Le Roi de Thulé (trad. Nerval)

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Der König in Thule.

Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 339).
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LE ROI DE THULÉ


Ballade.


Il était un roi de Thulé qui fut fidèle jusqu’au tombeau, et à qui son amie mourante fit présent d’une coupe d’or.

Cette coupe ne le quitta plus ; il s’en servait à tous ses repas, et, chaque fois qu’il y buvait, ses yeux s’humectaient de larmes.

Et, lorsqu’il sentit son heure approcher, il compta ses villes, ses trésors, et les abandonna à ses héritiers, mais il garda sa coupe chérie.

Il s’assit à sa table royale, entouré de ses chevaliers, dans la salle antique d’un palais que baignait la mer.

Ensuite il se leva, vida le vase sacré pour la dernière fois, et puis le lança dans les ondes.

Il le vit tomber, s’emplir, disparaître, et ses yeux s’éteignirent soudain… Et, depuis, il ne but plus une goutte !




 
Il était un roi de Thulé
À qui son amante fidèle
Légua, comme souvenir d’elle,
Une coupe d’or ciselé.

C’était un trésor plein de charmes
Où son amour se conservait :
À chaque fois qu’il y buvait
Ses yeux se remplissaient de larmes.

Voyant ses derniers jours venir,
Il divisa son héritage
Mais il excepta du partage
La coupe, son cher souvenir.

Il fit à la table royale
Asseoir les barons dans sa tour ;
Debout et rangée alentour,
Brillait sa noblesse loyale.

Sous le balcon grondait la mer.
Le vieux roi se lève en silence,
Il boit, — frissonne, et sa main lance
La coupe d’or au flot amer !

Il la vit tourner dans l’eau noire,
La vague en s’ouvrant fit un pli,
Le roi pencha son front pâli…
Jamais on ne le vit plus boire.