : celle d’un cercueil. Et le cercueil que la piété fidèle y voudrait, n’est-ce point le cercueil du Fils, face au cercueil du Père ?

Ce réduit, derrière le catafalque impérial, fut appelé, par Visconti, l’architecte du tombeau, le Reliquaire. Point de titre plus exact. Jusqu’à ces dernières années on y conserva l’épée d’Austerlitz, dans une cage de verre et de cuivre, à l’ombre des aigles de bronze colossales qui flanquèrent, sur la Belle-Poule, le cercueil au retour de Sainte-Hélène. Maintenant cette crypte obscure est vide, abandonnée semble-t-il à jamais, ne gardant dans son ombre humide, prisonnière et monumentale, que la statue, en costume de sacre, de l’Empereur armé du sceptre et du globe. Dans ce vide et dans ce silence, il est un appel vers le cadavre prisonnier de l’Autriche. Pourquoi ne viendrait-il point dormir, ici, le pacifique et éternel sommeil, et achever la légende héroïque et sentimentale, à l’ombre des palmes de marbre des douze cariatides triomphales et funèbres de Pradier ?

Un jour, on y songea. C’était aux temps de la présidence de Louis-Napoléon. Le neveu de l’Empereur rêva de ramener son cousin dans cette crypte solitaire. Des pourparlers avec l’Autriche furent engagés et on ne douta guère de leur issue favorable, car des placards populaires parurent, avec toutes les indications de la marche du cortège du transfert. « Les dépouilles mortelles du Roi de Rome, dit l’un d’eux, vont quitter Vienne au milieu d’un cortège d’hommes illustres envoyés pour recevoir ce dépôt précieux, veiller sur lui et le conduire au séjour des braves où l’attendent les mânes du plus grand homme des temps modernes. » Parmi le fracas des artilleries et l’acclamation sonore des cloches, le cortège devait franchir le Rhin au pont de Kehl, traverser Strasbourg, Saverne, Phalsbourg, Sarrebourg, Lunéville, Nancy, Toul, Bar, Saint-Dizier, Vitry, Châlons, La Fère, et entrer dans Paris par la barrière de l’Étoile. Sous l’Arc-de-Triomphe le char de cette funèbre pompe triomphale s’arrêterait avant de descendre vers les rives de la Seine.

C’était compter sans l’Autriche. Le Second Empire venu, les pourparlers n’étaient point terminés encore. En 1853, dans le mois d’avril, ils se terminèrent par un refus catégorique. « L’Autriche s’est refusée complètement à accorder cette demande, et a répondu que le duc de Reichstadt reposait à côté des membres de sa famille[17]. » L’ombre du Père demeura solitaire parmi sa cohorte de victoires de pierre, et, à Vienne, le cercueil de cuivre du Fils fut dérobé à l’exhumation d’une suprême – et première apothéose. C’est là, dans son abandon, qu’il a inspiré à M. Edmond Rostand, les deux sonnets fameux par lesquels le poète clôt le jeu tragique et épique de L’Aiglon :


{{d|{{taille| Dans la crypte des Capucins,|90}}|3}}

à Vienne.

{{Bloc centré|

{{taille|Et maintenant il faut que Ton Altesse dorme,
– Âme pour qui la Mort est une guérison –
Dorme, au fond du caveau, dans la double prison
De son cercueil de bronze et de cet uniforme.

Qu’un vain paperassier cherche, gratte, et s’informe[18]
Même quand il a tort, le poète a raison.
Mes vers peuvent périr, mais, sur son horizon,
Wagram verra toujours monter ta blanche forme !

Dors. Ce n’est pas toujours la Légende qui ment.
Un rêve est moins trompeur, parfois, qu’un document.
Dors ; tu fus ce Jeune homme et ce Fils, quoi qu’on dise.

Les cercueils sont nombreux, les caveaux sont étroits,
Et cette cave a l’air d’un débarras de rois...
Dors dans le coin, à droite, où la lumière est grise.|90}}

}}

*
* *

Dors dans cet endroit pauvre où les archiducs blonds
Sont vêtus d’un airain que le Temps vert-de-grise,
On dirait qu’un départ dont l’instant s’éternise
Encombre les couloirs de bagages oblongs.

Des touristes anglais traînent là leurs talons,
Puis ils vont voir, plus loin, ton cœur, dans une Église.
Dors, tu fus ce Jeune homme et ce Fils, quoi qu’on dise,
Dors, tu fus ce martyr ; du moins, nous le voulons.

... Un Capucin pressé d’expédier son monde
Frappe avec une clef sur ton cercueil qui gronde,
Dit un nom, une date, – et passe, en abrégeant...

Dors ! mais rêve en dormant que l’on t’a fait revivre,
Et que, laissant ton corps dans son cercueil de cuivre,
J’ai pu voler ton cœur dans son urne d’argent.


*
* *

Une curiosité, – un peu juvénile, nous l’avouons aujourd’hui, – nous fit, il y a quelques années, recueillir les opinions d’historiens éminents sur un possible retour des cendres du Roi de Rome, à Paris[19]. À cette possibilité MM. Henry Houssaye, Albert Vandal et Frédéric Masson se refusèrent, avec une raison amie de la logique, à croire. Si notre enquête fut négative, et certes bien inutile, sur ce point, elle nous permit au moins de recueillir un témoignage, d’ordre sentimental sans doute, mais infiniment touchant. Ce fut une lettre du grand historien des dernières batailles de l’Empire, de M. Henry Houssaye, qui nous l’apporta. Nous la donnons ici pour clore sur un joli geste, noble et bien français, ces quelques notes de regrets rétrospectifs et fidèles :

{{taille| En revenant de Vienne, il y a quelques années, j’avais écrit sur les cryptes de la « Capuzinerkirche » où repose, exilé parmi les Habsbourg, le Napoléon qui était né Roi de Rome et qui mourut duc de Reichstadt en Autriche. Je reçus cette lettre qui me paraît répondre à votre question :|90}}

« ... Je voulus saluer dans son dernier sommeil le fils de Napoléon. Jamais je n’oublierai l’angoisse qui me prit en voyant son petit tombeau sur lequel étaient posées trois couronnes de violettes artificielles. Le pauvre enfant me parut si loin de son père, si abandonné, que les larmes m’en vinrent aux yeux.
« Le capucin qui me guidait ne parlait pas français. Comment lui faire comprendre que je désirais emporter quelques-unes de ces fleurs ? Je pris dans ma main une des couronnes et je lui dis :
« — Pour l’Empereur !
« À l’instant, par un geste que je verrai toute ma vie, le capucin arrache une poignée de fleurs et mes les donne avec un bon sourire. À mon retour à Paris, je plaçai ces fleurs au milieu d’un bouquet de violettes fraîches et j’allai aux Invalides.
« Je racontai au gardien ce que j’avais fait. Il m’ouvrit la petite grille de la crypte et j’eus la pieuse joie de déposer sur le tombeau du père les fleurs rapportées du tombeau du fils. »

C’est un peu sentimental, mais j’avoue que je me reprochai de n’avoir pas eu cette idée-là. Elle valait beaucoup mieux que mon article.

Henry Houssaye.

Mais, hélas ! c’était de Vienne que venaient ces violettes d’Empire et de souvenir !

V

LETTRES D’AMOUR DU DUC DE REICHSTADT

D’où est sortie la correspondance amoureuse

du duc de Reichstadt avec l’archiduchesse Sophie que nous avons déjà eu l’occasion de signaler ? Appartient-elle en propre à J.-M. Chopin, qui la présente comme un document « véridique » et « historique de premier ordre » ? A-t-il été dupé lui-même ? Peu importe, mais il est un fait incontestable, c’est que ces pièces sont de fabrication bonapartiste, faites uniquement pour servir la légende. Le Roi de Rome y est, en effet, présenté sous un jour sympathique ; il s’y fait l’écho des rancœurs populaires contre l’Autriche, et quand il s’agit de tracer de Metternich un portrait au vitriol, c’est sous sa plume qu’on le place. À ceux qui, en ces temps-là, n’y regardaient point de trop près, cette virulence du prisonnier contre le geôlier ne pouvait-elle pas sembler vraisemblable ? La crédulité publique s’était laissée prendre bien des fois à des apocryphes plus mal combinés ! Ceux attribués au duc de Reichstadt demeurent aujourd’hui de curieux exemples de cette sorte de littérature de propagande politique et sentimentale. Ils paraissent d’une naïveté que nous n’avons nul besoin de signaler dans les deux lettres que nous publions ici en spécimen. Nous les devions rejeter dans la discussion faite des textes du temps, mais dans ces appendices, parmi ces pièces curieuses touchant à la Légende, elles peuvent prendre place. Voici d’abord une lettre qu’on fait écrire au Fils au dixième anniversaire de la mort de son père. C’est à sa cousine l’archiduchesse qu’il dit :


Mon cœur vous cherche... aux époques solennelles de la vie, je pense à Dieu et à vous. Aujourd’hui la place Vendôme est plus fière de ses aigles ; le laurier abaisse ses palmes attristées sous la main pieuse de quelques vétérans de l’Empire, et de nobles femmes viennent déposer sur ces trophées muets des couronnes d’immortelles.
C’est un beau sacerdoce que celui de la gloire ! Parmi toutes ces personnes que je crois voir s’empresser autour du gardien de la colonne, il en est sans doute qui ignorent dans quel lieu de l’Europe reposent les restes d’un père, d’un amant, d’un fils... La jeunesse et l’âge mûr de ceux qui ont vu la République et l’Empire n’ont été qu’un long combat. Que de sang versé ! Que d’héroïsme ! Non, il est impossible que de si grandes choses aient pour dernier résultat une misérable combinaison d’intérêt matériel ! Un grand peuple ne se résigne jamais à dorer de ses mains l’affront national.
{{taille|Je n’ai point de haine au cœur pour l’Autriche ; ce peuple est bon, mais on l’a tellement apprivoisé au joug, qu’il ignore jusqu’à son énergie. C’est la conséquence d’agglomérations fortuites dont le passé et les intérêts sont divers, et dont la politique essaie en vain de faire un tout homogène : en un mot, le cœur de cet empire est trop petit pour les membres... D’ailleurs, l’Autriche n’est que ma nourrice, la France est ma mère. Vous m’avez dit vous-même que vous m’approuviez de penser ainsi.|90}}
{{taille|J’ai eu hier une joie bien pure et j’ai besoin de vous la redire. J’étais dans la campagne, galopant à toute vitesse de mon cheval[sic]. Le pauvre animal était tout baigné de sueur. Je descends près d’une petite ferme, à un quart de mille du village de S... Un jardin bien soigné entourait l’habitation ; j’attache ma monture en dehors et j’entre pour demander quelques rafraîchissements. Je traverse la première salle sans rencontrer personne... Une porte était entr’ouverte : j’entre avec précaution, dominé par je ne sais quel sentiment : mon premier regard rencontre une jeune femme couronnant un buste de fleurs : c’était l’ange qui veille sur ma destinée, souriant à l’image de mon père. Un bruit de chevaux me fit ressouvenir que les gens de ma suite allaient nous surprendre. Je n’eus que le temps de fléchir le genou devant l’image auguste et de baiser une main généreuse. Je m’élançai à cheval avant qu’aucun regard fut venu profaner le sanctuaire où la plus noble des femmes couronnait en présence d’un orphelin, qui fut le Roi de Rome, le front de Napoléon.|90}}
Honneur à celle qui, inaccessible aux passions du présent, a jugé l’ennemi de sa famille comme le jugera la postérité !... Mais comment avez-vous fait pour deviner que je viendrais là ? Après tout, je suis bien simple de m’étonner : ne tenez-vous pas le fil mystérieux qui me conduit ? Je vous sens venir sans vous voir, et vous me devinez quand je souffre... Oh ! dites-le moi, car vous devez le savoir, y aurait-il autre chose à inscrire sur ma tombe que deux dates à côté d’un nom ? Hélas ! quant à mes titres, la fortune, en gravant le second sur le premier, a tellement mêlé les caractères, que l’histoire elle-même les confondra. Rome, Reichstadt, quel contraste ! quelle confusion !... Ayez compassion, mais ne riez pas de mes folies ! Quand j’écris la première lettre de mon duché, je suis toujours tenté d’achever le nom de mon royaume éphémère.
Puissiez-vous trouver quelque chose de généreux jusque dans mes superstitions ! Placé si près d’un astre lumineux, comment me résigner à n’être qu’une tache sur son disque ?


N’est-ce point ainsi que doit penser et écrire un prince français ? Il ne dément point les illusions de ceux qui espèrent en lui. Mais, puisqu’il est mort, on prouve par ces lettres qu’il n’a point démérité de son père ni de sa race. Il est demeuré un Napoléonide fidèle aux testaments de Sainte-Hélène. « L’Autriche n’est que ma nourrice, la France est ma mère. » Et l’Empereur mourant n’a-t-il point écrit : « Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est né prince français » ? C’est cette recommandation que la Légende, pieusement, lui fait exécuter dans l’apocryphe. Mais cela ne suffit point. Il lui faut encore démontrer pourquoi le duc n’a jamais fait acte de prince français, comment on l’a annihilé. Pour ce qu’imagine-t-elle ? Des lettres hagardes et désordonnées, écrites sous l’empire d’un trouble moral qui touche au désespoir furieux et à l’hallucination. Voilà où les criminelles manœuvres de Metternich ont conduit le prisonnier ! Et pour attester de cet empoisonnement moral, J.- M. Chopin fait délibérément écrire au duc de Reichstadt, le morceau de littérature politique et romantique que voici :


Vous me promettez de brûler cette lettre après l’avoir lue... Mais pourquoi cette recommandation ? Vous l’auriez fait de vous-même, j’en suis sûr. Si le contenu ne regardait que moi, ma prière serait moins pressante. Lisez et ne vous étonnez plus du progrès rapide du mal qui me mine.
{{taille|Il y a déjà quelque temps, j’avais remarqué, dans le service des jardins de Schoënbrunn, un homme qui se trouvait presque toujours sur mon passage quand je me promenais seul. Sa taille était au-dessus de la moyenne ; ses mouvements, sans être lents, semblaient obéir au rythme militaire ; une magnifique blessure partageait son front, et complétait l’aspect martial de cette mâle figure. Cet homme m’attirait sans que je pusse en démêler la cause. La première fois que je voulus lui parler, j’étais avec le comte Dietrichstein ; il porta la main à son oreille et me fit de la tête un signe qui voulait dire, je suis sourd.|90}}
Nous continuâmes notre promenade, et comme je me retournai pour l’examiner encore, je le vis agenouillé sur une plate-bande pour arracher quelques herbes ; mais dès qu’il s’aperçut de mon mouvement, il porta rapidement l’index à ses yeux, sans doute pour me faire comprendre que, s’il avait perdu l’ouïe, il avait la vue bonne.
Vous savez qu’à force de précautions, on m’a rendu circonspect, j’allais dire méfiant. Je me dis en moi-même : « Oh ! cet homme est là pour m’épier, ou il espère m’être utile. Dans l’un ou l’autre cas, je dois m’abstenir de tous rapports avec lui ; c’est mon intérêt, s’il me trompe ; c’est le sien, si son dévouement est réel. »
Un soir que le docteur parlait d’un air animé au prince de Metternich, je remarquai que le jardinier écoutait attentivement leur conversation. On ne se méfiait pas plus de lui à Schoënbrunn qu’on ne le ferait d’un animal domestique. Je n’avais pas même la ressource de connaître son nom ; à quoi servirait-il à un sourd d’en avoir un ? Plus tard seulement j’appris qu’il s’appelait Pierre. J’étais sûr qu’il ne m’avait point aperçu ; je passai et je repassai plusieurs fois sans avoir l’air de faire attention à lui : enfin je le vis qui passait le râteau sur une allée vers laquelle je me dirigeai ; puis il arrosa profondément les abords de l’endroit où il s’était arrêté, excepté d’un seul côté, celui-là même qui se trouvait sur mon chemin.
Je m’approchai lorsqu’il fut à quelque distance, et je distinguai des caractères tracés sur le sable. Ma curiosité était fortement excitée : je lus ces mots en français : Un diplomate et un médecin, c’est trop de moitié.
Le prince était déjà tout près de nous, que j’étais encore à rêver sur le sens de ces caractères énigmatiques ; je m’approchai comme pour le saluer en bouleversant avec mon pied la dépêche du vétéran.
{{taille| Je ne sais si le prince avait eu soupçon de quelque chose, où si la prudence arrêta la démarche du balafré ; toujours est-il que depuis ce temps il paraissait aussi soucieux de m’éviter, qu’il s’était montré ingénieux à multiplier nos rencontres.|90}}
Il y a environ trois semaines, je le vis occupé à planter quelques boutures : je l’abordai d’un air indifférent ; il feignit de son côté de ne pas s’apercevoir que j’étais là. Jamais je n’oublierai cette scène : il assujettissait un tuteur pour protéger un jeune laurier... ce rapprochement allégorique m’émut profondément, j’oubliai son infirmité et je lui dis en français :
─ Pierre, croyez-vous que ce jeune arbrisseau réussisse ?
— Oui, sire, me répondit-il pourvu que les insectes n’en dévorent pas la racine.
À ce mot sire, je crus que le sang allait jaillir de mon front.
─ Comment attacherez-vous l’élève au tuteur ? poursuivis-je.
Il tira de son sein une attache ; c’était un ruban rouge ; la croix d’honneur y était suspendue.
— Celui-ci ne déteindra pas, continua-t-il d’un ton solennel. Votre père l’a attaché sur ma poitrine à Waterloo...
─ Tais-toi, si tu m’aimes, m’écriai-je.
La figure de cet homme avait pris une expression sublime.
Je crus voir le génie de la France, la personnification de l’honneur dans ce soldat dévoué... J’oubliai tout... et nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre.
{{taille|— Fils de mon Empereur, murmura-t-il en sanglotant, que faites-vous sur cette terre ennemie ? Ne voyez-vous pas qu’ils vous tueront ? Ignorez-vous ce qui se passe en France ? Les Bourbons sont chassés ; la branche cadette chancelle sur le trône ; montrez-vous, c’est assez de votre nom.|90}}
Je tremblai de saisissement ; un frisson de gloire parcourut mes veines... tout à coup un léger bruit se fit entendre. Pierre leva la tête avec fierté, sa main semblait chercher une arme absente.
─ Sire, dit-il enfin, dans huit jours, à minuit, à la même place, je retrouverai le fils de Napoléon, ou je dirai adieu à un archiduc d’Autriche.
C’en était trop, la fièvre m’a repris le même soir... je veux tout vous dire, car vous m’approuverez ou vous m’excuserez... ma misérable nature me fait défaut maintenant que ma résolution est prise ; la fatalité est sur moi : le sacrifice de mon père sera complet.
Je serais mort plutôt mille fois que de manquer au rendez-vous : je dis au médecin que je me sentais mieux, et qu’une promenade à cheval me ferait du bien. Je rentrai tard à Schoënbrunn après avoir distancé mes gens. On me croyait rentré. Je m’enfonçai dans le parc.
Minuit sonnait ; oubliant ma faiblesse, j’enfonçai l’éperon dans le flanc de mon cheval, et le dernier coup de l’horloge retentissait lorsque j’arrivai au lieu indiqué.
{{taille|D’abord je ne vis personne ; la lune qui paraissait par intervalles, projetait l’ombre des massifs dans les allées, et changeait tellement l’aspect du parc que j’avais peine à me reconnaître. Un doute involontaire traversa mon esprit... Enfin, au détour d’une allée, j’aperçus un homme armé portant l’uniforme des grenadiers de la vieille garde[20]. Il me fit le salut militaire avec l’allure d’un homme qui a longtemps triomphé. La croix de la Légion d’honneur brillait sur sa poitrine et trois chevrons blasonnaient son bras.|90}}
— Sire, me dit-il d’une voix ferme, que dirai-je de votre part à ceux qui vous attendent ?
L’idée que je pourrais commander de tels hommes, la réalisation de tous mes rêves, la dette de la gloire que m’a léguée mon père, et pour tout dire, l’horreur indicible que j’ai au cœur de mourir en prison, toutes ces idées, tous ces sentiments confus traversèrent à la fois mon esprit... Mes yeux s’obscurcirent et je tombai sans connaissance[21].
Quand je revins à moi, j’étais dans mon lit ; je démêlai dans le regard de ceux qui me soignaient un redoublement d’inquiétude. Enfin, j’entendis votre voix dans une chambre voisine. J’allais demander qu’on vous fit entrer ; mais j’étais si faible que je retombai en défaillance.
Aucun de ceux qui m’entourent ne m’a parlé de la scène du parc... Était-ce un songe, un pressentiment que je vais bientôt rejoindre mon père ? Ma tête se perd... Par pitié, laissez-moi mon illusion ; ne me dites pas que j’étais en délire quand j’entendis le vieux soldat m’appeler sire !
{{taille|Je me retrouve dans un état indéfinissable, à une faiblesse extrême succède tout à coup une exaltation fébrile qui ressemble à un délire suivi. Ceux qui m’entourent semblent n’avoir soin que de mon corps ; ils ne savent pas ou ils feignent d’ignorer que le mal de l’âme a réagi sur l’enveloppe, et que chacune de mes douleurs physiques répond à une souffrance analogue de ma nature morale.|90}}
L’inutilité de mon traitement me décourage ; je sens que la vie m’échappe, je souhaite même d’abréger les tourments de l’épreuve ; et l’instant d’après je lutte avec une sorte de désespoir contre l’idée de la destruction ; je voudrais concentrer toutes les puissances de mon être matériel dans la plénitude d’un sentiment vif. Il me semble que l’agonie du fils de l’Empereur doit se terminer par un cri et non par un soupir.
Mais à qui pourrais-je communiquer ces derniers rêves d’un mourant ? Je retrouve jusque dans la sollicitude dont je suis l’objet, la mesure d’un dévouement vulgaire. J’ai été tyrannisé toute ma vie ; aujourd’hui les docteurs de la Faculté ont remplacé Metternich.
Ils savent bien qu’ils me tourmentent en pure perte, et, au lieu de laisser la nature achever son œuvre, ils gâtent par leurs prescriptions, les moments de répit qu’elle me laisserait. Mais ils ne connaissent pas toutes les ruses d’un mourant : quand je veux leur échapper, je leur laisse croire que je repose, et je profite de la solitude pour réfléchir sur le double mystère de la vie et de la mort dont je vais trouver le secret dans le sein de Dieu ; mais plus souvent, je l’avoue, j’aime à me replier sur moi-même et à faire le compte de mes courtes joies dans la vie de contrainte qui m’a été faite. C’est vous dire qu’après avoir été mon guide et ma force quand je sentais bouillonner dans mon sein la sève de ma jeunesse, vous êtes encore ma consolation, à présent, qu’à défaut d’espérances, je n’ai plus qu’à me réfugier dans mes souvenirs.


Ainsi, comment la France ne pleurerait-elle point le Jeune Homme animé de si nobles sentiments ? Comment ne vouerait-elle pas les autels de son cœur à son beau souvenir ? Doit-elle ne pas gémir sur ce mal funeste qui l’empêcha de souscrire au vœu de Pierre, le jardinier grognard de Schoënbrunn ? C’est à ces touchantes et naïves ruses que la légende fait appel après la mort du prince. De son vivant elle a employé l’apocryphe en d’autres circonstances, mais surtout à l’époque de la révolution de 1830. L’espoir napoléonien, trahi dans ses vœux par l’avènement de Louis-Philippe au trône, n’a cependant point abdiqué. Ainsi, pour attester des sentiments nationaux et français du duc de Reichstadt, fait-on paraître un canard grossier, de mauvais papier, mais peu coûteux, qui ira, dans les départements, dans les greniers et les chaumières, aux casernes et aux faubourgs, apprendre que le prisonnier ne désire qu’une chose : entrer dans la brave et valeureuse armée française délivrée de la tyrannie des Bourbons. C’est du double titre de sa curiosité et de sa rareté que se réclame la pièce pour être donnée ici :


{{c|{{taille|{{sct| LETTRE DE NAPOLÉON-FRANÇOIS}}|90}}

À SA MAJESTÉ LOUIS-PHILIPPE Ier

ROI DES FRANÇAIS}}

Relative à l’opinion de ce jeune prince touchant les affaires de la France et son désir de faire partie d’un régiment de cavalerie.

  Sire,

Fils d’un héros d’illustre mémoire, dont le nom seul faisait trembler l’Europe, je semblais par ma naissance être appelé à de hautes destinées, aussi mon père s’en occupa-t-il sérieusement. Il me destina au trône ; et comme ce grand homme avait pour but la civilisation du monde, ses regards pour m’introniser se fixèrent naturellement sur Rome, dont l’antique splendeur avait été effacée par la domination d’apôtres des ténèbres : il disait avec un grand citoyen du siècle passé (Voltaire), dans cette grande cité où brillèrent jadis du plus grand éclat et la valeur et les talents :

Plus de héros, plus de grand homme,
Chez ce peuple de conquérants,
Il est un Pape et plus de Rome.

{{taille|L’Empereur Napoléon avait conçu l’espoir de voir renaître en moi, avec son aide, un des plus grands citoyens qui aient illustré la France ; mais une foule de Rois, jaloux de sa gloire, tremblants et vaincus cent fois par lui, ne pouvant briser sa noble épée, séduisirent quelques-uns de ses généraux : l’or de ces rois transforma en traîtres, ceux qui lui devaient tout. Bourmont et Raguse, entr’autres, furent ceux qui concoururent le plus à sa perte : leur remords et le sort fatal qui les poursuit, sont le châtiment anticipé dû à leur crime. Et quand nos malheureuses armées, dirigées par eux à contresens, succombèrent, l’Empereur et sa famille furent détrônés et bannis.|90}}
Ces insignes trahisons, bien plus que la perte du trône, navrèrent de douleur le héros d’Austerlitz ; aussi l’exprima-t-il sincèrement, lorsque sur le vaisseau qui le porta à Sainte-Hélène, commençant à perdre de vue la terre de France, il ôta son chapeau, et tournant ses regards vers le rivage français, il s’écria d’une voix émue : Ô France, ô ma patrie, reçois mes derniers adieux ; quelques traîtres de moins et tu serais encore la grande nation, la reine du monde.
Quelques années après, il expira dans les supplices inouïs que lui firent subir les sicaires anglais.
Alors, la branche aînée des Bourbons se crut tellement sûre de son maintien au trône, qu’elle se porta à tous les excès possibles dans la violation des lois ; mais les trois journées de juillet lui apprirent qu’on ne se joue pas impunément des lois et des libertés du peuple français.
{{taille|Sire, le ciel qui veille aux destinées de la France, a donné à cette grande nation, dans la personne de Votre Majesté, un gage assuré de son amour. Après les glorieuses journées de juillet, la France sans chef, livrée à elle-même, devenait en proie à la guerre civile. Divisée par la fureur des partis, sans aucuns préparatifs pour soutenir une guerre d’invasion, la France aurait été inévitablement envahie par les armées des rois étrangers qui s’en seraient partagés[sic] les provinces. Dans cette crise difficile, elle a tourné ses regards vers Votre Majesté pour remettre entre ses mains sa destinée et le soin de son bonheur. Exempte d’ambition, indépendante, heureuse dans sa vie privée, et au sein de sa famille, et surtout libre de l’énorme poids de la couronne, Votre Majesté, voyant la patrie en danger, n’a pas hésité à faire le sacrifice de sa félicité pour préserver la France des maux qui la menaçaient : la paix, cette source infaillible de la prospérité de toutes les nations, était le premier besoin de la France, et Votre Majesté, dans cette grave circonstance a su la maintenir avec honneur.|90}}
Mais si, malgré les soins de Votre Majesté pour le maintien de la paix, une injuste agression du dehors la forçait à la guerre, alors la France entière se lèverait toute armée comme par enchantement ; et conduite à la gloire par le héros de Jemmapes et de Valmy, tomberait sur ses ennemis comme la foudre, et ne laisserait chez eux que des traces sanglantes de leur affront.
C’est dans ces sentiments, sire, que je ne cesse de former les vœux les plus ardents pour le bonheur de la France et la perpétuité du règne de votre dynastie, et que j’ai l’honneur d’être,
Sire, de Votre Majesté,
   le très affectionné,

François-Napoléon.

{{c|{{sm|Se vend chez Garson, éditeur, rue des Boucheries-Saint-Germain, n° 57, à Paris<ref> Il existe de cette lettre plusieurs éditions, notamment une de Bordeaux, imprimerie Peletingeas, et une autre de Bar-le-Duc, imprimerie de Pigault d’Olincourt ; la première de 1832, la seconde de 1833, toutes deux in-4o, 4 pages. Elle a été réimprimée sous divers titres : Discours du duc de Reichstadt avant sa mort à S. M. Louis-Philippe ; Draguignan, imprimerie de Bernard ; 1833, in-4o ; Lettre de Napoléon François, ex-roi de Rome, relative à son désir de venir tirer le sort à Paris ou d’y contracter un engagement volontaire ; Chartres, imprimerie de Labalte ; 1833, in-4o ; Lettre de feu Napoléon-François, relative au désir qu’il avait de faire partie d’un régiment de cavalerie ; Paris, imprimerie de Garson ; 1834, in-folio. ─ Cf. sur ces éditions, Gustave Davois, Les Bonaparte littérateurs ; essai bibliographique ; Paris, 1909, in-8o, p. 7.</ref>.}}}}


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Ce ne sont que des bribes, des échos, presque rien, et c’est de là que sort la Légende ; c’est de là qu’elle s’érige et se hausse, faite de foi, d’amour et de ferveur, et se trompant elle-même en ce qu’elle peut offrir de factice et de mensonger. Et qu’importe ? De ces illusions les Fidèles ne se sont-ils pas consolés jusqu’à la mort du Fils de celui qui, comme un soleil moribond, s’était enfoncé dans la nuit des tropiques ?

  1. Le « doyen des rois » devait tromper l’espoir de Barthélemy, pendant quelques années encore. On sait que l’Empereur d’Autriche ne mourut qu’en 1835.
  2. Le mot tricolore avait paru trop séditieux à l’imprimeur du Fils de l’Homme. « Ce vers reste suspendu, dit M. l’avocat du Roi ; mais il n’est pas, certes, difficile de le compléter. » Procès du « Fils de l’Homme », avec la défense en vers prononcée à l’audience du 29 juillet 1829... ; déjà cit., p. 19.
  3. Déjà, avant la publication de son poème, Barthélemy évoquait l’idée de cette Sainte-Hélène morale. À peine revenu de Vienne, le 20 février 1829, il publiait dans le journal Le Voleur, un article sur le duc de Reichstadt, où il écrivait : « Il est grand, élancé, mais l’effet d’un marasme précoce amaigrit trop sa taille et prive ses formes de la grâce du contour. Jeune infortuné ! Il ne respire pas aussi à l’aise que le dernier des sujets de son aïeul ; il est emprisonné dans une Sainte-Hélène morale. » Cité par Jules Garson, Les Créateurs de la légende napoléonienne... ; déjà cit., p. 39.
  4. M. de Montbel, Le Duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 154.
  5. Franc-Lecomte (de la Marne), Histoire de Napoléon II... ; déjà cit., pp. 136, 137.
  6. Les documents que nous publions ici sont inédits et tirés des cartons de la Police Générale aux Archives nationales. Ils nous sont aimablement communiqués par notre excellent confrère et ami, M. Pierre Gaumy.
  7. Cf. particulièrement Le Roi de Rome... ; déjà cit., pp. 314, 315, 316.
  8. Mélanges curieux et anecdotiques tirés d’une collection de lettres autographes et de documents historiques ayant appartenu à M. Fossé-Darcosse, conseiller référendaire à la Cour des comptes, publiés avec les notes du collecteur, et précédés d’une notice, par M. Charles Asselineau ; Paris, 1861, in-8°, pièce n° 912, p. 376.
  9. Archives nationales, série F7, carton 6706. — Henri Welschinger, Le Roi de Rome... ; déjà cit., pp. 315, 316.
  10. « À Ploërmel, on vend jusqu’à des bretelles avec l’image de Napoléon II. » Henri Welschinger, Le Roi de Rome... ; déjà cit., p. 315.
  11. L’article VIII de la loi du 31 mars 1820 spécifiait : « Nul dessin imprimé, gravé ou lithographié ne pourra être publié, exposé, distribué ou mis en vente, sans l’autorisation préalable du gouvernement. Ceux qui contreviendraient à cette disposition seront punis des peines portées à l’article V de la présente loi. » Voici les peines prévues par cet article V : « Tout propriétaire ou éditeur responsable qui aurait fait imprimer ou distribuer une feuille ou une livraison de journal ou un écrit périodique sans l’avoir communiqué au censeur avant l’impression, ou qui aurait inséré dans l’une des dites feuilles ou livraisons un article non communiqué ou non approuvé, sera puni correctionnellement d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de deux cents francs à douze cents francs, sans préjudice des poursuites auxquelles pourrait donner lieu le contenu de ces feuilles, livraisons et articles. » Bulletin des lois, n° 356, 31 mars 1820, p. 386. ─ Quant à l’article XII du titre III de la loi du 1er avril 1820, il était ainsi rédigé : « L’autorisation préalable exigée par l’article VIII de la loi du 31 mars 1820, pour la publication, exposition, distribution ou mise en vente de tout dessin ou estampe, gravé ou lithographié, qui à l’avenir sera déposé conformément à l’article VIII de notre ordonnance du 24 octobre 1814, sera accordée, s’il y a lieu, en même temps que le récépissé mentionné en l’article IX de la dite ordonnance. Toute autorisation accordée sera insérée au Journal de la Librairie. » Bulletin des lois, n° 358, 1er avril 1820, p. 409.
  12. Voyez sur lui notre volume Napoléon adultère ; Paris, 1909, in-18°, p. 240.
  13. La lettre du baron Mounier n’existe qu’en minute non signée dans le dossier de l’affaire.
  14. En minute non datée ni signée dans le dossier.
  15. Cf. Catalogue des ouvrages condamnés depuis 1814 jusqu’à ce jour (1er septembre 1827) suivi du texte des jugements et arrêts insérés au Moniteur ; Paris, 1827, in-32°.
  16. Catalogue des écrits, gravures et dessins condamnés depuis 1814 jusqu’au 1er janvier 1850, suivi de la liste des individus condamnés pour délits de presse ; Paris, 1850, in-18°, p. 17.
  17. Charles Nauroy, Les Secrets des Bonaparte ; Paris, 1889, in-18°, p. 88.
  18. Ce vers de M. Edmond Rostand vise incontestablement M. Frédéric Masson et les critiques formulées par l’historien, sur L’Aiglon, dans la Revue de Paris, du 1er avril 1900. M. Frédéric Masson, au surplus, ne s’y est point trompé, et a, spirituellement, relevé le trait de son confrère de l’Académie. « Au moment, écrit-il, où M. Edmond Rostand fit, avec le succès que l’on sait, représenter L’Aiglon au théâtre Sarah Bernhardt, on me demanda de la Revue de Paris, une opinion sur Le Fils de l’Homme. Je la donnai sans malice, me rendant mal compte, quoi qu’eût dit le vates antique, de l’irritabilité des poètes. Je croyais en vérité avoir été poli et même élogieux ; on me fit savoir, en vers, que je n’étais qu’un « vain paperassier ». Je me doutais de « paperassier » ; « vain » est dur, mais ici, vrai ; car je m’étais trompé sur un point qui me semble d’importance. » Suit l’explication de l’erreur que nous avons discuté plus haut, p. 123 et suivantes. Cf. Frédéric Masson, Jadis et aujourd’hui ; deuxième série ; p. 25.
  19. On trouvera notre enquête dans Le Gaulois du 5-6 octobre 1907. M. Albert Vandal nous avait prié de ne l’y point nommer. Nous n’avons plus aujourd’hui les mêmes raisons pour observer une discrétion à laquelle l’évocateur du Coup d’État de brumaire n’a rien à gagner.
  20. On sait que M. Edmond Rostand a mis ce détail à profit dans son drame L’Aiglon.
  21. Est-il utile de souligner ici la manière à la fois simple et experte dont use J.-M. Chopin pour s’éviter de faire répondre le duc de Reichstadt ?