Le Saguenay, lettres au Courrier St. Hyacinthe/04

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Presses du Courrier de St-Hyacinthe (p. 25-27).

QUATRIÈME LETTRE.

Hébertville, 26 Août.

Me voilà de nouveau revenu à Hébertville, et, cette fois, je suis l’hôte d’un brave et intelligent cultivateur de l’endroit, M. Charles Drapeau. Ce monsieur est un des premiers colons de la localité et posséde un excellent établissement sur un magnifique plateau « d’où la vue s’étend sur la rivière des Aulnaies et le lac Kinogamishish,

M. Drapeau est l’homme de confiance du gouvernement de Québec et pendant plusieurs années il a dirigé et surveillé les travaux de colonisation. Ce monsieur nous a accompagné jusqu’au township Normandin et il compte bien venir avec nous jusqu’à Chicoutimi. J’aurai le plaisir de faire route en sa compagnie.

En arrivant avant hier soir à la Pointe bleue, il y eut assemblée des habitants de la localité. M. Beaudet adressa la parole à ses électeurs et fut suivi par l’Hon. Robertson, M. Ross, M. Messiah et M. de La-Bruère. Après les discours, une adresse très bien rédigée fut présentée au député du comté, à l’Hon. Trésorier et à M. Ross, par un notable de l’endroit.

Hier matin nous prîmes congé de l’hospitalier M. Maynard pour venir coucher à Hébertville. Nous rendîmes aussi visite au Révd. M. Lizotte, curé du lieu. Après avoir échangé une poignée de main au poste de Métabetchouan avec M. Flanigan, nous arrêtâmes de nouveau, en passant, chez le Révd. M. Vallé à St. Jérôme. Par une heureuse coïncidence c’était l’anniversaire de la naissance du curé et nous fûmes témoins d’un témoignage touchant d’affection de la part des enfants d’école de la localité qui vinrent saluer en M. Vallée un pasteur zélé et un bon père.

Ces enfants avaient une excellente tenue et font honneur à l’institutrice qui les dirige.

En parlant d’enfants nous en profiterons pour remarquer que, dans le Saguenay comme ailleurs, nous avons pu constater la fécondité de la race canadienne française. Lorsque nos voitures passaient devant une maison, de nombreuses petites têtes blondes, aux joues joufflues, se montraient à la fenêtre ou sur le perron. Nous en comptions régulièrement de six à dix par maison, et leur âge indiquait qu’ils ne seraient point les derniers de la famille.

On croit que le prochain recensement constatera une population de 50,000 âmes dans le territoire du Saguenay et la Vallée du lac St. Jean. Elle était de 16,579 en 1861 et de 22,980 en 1871. Ce n’est qu’un commencement, car ce vaste domaine peut nourrir plusieurs cent mille habitants, et la progression naturelle de la population fournira dans l’avenir un fort contingent, indépendamment des nouvelles familles qui viendront s’ajouter aux anciennes.

J’ai remarqué aussi que les colons paraissent généralement jeunes, robustes ; et c’est précisément la classe d’hommes qu’il faut pour se livrer aux rudes travaux du défrichement. Seulement je crains qu’un nombre assez grand de ces cultivateurs n’aient point toute la diligence nécessaire pour faire disparaître la forêt et ensemencer les champs à bonne heure. Les moissons étaient peu avancées et indiquaient qu’on était en retard. Ce retard, m’a-t-on dit, est attribué aux pluies du printemps qui ont empêché les semences à bonne heure. Je veux bien le croire ; néanmoins on m’a avoué qu’on ne travaillait point avec autant de diligence que dans les anciennes paroisses, et cela proviendrait du fait suivant. Il y a quelques années beaucoup de colons passaient l’hiver à travailler dans les chantiers et ne revenaient qu’à la fin du printemps. De la sorte ils ne pouvaient ensemencer leurs terres que tard, et ils ont conservé un reste d’habitude qui ne pourra que leur nuire. Le sol est beau et bon ; mais là comme ailleurs il faut un travail soutenu et ne pas laisser à la Providence le soin de tout faire.