Le Roman d’un enfant/07

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Paris Calmann Lévy (p. 30-32).


VII


Au printemps, à la toute fraîche splendeur de mai, sur un chemin solitaire appelé : la route des Fontaines…

(J’ai cherché à mettre à peu près par ordre de date ces souvenirs ; je pense que je pouvais avoir cinq ans lorsque ceci se passait.)

Donc, assez grand déjà pour me promener avec mon père et ma sœur, j’étais là, un matin de rosée, extasié de voir tout devenu si vert, de voir si promptement les feuilles élargies, les buissons touffus ; sur les bords du chemin, les herbes montées toutes ensemble, comme un immense bouquet sorti en même temps de toute la terre, étaient fleuries d’un délicieux mélange de géraniums roses et de véroniques bleues ; et j’en ramassais, j’en ramassais de ces fleurs, ne sachant auxquelles courir, piétinant dessus, me mouillant les jambes de rosée, émerveillé de tant de richesses à ma discrétion, voulant prendre à pleines mains et tout emporter. Ma sœur, qui déjà tenait une gerbe d’aubépines, d’iris, de longues graminées comme des aigrettes, se penchait vers moi, me tirant par la main, disant : « Allons, c’est assez, à présent ; nous ne pourrons jamais tout cueillir, tu vois bien. » Mais je n’écoutais pas, absolument grisé par la magnificence de tout cela, ne me rappelant pas avoir jamais vu rien de pareil.

C’était le commencement de ces promenades avec mon père et ma sœur qui, pendant longtemps (jusqu’à l’époque maussade des cahiers, des leçons, des devoirs) se firent presque chaque jour, tellement que je connus de très bonne heure les chemins des environs et les variétés des fleurs qu’on y pouvait moissonner.

Pauvres campagnes de mon pays, monotones mais que j’aime quand même ; monotones, unies, pareilles ; prairies de foins et de marguerites où en ces temps — là, je disparaissais, enfoui sous les tiges vertes ; champs de blé, avec des sentiers bordés d’aubépines… Du côté de l’Ouest, au bout des lointains, je cherchais des yeux la mer qui, parfois, quand on était allé très loin, montrait au-dessus de ces lignes déjà si planes, une autre petite raie bleuâtre plus complètement droite, — et attirante, attirante à la longue comme un grand aimant patient, sûr de sa puissance et pouvant attendre.

Ma sœur, et mon frère dont je n’ai pas parlé encore, étaient de bien des années mes aînés, de sorte qu’il semblait, alors surtout, que je fusse d’une génération suivante.

Donc, ils étaient pour me gâter, en plus de mon père et de ma mère, de mes grand’mères, de mes tantes et grand’tantes. Et, seul enfant au milieu d’eux tous, je poussais comme un petit arbuste trop soigné en serre, trop garanti, trop ignorant des halliers et des ronces…