Le Saguenay, lettres au Courrier St. Hyacinthe/03

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Presses du Courrier de St-Hyacinthe (p. 17-23).

TROISIÈME LETTRE.

Pointe Bleue 25 août.

Je suis arrivé hier soir du township Normandin, et j’ai visité par conséquent toutes les paroisses qui bordent le lac St. Jean.

Lundi matin en partant de St. Louis de Métabetchouan nous sommes passés à l’embouchure de la rivière Ouiatchouan qui se décharge dans le lac St. Jean par une suite de cascades formant des pouvoirs d’eau d’une grande force. Ce mot Ouiatchouan signifie selon quelques uns « rivière qui fait des détours, » selon d’autres ce mot signifie « vois-tu la chute ? » En effet à un mille à-peu-près du lac la rivière tombe d’une hauteur de 236 pieds et les eaux bouillonnantes se précipitent avec une grande rapidité vers le lac.

À l’endroit où nous traversons la rivière sur un pont il y a des moulins en opération, et les cascades m’ont rappelé celles de la rivière Magog à Sherbrooke. Il y a similitude entre elles, et il n’est pas nécessaire d’être prophète pour prévoir qu’avec des communications par chemin de fer cet endroit est appelé à devenir un centre industriel important.

De la Ouiatchouan nous arrivâmes bientôt à la Pointe Bleue, ou Notre-Dame du Lac, dans le township Roberval. Que le lac est beau vu de cette pointe et quel endroit charmant ! Nous sommes reçus à bras ouverts par M. et Mme Euloge Maynard, et leur maison est mise à notre disposition avec une grâce charmante et une libéralité qui vient du cœur. Nous nous promenons sur les galeries qui entourent cette charmante demeure, et nous nous reposons des fatigues de la route en contemplant le paysage.

Nous sommes à 23 lieues de Chicoutimi et, malgré cette distance, la colonisation fait ici de rapides progrès. Le sol de cette contrée est excellent et la moisson a une belle apparence. En 1878, il s’est récolté ici 7000 minots de blé et 14000 minots d’autres espèces de grains et c’est une des paroisses du lac qui promet le plus.

La Pointe Bleue possède à l’embouchure de la rivière Ouiatchouanish, un excellent pouvoir d’eau avec un moulin à scie la propriété de M. Jam.

Sur la même rivière et un peu plus à l’intérieur, mais sur le grand chemin, il y a un autre pouvoir d’eau magnifique sur lequel ses propriétaires, MM. Horace Dumais et E. Maynard, ont fait construire un superbe moulin à scie qu’il nous a fait plaisir de visiter. La chute est considérable et l’eau abondante.

Nous ne fîmes que passer à la Pointe Bleue, en allant, notre intention étant de coucher à St. Félicien, sur les bords de la rivière Ashuamouchuan.

Près de la Pointe est située la réserve des Sauvages, sur les rives du lac. Les Indiens possèdent une chapelle, mais à cette saison de l’année ils sont tous absents.

À peu près aux deux tiers de cette réserve se trouve une colline connue sous le nom de “ cran des sauvages. » De cette hauteur la vue découvre une plaine immense, parfaitement unie, et mes compagnons et moi nous débarquâmes de voiture pour contempler ce riche domaine. À nos pieds s’étendait la belle et fertile paroisse de St. Prime, et c’est alors surtout qu’on s’extasia sur la grande vallée du lac St. Jean et les ressources qu’elle peut offrir à l’agriculture.

Quand cette vallée sera défrichée, le Père Lacasse n’hésite pas à dire que de ce promontoire l’œil nu pourra contempler les clochers de 40 églises élevées de toutes les parties du lac à la gloire de Dieu.

Saint Prime est une paroisse d’avenir et j’ai été frappé de la beauté de son sol Des colons venus pauvres en cet endroit il y a quelques années sont déjà relativement à l’aise. Un des braves cultivateurs de la localité, M. Théodore Caouette, me disait qu’il était arrivé à St. Prime en 1873, sans ressources aucunes, et après avoir été obligé d’emprunter $10.00 pour commencer ses travaux. Il a semé ce printemps 35 minots de grain et il espère récolter 18 minots pour un. Il dit qu’aujourd’hui, après 7 ans de travaux, il vaut de $1500 à $2000. N’est-ce point là un résultat magnifique ?

De St. Prime nous nous rendîmes à St. Félicien, dans le township Demeules, situé sur les bords de la Chamouchouane, ou Ashuapmouchouan, qui, à cet endroit, a une largeur de 12 arpents.

Ce nom indien de Chamouchouane signifie « là où l’on guette l’orignal. » C’est une belle et grande rivière qui a été explorée à plus de cent milles de son embouchure, Malheureusement elle possède des rapides qui l’empêchent d’être navigable. Vis-à-vis St. Félicien, le lit de la rivière est parsemé de roches de différentes grosseurs et qui ont dû être charroyées par les courants à la débâcle des glaces. L’eau était tellement belle et limpide que je ne crus pas devoir me refuser la satisfaction d’y prendre un bain.

Nous avons couché chez un M. Boivin qui a exploré avec les arpenteurs tous les townships des alentours et fait le rapport le plus favorable sur la qualité de la terre.

À 4 heures du matin, hier, M. Euloge Maynard qui se multipliait pour nous rendre le voyage agréable sonna le réveil, et à 5 heures, nous traversions la rivière en bac pour nous diriger vers le township Normandin, Dans le township Parent nous côtoyâmes l’espace de plusieurs milles la Chamouchouane, et laissant les derniers établissements, nous pénétrâmes danis Normandin par le chemin de colonisation qu’ont fait faire le gouvernement et la société de colonisation organisée à Québec par le député de Saguenay, M. Beaudet. À 10 h a. m. les hourras des défricheurs accueillirent notre arrivée et nous prîmes un succulent déjeuner sous la tente, car il n’y pas de maison en cet endroit. Un mât avait été planté pour la circonstance à l’extrémité du chemin et on hissa le pavillon en l’honneur des excursionnistes,

S’il fallait juger de la qualité du terrain par l’espèce d’arbres qu’on y remarque, on serait porté à se tromper.

En effet contrairement à ce qui se remarque ailleurs, au lieu de beaux bois francs, il n’ya que des épinettes et du sapin. Cependant la qualité de la terre est superbe ; c’est une terre forte d’une richesse extraordinaire, et qu’autrefois les eaux du lac recouvraient ; en un mot c’est de l’alluvion. On n’y voit point de roches, et le défrichement est rendu facile par le fait que les arbres ne sont que plaqués sur la terre, c’est-à-dire que les racines ne pénètrent point avant dans le sol.

Ce township a une superficie de 50 milles sur lesquels il y a environ 30000 acres de terre arable. Le défrichement de Normandie a été confié par le gouvernement à la société de colonisation de la vallée du lac St. Jean qui a obtenu une concession de 20 mâle acres de terre. Cette société est à faire faire un très beau chemin, et M. Napoléon Laliberté, homme entendu et à l’œil intelligent, conduit les travaux avec économie et vigueur. Il est assisté par deux braves compagnons, MM. D. Tétu et N. Picard, surveillants du chemin que fait faire la société.

Vous me demanderez peut-être pourquoi on a donné le nom de Normandin à ce canton ? En voici la raison. Ce nom est celui d’un arpenteur français qui, en 1733, explora cette région inconnue et en dressa une carte qui, encore aujourd’hui, est la plus détaillée que nous possédions. Il était bien juste que le nom de cet explorateur des premiers temps de la eolonie fut assuré de la postérité.

À l’endroit où nous sommes descendu de voiture nous n’étions qu’à un mille de la rivière Ticouapee qui traverse les townships Normandin et Parent et rejoint la grande rivière Mistassini à peu de distance de l’embouchure de cette dernière.

Après avoir souhaité bon courage et prospérité aux vigoureux défricheurs de Normandin, nous retournâmes sur nos pas pour venir passer la nuit à la Pointe-Bleue chez notre excellent amphitryon, M. Maynard, qui avait eu la complaisance de nous accompagner avec sa charmante femme dans notre intéressante excursion à Normandin.

Mais à St. Prime on nous ménageait une surprise. À notre retour, M. Élie Saint Hilaire, l’intelligent maire de la localité, présenta aux excursionnistes une adresse de bienvenue au nom de ses co-paroissiens réunis en grand nombre, et dont voici le texte.

À l’honorable J. Gibbs Robertson, Trésorier de la Province de Québec, et à E. Beaudet, Écr, MPP, pour le comté de Chicoutimi, à l’Hon. de Labruère, Conseiller Législatif, à John Ross, Écr., marchand de Québec, à Massiah, Écr, correspondant du Mail de Toronto,

Honorables Messieurs,

Permettez-moi d’approcher de vos nobles personnes pour vous exprimer, au nom de mes compatriotes de St. Prime, tout le plaisir que nous éprouvons en vous voyant au milieu de nous. En maintes circonstances déjà vous avez manifesté de vives sympathies pour le Lac St. Jean, mais en venant étudier les besoins et les ressources de cette partie du pays, vous nous prouvez d’une manière. encore plus palpable l’intérêt que vous nous portez. Aussi nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue et de vous offrir nos plus sincères remerciements pour l’honneur que vous nous faites par votre visite. Quel colon ne se sentirait animé d’espérance même au milieu de ses cruelles épreuves, en voyant, en vos illustres personnes de puissants capitalistes, d’habiles financiers et des écrivains distingués entraînés probablement par le zèle de notre vaillant député local prendre notre propre cause en mains ? Qui n’entreverrait dans cette démarche importante de votre part aucun heureux présage pour le Lac St. Jean ? Pour nous, nous y apercevons un indice assuré de notre prospérité future qu’opérera bientôt la réalisation de la grande entreprise du jour, le chemin de fer du Lac St. Jean.

C’est pourquoi nous vous prions d’accepter encore une fois nos remercîments sincères pour votre bienveillante visite ainsi que nos vœux ardents pour votre propre bonheur. Veuillez me croire votre humble serviteur,

ÉLIE SAINT HILAIRE.

L’Hon. M. Robertson, MM. James Ross, Beaudet, Messiah et de LaBruère remercièrent chaleureusement les personnes présentes et examinèrent avec plaisir deux magnifiques gerbes de blé et de seigle qui révélaient la fécondité du sol de cette paroisse.

M. le curé du lieu, le révd. M. Auclair, voulut bien nous offrir une généreuse hospitalité, et notre visite se termina par un incident de bon augure. Le député du comté fut prié de tenir avec Mde. Beaudet sur les fonds baptismaux une petite fille qui reçut le nom de « Marie Louise Georgina, » enfant de M. Thomas Guimond et d’Héloise Hamel, de St. Félicien. Par une singulière coïncidence, ce M. Guimond est le fermier de M. Beaudet. Était-ce calcul de la part de ce colon de devenir père au moment de la visite du représentant du comté ? C’est plus que je ne pourrais dire.

L’hon. Robertson, M. Ross et autres signèrent sur le registre l’acte de baptême, et la nouvelle enfant, en possédant les grâces de la marraine, pourra plus tard se vanter d’être née sous une heureuse étoile.