Le Roman d’un enfant/41

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Paris Calmann Lévy (p. 170-171).


XLI


Cependant les retours du jeudi soir auraient eu aussi un grand charme quelquefois, n’eût été le remords de ces devoirs jamais finis.

On me reconduisait en voiture, ou à âne, ou à pied jusqu’à la rivière. Une fois sorti du plateau pierreux de la rive sud, une fois repassé sur l’autre bord, je trouvais toujours mon père et ma sœur venus à ma rencontre, et avec eux je reprenais gaiement la route droite qui menait au logis, entre les grandes prairies ; je rentrais d’un bon pas, dans la joie de revoir maman, les tantes et la chère maison.

Quand on entrait en ville, par la vieille porte isolée, il faisait tout à fait nuit, nuit d’été ou de printemps ; en passant devant la caserne des équipages, on entendait les musiques familières de tambours et de clairons annonçant l’heure hâtive du coucher des matelots.

Et, en arrivant au logis, c’était généralement au fond de la cour que je retrouvais les chères robes noires, assises, à la belle étoile ou sous les chèvrefeuilles.

Au moins, si les autres étaient rentrées, j’étais sûr de trouver là tante Berthe, seule, toujours indépendante de caractère, et dédaigneuse des rhumes du soir, des fraîcheurs du serein ; après m’avoir embrassé, elle flairait mes habits, en reniflant un peu pour me faire rire, et disait : « Oh ! tu sens la Limoise, petit ! »

Et, en effet, je sentais la Limoise. Quand on revenait de là-bas, on rapportait toujours avec soi une odeur de serpolet, de thym, de mouton, de je ne sais quoi d’aromatique, qui était particulier à ce recoin de la terre.