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Collantine (c’estoit le nom de la demoiselle chicaneuse) d’abord luy demanda à qui il en vouloit ; Charroselles la satisfit aussi-tost, et luy deduisit au long son procès. Quand il eut flny, pour luy rendre la pareille, il luy demanda qui estoit sa partie. Ma partie (dit-elle, faisant un grand cry), vrayement j’en ai un bon nombre. Comment (reprit-il) ! plaidez-vous contre une communauté, ou contre plusieurs personnes interessées en une mesme affaire ? Nenny dea (repliqua Collantine) ; c’est que j’ay toutes sortes de procès, et contre toutes sortes de personnes. Il est vray que celuy pour qui je viens maintenant icy contient une belle question de droit, et qui merite bien d’estre escoutée. Je n’ai acheté ce procès que cent escus, et si j’en ai des-ja retiré près de mille francs. Ces dernieres paroles furent entendues par un gentil-homme gascon, qui se trouva aussi dans le greffe. Il lui dit avec un grand jurement : Comment, vous donnez cent escus pour un procès ! j’en ay deux que je vous veux donner pour rien. Cela ne sera pas de refus (dit la demoiselle) ; je vous promets de les poursuivre ; il y aura bien du malheur si je n’en tire quelque chose. Et, pour donner plus d’authorité à son dire, elle luy voulut raconter quelqu’un de ses exploits. Or, c’estoit assez le faire que de continuer le discours qu’elle avoit commencé avant cette interruption. Il n’étoit gueres advancé quand le greffier sortit du greffe, apres lequel ce gascon courrut brusquement sans dire adieu. Elle auroit bien fait la mesme chose, si ce n’estoit qu’elle avoit l’esprit trop attaché à son recit. Aussi elle n’accusa point le gascon pour cela d’incivilité, car c’est l’usage du palais qu’on quitte souvent ainsi les premiers complimens et les conversations où on est le plus engagé. Charroselles eust aussi voulu suivre le greffier, mais Collantine le retint par son manteau pour continuer le recit de son procès, dont le sujet estoit assez plaisant, mais la longueur un peu ennuyeuse. Si j’estois de ces gens qui se nourrissent de romans, c’est à dire qui vivent des livres qu’ils vendent, j’aurois icy une belle occasion de grossir ce volume et de tromper un marchand qui l’acheteroit à la fueille. Comme je n’ay pas ce dessein, je veux passer sous silence cette conversation, et vous dire seulement que l’homme le plus complaisant ne presta jamais une plus longue audiance que fit Charroselles ; et, comme il croyoit en estre quitte, il fut tout estonné que la demoiselle se servit de la fin de ce procès pour faire une telle transition. Mais celuy-là n’est rien (ce dit-elle) au prix d’un autre que j’ay à l’edit70, sur une belle question de coustume, que je vous veux reciter, afin de sçavoir vostre sentiment ; je l’ay des-ja consultée à trois advocats, dont le premier m’a dit oüy, l’autre m’a dit non et le troisième il faut voir. Je me suis quelquefois mieux trouvée d’une consultation faite à un homme d’esprit et de bon sens (comme vous me paroissez) qu’à tous ces grands citeurs de code et d’indigeste. Cette petite flatterie dont il se sentit chatoüiller l’obligea de prester encore une semblable audience ; il trepignoit souvent des pieds, il faisoit beaucoup d’interruptions ; mais tout ainsi qu’un edifice au milieu de la riviere, apres en avoir divisé le cours, la fait aller avec plus d’impetuosité, de mesme ces interruptions ne faisoient qu’augmenter la violence du torrent des paroles de Collantine. Elle poussa son affaire et la patience de son auditeur à bout, et négligea mesme à la fin d’écouter l’advis qu’elle luy avoit demandé, pour se servir de la même fleur de rethorique dont elle s’estoit servie l’autre fois, et passer, sans estre interrompue, au recit d’une autre affaire. Mais une puissance superieure y pourvût, car la nuit vint, et fort obscure, de sorte qu’à son grand regret elle brisa là, et promit de conter le reste la premiere fois qu’elle auroit l’honneur de le voir. À son geste et à son regard parut assez son mécontentement ; sans doute que, dans son ame, elle dit plusieurs fois : Ô nuit, jalouse nuit71 ! et qu’elle fit contre elle des imprécations aussi fortes qu’un amant en fait contre l’aurore qui vient arracher sa maîtresse d’entre ses bras. Ses plaisirs donc se terminerent par cette necessaire separation ; ils ne laisserent pas de se faire quelques complimens, et de se promettre des services et des sollicitations reciproques en leurs affaires. Collantine, la plus ardente, fut la premiere à demander à Charroselles un placet pour donner à son rapporteur, auprès duquel elle disoit avoir une forte recommandation. Il lui en donna un avec joie, et luy offrit de luy rendre un pareil office s’il en trouvoit l’occasion. Elle la prit aux cheveux, et, tirant de sa poche une grosse liasse de placets differens, avec une liste generale des chambres du parlement, elle luy dit : Regardez si vous ne connoissez personne de ces messieurs. Il luy demanda en quelle chambre elle avoit affaire. Elle luy repondit : Il n’importe, car j’ay des procès en toutes. Charroselles prit la liste et l’examina à la lueur de la chandelle d’un marchand de la galerie. Il en remarqua deux qu’il dit estre de ses intimes amis, et qu’il gouvernoit absolument ; il en remarqua deux ou trois autres qu’il dit estre gouvernez par des gens de sa connoissance, et il ne manqua pas de se servir des termes ordinaires dont se servent ceux qui promettent de recommander des affaires : Je vous donnerai celuy-cy, je vous donnerai cet autre, et le tout avec la mesme asseurance que s’ils avoient les voix et les suffrages de ces messieurs dans leurs poches. Il prit donc de ces placets pour en donner et en faire tenir ; cependant il ne fit ny l’un ny l’autre, comme font plusieurs qui s’en chargent et qui s’en servent seulement à fournir leur garderobbe, ce qui est un pur larcin qu’ils font à celles des conseillers. Pour Charroselles, il estoit excusable d’en user ainsi, car il ne vouloit pas rompre le veu qu’il avoit fait de ne faire jamais de bien à personne.
Collantine ne fut pas encore satisfaite de ces offres si courtoises, car, en continuant dans le style ordinaire des plaideurs, qui vont rechercher des habitudes auprès des juges dans une longue suite de generations et jusqu’au dixième degré de parenté et d’alliance, elle demanda à Charroselles s’il ne luy pourroit point donner quelques adresses pour avoir de l’accès auprès de quelques autres conseillers. Il reprit donc la liste, et en trouva beaucoup où il luy pourroit donner satisfaction, et entr’autres, luy en marquant un avec son ongle, il luy dit : Je connais assez le secrétaire du secrétaire de celuy-là ; je puis par son moyen faire recommander vostre procès au maistre secrétaire, et par le maistre secrétaire à monsieur le conseiller. Ce n’est pas (répondit-elle) la pire habitude qu’on y puisse avoir. Il luy dit encore, en lui en marquant un autre : Ma belle-sœur a tenu un enfant du fils aîné de la nourrice-de celuy-là, chez lequel elle est cuisiniere ; je puis luy faire tenir un placet par cette voye. Cela ne sera pas à negliger (reprit Collantine) ; il arrive assez souvent que nous nous laissons gouverner par nos valets plus puissamment que par des parents ou des personnes de qualité. Mais, à propos, ne connoistrez vous point quelque chasseur, car j’ay affaire à un homme qui aime grandement la chasse ; de chasseur à chasseur il n’y a que la main : si j’en sçavois quelqu’un, je le prirois de luy en parler quand il seroit avec luy à la campagne. Je craindrois (luy dit Charroselles, qui vouloit faire le bel esprit), une telle sollicitation, et qu’on ne lui en parlast qu’en courant et à travers les champs. C’est tout un (repliqua la chicaneuse) ; cela fait tousjours quelque impression sur l’esprit ; et, avec la mesme importunité, elle luy en designa un autre de la faveur duquel elle avoit besoin. Pour celuy-là (luy dit-il), c’est un homme fort devot ; si vous connoissez quelqu’un aux Carmes deschaussez, vostre affaire est dans le sac ; car on m’a dit qu’il y a un des peres de ce couvent qui en fait tout ce qu’il veut ; je ne sçay pas son nom, mais ces bons peres font volontiers les uns pour les autres. Helas (reprit Collantine avec un grand soûpir) ! je n’y ai connoissance quelconque ; toutefois, attendez : je connois un religieux recollet de la province de Lyon, à qui j’ay ouy dire, ce me semble, qu’il avoit un cadet qui estoit de ce couvent ; il trouvera quelqu’un de cet ordre ou d’un autre, il n’importe, qui fera mon affaire.
Là dessus Charroselles luy voulut dire adieu, mais elle le suivit en le costoyant ; et en luy nommant un nouveau conseiller, elle luy demanda la mesme grace qu’il lui avoit faite auparavant. Pour celuy-cy (luy dit-il), c’est un homme qui passe pour galant ; il est fort civil au sexe, et vous estes asseurée d’une favorable audiance, si vous l’allez voir avec quelque personne qui soit bien faite. Ha (reprit-elle) ! je sçay une demoiselle suivante qu’on avoit prise dernierement pour quester à nostre parroisse à cause de sa beauté. Je la prieray de m’y mener, et je ne crois pas qu’elle me refuse, car elle a tenu ces jours-cy un enfant sur les fonds avec le clerc d’un procureur qui occupe pour moy en quelques instances. Charroselles luy dit un second adieu ; mais elle l’arresta encore en lui disant : Je ne vous veux plus nommer que celuy-cy ; dites-moi si vous ne connoissez point quelques uns de ses amis. J’en connois quantité qui le sont beaucoup (luy dit-il). Hé ! de grace, comment s’appellent ils (lui répondit-elle avec une grande émotion) ? Ils s’appellent Loüis (répliqua-t-il). On dit que quand ils vont en compagnie le prier de quelque chose, ils l’obtiennent aisément. Vous estes un rieur (repartit nostre importune) ; je ne voudrois pas trop me fier à ce qu’on en dit : on fait beaucoup de médisance sans fondement, et il n’y a point de si bon juge que la partie qui a perdu sa cause n’accuse d’avoir esté corrompu par argent ou par amis ; cependant cela n’est presque jamais vray.
Cette raillerie servit utilement Charroselles, car il ne se fust jamais autrement sauvé des mains et des questions de cette fille. Ils se separerent enfin, non sans protestation de se revoir, et ils s’en allerent chacun de son costé chercher son logis à tastons, et en pas de loup-garou, chose qui arrive souvent aux plaideurs. Charroselles, retournant chez luy fort fatigué, se mit à table avec sa sœur et son beau frere, qui estoit medecin, chez lequel il s’estoit mis en pension72, et il leur raconta une partie des avantures de cette journée, et des discours qu’il avoit tenus avec une fille si extraordinaire. Ils admirerent ensemble le naturel des plaideurs, et demeurerent d’accord qu’il faut estre bien chery du ciel pour estre exempt de tomber dans ces deux sottises, generales à tous ceux de ce mestier, d’estre si aspres à chercher des connoissances pour donner des placets à des juges, et d’estre si importuns à raconter leurs affaires, et à les consulter à tous les gens qu’ils rencontrent. Pour moy, dit Lambertin (c’estoit le nom du beau-frere), j’admire que l’on cherche avec tant d’empressement des sollicitations, puis qu’elles servent si peu, et je ne m’estonne point aussi qu’on en fasse si peu de cas, puisqu’elles viennent de connoissances si esloignées. Adjoustez (dit Charroselles) que la pluspart donnent des placets fort froidement, et si fort par maniere d’acquit, que j’aimerois presque autant voir distribuer sur le Pont-Neuf de ces billets qui annoncent la science et le logis d’un operateur73. Pour les donneurs de factums (reprit Lambertin), je leur pardonnerois plus volontiers ; car, comme ils contiennent une instruction de l’affaire, cela peut estre utile à quelque chose ; mais le malheur est que ces messieurs en reçoivent tant que, s’ils vouloient les lire tous, il faudroit qu’ils ne fissent autre chose toute leur vie ; de sorte que leur destin le plus ordinaire est d’accompagner les placets à la garderobbe. En cela (dit Charroselles) consiste quelquefois leur fortune ; car, s’il arrive que Monsieur ait le ventre dur, il peut s’amuser à les lire pendant qu’il est en travail, et je tiens que, de mesme qu’un amant seroit ravi de sçavoir l’heure du berger, aussi un plaideur seroit heureux s’il sçavoit l’heure du constipé. Il faut confesser (reprit Lambertin) que tous ceux qui cherchent les voyes d’instruire leurs juges, par quelque façon que ce soit, sont excusables ; mais les autres ne le sont pas qui vont importuner une personne estrangere d’un recit long et fascheux d’un procès où ils n’ont aucun interest. Et il arrive qu’à la fin l’auditeur n’y peut rien comprendre, non seulement parce que souvent l’affaire est trop embroüillée, mais aussi parce que le plaideur en taist beaucoup de circonstances necessaires pour la faire entendre ; et comme il en a l’idée remplie, il croit que les autres en sont aussi bien instruits que luy. Le pis est encore que les avis qu’il demande ne peuveut servir de rien : car, s’il parle à des ignorans, ils ne peuvent donner aucune resolution qui soit pertinente ; et si c’est à des sçavans, ils veulent voir les pieces et les procedures pour faire une bonne et seure consultation. Cependant ce ne sont pas seulement les plaideurs qui ont cette manie ; tous ceux qui frequentent avec eux en sont encore entachez, et ne peuvent se deffendre de tomber en mesme faute. J’en fis ces derniers jours une assez plaisante experience, dont je vous veux reciter briefvement l’avanture.
Un homme de robbe, m’ayant témoigné qu’il vouloit lier une estroite amitié avec moy, m’avoit invité puissamment de l’aller voir. Je luy fis ma premiere visite un dimanche, sur les dix heures du matin. Si-tost qu’il sceut ma venuë, il me fit prier de l’attendre dans une salle, tandis qu’il recevoit dans une autre la sollicitation d’un de ses amis de qualité. Apres une heure entiere il me vint faire un accueil tres-civil, et, pour premier compliment, il me témoigna le déplaisir qu’il avoit de m’avoir tant fait attendre. Il me dit pour s’excuser qu’il estoit engagé avec une personne de condition, qui luy venoit recommander une affaire qui estoit de grande discussion, et où il y avoit les plus belles questions du monde, et là dessus il commença à m’en deduire le fait et à m’en expliquer toutes les circonstances avec les mesmes particularitez qu’il venoit d’apprendre de la partie. Ce recit dura une autre heure, au bout de laquelle midy sonna, et comme il n’avoit pas esté à la messe, il nous fallut separer brusquement sans autre entretien. Je vous laisse à penser quel fruit et quelle satisfaction nous avons receu l’un et l’autre de cette visite, et s’il n’étoit pas plaisant de luy voir commettre la mesme faute qu’il avoit dessein de reprendre et de blâmer.
Lambertin et Charroselles s’entretenoient ainsi pendant le soupper ; et comme la matiere de railler les plaideurs est assez ample, cette conversation auroit esté poussée fort loin si, au milieu de la plus grande chaleur, elle n’eust esté interrompue par un grand bruit de cinq petits enfans, qui, estant au bout de la table rangez comme les tuyaux d’un sifflet de chaudronnier, vinrent crier de toute leur force : Laus Deo, pax vivis, et firent un piaillement semblable à celuy des cannes ou des oysons qu’on effarouche. Chacun fit silence et joignit les mains, puis la mere prit le plus petit des enfans sur ses genoux pour l’amignotter. Lambertin, accostant sa teste sur son fauteüil, se mit à ronfler ; Charroselles, homme d’estude, monta en son cabinet, où la premiere chose qu’il fit, ce fut son examen de conscience de bons mots, ainsi qu’il avoit accoustumé. C’est à dire qu’il faisoit un recueil où il mettoit par escrit tous les beaux traits et toutes les choses remarquables qu’il avoit oüyes pendant le jour dans les compagnies où il s’estoit rencontré. Apres cela il en faisoit bien son profit, car par fois il se les attribuoit et en compiloit des ouvrages entiers ; par fois il les alloit debiter ailleurs comme venant de son crû. Ce qui luy arriva cette journée fut une grande recolte pour luy, car sans doute il en couchera l’histoire dans le premier livre qui sortira de sa plume, et bien plus amplement que je ne la raconte icy. Ce ne sera que la faute des libraires si vous ne la voyez pas.
Dès les premiers jours suivans, il ne manqua pas d’aller voir Collantine, comme il alloit voir toutes les autres filles et femmes de la Ville. La grande sympathie qu’ils avoient à faire du mal à leur prochain, chacun en son genre, fit qu’ils lierent ensemble une grande..... N’attendez pas que je vous dise amitié ou intelligence ; mais familiarité, tant qu’il vous plaira.
Lors de sa premiere visite, et immediatement apres le premier compliment, Charroselles la voulut regaler de son bel esprit, et luy monstrer le catalogue de ses ouvrages. Mais Collantine l’interrompit, et luy fit voir auparavant tous les étiquettes de ses procès. Apres cela il se mit en devoir de luy lire une satyre contre la chicane, où il décrivoit le malheur des plaideurs. Mais auparavant, elle lui leut un advertissement dressé contre un faux noble qu’elle avoit fait assigner à la Cour des aydes sur ce qu’il avoit pris la qualité d’escuyer74. Comme il vid qu’il ne pouvoit obtenir longue audience, il luy voulust monstrer un sonnet qu’il lui dit estre un chef-d’œuvre de poesie. Ha ! pour des chef-d’œuvres (dit-elle), je vous veux lire un exploit en retrait lignager aussi bien dressé qu’on en puisse voir. Il crut estre plus heureux en lui annonçant de petites stances, où il disoit qu’un amant faisoit à sa maistresse sa declaration. Pour des declarations (interrompit-elle encore), j’en ay une de dépens si bien dressée, que de trois cens articles, il n’y en a pas un de rayé ni de croisé. Au lieu de se rebuter, il la pria instamment d’oüir la lecture d’une epistre. Elle répondit aussi tost qu’elle n’entendoit point le latin : car elle ne croyoit pas, en effet, qu’il y eust d’autres epistres que celles qui se lisent devant l’Evangile. Charroselles, pour s’expliquer mieux, luy dit que c’estoit une lettre. Quant aux lettres (luy répondit Collantine), j’en ai de toutes les façons, et je vous en veux monstrer en forme de requeste civile obtenues contre treize arrests tous contradictoires. Quand il vid qu’il estoit impossible qu’il fust escouté, il tira un livret imprimé de sa poche, contenant une petite nouvelle75, qu’il lui donna, à la charge qu’elle la liroit le soir. Elle ne parut point ingrate, et aussi-tost elle luy donna un gros factum à pareille condition. Enfin, je ne sçay si ce fut encore la nuit ou quelque autre interruption qui les separa ; tant y a qu’ils se quitterent fort satisfaits, comme je crois, de s’estre fait enrager l’un l’autre.
Comme il ne manquoit à Charroselles aucune de toutes les mauvaises qualitez, il avoit sans doute beaucoup d’opiniastreté. Il s’opiniastra donc à vouloir faire entendre à Collantine quelqu’un de ses ouvrages, et s’estant trouvé malheureux cette journée, il voulut joüer d’un stratageme. Il s’advisa donc un jour de la prendre à l’impourveu pour la mener à la promenade hors la Ville, raisonnant ainsi en luy-mesme que, quand il lui liroit quelqu’une de ses pieces, elle ne pourroit pas l’interrompre pour luy faire voir d’autres papiers, parce qu’elle ne les auroit pas alors sous sa main. Mais helas ! que les raisonnemens des hommes sont foibles et trompeurs ! Comme il la tenoit en pleine campagne, ignorante de son dessein, et sans qu’elle eut songé à prendre aucunes armes deffensives, il se mit en devoir de luy lire un episode de certain roman qui contenoit (disoit-il) une histoire fort intriguée. Vrayement (dit Collantine), il faut qu’elle le soit beaucoup si elle l’est d’avantage que celle d’un procès que j’ay ; et en disant cela, elle tira de dessous la juppe sa coppie d’un procès-verbal, contenant 55 roolles de grand papier bien minuttez. Je vous le veux lire devant que je le rende à mon procureur, qui le doit signifier demain ; je l’ay pris exprès sur moy pour le luy laisser à mon retour ; un bel esprit comme vous en fera bien son profit, car il y a de la matiere pour en faire un roman.
Puisque la loy de nature est telle qu’il faut que le plus foible cede au plus fort, il fallut que l’episode cedast au procès verbal, de mesme qu’un pygmée à un geant. Charroselles fut donc resduit à l’escouter, ou plustost à la laisser lire, et cependant il faisoit en lui mesme cette reflection : Ne suis-je pas bien malheureux d’avoir pris tant de peine à composer de beaux ouvrages, et estre reduit non seulement à ne les pouvoir faire voir au public, puisque ces maudits libraires ne les veulent pas imprimer, mais mesme à ne trouver personne qui ait la complaisance de les ouïr lire en particulier ? Il faudra que je fasse enfin comme ces amans infortunez qui recitent leurs avantures à des bois et à des rochers, et que j’imite l’exemple du venerable Bede, qui preschoit à un tas de pierres. Encore si je ne souffrois ce rebut que par ces critiques qui ne trouvent rien à leur goust que ce qu’ils ont fait, je l’endurerois plus patiemment ; mais qu’il le faille aussi souffrir d’une personne vulgaire, qui ne seroit pas capable de voir les defauts de mes ouvrages, supposé qu’il y en eust, et dont je ne devrois attendre que des applaudissemens, c’est ce qui est capable de pousser à bout ma patience.
Cependant Collantine lisoit, et souvent interrompoit la triste resverie de nostre Autheur inconsolable, et en le poussant du coude, luy disoit : N’admirez-vous point que j’ay un procureur qui verbalise bien ? Vous verrez tantost le dire d’un intervenant qui n’est rien en comparaison. Elle demandoit aussi de fois à autre ce qu’il luy en sembloit, et luy, qui estoit de serment de ne rien loüer, et qui eut esté excusable de ne se point parjurer en cette occasion, luy dit en langue de pedant, dont il tenoit un peu : Je ne trouve rien là, nisi verba et voces. Et estant enquis de l’explication de ces mots, il dit qu’il ne trouvoit rien de mieux baptisé qu’un procès verbal, car, en effet, il ne contient que des paroles.
Collantine eut plutost le gosier sec qu’elle ne fut lasse de lire, et cette alteration, aussi bien que la chaleur qu’il faisoit, obligerent ce peu galand homme à luy offrir un petit doit de collation, et pour cet effet ils descendirent à la Pissote76. Le couvert ne fut pas si-tost mis sur la table, que la demoiselle, souspesant le pain dans ses mains, se mit à crier contre l’hoste qu’il n’estoit pas du poids de l’ordonnance, et qu’elle y feroit bien mettre la police. Cette querelle, jointe au mauvais ordre que le meneur y avoit donné, qui estoit d’ailleurs fort œconome, leur fit faire un tres-mauvais repas, et qui se pouvoit bien appeler gouster, en prenant ce mot dans sa plus estroite signification.
Le pis fut quand ce vint à conter. Charroselles contestoit avec l’hoste sur chaque article, et faisoit assez grand bruit, lorsque Collantine y accourut, disant qu’elle vouloit estre receuë partie intervenante en ce procès. Elle prit elle-mesme les jettons, chicana sur chaque article, et rogna mesme de ceux qui avoient esté desja alloüez. Sur tout elle ne vouloit pas qu’on payast le pain qu’à raison de dix sols la douzaine, asseurant que l’hoste l’avoit à ce prix du boulanger, et que c’estoit assez pour luy d’y gagner le treizième. Cependant, l’hoste estant ferme à son mot, elle voulut envoyer querir un officier de justice pour consigner entre ses mains le prix de l’escot, et s’opposer à la délivrance des deniers, avec assignation pour en voir faire la taxe. Elle disoit hautement que ce n’estoit pas pour la somme, mais qu’il ne falloit pas accoustumer ces rançonneurs de gens à leur donner tout ce qu’ils demandoient ; excuse ordinaire des avares, qui protestent tousjours de ne pas contester pour la consequence de l’argent, mais qui neantmoins ne contesteroient point s’il n’en falloit point donner. Enfin la liberalité forcée de Charroselles les tira de cet embarras, au grand regret de Collantine d’avoir manqué une occasion d’avoir un procès, asseurant tout haut que, si c’eust esté son affaire, l’hoste en eust esté mauvais marchand ; qu’il luy en eust cousté bon ; et elle se consola neantmoins, sur la menace qu’elle luy fit d’y envoyer un commissaire, pour le faire condamner à l’amende à la police.
Nostre pauvre autheur, qui n’avoit pas eu mesme de la loüange pour son argent, chercha plusieurs autres occasions, dans les visites qu’il rendit à Collantine, de luy faire quelque lecture ; mais elle estoit tousjours en garde de ce costé-là. Ce n’est pas qu’elle eust de l’aversion pour ses ouvrages, mais c’est qu’elle avoit tant d’autres papiers à lire, où elle prenoit plus de goust, qu’elle n’avoit de loisir que pour ceux qui flattoient sa passion. Un jour entr’autres, qu’il avoit fait plusieurs tentatives inutiles, il se mit tellement en colere contre elle, qu’il estoit presque resolu de la lier, et de luy mettre un baillon dans la bouche pour avoir sa revanche, et la prescher tout à loisir, quand voicy qu’il survient une nouvelle occasion de procès.
Je ne sçay sur quel point de conversation ils estoient, quand la demoiselle luy dit : À propos, j’ay une priere à vous faire : faites-moy le plaisir de me prester une chose que vous trouverez dans l’estude de feu monsieur vostre pere. Quoy (dit Charroselles), avez-vous besoin de livres de guerre ou de chevalerie ? J’ai les fortifications d’Errart77, de Fritat, de de Ville78, et de Marolois79 ; j’ay les livres de machines de Jean Baptiste Porta80 et de Salomon de Caux81, les livres de Pluvivel82 et de la Colombiere83 ; voulant faire croire par là que son pere estoit un grand homme de guerre.
Ce n’est point cela (luy dit-elle) ; je n’ay affaire que d’un papier. Ha (repliqua-t’il), il en avoit de tres-curieux : il avoit toutes les pieces qui ont este faites durant la Ligue et contre le gouvernement : le Divorce Satirique84, la Ruelle mal-assortie85, la Confession de Sancy, et plusieurs autres. Ce n’est point encore cela (repartit Collantine) ; c’est qu’en un procès que j’ay, je voudrois bien produire un arrest qui a esté rendu en cas pareil. J’ay entendu dire qu’il y en a eu un rendu sur une espece semblable, en une instance où feu monsieur vostre pere estoit procureur ; on luy aura peut-estre laissé les sacs ; je vous prie de prendre ce memoire et de le faire chercher, ou à tout le moins de m’en dire le datte. Dites-vous cela (reprit Charroselles) pour me faire injure ? Ne sçavez-vous pas que je suis gentilhomme ? j’ay quatre-vingt mille livres de bien, un carosse entretenu, deux laquais, valet de chambre, et apres cela vous me faites ce tort de me croire fils d’un procureur. Quand il seroit ainsi (luy répondit Collantine), je ne vous ferois pas grand tort, car j’estime autant et plus un procureur qu’un gentilhomme. J’en sçais cent raisons, et sur tout une qui est decisive, pour faire voir l’avantage que l’un a sur l’autre : c’est qu’il n’y a point de gentilhomme, tant puissant soit-il, qui ait pû ruiner le plus chetif procureur ; et il n’y a point de si chetif procureur qui n’ait ruiné plusieurs riches gentilhommes. Et sans luy donner le loisir de l’interrompre, elle qui sçavoit admirablement son Palais, pour luy monstrer qu’elle ne parloit point en l’air, luy dit le nom et la demeure de celuy qui estoit subrogé à la pratique de son pere, luy nomma l’huissier qu’il employoit à faire ses significations, le commis du greffe qui mettoit ses arrests en peau86, la buvette où il alloit déjeuner, les clercs qui avoient esté dans son estude, enfin tant de choses que Charroselles, convaincu de cette verité et confus de ce reproche, n’eut autre recours pour s’en sauver qu’à son impudence, et à luy soustenir hautement que tout cela estoit faux. Collantine en infera aussi-tost : J’ay donc menty ! et en mesme temps il y eut souflets et coups de poing respectivement donnez. Elle fut la premiere à souffleter et à crier : Au meurtre ! on m’assassine ! et quoy qu’elle fust la moins battuë, c’estoit elle qui se plaignoit le plus haut. Pour le pauvre Charroselles, il n’estoit que sur la deffensive ; et quoy que ce ne fust pas le respect du sexe qui le reteint (car il n’en avoit ny pour sexe, ny pour âge), neantmoins l’avantage n’estoit pas de son costé, car il n’estoit accoutumé qu’à mordre, et non point à souffleter ny à battre. Le plus plaisant fut que, parmy les voisins qui arriverent au secours, se trouva fortuitement le frere de Collantine, qui avoit hérité de l’office de sergent qu’avoit son pere. Quoy qu’il eust beaucoup d’affection pour elle, il se donna bien de garde de separer ces combatans, qui s’embrassoient fort peu amoureusement ; mais, disant aux assistans qu’il les prenoit à tesmoins, il escrivit cependant à la haste une requeste de plainte, et tant plus il les voyoit battre, tant mieux il rolloit. Le mal-heureux autheur fut donc obligé de s’enfuir, car tout le voisinage accouru se rua sur sa fripperie et le mit en aussi pitoyable estat qu’un oyson sans plume. Le sergent envoya querir vistement la justice ordinaire du lieu, dont sa sœur le querella fort, luy disant qu’il se meslast de ses affaires ; qu’elle sçavoit assez bien, Dieu mercy, les destours de la pratique pour ruiner sa partie de fonds en comble ; en un mot, qu’elle vouloit avoir la gloire toute seule de commencer et de pousser à bout ce procez.
Le bailly venu, elle fit faire en moins de rien de gros volumes d’informations, et on connut alors le dire d’un autheur espagnol très-véritable, qu’il n’y a rien qui croisse tant et en si peu d’heure, qu’un crime sous la plume d’un greffier. Elle obtint bientost un décret de prise de corps, et parce qu’elle n’avoit point de veritables blessures, elle se frotta les bras avec un peu de mine de plomb ; en suite elle se fit mettre quelques emplastres par un chirurgien et obtint un rapport de plusieurs échinoses (c’est à dire esgratignures). Ce grand mot donna lieu à deux sentences de provision de 80 livres parisis chacune. Charroselles, qui ne sçavoit autre chicane que celle qui luy servoit à invectiver contre les autheurs, fut si embarassé que, pour éviter la prison, il fut obligé de se cacher quelques jours en une maison de campagne d’un de ses amis. Là, toute sa consolation fut de décharger sa colère sur du papier et de se servir des outils de sa profession. Il se mit à faire une satyre contre Collantine, et sa bilemesme s’épandit sur tout le sexe. Il chercha dans ses lieux communs tout ce qui avoit esté dit contre les femmes. Il n’oublia pas le passage de Salomon, qui dit que de mille hommes il en avoit trouvé un de bon, et de toutes les femmes pas une. En suite il fit un catalogue de toutes les méchantes femmes de l’antiquité, et les compara à sa partie adverse, qu’il chargea seule de tous leurs crimes. Il la dépeignit cent fois plus horrible que Megere, qu’Alecto, ny que Tusiphone. Mais tandis qu’il estoit dans sa plus grande fureur d’invectiver, il se souvint que tout ce qu’il escrivoit seroit peut-estre perdu, parce que les libraires ne voudroient pas imprimer cet ouvrage, comme beaucoup d’autres qu’ils luy avoient rebutez. C’est pourquoy il resolut, pour ne plus travailler inutilement, de sonder à l’advenir leur volonté devant que de commencer un ouvrage. En cela il vouloit imiter ce qu’avoient fait autrefois la Serre et autres autheurs gagistes des libraires, qui mangeoient leur bled en herbe, c’est à dire qui traitoient avec eux d’un livre dont ils n’avoient fait que le titre. Ils s’en faisoient advancer le prix87, puis ils l’alloient manger dans un cabaret88, et là ils le composoient au courant de la plume. Encore arrivoit-il souvent que les libraires estoient obligez de les aller dégager de la taverne ou hostellerie, où ils avoient fait de la dépence au delà de l’argent qu’ils leur avoient promis.
Il escrivit donc à tous ceux qu’il connoissoit ; il leur manda son dessein et leur envoya un plan ou un eschantillon de son ouvrage, pour sçavoir d’eux s’ils le voudroient imprimer. Mais comme ces libraires estoient dégoustez de tous ses écrits par les mauvais succès qu’avoient eu ses livres precedens, ils luy manderent tout à plat qu’ils n’imprimeroient rien de luy qu’il ne les eut dédommagez des pertes qu’il leur avoit fait souffrir, ce qui le mit en une telle colère, qu’il eust déchiré le livre qu’il composoit, sans la tendresse paternelle qu’il avoit pour luy. Neantmoins cela luy fit abandonner ce dessein. Toutesfois la rage où il estoit contre Collantine n’estant pas satisfaite, il voulut faire du moins quelque petite pièce contre elle, qu’il pust faire courir en manuscrit chez les gens qui la connoissoient. Mais parce que la prose ne se peut pas resserrer dans des bornes estroites, il fut contraint de tascher à faire des vers. Cependant, il avoit une estrange aversion pour la poësie89, et quelque effort qu’il eust pû faire, de sa vie il n’avoit pû assembler deux rimes. Enfin sa passion vint à un si haut point, qu’elle se tourna en fureur poëtique, et comme autrefois le fils de Crœsus, qui avoit esté tousjours muët, se desnoüa la langue par un grand effort qu’il fit pour avertir son père qu’on le vouloit tuer, de mesme Charroselles, outré de colère contre Collantine, malgré la haine qu’il avoit pour les vers, fit contr’elle cette Epigramme.
Épigramme.
Pilier mobile du Palais,
Ame aux procès abandonnée,
C’est dommage, tant tu t’y plais,
Que Normande tu ne sois née.
Je m’attends qu’un de ces matins
Ton humeur chicaneuse plaide
Contre le ciel et les destins,
Qui t’ont fait si gueuse et si laide.
Quoy que cette epigramme ne fust pas bonne, elle estoit du moins passable pour un homme qui faisoit son coup d’essay. Il l’envoya à tous ses amis, mais bien luy en prit qu’elle ne vint point à la connoissance de Collantine : car elle n’auroit pas manqué d’en faire informer et de l’appeler libelle diffamatoire. Il se crut donc par là bien vangé (poétiquement s’entend), car chacun se vange à sa maniere, un autheur par des vers, un noble à coups de main, un praticien en faisant couster de l’argent. Quelque temps après, Charroselles, par je ne sçay quel bonheur, fit connoissance avec un procureur du Chastelet, excellent dans son mestier et digne antagoniste de Collantine et de son frère le sergent, quand il les auroit eu tous deux à combattre. Cettuy-cy pour luy préparer une autre vengeance à sa maniere, le fit adresser à un commissaire qui luy fit répondre et antidater une requeste du jour que la querelle estoit arrivée, chose qui se fait sans scrupule, à cause que cela ameine de la pratique aux officiers royaux, par la prevention qu’ils ont sur les subalternes. Il fit entendre pour témoins deux de ses laquais, dont il fit déguiser les noms et la qualité, les ayant produit sous un autre habit ; il eut mesme, je ne sçay comment, un rapport de chirurgie tel quel (car ses blessures dont il avoit eu bon nombre estoient gueries). Avec cela il obtint de sa part un pareil decret, et deux sentences de provision, qui furent données deux fois plus fortes que celles de la justice ordinaire, par une jalousie de jurisdiction : en telle sorte que le sergent, qu’il fit comprendre dans le décret aussi bien que sa sœur, fut obligé pour quelque temps d’aller, comme disent les bonnes gens, à Cachan. Le remede fut d’obtenir un arrest portant deffences aux parties d’executer ce decret et de faire des procedures ailleurs qu’en la cour, les provisions compensées, le surplus payé, c’est le stile ordinaire. Et en vertu de ce surplus, le pauvre sergent, quelque temps après, lors qu’ils ne s’en doutoit en aucune sorte, fut constitué injurieusement prisonnier par un de ses confreres, qui pour peu d’argent se chargea volontiers de cette contrainte contre luy. La cause fut mise au roolle, et après avoir esté long-temps sollicitée et bien plaidée, les parties furent mises hors de cour et de procès sans aucune reparation, dommages, interests, ny dépends. Ainsi, qui avoit esté battu demeura battu, et tous les grands frais que les parties avoient fait de part et d’autre furent à chacune pour son compte.
Or, lecteur, vous devez sçavoir qu’il estoit escrit dans les livres des Destinées, ou du moins dans la teste opiniastre de Collantine, qui ne changeoit guère moins ; qu’elle ne seroit jamais mariée à personne qu’il ne l’eust vaincuë en procès, de mesme qu’autrefois Atalante ne vouloit se donner à aucun amant qu’il ne l’eust vaincuë à la course. De sorte que cet heureux succès de Charroselles luy servit au lieu de luy nuire ; et quoy qu’en effet il ne l’eust pas surmontée entierement, du moins il luy avoit fait perdre ses avantages, comme il arrivoit en ces anciens combats de chevaliers qui se terminoient après un témoignage reciproque de valeur, sans la deffaite entière de leur ennemy. De manière qu’on ne vit point icy arriver ce qui suit ordinairement les procès, car cela ne servit qu’à les réjoindre plus estroitement, et à leur donner une estime reciproque l’un pour l’autre. Sur tout Collantine, qui se croyoit invincible en ce genre de combat, admiroit le heros qui luy avoit tenu teste, et commença de le trouver digne d’elle. Mais voicy cependant un rival, ou plustost un autre plaideur qui se jette à la traverse.
Je ne sçaurois obmettre la description d’une personne si extraordinaire. C’estoit un homme qui, par les ressorts de la Providence inconnus aux hommes, avoit obtenu une charge importante de judicature. Et pour vous faire connoistre sa capacité, sçachez qu’il estoit né en Perigort, cadet d’une maison qui estoit noble, à ce qu’il disoit, mais qui pouvoit bien estre appellée une noblesse de paille, puisqu’elle estoit renfermée sous une chaumiere. La pauvreté plustost que le courage l’avoit fait devenir soldat dans un régiment, et la fortune enfin l’avoit poussé jusqu’à l’avoir rendu cavalier, quand elle le ramena à Paris. Du moins ceux qui estoient bons naturalistes appelloient cheval la beste sur laquelle il estoit monté ; mais ceux qui ne regardoient que sa taille, son port et sa vivacité, ne la prenoient que pour un baudet. Il fut vendu vingt escus à un jardinier dès le premier jour de marché, et bien luy en prit, car il auroit fait pis que Saturne, qui mange ses propres enfans : il se seroit consommé luy-mesme. Le laquais qui suivoit ce cheval (il faut me resoudre à l’appeller ainsi) estoit proportionné à sa taille et à son merite. Il estoit Pigmée et barbu, sçavant à donner des nazardes, et à ficher des épingles dans les fesses ; en un mot, assez malicieux pour meriter d’estre page, s’il eut esté noble, supposé qu’on cherche tousjours de la noblesse dans ces messieurs. Pour bonnes qualitez, il avoit celle d’encherir sur ceux qui jeusnent au pain et à l’eau, car il avoit appris à jeusner à l’eau et à la chastagne. Aussi cela luy estoit-il necessaire pour vivre avec un tel maistre, puisque, pour peu qu’il eust esté goulu, il l’eust mangé jusqu’aux os ; encore n’auroit-il pas fait grande chere, ce pauvre homme et sa bource estant deux choses fort maigres. Si ce proverbe est veritable, tel maistre tel valet, vous pouvez juger (mon cher lecteur, qu’il y a, ce me semble, long-temps que je n’ay apostrophé) quel sera le maistre dont vous attendez sans doute que je vous fasse le portrait. Je vous en donneray du moins une esbauche. Il estoit aussi laid qu’on le puisse souhaiter, si tant est qu’on fasse des souhaits pour la laideur ; mais je ne suis pas le premier qui parle ainsi. Il avoit la bouche de fort grande estenduë, témoignant de vouloir parler de près à ses aureilles, qui estoient aussi de grande taille, témoins asseurez de son bel esprit. Ses dents estoient posées alternativement sur ses gencives, comme les creneaux sur les murs d’un chasteau. Sa langue estoit grosse et seiche comme une langue de bœuf ; encore pouvoit-elle passer pour fumée, car elle essuyoit tous les jours la vapeur de six pippes de tabac. Il avoit les yeux petits et battus, quoy qu’ils fussent fort enfoncez, et vivans dans une grande retraite ; le nez fort camus, le front eminent, les cheveux noirs et gras, la barbe rousse et seiche. Pour le peu qu’il avoit de cou, ce n’est pas la peine d’en parler ; une espaule commandoit à l’autre comme une montagne à une colline, et sa taille estoit aussi courte que son intelligence. En un mot, sa physionomie avoit toute sorte de mauvaises qualitez, hors-mis qu’elle n’estoit point menteuse. On le pouvoit bien appeller vaillant depuis les pieds jusqu’à la teste, car sa valeur paroissoit en ses machoires et en ses talons. Mais l’infortune l’avoit tellement tallonné à l’armée, qu’apres vingt campagnes il n’avoit pas encore gagné autant que valoit sa legitime (l’on ne sçauroit rien dire de moins), et il estoit obligé de venir chercher sa subsistance à Paris, qui estoit son meilleur quartier d’hyver.
Quant à son esprit, il estoit tout à fait digne de son corps ; et quoy qu’il n’ait bien paru que lors qu’il a esté placé sur le tribunal, il en fit voir neantmoins quelque eschantillon, par où l’on peut juger de son caractere. Un jour qu’on luy parloit de la grande Chartreuse, il demanda si c’estoit la femme du general des Chartreux. Il demanda aussi à d’autres gens de quelle matiere estoit fait le cheval de bronze, qui, voyant sa naïfveté luy persuaderent que les pecheurs venoient la nuit tirer du poil de sa queuë pour faire leurs lignes. Il gagea un jour que la Samaritaine estoit de Paris, et se mocqua d’un bachelier qui luy vouloit prouver le contraire par la Bible. Ayant oüy parler un jour de l’estoile poussiniere90, il demanda combien de fois l’année elle avoit des poussins. Une autrefois, un Jacobin luy ayant parlé de la sainte Inquisition, il l’alla retrouver le lendemain, pour luy dire que c’estoit un grand abus de la croire sainte ; qu’il n’avoit point trouvé sa feste dans l’almanac, ny sa vie dans la Fleur des Saints91. Comme il se promenoit un jour dans les Thuilleries, quelqu’un s’estonnant de la cause qui avoit peû faire ainsi nommer ce jardin, il répondit qu’il y avoit eu autrefois un roy de France qui s’appelloit Thuille, qui lui avoit donné son nom. C’estoit sçavoir l’histoire de son pays merveilleusement. Je ne sçay s’il n’avoit point autant de raison que cet autre etimologiste, qui vouloit que la salade eust esté inventée par Saladin, à cause de la ressemblance du nom. À propos de princes, quand il vouloit parler de ceux des Vénitiens et des Persans, il avoit coustume de dire le dogue de Venise et le saphir de Perse, au lieu de dire le doge et le sophy. Une autre fois, ayant découvert un clocher en approchant de Charenton, il demanda ce que c’estoit ; on luy répondit que c’estoit la maison des Carmes deschaussez. Ha ! vrayement (dit-il, trompé sur ce que nous appellons ceux de la Religion des Charentonniers), je ne croyois pas qu’il y eust des Carmes deschaussez huguenots. Le nombre de ses apophtegmes seroit grand si on les vouloit recueillir, et pourroit servir de supplément au livre du sieur Gaulard92, qui avoit à peu près un mesme genie. Cependant, avec ces ridicules qualitez de corps et d’esprit, la fortune s’advisa d’aller choisir ce magot pour le faire paroistre sur un grand theatre, de la mesme maniere que les charlatans y eslevent des singes et des guenons pour faire rire le peuple.
Il y avoit une charge de prevost vacante depuis longtemps en une justice des plus considerables de la ville. D’abord plusieurs personnes d’esprit et de sçavoir se presenterent pour en traiter ; mais il s’y trouva tant d’obstacles de la part d’un nombre infiny de creanciers, que les honnestes gens, qui estoient incapables de faire les intrigues necessaires pour acheter les suffrages de tant de personnes, s’en rebuterent. On y mit cependant un commissionnaire, à qui on fit le procès pour diverses voleries, et la haine qu’on eut pour luy, et la necessité de le chasser, en faciliterent l’entrée à Belastre (car c’est ainsi que se nommoit nostre futur ridicule magistrat). Voicy comme il parvint à cette dignité, qui auroit esté un lieu d’honneur pour un autre, mais qui en fut un de deshonneur pour luy.
Un de ses freres avoit espousé en secondes nopces la fille du premier lit de la seconde femme du deffunt prevost, possesseur de la charge dont il s’agit. Cette veufve étoit une femme vieille, laide, gueuse, méchante, harpie, intrigueuse93, médisante, fourbe, menteuse, banqueroutiere, et qui avoit toutes ces mauvaises qualitez en un souverain degré. Son mary ne s’estoit pas contenté de se faire separer de corps et de biens d’avec cette peste ; il n’avoit peû estre à couvert de sa malice qu’en la faisant enfermer dans un des cachots de la conciergerie, où elle demeura tant qu’il vescut. Apres sa mort, elle se mit en teste de disposer de cette charge, sous pretexte de sa qualité de veuve, quoy qu’elle n’y eust aucun interest, parce que le nombre de ses creanciers et de son mary absorboit trois fois la valeur de sa succession. Mais par de feintes promesses, elle engagea dans son party une bourgeoise dont la creance estoit fort considérable, luy faisant entendre qu’elles partageroient ensemble les revenus de l’office, qu’elle luy fit paroistre bien plus grands qu’ils n’estoient en effet. Cette femme donna dans le paneau, et comme le chien d’Esope, qui prit l’ombre pour le corps, s’obligea avec elle de payer tous les creanciers.
Belastre fut le personnage du nom duquel le traité fut remply, qui, ayant par ce moyen le titre, se vit en une plus grande difficulté d’avoir l’agrément du seigneur dont la charge dépendoit. Il se trouva qu’il avoit rendu, à l’armée, un service tres-considerable à une personne de la premiere qualité. Il n’y a rien dont les grands soient si prodigues que de sollicitations, ne se pouvant acquitter à moindres frais des vrais services qu’on leur a rendus qu’en donnant des paroles et des complimens. Le seigneur de la justice ne put refuser des provisions à Belastre, apres la priere qui luy en fut faite de la part de cet illustre solliciteur. Mais quoy qu’il eust interessé tous ses officiers, afin de ne point gaster cette sollicitation, il y en eut quelqu’un d’oublié, qui donna advis du peu d’esprit et de capacité de l’aspirant, dont il donnoit d’ailleurs assez de marques par l’aspect de sa personne.Voicy comment cette affronteuse y remedia. Elle leurra une veuve nommée de Prehaut de l’esperance d’épouser ce magistrat quand il seroit parvenu dans son estat de gloire. Celle-cy, qui estoit si affamée de mary qu’elle en auroit esté chercher en Canada94, la crut, et engagea sa mere dans son party, qui estoit encore une insigne charlatane, et fameuse par ses intrigues et par ses affiches95. Sa hablerie, plustot que sa science, lui avoit acquis quelque reputation à faire des cures de certaines maladies du scroton. Elle pensoit, ou plustot elle abusoit comme les autres, le fils d’un conseiller du Parlement, qui, sur sa fausse reputation, s’estoit mis entre ses mains. Ce conseiller estoit en tres-grande estime dans le palais, et n’avoit autre foiblesse que de deferer trop legerement aux prieres de ses enfans, dont il estoit infatué. La vieille donc pria cette veuve, la veuve pria sa mere, la mere pria son malade, le malade pria son pere ; et par surprise, à leur relation, il signa un certificat en faveur de Belastre, sans l’examiner, par lequel il attestoit qu’il estoit noble et de bonne vie et mœurs ; mesme il y avoit un article faisant mention de sa capacité. Apres celuy-là, elle en fit signer plusieurs autres semblables, jusqu’au nombre de vingt-cinq, par des officiers de cour souveraine, avec quelque legere recommandation, et bien plus de facilité ; car tous les hommes péchent volontiers par exemple, et, comme s’ils estoient au bal, se laissent conduire par celuy qui meine la bransle. Tant y a qu’apres ces témoignages authentiques (que le seigneur garda pardevers luy comme ses garends) il ne put se deffendre d’agréer un homme qui se rendit aussi fameux par son ignorance, que les autres l’auroient pû faire par leur doctrine.
Aussi-tost, le nouveau pourveu publia que sa promotion à cette charge estoit un ouvrage de la providence divine ; et pour preuve (disoit-il) qu’elle s’estoit meslée de son affaire, c’est qu’il avoit obtenu tant de certificats de capacité de personnes qui ne l’avoient jamais veu ny conneu. Le curé mesme de la paroisse l’appela, dans son prosne, prevost Dieu-donné, trompé par les premieres apparences qu’il luy donna de devotion.
Quand il fust installé dans son siege, le premier reglement qu’il fit, ce fut d’ordonner que les procureurs, greffiers, sergens et autres officiers escriroient doresnavant tous leurs actes en lettre italienne bastarde. Car, comme il escrivoit à la manière des nobles, c’est à dire d’un caractère large de deux doigts, il ne pouvoit lire que cette sorte d’escriture. Il appeloit chicane tout ce qu’il voyoit escrit en minutte, et il adjoustoit qu’il avoit tousjours oüi dire que la chicane estoit une méchante beste, qu’il ne la vouloit point souffrir dans sa justice. S’il desiroit voir quelques expéditions ou procedures, il disoit : Apportez-moy un papier, nommant de ce nom general tous les actes qui se font en justice, de mesme que font les bonnes gens qui n’ont aucune connoissance des affaires. Il se servoit encore des termes de la guerre pour s’expliquer dans la robbe, et quand il vouloit se faire payer de ses vacations ou de ses espices, il disoit ordinairement : Payez-moy ma solde. Il avoit peut-estre appris ce qui se raconte d’un gentilhomme de fortune, qui, sans avoir esté à la guerre, tout d’un coup fut fait general d’armée, et qui chercha aussi-tost un maistre de fortifications pour luy apprendre (disoit-il) l’art militaire de la guerre, à quatre pistoles par mois. Celuy-cy en fit chercher un pour luy apprendre le mestier de juge, à la charge qu’on luy en viendroit faire des leçons chez luy. Il s’imaginoit que cela s’apprenoit comme la science d’un escrimeur ; et il adjoustoit que, puisqu’il avoit bien esté à l’armée sans avoir esté à l’académie, il pourroit bien aussi estre juge sans avoir esté jamais au collége. Il se targuoit quelquefois de l’exemple d’un boucher de Lyon qui avoit acheté un office d’esleu96 ; le gouverneur de la ville s’estonnant comment il le pourroit exercer, veu qu’il ne sçavoit ni lire ni escrire, il luy répondit avec une ignorante fierté : Hé ! vrayement, si je ne sçais escrire, je hocheray ; voulant dire que, comme il faisoit des hoches sur une table pour marquer les livres de viande qu’il livroit à ses chalans, il en feroit autant sur du papier pour lui tenir lieu de signature. Mais en faveur du boucher, on pourroit alléguer une disparité qui le rendroit excusable ; car les esleus sont gens ignares et non lettrez par l’édit de leur creation, et c’est en ce point que l’édit, grace à Dieu, est bien observé. Je ne puis obmettre une belle preuve qu’il donna de sa capacité un peu auparavant que de devenir juge. Il estoit au Palais avec quelques officiers d’armée, qui achetoient des livres à la boutique de Rocolet97 ; par vanité il en voulut aussi acheter, et en effet il en demanda un au marchand. Rocolet luy demanda quel livre il cherchoit, et s’il en vouloit un in-folio, ou un in-quarto. Belastre, ignorant de ces termes, n’auroit pas compris ce que cela vouloit dire, si ce n’est qu’en mesme temps on luy monstroit du doigt le volume. Il répondit donc qu’il vouloit un grand livre. Rocolet luy demanda encore s’il vouloit un livre d’histoire, de philosophie, ou de quelqu’autre science. Belastre luy répondit qu’il ne s’en soucioit pas, et qu’il vouloit seulement qu’il luy vendist un livre. Mais encore (insista le marchand), afin que je vous en donne un qui vous puisse estre plus utile, dites-moy à quoy vous vous en voulez servir. Belastre luy répondit brusquement : C’est à mettre en presse mes rabats98. Cette réponse fit rire le libraire et tous ceux qui l’entendirent, et monstra que cet homme se connoissoit fort en livres, et qu’il en sçavoit merveilleusement l’usage. Il estoit si peu versé dans la connoissance du Palais, que, mesme depuis qu’il fut magistrat, il croyoit que les chambres des enquestes99 estoient comme les classes du collége, et qu’on montoit de l’une à l’autre à mesure qu’on devenoit plus capable ; de sorte qu’ayant veu un jeune homme sortir de la quatriesme chambre, il s’en estonna, et dit tout haut : Voila un conseiller bien advancé pour son âge. Une autrefois, à la table d’un president, quelqu’un vint à citer la loy des douze tables. Vrayement (luy dit Belastre en l’interrompant), il falloit que ces Romains fussent gens de bonne chere. Un galant homme qui se trouva de la compagnie, pour ne pas laisser perdre ce plaisant mot, en fit sur le champ ce quatrain :
Un ignorant que les destins
Font un juge des plus notables
Croit que les loix des douze Tables
Sont faites pour les grands festins.
Apres le dîner, ayant suivy ce president, qui entroit en son cabinet pour y examiner le plan d’une maison qu’il vouloit faire bastir, Belastre le prit apres luy pour le voir, faisant semblant de s’y connoistre ; mais, ayant apperceu au bas une ligne divisée en plusieurs parties, avec cette inscription : Eschelle de quinze toises : Vrayement (dit-il), pour faire une si grande eschelle, il falloit de belles perches. Il luy arriva aussi un jour de demander à un conseiller, quand le roy estoit en son lit de justice, s’il estoit entre deux draps ou sur la couverture.
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70. Les chambres de l’édit, qu’on nommoit ainsi parceque c’étoit une juridiction crée par l’édit de Nantes, se composoient moitié de magistrats catholiques, moitié de protestants. On y jugeoit les causes de ceux-ci. Dès avant la révocation de l’édit, elles n’existoient plus. Louis XIV les supprima en 1670. Le Coigneux, père de Bachaumont, étoit président à l’édit. (Tallemant, Historiettes, édit. in-8º, t. 3, p. 107.)
71. C’est la fameuse chanson de Desportes, « qui, dit M. Sainte-Beuve, confirmé d’ailleurs par ce passage de Furetière, se chantoit encore sous la minorité de Louis XIV. »
Ô nuit ! jalouse nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammea le ciel de nouvelle clairté,
T’ai-je donc aujourd’hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?
(Œuvres de Desportes, Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1611, p. 518.)
Regnier, dans sa 10e satire (v. 406), fait aussi allusion à cette chanson célèbre. Desportes l’avoit imitée du capitolo VII des poésies diverses de l’Arioste : O ne miei danni, qui avoit déjà inspiré à Olivier de Magny (1559) la Description d’une nuit amoureuse (V. ses Odes), et qui devoit donner encore à Gille Durant l’idée de ses stances : Ô nuit ! heureuse nuit !
72. Ceci regarde encore Charles Sorel : « Il n’est point marié, dit Gui Patin, et demeure avec une sienne sœur, femme de M. Parmentier, avocat général. » — Furetière dit médecin ; c’est tout ce qu’il change à la vérité.
73. Nous n’avons vu aucun de ces billets-réclames, mais nous nous faisons une idée de leur style par ce que nous savons des tableaux établis comme enseignes par ces mêmes opérateurs. « Carmeline, lit-on dans le Chevræana (p. 142), qui étoit un fameux arracheur de dents, et qui en remettoit d’autres en leur place, avoit fait mettre à côté de son portrait, exposé en vue sur la fenêtre de sa chambre qui regarde le cheval de bronze, le mot de Virgile sur le rameau d’or du 6e livre de l’Énéide,
Uno avulso, non deficit alter,
et l’application est heureuse. »
74. À partir de 1661, on inquiéta les usurpateurs de noblesse. (Subligny, Muse dauphine, in-12, p. 235.) La Fontaine fut condamné, en 1662, à 2,000 fr. d’amende pour avoir pris indûment le titre d’écuyer. (V. son Histoire, par Walekenaër, 1re édit., p. 341.) Boileau fut aussi poursuivi, mais il gagna son procès. (Lettre à Brossette, 9 mai 1699.)
75. On a de Ch. Sorel des Nouvelles françoises, 1683, in-8º.
76. C’étoit un fameux cabaret des environs de Vincennes. Le hameau auquel il attenoit en a gardé long-temps le nom.
77. On a de J. Errart, le premier ingénieur françois qui ait écrit sur cette matière : La fortification démonstrée et réduicte en art, 1594, in fol. — Une autre édition en fut donnée à Cologne en 1604.
78. Son traité, imprimé à Lyon en 1638, a pour titre : Les fortifications du chevalier A. De Ville.
79. Samuel Marolois, de qui l’on a aussi des travaux sur la perspective et sur l’optique, a laissé : Artis muniendi, sive fortificat. pars prima et secunda, Amst., 1633, in-fol. — Son nom ne se trouve dans aucune biographie.
80. Furetière parle ici de quelques uns des nombreux ouvrages du fameux physicien napolitain : Pneumaticorum libri III, Naples, 1601, in-4º ; De distilationibus, Rome, 1608, in-4º ; etc.
81. C’est du fameux ouvrage de l’ingénieur normand, La raison des forces mouvantes, etc., 1615, in-fol., dans lequel se trouve la première idée de la machine à vapeur, que Furetière veut parler ici. Cette mention seule suffiroit à prouver que les travaux de Salomon de Caus ne furent pas aussi dédaignés de son temps qu’on l’a prétendu. On pouvoit n’en pas comprendre la portée, mais on les lisoit, et, ce passage-ci en est la preuve, on les citoit parmi les meilleurs.
82. Il étoit sous-gouverneur du Dauphin (Louis XIII), et son maître pour les exercices du corps. On lui doit le Manége royal, Paris, 1615, in-fol., réimprimé sous le titre d’Instruction du Roy en l’exercice de monter à cheval, Paris, 1625, in-fol.
83. On a du sieur de la Colombière : Le vray théâtre d’honneur et de chevalerie, 1 vol. in-4º, et plusieurs autres ouvrages.
84. C’est le plus sanglant libelle qui ait été écrit contre la reine Marguerite, première femme divorcée de Henri IV. « Dans ce libelle, dit M. Bazin, où il ne faut chercher ni fidélité historique, ni talent de style, mais qui ne manque pas d’une certaine verve ordurière, l’auteur feint qu’il s’est élevé quelque blâme contre la dissolution du premier mariage de Henri IV, et il place dans la bouche du roi lui-même le récit scandaleux des faits qui ont rendu cette séparation nécessaire, ou qui, depuis, l’ont trop justifiée. Nous croyons qu’on ne s’est pas mépris en attribuant cet écrit à d’Aubigné. Un voyage qu’il fit à la cour, vers l’époque où l’on voit que ce pamphlet fut composé (1608), pourroit bien lui en avoir fourni l’occasion. Au reste, de lui ou d’un autre, il sent évidemment son huguenot hargneux, sorte de gens que Marguerite avoit toujours trouvés sans respect et sans pitié pour elle. Le Divorce satirique ne fut pas alors imprimé, mais il s’en fit des copies, qui coururent les châteaux des gentilshommes réformés, et, en 1662 seulement, les presses de Hollande le donnèrent à la suite du Journal de Henri III, ce qui étoit parfaitement sa place. » (Art. sur Marguerite de Valois, Rev. de Paris, 5 mars 1843, p. 25-26.) — On voit que Furetière a raison de ranger le Divorce satirique parmi les pièces rares et curieuses. Ajoutons qu’on ne l’attribue pas seulement à d’Aubigné, mais à Louise-Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, fille du duc de Guise. (Dreux du Radier, Tablettes historiques… des rois de France, t. 1, p. 11.)
85. Pièce encore plus rare que la précédente. Tallemant l’attribue à la reine Marguerite elle-même. « On a, dit-il, une pièce d’elle, qu’elle a intitulée la Ruelle mal assortie, où l’on peut voir quel étoit son style de galanterie. » Elle est si peu connue, que M. Monmorqué mit en note, à propos de ce passage de Tallemant : « Cette pièce ne paroît pas avoir été imprimée. » (Historiettes, 2e édit., t. 1er, p. 163.) C’étoit une erreur : M. Paulin Paris a retrouvé la Ruelle mal assortie à la page 95 du Nouveau recueil de pièces les plus agréables de ce temps, en suite des jeux de l’inconnu, Paris, chez Nicolas de Sercy, 1644, et il a consigné sa découverte dans une note de la nouvelle édition qu’il donne des Historiettes, t. 1er, p. 151–152. Le plus curieux pour nous, c’est que le recueil où la Ruelle se trouve ainsi avoit été justement publié par Charles Sorel, prototype du Charroselles, en possession de qui Furetière, non sans intention, nous montre la curieuse pièce. Une réimpression à petit nombre de la Ruelle mal assortie se prépare à la libraire d’Aug. Aubry.
86. On disoit autrefois peau pour parchemin. « Tous les arrêts, lit-on dans le Dictionnaire de Furetière, s’expédient en peau. — Il y a une vingtaine de greffiers en peau. »
87. G. Gueret, dans son Parnasse réformé, Paris, 1671, in-12, p. 43–44, fait ainsi parler ce même La Serre : « Y a-t-il d’autre marque de la bonté d’un ouvrage que le profit qu’en tire l’auteur ? Pourvu qu’il soit payé de son patron et du libraire aussi avantageusement que je l’ay toujours été, n’est-ce pas une hérésie que de douter de son mérite ?… J’ay mieux aimé que mes ouvrages me fissent vivre que de faire vivre mes ouvrages… Je n’ai cherché que l’expédition. J’ay laissé aux autres le soin de bien écrire, et je n’ay pris pour moi que celuy d’écrire beaucoup. »
88. La Serre s’acquoquina si bien au cabaret qu’il finit par y prendre femme. « Il épousa… (en 1648), dit Tallemant, une jolie personne, fille d’un cabaretier d’Auxerre. Ils s’attraperent l’un l’autre. » (Historiettes, 1re édit., t. 5, p. 28.) — Si le projet de libre échange émis par Hortensius, au liv. 11 de Francion, eût été exécuté, les poëtes de ce temps-là y eussent bien trouvé leur compte : « Qui n’aura pas d’argent, porte une stance au tavernier, il aura demy-septier ; chopine pour un sonnet, pinte pour une ode, etc. ; — quarte pour un poëme et ainsi des autres pièces. » (La vraye histoire comique de Francion, etc, par M. De Moulinet (Sorel), Rouen, 1663, in-8º, p. 615.) — Cette manière de composer au cabaret étoit encore de tradition littéraire au XVIIIe siècle. L’abbé Prevost ne faisoit pas autrement. « La feuille d’impression lui étoit payée un louis, dit M. A. Firmin Didot ; nous possédons des traités signés au cabaret, au coin de la rue de la Huchette, suivant l’usage du temps. » (Encyclop. moderne, Paris, 1851, in-8º, t. 26 (art. Typographie), p. 835, note.
89. Charles Sorel, bien qu’il ait cherché à faire tout ce qui concernoit son etat d’auteur, n’a pas laissé en effet un seul vers.
90. On nommoit encore ainsi au XVIIe siècle l’étoile qui se trouve au centre de la constellation des pléiades. Ainsi placée au milieu de ces six étoiles, elle semble une poule poussinière au milieu de ses petits ; de là son nom, qui se lit aussi dans Rabelais (liv. 1, chap. 53 ; liv. 4, chap. 43) et dans Regnier (sat. 6, v. 219).
91. Fleurs des vies des saints, traduites du Flos sanctorum du P. Ribadeneyra par les PP. Gaultier et Bonnet, Paris, 1641, 2 vol. in-fol. C’est le même livre dont parle la Dorine du Tartuffe (acte 1, sc. 3).
92. Le livre de ce prototype des Jocrisses, imprimé d’ordinaire à la suite des Bigarrures et touches du seigneur des Accords, a pour titre : les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte.
93. Ce mot, employé par Saint-Évremond, dans sa satire du Cercle, ne se trouve ni dans le dictionnaire de Nicot (1606), ni dans le Richelet de 1680 ; mais la première édition de l’Académie le donne, en faisant remarquer qu’intrigueuse est plus employé qu’intrigueur. Intrigant ne parut qu’après 1694.
94. C’est là que l’arrêt du 18 avril 1663 envoyoit les filles affamées comme cette veuve de Préhault. Il courut plusieurs pièces et chansons sur leur départ et sur leurs adieux à la ville et aux faubourgs de Paris ; une des plus curieuses se trouve dans le livre de Bussy-Rabutin, Amours des dames illustres de notre siècle, Cologne, 1681, in-12, p. 371, 380 :
Voilà nos plaisirs qui sont morts,
Et nous en sommes aux remords.
Adieu promenades de Seine,
Chaillot, Saint-Cloud, Ruel, Suresne.
Ah ! que nous allons loin d’Issy,
De Vaugirard et de Passy !....
Defita s’y prend comme il faut ;
Bourgeois, voilà ce que vous vaut,
Un magistrat de cette sorte
Et qui n’y va pas de main morte....
Faisons le triage, et comptons
Combien sont nos brebis galeuses :
Les listes sont assez nombreuses
Pour les envoyer en troupeau
Paître dans le monde nouveau.
95. Locke, dans le Journal du voyage qu’il fit en France vers cette époque, parle, comme l’ayant vue, d’une affiche à peu près pareille à celle-ci. C’est au duc de Bouillon que le privilége du remède qu’elle annonçoit, « un sachet… sans mercure », avoit été accordé, le 17 septembre 1667. (Extrait du Journal de Locke, Rev. de Paris, t. 14, p. 79.)
96. L’élu étoit un conseiller d’élection, sorte de juridiction chargée de répartir l’impôt, d’avoir raison des contribuables, etc., et qui d’abord, son nom l’indique, n’avoit que des charges données par élection. Avec le temps on en arriva à les vendre, comme on le voit ici. C’étoient des emplois très subalternes, ce passage le prouve aussi, et Dorine, dans Tartufe (act. 1er, sc. 5), mettant sur la même ligne
Madame la Baillive et madame l’Elue
ne fait pas grand honneur à la première. Les ancêtres de Cinq-Mars avoient tenu ce mince emploi ; aussi, quand, au grand étonnement de tous, le maréchal d’Effiat fut fait chevalier de l’ordre, Bassompierre dit : « Je ne sais pas s’il a été nommé, mais je sais qu’il a été élu. » (Tallemant, Hist., in-8, t. 3, p. 16.) — Dans les Bourgeoises de qualité, de Dancourt, Mme l’Elue joue l’un des principaux rôles.
97. Reçu imprimeur-libraire en 1618, imprimeur du roi en 1635, ce fut, jusqu’en 1666, année de sa mort, l’un des plus fameux libraires de son temps. (La Caille, Hist. de l’imprimerie, in-4, p. 228–230.) Entre autres livres d’art militaire, il avoit publié, avec un grand luxe de figures, Instruction pour apprendre à monter à cheval, par Antoine de Pluvinel (1627, in-fol.) Il n’est donc pas étonnant que Furetière fasse venir des officiers d’armée à son étalage. Rocolet pouvoit aussi offrir, comme il le fait plus loin, des livres de philosophie. En 1626, il avoit donné une édition des œuvres de Bacon.
98. Encore une plaisante idée que Molière reprendra plus tard pour en faire un des meilleurs traits de la grande tirade de Chrysale dans les Femmes savantes :
Et, hors un grand Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile.
Ce Plutarque ainsi employé reparoît dans le discours que Palaprat a mis en tête de sa comédie des Empiriques : « C’est, ajoute-t-il, un grand in-folio de Vascosan. » (Les œuvres de monsieur Palaprat, etc., Paris, 1712, in-8, t. 2, p. 36.)
99. « On y jugeoit des procès par écrit. Il y en avoit cinq à Paris. » (Dict. de Furetiére.)
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