Le Roman d’un enfant/77

La bibliothèque libre.
Paris Calmann Lévy (p. 293-294).


LXXVII


Ce Paul, il savait des vers, d’un poète défendu appelé Alfred de Musset, qui me troublaient comme quelque chose d’inouï, de révoltant et de délicieux. En classe il me les disait à l’oreille, d’une voix imperceptible, et, avec un remords, je les lui faisais recommencer :

Jacque était immobile et regardait Marie,
Je ne sais ce qu’avait cette femme endormie
D’étrange dans ses traits, de grand, de déjà vu.
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Dans le cabinet de travail de mon frère, — où j’allais de temps en temps m’isoler, retrouvant le regret de son départ, — j’avais vu sur un rayon de la bibliothèque un gros volume des œuvres de ce poète, et la tentation m’était souvent venue de le prendre : mais on m’avait dit : « Tu ne toucheras à aucun des volumes qui sont là sans nous prévenir, » et ma conscience m’arrêtait encore.

Quant à en demander la permission, je savais trop bien qu’elle me serait refusée…