Le Roi des aventuriers/04

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L’Édition populaire (p. 40-54).

Surprises.


Le lendemain matin, le chevalier d’Arsac s’éveilla gai comme un pinson, affamé comme un lion.

Il se souvint qu’il n’avait pas soupé la veille et qu’il avait à peine dîné.

— Bast ! se dit-il, la dame de céans m’aura vraisemblablement préparé un petit déjeuner tout à fait choisi.

Il se leva.

Un joyeux rayon de soleil illuminait les fenêtres. La tempête de la veille avait balayé le ciel qui apparaissait d’un azur limpide.

Le chevalier se sentait frais et dispos. Il avait faim, mais il avait aussi soif de grand air, d’espace, d’infini…

Il avait hâte de monter à cheval.

Il se livra à ses ablutions, puis ayant chaussé ses bottes, fait résonner ses éperons et pris ses armes, il sortit, tout équipé, de sa chambre.

Il heurta dans l’escalier un policeman effaré :

— Qu’y a-t-il donc ? demanda-t-il.

Mlle  Montluc a disparu !

— Disparu !

— Oui. Tout fait présumer qu’on l’a enlevée cette nuit. Une fenêtre ouvrant sur la campagne a été enfoncée. Nous avons trouvé contre le mur ane échelle.

— Et vous n’avez rien entendu, la nuit ?

— Rien. Nous ne nous attendions pas à une telle audace ! Les bandits ont pénétré par cette fenêtre de l’étage. Sans bruit, ils se seront dirigés vers la chambre éclairée où Mlle Montluc veillait le défunt. Il y aura eu une lutte rapide, comme le prouve une chaise renversée, un tapis piétiné. Puis, ils auront bâillonné leur victime et auront fui. À quelque distance d’ici nous avons trouvé l’empreinte toute fraîche des pas de chevaux… huit chevaux… les ravisseurs ont fui, dans la campagne, vers l’ouest.

— Est-on sur leur piste ? Les poursuit-on ?…

— Nous attendons des ordres spéciaux.

— Et pendant ce temps les ravisseurs gagnent du terrain…

Et, sans dire plus, le chevalier d’Arsac descendit au rez-de-chaussée, où il rencontra la femme de chambre :

— Ne perdons pas la tête ! lui dit-il. Dans cinq minutes je serai sur la piste des ravisseurs. Pouvez-vous me servir un rapide déjeûner et m’amener mon cheval.

— Oui, mister.

— Appelez-moi monsieur le Comte, tout court, ce mister m’énerve, et servez-moi vite.

— Oui, monsieur le comte.

Le chevalier avala le déjeuner qu’on lui présentait avec une rapidité et un appétit dignes de Gargantua ; puis, se levant, il courut à l’écurie, sella lui-même son cheval et, ayant demandé quelques renseignements aux policemen sur la route suivie par les ravisseurs il partit au galop.

— Si l’on attend pour agir les décisions officielles, pensait-il, Mlle Montluc risque fort d’être tuée une douzaine de fois au moins.

À peu de distance de l’habitation, il aperçut les traces de pas qu’avaient signalées les policemen. Il lui fut aisé de les suivre : la terre humide avait gardé toutes les empreintes.

— Il y avait bien huit chevaux, remarqua d’Arsac. Trois hommes sont descendus et ont enlevé Mlle Montluc. Les autres attendaient. La terre a été piétinée par les bêtes. Ici les chevaux sont partis au trot, dans la direction de l’ouest… puis, vers le nord… Les ravisseurs ont voulu dépister les poursuivants sans doute…

D’Arsac chevaucha toute la matinée. Parfois les empreintes indicatrices disparaissaient, pour réapparaître à une assez grande distance. Puis tout à coup, elles disparurent.

Le chevalier prit l’endroit où les traces s’arrêtaient comme centre d’un cercle d’investigation et il fut assez heureux pour retrouver les pas des huit chevaux, qui cette fois avaient repris la direction de l’ouest.

— Je comprends, se dit d’Arsac. Les bandits se sont d’abord dirigés vers l’ouest ; puis l’un d’eux aura fait remarquer aux autres la nécessité de nous dépister. Ils ont obliqué vers le nord pendant deux heures et ont enfin repris leur bonne direction après avoir dissimulé leur passage en effaçant leurs traces… Hé ! hé ! que vois-je !… un mouchoir de batiste… avec initiales : M. M. Montluc… c’est un indice laissé par la belle captive… ceci indiqué qu’elle avait repris ses sens et qu’on lui avait laissé la liberté de ses mouvements. Mais qui sont donc ces hommes qui enlèvent une orpheline ?… Dans quel but ?… Nous le saurons bientôt, espérons-le.

Hélas ! le chevalier d’Arsac se faisait des illusions quant à la durée de su poursuite. Deux jours s’écoulèrent sans qu’il aperçût les fuyards.

Il commençait à avoir certaines craintes d’un ordre tout matériel : à mesure que la route qu’il suivait s’allongeait, sa bourse diminuait à vue d’œil… et nous savons qu’il n’avait pas fait fortune.

— Mordious ! se dit-il un beau soir en constatant qu’il ne lui restait plus que quelques dollars, si cette chasse continue, je me verrai obligé de manger mon cheval et de continuer ma poursuite au pas de course, ce qui serait peu honorable pour un chevalier qui descend de Bayard en ligne directe. Voilà cinq ans que je tire le diable par la queue… si longue que soit cette queue il arrivera un moment où le bout me restera dans les mains.

Bien que les habitations fussent rares, d’Arsac parvenait tant bien que mal à se ravitailler en route. Il en profitait pour demander des renseignements. Il apprit ainsi : qu’une troupe de cavaliers parmi lesquels se trouvait une jeune fille voilée avaient longé le Lac Huron et avaient pris la direction du nord. Quelques jours après, il rencontra un Indien portant une chemise de cuir, des jambières et des mocassins. Son visage aux traits hardis et beaux était ornée de peintures.

— Voilà une tête qui me plaît, dans son genre, bien entendu, pensa le chevalier.

Il s’adressa à l’indigène :

— Dis donc, mon ami, n’as-tu pas vu passer huit cavaliers blancs ?

L’Indien continua à fumer son calumet avec majesté, sans daigner répondre :

— Il est au moins aussi fier qu’un Gascon, pensa d’Arsac. Et, tirant son chapeau en faisant une révérence digne du grand siècle, il renouvela sa question en anglais.

Tant bien que mal, l’Indien baragouina une réponse. Il avait vu huit Blancs et une femme, la veille au soir.

D’Arsac le remerçia et lui offrit une cigarette que l’Indien refusa.

— Je comprends, mon « der », répliqua d’Arsac, tu ne fumes que la pipe, chacun ses goûts, pas vrai ? Au revoir et tous mes respects chez toi !

L’Indien continua son chemin et le Gascon partit au galop.

Le pays s’ouvrait et s’aplanissait[rapidement ; c’était une succession de prairies parsemées de bouquets de peupliers du Canada et de chênes robougris.

La nuit vint avant que d’Arsac n’ait aperçu les fugitifs. Mais il avait découvert la trace de leurs chevaux et il était certain d’être sur la bonne voie. Après avoir frugalement soupé en prenant des réserves de son sac de voyage, il s’enveloppa dans son long manteau et s’endormit.

Le lendemain, il se remit en marche. En route, il tua un poulet de prairies et un canard. Il les embrocha et les fit cuire à la mode indienne. Il trouva le festin délicieux et il loua Dieu d’avoir eu la bonne idée de créer des poulets et des canards sauvages.

Ayant recouvré des forces, il repartit avec une nouvelle ardeur. Bientôt le pays devint plus accidenté, des montagnes apparurent à l’horizon.

Le chevalier s’engagea dans une de ces forêts dans lesquels les hommes n’ont percé qu’un chemin et que pour cette raison notre Gascon appelait assez judicieusement les « forêts demi-vierges », pour les distinguer de celles où, comme l’a dit non moins judicieusement un romancier universellement admiré, « la main de l’homme n’a jamais mis le pied ! »

Il avait fait un demi-mille à peine, lorsqu’il entendit le bruit des pas de plusieurs chevaux. Il éperonna son coursier qui, soit dit en passant, portait le nom héroïque et fort honorablement porté d’ailleurs de « Ajax ».

Ajax voulant, à l’instar de son maître, se montrer digne de ses bouillants et impétueux ancêtres, partit dans un galop effréné.

La route devenait de plus en plus accidentée et escaladait les montagnes boisées. Vers midi, le chevalier longeait un immense rocher à pic lorsque soudain deux coups de feu retentirent.

Ajax se cabra.

D’Arsac leva les yeux et aperçut des têtes humaines à la cime du rocher.

Pour éviter d’être atteint par une balle ennemie, il fit caracoler son cheval tout en avançant et en levant sa carabine. Un buste apparut : il fit feu. Un corps tomba, en pirouettant dans l’espace, et vint s’écraser sur le sol à deux pas du Gascon. Deux nouveaux coups de feu retentirent ; mais d’Arsac venait de découvrir une excavation dans le roc et y avait trouvé un refuge momentané. Il attendit l’attaque. Mais l’ennemi y avait renoncé sans doute, car le chevalier attendit vainement.

— Puisqu’ils ne viennent pas à moi, se dit-il, il faudra bien que j’aille à eux.

il laissa son cheval dans l’excavation et, avec prudence, il longea le roc. Puis, en ayant fait le tour, il le gravit en rampant, l’arme au poing, prêt à faire feu.

D’Arsac s’engagea assez avant dans la contrée ; mais il ne découvrit personne. Les ennemis avaient fui, sans doute, attendant une occasion meilleure de l’attaquer à l’improviste.

Il s’agissait de redoubler de prudence !

Le chevalier revint à l’endroit où il avait laissé son cheval et trouva Ajax qui l’attendait, bouillant d’impatiente suivant son habitude.

Le cadavre de l’homme tombé de la cime du roc gisait sur le chemin. D’Arsac se pencha vers lui et l’examina : l’étranger portait le costume des chasseurs de prairies.

D’Arsac le fouilla dans le but de trouver sur lui quelques indications : il ne trouva que des armes, des munitions, un sac contenant des provisions et une énorme bourse remplie de dollars !…

— Capédédious ! s’écria joyeusement le Gascon, cette fortune qui tombe du ciel ; c’est Dieu qui me l’envoie, pour en faire un saint usage et m’aider à protéger l’innocence.

Il ouvrit ensuite le sac de provisions et, comme il était plus de midi, il mangea à belles dents. Puis, ayant observé les alentours sans découvrir rien de suspect, il remonta à cheval et partit au galop, ce qui était peut-être le meilleur moyen d’éviter une balle.

Il chevauchait déjà depuis trois heures, lorsque soudain, il aperçut devant lui, à une assez grande distance, une troupe de cavaliers. Il les examina et distingua parmi eux une femme.

Enfin ! s’écria-t-il, joyeusement, ce sont nos ravisseurs ! Il va falloir en découdre. En avant.

Et il éperonna les flancs d’Ajax.

Les étrangers l’avaient aperçu et partirent au galop. Mais d’Arsac connaissait la valeur de son coursier et il acquis bientôt la certitude qu’il ne tarderait pas à rejoindre les fuyards. D’instant en instant, il se rapprochait d’eux. Il distinguait très bien maintenant la forme d’une jeune femme et il ne douta plus qu’il ne fût en présence des bandits qu’il poursuivait depuis plusieurs jours.

Il redoubla d’ardeur. Malgré la longue marche qu’il avait fournie déjà, Ajax filait comme une flèche.

Les fuyards arrivèrent dans une espèce de vaste clairière encaissée entre d’énormes rochers et des monts boisés. D’Arsac les vit s’engager dans un sombre défilé.

— Ils préparent une embuscade, pensa-t-il. De la prudence et de l’audace !

Et il s’arrêta un instant, le cou tendu sur l’encolure de sa monture.

À ce moment une clameur formidable réveilla les échos des forêts.

Et tout autour de lui, dans la vaste circonférence formée par la clairière au centre de laquelle il se trouvait, le chevalier d’Arsac vit s’agiter une multitude informe. Il lui sembla que chaque arbre, chaque buisson se mouvait et prenait forme humaine.

Il s’aperçut alors qu’il était entouré par une troupe de Peaux Rouges qu’il crut reconnaître pour appartenir à la terrible et sanguinaire tribu des Sioux.

— voilà l’embuscade attendue, le guet-apens préparé par mes ennemis, gronda-t-il entre les dents. Très vraisemblablement, mes bandits m’ont attendu et m’ont attiré jusqu’ici pour me réserver une surprise à leur façon, après une entente préalable avec leurs amis les Sioux. Ces bandits s’entendent entre eux, comme larrons en foire…

Il évalua approximativement le nombre de ses adversaires :

— Ils sont au moins quatre cents, sans compter ceux que je ne vois pas. C’est beaucoup pour un homme seul, cet homme fut-il brave comme le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac de Savignac !…

Notre Gascon avait de l’audace, mais il avait aussi de la prudence. Il chercha en même temps la meilleure position pour attaquer et se défendre et aussi une issue pour battre en retraite en cas de suprême nécessité.

Mais il s’aperçut bientôt que toute retraite lui était coupée. En effet, le cercle des Peaux-Rouges l’enveloppait entièrement et se resserrait peu à peu. Plus d’issue !

Le chevalier d’Arsac allait être pris dans un formidable étau humain qui allait se refermer sur lui et le broyer.

— L’heure de vaincre ou de mourir est arrivée ! se dit-il. Et comme je doute fort, malgré toute l’estime que j’ai de moi-même, que je réussisse à vaincre, il faut songer à mourir en vendant chèrement sa vie.

Soudain, un long et terrible, cri de guerre s’éleva de toutes parts. Les chefs Sioux donnaient le signal de l’attaque.

Une pluie de flèches s’abattit autour du chevalier.

Ajax se cabra en hennissant.

D’Arsac déchargea ses armes autour de lui. Des cris de rage s’élevèrent et les Peaux-Rouges s’avancèrent en rang serré.

— Pas moyen de reculer, gronda le chevalier, donc il faut avancer d’un côté ou de l’autre.

Il regarda autour de lui, tout en tirant. Retourner sur ses pas, était impossible ; devant lui s’ouvrait le sombre défilé par où avaient disparu les ravisseurs de Mlle Montluc.

Bien que cet étroit passage fut aussi gardé par les Sioux ce fut de ce côté que d’Arsac se décida d’avancer, avec l’espoir, avant de mourir, de tomber sur les bandits et de se venger.

Tous ces faits s’étaient déroulés dans l’espace de quelques secondes. D’Arsac était prompt dans ses décisions : il éperonna furieusement les flancs d’Ajax qui se cabra, puis bondit vers le défilé.

Les Peaux Rouges virent arriver sur eux un tourbillon furieux. Ils saisirent leurs haches ; mais déjà d’Arsac s’était frayé un passage au milieu d’eux, assommant, repoussant, refoulant les grappes humaines qui s’accrochaient aux rênes de son cheval.

Ajax passa dans un reflux sanglant et s’engagea en caracolant dans le sombre défilé, aussitôt poursuivi par une horde furieuse de Sioux.

D’Arsac entendit à nouveau les flèches siffler autour de lui.

— La fureur les empêche de viser posément, pensa-t-il.

Il est, en effet, un fait aussi bizarre qu’invraisemblable à constater dans les combats.

Des soldats qui se trouvent engagés au plus fort de la mêlée sortent miraculeusement indemnes de blessures, alors que certains de leurs compagnons, moins exposés qu’eux, sont tués. Pourquoi ? Hasard ? Providence ? Nul n’a jamais résolu ce problème. Mais des faits historiques, les exploits des grands capitaines de tous les temps attaqués par des ennemis supérieurs en nombre et sortant victorieux, sains et saufs, d’une tempête sanglante, d’une pluie de balles, sont là pour prouver la véracité, la réalité de cette invraisemblance.

Il en fut ainsi pour d’Arsac ; mais il n’en fut pas de même hélas ! pour le tempétueux Ajax qui criblé de flèches fléchit tout à coup et tomba sous son cavalier.

Après avoir été à deux doigts de la délivrance, notre Gascon se vit à nouveau perdu. Comment fuir devant des ennemis supérieurs en nombre et dont la plupart étaient montés sur des coursiers fougueux et frais ?

Déjà les cavaliers Sioux apparaissaient à l’entrée du défilé.

D’Arsac chercha un lieu propice pour soutenir le choc formidable qui allait le frapper. Il courut dans le défilé et aperçut un endroit où le sombre passage obliquait brusquement, derrière un rocher dont l’arête formait presque un angle droit, tandis que de l’autre côté de i’étroit chemin s’ouvrait un gouffre au fond duquel un torrent, roulait en grondant.

D’Arsac s’arrêta, prêt à mourir là, en luttant jusqu’au dernier souffle. Il s’arma et attendit derrière le rocher angulaire. Il avança la tête et aperçut les cavaliers Sioux qui arrivaient, à la file indienne, l’étroitesse du défilé ne permettant pas le passage de plus d’un homme à la fois.

Une idée héroïque, insensée, folle, germa dans le cerveau du Gascon. Il résolut d’arrêter là le flot ennemi qui bondissait vers lui. Et il songea à son ancêtre, le grand Bayard qui, seul avait défendu le pont du Garigliano contre deux cents cavaliers espagnols.

D’Arsac se dressa, débordant d’ardeur, sentant en lui se décupler des forces nouvelles, les yeux fulgurants, éblouis par une soudaine vision de gloire et d’apothéose fantastique. Et, dans un rugissement terrible qui était son cri de guerre à lui, il clama :

— Chevalier d’Arsac ! le moment est venu de te montrer digne de ta race.

À ce moment, tes premiers cavaliers indiens apparurent devant lui. La main gauche brandissant son revolver, la main droite manœuvrant sa carabine comme une massue, d’Arsac lira et frappa avec rage.

Les trois premiers ennemis tombèrent l’un derrière l’autre.

D’autres arrivèrent au galop et leur poussée fit glisser tes cadavres de leurs précédesseurs dans le gouffre qui s’ouvrait de l’autre côté du défilé, tandis qu’à leur tour ils s’abattaient sous les coups prodigieux et inattendus du chevalier. Et toujours de nouveaux indiens qui, à cause du tournant brusque du défilé formé par l’angle du roc derrière lequel se tenait leur ennemi, ne voyaient pas l’hécatombe des blessés, continuaient d’affluer sans cesse, les uns derrière les autres.

Et notre Gascon frappait sans relâche. Il s’était emparé d’une lourde hache d’une de ses victimes et frappait à tour de bras dans la multitude, tranchant les têtes qui apparaissaient, coupant les bras brandis vers lui, ouvrant les poitrines, éventrant, assommant, refoulant du pied dans le précipice les cadavres qui obstruaient le passage.

Il semblait qu’une folie furieuse, diabolique, s’était emparée de lui. Il frappait formidablement, au sein d’une masse confuse qui tourbillonnait autour de lui, comme un torrent furieux arrêté par un roc. il frappait toujours, aveuglé par les flots de sang qui giclait autour de lui, fou de rage et de colère, rugissant comme un lion, affolé d’ardeurs belliqueuses, emporté par une fièvre sanguinaire. Il frappait, implacable, inlassable, presque invisible dans cette masse informe qui venait se ruer et mourir autour de lui.

Cette lutte innommable, fantastique, réellement homérique dura jusqu’au moment où le dernier ennemi s’effondra sous le dernier coup du chevalier d’Arsac.

Alors, celui-ci poussa du pied les cadavres qui s’élevaient devant lui et il regarda enfin le champ de carnage.

La plupart des blessés et des morts avaient roulé dans le gouffre et des flots de sang rougissaient le torrent. Suivant son habitude, le chevalier d’Arsac évalua le nombre de ses victimes qui s’élevait approximativement à plus de trois cents.

— Il était temps que cela finit, dit-il en matière de conclusion, je commençais à être las… de les compter !